« Rien ne me détournera de mon cap. » Dans un entretien accordé au Journal du dimanche, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, persiste et signe. Pour lui, l’expulsion de Leonarda Dibrani, cette jeune fille rom de 15 ans interpellée lors d’une sortie scolaire, le 8 octobre, dans le Doubs, et renvoyée au Kosovo avec toute sa famille, est parfaitement justifiée. C’est aussi l’avis d’une majorité de Français (entre 65 et 70 % selon les sondages). Pourtant, cette décision, qui a suscité une vive émotion dans l’entourage de l’adolescente et au sein des associations, est loin de faire l’unanimité. Elle a mis au jour les divisions profondes qui traversent la gauche sur les questions d’immigration. Elle a aussi contribué à affirmer un peu plus la posture du ministre de l’Intérieur qui, depuis le début de son mandat, entend montrer un visage de fermeté.
Le président de la République lui-même s’est senti obligé de monter au créneau le 19 octobre, lors d’une intervention télévisée. Mais au lieu de calmer le jeu, sa proposition de faire revenir la collégienne en France, sans sa famille, pour qu’elle puisse poursuivre ses études, n’a fait que relancer la polémique.
Descendus dans les rues de la capitale, juste avant la dispersion des vacances, les milliers de lycéens qui ont réclamé le retour de Leonarda et d’un lycéen arménien de 19 ans, Khatchik Khachatryan, expulsé quelques jours plus tôt, ont déjà annoncé leur intention de manifester le 5 novembre, le lendemain de la rentrée scolaire… L’affaire est donc loin d’être close.
Un traitement plus digne des immigrés Certains voient en Manuel Valls ie digne héritier de Nicolas Sarkozy : déploiements de force contre les Roms, politique de démantèlement des camps, discours stigmatisants, maintien du plafond des 30 000 régularisations par an, poursuite des expulsions massives… « Le président de la République et son gouvernement espèrent séduire l’opinion par leur fermeté à l’encontre des étrangers, faute de lui apporter satisfaction par des mesures favorables en matière sociale, économique ou fiscale, juge l’avocat Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). C’est un discours implicite qui murmure aux Français que le pouvoir les protège malgré tout de l’adversité puisqu’il frappe les étrangers. Devenir xénophobe pour essayer d’être populaire, tel est désormais le programme, exactement comme celui de Sarkozy en campagne. »
Le réquisitoire est sévère et demande à être nuancé. Il est sans doute le fruit d’une désillusion. En effet, tors de sa campagne présidentielle, François Hollande avait annoncé le changement. Rien de révolutionnaire pourtant, juste un traitement plus digne des immigrés. 18 mois plus tard, la promesse a été partiellement tenue. Avec l’abrogation de la circulaire Guéant, les étudiants étrangers sont désormais mieux traités.
Le « délit de solidarité » existe toujours, mais il est davantage circonscrit. L’accès aux soins via l’aide médicale d’État (Ame) a été facilité. Les critères de régularisation ont été mieux définis. Une circulaire de juillet 2012 a limité l’enfermement des familles, alors qu’un an plus tôt des centaines d’enfants avaient été placés en centre de rétention. En août 2012, une autre circulaire stipule que plus aucune évacuation de campement de Roms ne pourra se faire sans la recherche préalable d’une solution d’hébergement. Enfin, les procédures de demande d’asile ont été allégées, épargnant aux intéressés des allers-retours incessants dans les préfectures.
La déception des associations
Pour autant, le rythme de reconduite aux frontières n’a pas faibli, les conditions de régularisation sont toujours aussi strictes et le gouvernement n’a nullement l’intention de fermer les centres de rétention. Ce qui déçoit les associations impliquées dans l’accueil des migrants, qui estiment que, tout compte fait, cette politique « s’inscrit dans la continuité de la précédente ».
Sur le terrain, la machine à refouler poursuit son œuvre. Comme en témoigne l’histoire de Rose, cette jeune Ivoirienne de 16 ans qui, durant l’été, a essayé de rejoindre sa mère qui vit en France en situation régulière. Séparée d’elle depuis plusieurs années et ne supportant plus l’attente interminable (six ans) de l’instruction de la procédure de regroupement familial, elle décide de la rejoindre le 7 juillet en voyageant sous une autre identité. À l’aéroport d’Orly, la police aux frontières (Paf) lui refuse l’accès au territoire et la place en zone d’attente en vue de son renvoi vers le Maroc, son pays de transit. En dépit de documents d’état civil attestant de sa minorité, la Paf choisit de s’en remettre aux résultats – notoirement imprécis – d’un test osseux pour la déclarer majeure. Faute d’assistance juridique, Rose a été refoulée, ligotée et sanglée, vers le Maroc, où elle n’a aucune attache, avant même la décision définitive du juge.
Des zones de non-droit
Pire encore, dans les centres de rétention administrative, l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE) a eu connaissance le mois dernier du placement en rétention de nombreux immigrés gravement malades qui, sans l’intervention associative, auraient été expulsés alors qu’ils ne peuvent se soigner dans leur pays d’origine. L’un d’eux a été refoulé le 13 septembre. « Des histoires comme celles-là, il en arrive presque tous les jours, même si elles ne sont pas aussi médiatisées que celle de Leonarda », commente Jean-François Martini, du Gisti, qui dénonce la poursuite d’une pratique d’enfermement des mineurs dans les zones d’attente. Des espaces clos situés près des aéroports qui, selon les associations, deviennent des zones de non-droit.
Réunies au sein de l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE), des associations ont publiquement désapprouvé l’installation d’un tribunal juste à côté du centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (77), le plus grand de France, où sont emprisonnés des étrangers en attente d’éloignement forcé. Situé à proximité immédiate des pistes de l’aéroport de Roissy, dans les locaux d’une caserne de CRS, ce tribunal accueille depuis le 14 octobre les audiences du juge des libertés et de la détention, et potentiellement celles du juge administratif, chargés de se prononcer sur le maintien en rétention des étrangers que l’administration veut éloigner de notre territoire. Jusqu’ici, ces audiences se tenaient au sein du tribunal de Meaux situé à une trentaine de kilomètres, dans un lieu de justice commun à tous les justiciables. Très peu desservies par les transports en commun, ces annexes judiciaires seront difficilement accessibles aux familles et aux avocats. Ce sont plus de 3 000 personnes placées au CRA du Mesnil-Amelot et près de 7 000 maintenues en zone d’attente de Roissy qui seront susceptibles d’être présentées chaque année devant ces tribunaux d’exception.
« Ces projets, initiés par la majorité précédente, sont indignes d’une justice respectueuse des standards internationaux les plus fondamentaux, s’indigne Laurent Giovannoni, du Secours catholique. La délocalisation de ces audiences dans des lieux de police heurte les principes d’indépendance et d’impartialité de la justice et compromet la publicité des débats, garantie pourtant essentielle du droit à un procès équitable. » Alors, dans le domaine de l’immigration, la gauche fait-elle pire que la droite ? « Le problème de la gauche, c’est qu’elle n’assume pas les mesures de progrès qu’elle a mises en œuvre et que du coup, elle laisse le champ libre au discours martial de Manuel Valls, regrette Guy Aurenche, président du CCFD-Terre solidaire. Cela fait 40 ans qu’on utilise les étrangers de manière politicienne. Je n’ai jamais entendu de communication positive sur le sujet. »
Un sujet à haut risque
Un avis partagé par Alain Richard, fondateur des Cercles de silence : « Au lieu de tenir un discours responsable et pédagogique, le gouvernement brosse l’opinion publique dans le sens du poil. Car, il faut bien le dire, les Français sont de plus en plus xénophobes, et cela m’inquiète. » Pour montrer son souci de respecter les valeurs républicaines, Manuel Valls vient d’adresser une nouvelle circulaire aux préfets durcissant l’interdiction faite aux forces de l’ordre d’intervenir dans le cadre scolaire ou périscolaire, lors des expulsions d’étrangers en situation irrégulière.
« Encore une », soupire Jean-François Martini pour qui « ces circulaires n’ont pas force de loi et sont peu ou mal appliquées, comme celles sur les expulsions de campements de Roms ». Une loi sur l’immigration et le droit d’asile redéfinissant la politique migratoire de la France devrait être discutée dans les mois qui viennent. Mais sûrement pas avant les municipales. Le sujet est trop risqué. Cette loi aurait dû être mise en place dans les six premiers mois du mandat de François Hollande, regrette Laurent Giovannoni. Maintenant, avec une opinion publique chauffée à blanc, cela va devenir très difficile. »
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