Christophe Doré et Eric Pelletier, 01/04/1998
Les seize étrangers, soutenus le week-end dernier par des passagers empêchant leur départ, ont été libérés lundi
Toutes les mesures ont été prises « pour identifier les fauteurs de troubles dont je n’ai pas besoin de souligner l’incivisme fondamental », a grondé hier Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, devant l’Assemblée nationale.
Les faits à l’origine de son intervention remontent à ce week-end où des passagers, incités par des tracts d’associations de soutien, ont refusé d’embarquer sur des avions à destination du Mali et du Bénin avec des expulsés à bord. Les avocats des sans-papiers ont mis en avant l’opposition des passagers pour disculper leurs clients de toute opposition personnelle à l’embarquement, ce qui a entraîné leur remise en liberté.
Selon quatre témoignages, les sans-papiers étaient menottés, les jambes et la bouche scotchées, accompagnés de policiers qui les auraient insultés, traités de « sales Noirs » et frappés. Ces étrangers avalent été interpellés pendant l’évacuation des églises Notre- Dame-de-la-Gare et Saint-Jean de Montmartre et avalent été installés à bord avant les passagers.
Plus de 30 000 expulsions
« Ceux qui les soutiennent contribuent à bafouer les lois », a ajouté Jean-Pierre Chevènement, précisant que des délits ont été commis « pas seulement par les distributeurs de tracts, mais aussi par un certain nombre de passagers qui se sont interposés et qui ont empêché le décollage de l’appareil ». Le ministre de l’Intérieur a souhaité leur Inscription au fichier de l’espace Schengen, et leur interdiction de séjour dans les autres pays de l’espace.
Ces menaces ne surprennent pas les militants des collectifs qui s’opposent aux expulsions dans l’aérogare 2-A de Roissy depuis deux semaines. » Nous avons ouvert une brèche, les centres de rétention sont pleins et le gouvernement ne peut pas organiser des charters sans se discréditer. Alors Chévènement cherche à briser le mouvement avant que notre action n’ait un trop large écho », confie l’un d’entre eux.
Le député Vert, Noël Mamère, est intervenu en leur faveur affirment qu’« on ne peut pas Indéfiniment faire croire que ceux qui sont pour que la gauche soit un peu plus humaine, un peu plus solidaire, un peu plus fraternelle (…) sont des trotskistes ou des serveurs de soupe du Front national ».
Selon nos informations, que le ministère de l’Intérieur a refusé de commenter, près de 400 reconduites à la frontière sont effectuées chaque mois sur des lignes régulières depuis l’aéroport de Roissy. Environ 15 % des sans-papiers s’opposent à l’embarquement. Certains arguent du fait qu’ils ne peuvent pas partir sans bagages. Cette « soustraction à l’exécution d’un arrêté ou d’une mesure de reconduite à la frontière » constitue une infraction dont les auteurs sont systématiquement présentés au parquet de Bobigny (Seine- Saint-Denis) et font l’objet d’une mesure de comparution Immédiate. Ce qui a été le cas pour sept sans-papiers, lundi, exposés à des peines de prison ferme accompagnées d’une nouvelle interdiction du territoire français.
Pour une Journée ordinaire, comme celle de mercredi dernier, treize sans-papiers ont été expulsés depuis Roissy : Maliens mais aussi Roumains ou Égyptiens. « Ces reconduites nécessitent des sauf-conduits, notamment de la part du consulat du Mail. Les obtenir ne va pas sans mal », note un fonctionnaire. Les pilotes, de leur côté, peuvent refuser de décoller s’ils considèrent qu’un mouvement d’humeur à l’Intérieur de l’appareil nuit à la sécurité du vol. Un scénario qui se produit plusieurs fois par semaine.
Dans de telles conditions, les expulsions des 30 053 sans-papiers dont les dossiers ont déjà été rejetés dans le cadre de la circulaire Chevènement – le chiffre ne sera définitif que le 30 avril prochain – risquent d’être particulièrement difficiles. De mai 1995 à février 1997, sous le ministère Debré, seulement 23 000 expulsions ont été réalisées.