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Prison ferme pour des sans-papiers.

images fig Pierre-Antoine Souchard, 27/11/1998

Le Mrap et les Verts assimilent les peines prononcées à « une provocation »

En quinze ans de barreau, je n’ai Jamais vu ça », commentait hier, abasourdi, Me Stéphane Maugendre, à sa sortie de la 12e chambre de la cour d’appel de Paris.

Son client, Sirine Diawara, 30 ans, un Malien en situation irrégulière, venait d’être condamné pour refus d’embarquement à un an de prison ferme, avec mandat de dépôt à l’audience, et à cinq ans d’inter-diction du territoire français. Trois autres Maliens, poursuivis pour les mêmes charges, étaient condamnés respective¬ment, l’un à six mois de prison et les deux autres à trois mois de prison ferme.

Le 28 mars dernier, douze Maliens, interpellés dix jours plus tôt alors qu’ils occupaient l’église Saint-Jean-de-Mont- martre à Paris (XVIIIe), étaient installés, menottés et ligotés, dans le vol RK 161 d’Air Afrique, au départ de Roissy, à destination de Bamako (Mali).

Devant les méthodes employées par les policiers, une quinzaine de passagers du vol avaient manifesté leur désapprobation et refusé d’embarquer. « Débarqués », les douze Maliens étaient poursuivis pour « refus de se soumettre à une mesure de reconduite à la frontière ».

En première instance, le tribunal correctionnel de Bobigny avait annulé l’ensemble de la procédure et les avait tous relaxés. Le parquet avait immédiatement fait appel. Le 29 octobre, Sirine Diawara, sans avoir reçu de convocation, s’était présenté à l’audience de la cour d’appel. Lors de celle-ci, l’avocat général avait requis à son encontre quatre mois de prison et cinq ans d’interdiction du territoire. Dans l’arrêt rendu hier, les magistrats de la 12e chambre ont expliqué, pour justifier leur lourde sentence, avoir « tenu compte des circonstances dans lesquelles le refus d’embarquement a eu lieu ».

Ces circonstances sont consignées dans un rapport de la 12e section des Renseignements généraux, établi le 28 mars. Concernant Sirine Diawara, on peut y lire : « Il a été un des plus violents. Il a porté des coups aux fonctionnaires d’escorte. Il a proféré une kyrielle de propos outrageants et insultants envers l’État français. Lorsque les passagers sont montés, il a appelé à l’émeute afin qu’ils lui portent assistance pour se libérer. »

Sans précédent

Selon Mes Dominique Noguères et Stéphane Maugendre, le commissaire, auteur de ce rapport, n’était pas présent dans l’avion d’Air Afrique, mais a simplement repris les propos de ses confrères qui auraient exagéré la gravité des faits.

Devant la cour d’appel, M. Diawara a nié avoir porté des coups et précisé qu’il voulait récupérer ses affaires avant d’embarquer.

Les réactions ne se sont guère fait attendre après cet arrêt. « Cette décision s’apparente à une déclaration de guerre juridique contre les sans-papiers et leurs soutiens (…), cette condamnation est une provocation », déclarait, hier après-midi, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap). « La cour d’appel s’est, de toute évidence, inscrite dans une logique d’exemplarité où la sévérité le dispute à la démesure », a jugé le Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche). Les Verts ont qualifié les condamnations de « peines sans précédent ». « Une ré pression accrue à l’encontre des sans-papiers ne saurait tenir lieu de politique d’immigration », ont-ils estimé.

De l’aveu même d’un magistrat de la cour d’appel de Paris une peine d’un an de prison as sortie d’un mandat de dépôt à l’audience est « très rare », en ce qui concerne le séjour irrégulier et le refus d’embarquement.

La 12e chambre de la cour d’appel a dû être évacuée à l’annonce de l’arrêt. M. Diawara, immédiatement placé au dépôt du Palais de Justice de Paris, n’a pas été autorisé à rencontrer ses avocats. Ceux-ci ont décidé de se pourvoir en cassation. Ils ont cinq jours pour le faire.

Douze sans-papiers jugés sans témoins et sans vergogne

arton7300 Jean-Marie Horeau, 04/11/1998

Leur expulsion ratée avait provoqué une polémique au sein du gouvernement. Sept mois plus tard, ils sont seuls face à la cour d’appel et à un rapport de police bâclé.

UNE douzaine de jeunes Maliens sans papiers ont comparu le 29 octobre dernier devant la cour d’appel de Paris. Ils étaient accusés de « refus de se soumettre à une mesure de reconduite à la frontière ». En clair, ils auraient résisté aux policiers chargés de les escorter dans l’avion jusqu’à Bamako. Une audience en appa­rence banale, devant le triste décor de la 12* chambre, une des plus sombres et des plus poussiéreuses du Palais.

Mais le procès, cette fois, promettait d’être passionnant, animé et sûrement exemplaire. Car ces expulsés n’étaient pas tout à fait comme les autres. Leur aven­ture avait, voilà sept mois, provoqué une mémorable colère du ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, suivie d’un début de polémique, à l’Assemblée, au sein de la gauche plurielle, et même d’une décla­ration du Premier ministre.

Chevènement en rogne

Le 28 mars 1998, le vol Paris-Bamako était parti sans ces douze expulsés. Des militants d’extrême gauche avaient distri­bué des tracts dans l’aérogare, et plusieurs passagers avaient pris fait et cause pour les Maliens. Après plusieurs heures de négociations, le commandant de bord fai­sait débarquer tout le monde, et l’avion décollait finalement sans les douze « recon­duits ». Le lendemain, le scénario s’était reproduit, et cette fois neuf passagers soli­daires (africains et européens) avaient été débarqués et placés quelques heures en garde à vue.

Deux jours plus tard, Chevènement stig­matisait « l’incivisme fondamental » des organisations de soutien aux sans-papiers, et en particulier de l’association Jeunes contre le racisme en Europe, qu’il quali­fiait d’« organisation trotskiste d’origine britannique ». Puis il menaçait de pour­suites judiciaires les passagers qui s’étaient interposés. Dominique Voynet avait alors déploré les « expressions malheureuses » de son collègue de l’Intérieur. Et, en fin de course, il fallut que Jospin calme le jeu en défendant sa politique de l’immigration, « ferme et équilibrée ».

Justice à la trappe

Mais qu’étaient devenus les pauvres bougres héros involontaires et oubliés de ce tintamarre au sommet ? Ramenés au poste de police de l’aéroport, ils ont été pour­suivis pour refus d’embarquer, séjour irré­gulier en France, et traduits devant le tri­bunal correctionnel de Bobigny, dont dépend Roissy. Tout seuls. Ni les fameux « trotskistes anglais », responsables de tout à en croire Chevènement, ni les passagers « complices » n’ont été inquiétés. Le dos­sier des douze Maliens était si mal ficelé que les juges de Bobigny ont annulé la pro­cédure et relaxé les prévenus. Mais le par­quet a aussitôt fait appel.

Jeudi dernier, devant la cour d’appel de Paris, l’avocat général s’est montré fort cour­roucé. Les premiers juges ont commis une erreur de droit, a-t-il expliqué avant d’exi­ger des condamnations. Pour la plupart, les sans-papiers ont nié avoir résisté dans l’avion. Deux d’entre eux ont reconnu qu’ils ne voulaient pas partir sans leurs bagages. Une revendication, il est vrai, exorbitante… D’autres ont expliqué tant bien que mal qu’ils avaient été embarqués, à tous les sens du terme, dans une tourmente qui les dépas­sait. Et plusieurs ont protesté contre les méthodes employées par les flics de l’escorte : menottes, Scotch, bâillons, le tout agrémenté de quelques coups…

Qui dit la vérité ? Comment les choses se sont-elles passées ? Pourquoi les passagers ont-ils pris à partie les policiers ? Les expul­sés étaient-ils maltraités et bâillonnés, contrairement à ce qu’affirme le ministère de l’Intérieur, qui a fait savoir au « Canard » que l’usage de tout bâillon est strictement interdit ? Grâce aux débats devant la cour d’appel, on allait enfin savoir…

Pour cette affaire qui avait ému les plus hautes autorités de l’État, la justice s’est montrée à la hauteur. Pas un seul témoin n’a été appelé à la barre. L’accusation s’est appuyée sur un rapport de quatre pages, signé par Gilles Beretti, commissaire des RG, qui était responsable des expulsions, mais… n’était pas sur place. Il rapporte ce que ses subordonnés lui ont rapporté. Ces Maliens étaient abominables. Ils crachaient sur les fonctionnaires, les insultaient, les menaçaient. Et, bien qu’entravés, parve­naient à se blesser eux-mêmes.

Comment de tels débordements ont-ils pu leur attirer la sympathie des passagers ?

Mystère : aucun voyageur n’a été interrogé. Pas plus que le personnel de bord.

Certains ont-ils été blessés ? Le méde­cin qui les a examinés après leur débar­quement de l’avion n’a pas été entendu. Aucun rapport médical n’a été versé au dos­sier. Ont-ils oui ou non été bâillonnés ? La question ne sera pas abordée.

Commissaire embrouillé

Faudra-t-il donc se contenter des témoi­gnages des policiers ? Même pas : aucun fonctionnaire présent le jour des faits n’est convoqué. Leur chef n’est pas là. Et aucun n’a été entendu, selon les règles de la pro­cédure, sur un procès-verbal… Plus fort, si l’on ose dire, nul ne sait qui porte les accusations sur tel ou tel prévenu à tra­vers le rapport des RG, unique pièce de l’accusation. Car les noms des policiers escorteurs, en principe chargés chacun d’un expulsé, changent d’une pièce du dossier à l’autre. Selon le précieux rapport du com­missaire des RG, c’est Dupont qui s’occupe de Mamadou. Selon la fiche d’escorte, c’est Durand. Quelle importance ? Il faut savoir qu’un simple PV pour excès de vitesse est annulé s’il n’est pas établi qu’il a été signé par le policier qui a constaté personnelle­ment l’infraction. Mais il ne s’agissait, ce 29 octobre, que de Maliens, sans papiers et sans bagages…

Pas le moins du monde troublé, l’avocat général a demandé des peines de prison. Même tarif pour tout le monde : 4 mois ferme et 5 ans d’interdiction du territoire français. L’arrêt sera rendu le 26 novembre. Ce sera un grand moment de notre histoire judiciaire.

Douze Maliens devant la cour d’appel après une tentative d’expulsion mouvementée

index   Alexandre Garcia,

AU PRINTEMPS, une série de manifestations à l’aéroport de Roissy avaient permis à plusieurs sans-papiers d’échapper à une reconduite à la frontière, des militants associatifs incitant les passagers à s’opposer à leur présence à bord.

Poursuivis pour « refus d’embarquer », douze d’entre eux ont été relaxés, le 8 juin, par le tribunal correctionnel de Bobigny à la suite d’une erreur de procédure. Plus de six mois après les faits, ces Maliens se sont à nouveau retrouvés devant des juges : ulcéré par la relaxe, le parquet, qui a fait appel, a réclamé de nouvelles sanctions, jeudi 29 octobre, devant la cour d’appel de Paris.

M. Diawara, trente ans, répond au juge d’une voix presque inaudible. Le 18 mars, il faisait partie des dizaines de sans-papiers qui ont investi l’église Saint-Jean de Montmartre, à Paris, « non pour chercher des histoires, mais pour régulariser ma situation », précise-t-il. Quand la police intervient, il ne réussit pas à s’échapper. Interpellé avec une centaine d’autres personnes, il est poursuivi pour séjour illégal « Les occupations d’églises sont pain bénit pour le Front national », commente alors le ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement

MANIFESTATIONS

A l’aéroport de Roissy, les manifestations se succèdent pourtant pour protester contre les reconduites à la frontière des sans-papiers interpellés dans les églises parisiennes. Des militants d’extrême gauche, des cinéastes et des responsables politiques, syndicaux et associatifs informent les passagers des conditions de retour des expulsés. Le 28 mars, à 17 h 45, M. Diawara est  conduit sur un vol à destination de Bamako, avec onze autres Maliens, solidement encadrés par des poli- tiers. Déshabillé avant d’embarquer, puis ligoté à son siège, il ne s’oppose pas à son éloignement mais il de-mande à récupérer ses bagages.

Dans l’avion, une dizaine de passagers s’en prennent alors aux policiers et refusent de s’asseoir avant le décollage. Débarqués, les douze Maliens sont poursuivis pour refus d’embarquement, avant d’être miraculeusement relaxés : le flagrant délit n’ayant pas fait l’objet d’un procès-verbal, la procédure est frappée de nullité. Le lendemain, M. Chevènement, furieux, fustige des groupes « marxistes-léninistes internationalistes » qui viennent en aide aux sans-papiers, mais aucune poursuite n’est engagée contre les associations qui manifestent dans le hall de l’aéroport

Au même moment, les incidents qui se multiplient à bord des avions Air France obligent la compagnie à revoir à la baisse sa participation aux reconduites à la frontière et sa collaboration avec le ministère de l’intérieur.

Jeudi 29 octobre, devant la cour d’appel de Paris, l’avocat général a réclamé quatre mois d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction du territoire français pour les rescapés du vol RK 161 pour Bamako. « Le gouvernement ne veut pas admettre qu’on puisse s’opposer à la loi, commente Dominique Noguères, avocate des sans-papiers et présidente de la fédération parisienne de la Ligue des droits de l’homme. Mais on ne peut pas accepter au nom de la sécurité de traiter des personnes comme du bétail, de manière injustifiée. »

Arrêt le 26 novembre.

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Expulsés baillonnés, en France aussi.

logo-liberation-311x113  Béatrice Bantman

Dix jours après la mort d’une Nigériane en Belgique, on s’aperçoit que coups et coussins-bâillons ont été monnaie courante en France.

La Belgique n’a pas le monopole du coussin. La technique de l’«expulsion au coussin», tragiquement dévoilée par la mort, à 20 ans, de Semira Adamu, est également employée en France. Pourtant, après le décès de la jeune Nigériane, la police française chargée des expulsions soutenait mordicus que cette méthode barbare n’avait pas cours chez nous. C’est faux. Le témoignage de douze Maliens, expulsés le 28 mars dernier, dont Libération a eu connaissance, montre que la police a menti.

Parmi ces hommes, dix disent avoir été «étouffés», certains jusqu’à l’évanouissement, avec un oreiller. Les policiers français utilisent non seulement des coussins, mais des bâillons, des coups et, éventuellement, des calmants, contrairement aux affirmations des policiers (Libération du 24 septembre).

Ces témoignages ont été recueillis par l’avocat des Maliens, Stéphane Maugendre, également vice-président du Gisti. Ses douze clients sont aujourd’hui poursuivis pour «refus d’embarquer», parce que, à cause de l’indignation des passagers du vol, l’avion n’a pu décoller qu’après leur débarquement. Témoignages. Même si les hommes, qui doivent repasser en jugement le 29 octobre, ont souhaité conserver l’anonymat, leurs témoignages sont explicites. «On m’a mis un oreiller devant la bouche pour m’empêcher de parler en m’étouffant. Une femme policier et son collègue m’ont frappé le ventre. La femme m’a frappé le sexe à coups de poing», dit un expulsé malien malien placé dans un avion pour Bamako le 28 mars 1997, en compagnie de onze compatriotes et d’une soixantaine de policiers. Son témoignage, comme les autres, a été recueilli en mai dernier par Stéphane Maugendre. Ces récits ne sont donc pas susceptibles d’avoir été influencés par les informations venues de Belgique.

Le jeune homme raconte qu’il est monté dans l’avion menotté et qu’il a été scotché à son siège. Jusqu’ici, son témoignage ne contredit pas les affirmations de la Diccilec, la police de l’air et des frontières, qui avait tenu à rassurer l’opinion publique. Le 23 septembre, à la demande du ministère de l’Intérieur, la Diccilec précisait que ses fonctionnaires avaient pour consigne de «ne pas toucher la bouche» et de n’utiliser ni coussin, ni bâillon, ni calmants. Et que les expulsés récalcitrants avaient uniquement les chevilles et les mains attachées.

«Coussins».

Les récits recueillis par Stéphane Maugendre indiquent que certains fonctionnaires sont allés plus loin: «On m’a battu au ventre. Ils ont serré le cou, ils m’ont fermé le nez et la bouche pour m’étouffer. Ils m’ont mis un oreiller devant la bouche», dit l’un d’eux. «On m’a attaché au siège avec une corde au cou et aux pieds. J’ai été frappé. On m’a mis un oreiller devant la bouche pour m’empêcher de parler», affirme un autre homme, qui précise qu’il vivait en France depuis neuf ans. En montant dans l’avion, il avait dit aux policiers: «J’ai accepté de rentrer chez moi, mais je veux garder ma dignité et partir non menotté.» «Un policier s’est mis sur mes genoux, m’a mis devant la bouche un coussin, et l’autre appuyait très fort. J’ai essayé de demander de moins m’enfoncer l’oreiller et le policier derrière m’a donné une claque sur la joue», raconte un autre. «Ils ont maintenu l’oreiller au point que je perde connaissance», soutient un autre expulsé. Et ainsi de suite.

Interdictions.

L’un des douze témoins a échappé aux sévices: «Parce que j’avais un inspecteur calme, je n’ai pas été attaché, sauf les menottes, ni bâillonné, mais j’ai vu plusieurs de mes compatriotes attachés sur leur siège et bâillonnés.» Les témoignages parlent de coups dans le ventre et le sexe, de cordes au ventre, serrées de plus en plus fort à la moindre parole. Lorsque les hommes demandent à ramener leurs bagages avec eux, on leur refuse. Ce n’est pas un détail. A plusieurs reprises, le gouvernement a promis que les étrangers reconduits à la frontière seraient expulsés «dignement» et qu’on leur éviterait l’humiliation de revenir au pays les mains vides.

Alors que la Diccilec assure que l’administration de calmants aux expulsés est une pratique définitivement prohibée, les récits des jeunes Maliens comportent des détails particulièrement troublants. «J’ai vu les policiers en civil se répartir des sachets contenant des espèces de gélules translucides qui m’ont fait penser qu’on voulait nous droguer», dit un homme. «J’ai refusé de boire de l’eau, de peur qu’elle soit droguée», se souvient un autre. Depuis le saccage d’un avion à l’arrivée à Bamako l’an dernier, le Mali est considéré comme un pays à risques pour les expulsions. On peut toutefois supposer que la technique du coussin n’est pas exclusivement réservée aux ressortissants maliens. En 1991, dans le plus grand secret, un demandeur d’asile tamoul, Arumugam Kanapathipillaï, âgé de 33 ans, était mort à l’hôpital d’Aulnay-sous-Bois après avoir été entortillé dans une couverture sur un vol Paris-Colombo. Sept ans plus tard, alors que le rapport d’expertise montre que l’homme, qui était cardiaque, est mort d’asphyxie par bâillonnement, l’affaire n’est toujours pas jugée. Devant le magistrat instructeur, des policiers auraient reconnu que le bâillon est utilisé environ une fois sur deux. Et, le 20 septembre, comme le révèle Charlie Hebdo, sept Tamouls expulsés de Roissy ont raconté à leur arrivée qu’une femme avait été traînée par les cheveux et maltraitée. «Afin de l’empêcher de crier, on a mis un pansement adhésif sur sa bouche».

Enquête.

La Diccilec n’a pas souhaité répondre aux accusations des Maliens, et le ministère de l’Intérieur, qui affirmait, lors de la mort de Semira Adamu, que les policiers qui s’aviseraient d’avoir recours au coussin, au bâillon ou aux calmants seraient immédiatement poursuivis, envisage l’ouverture d’une enquête.

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A Roissy, en 1991, une expulsion avait déjà tourné au drame

newlogohumanitefr-20140407-434 Pierre Agudo, 02/10/1998

« LE Canard enchaîné » puis « le Monde » viennent de rappeler que la tragédie de la jeune Nigériane Sémira Adamu étouffée sous un coussin par des gendarmes belges, le 22 septembre, lors d’une tentative de rapatriement forcé, n’est pas la première. En effet « l’Humanité » et d’autres journaux révélaient le 26 août 1991 la mort d’un jeune Sri Lankais d’origine tamoul, Arumum Sivasampu Esan, survenue le 25 août 1991 à 7 h 30 à l’hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Notre quotidien rapportait à l’époque le communiqué du ministère de l’Intérieur qui imputait ce décès à une « crise cardiaque ». Il s’interrogeait également sur le caractère « musclé » de la tentative d’expulsion dont ce jeune homme avait été victime, la veille à Roissy, lors d’une reconduite à bord d’un DC10 où les policiers tentaient, pour la seconde fois, de le renvoyer pour Colombo via New Delhi.

Seize jours plus tôt, Arumum avait débarqué à Roissy en demandant l’asile pour essayer ensuite de rejoindre son épouse réfugiée en Allemagne. Sa demande ayant été rejetée par le ministère de l’Intérieur dirigé alors par Philippe Marchand, le jeune homme avait été placé en « zone internationale ». Il s’était tellement débattu lors de la première tentative d’embarquement que le commandant de bord avait ordonné son débarquement. Le 24 août, la police avait dépêché deux fonctionnaires pour l’escorter jusqu’à destination. Ils l’avaient installé au fond de l’avion. Selon le rapport du commissaire de la police de l’air et des frontières (PAF, devenue depuis la DICCILEC), on lui avait alors placé une bande Velpeau à hauteur de la bouche. Il était menotté aux poignets (les mains dans le dos), ainsi qu’aux chevilles. Toujours selon le rapport, l’homme se serait débattu. Il était alors attaché à son siège au moyen d’une couverture utilisée comme sangle, « fermement appliquée en haut du thorax ». A l’issue de vingt à trente minutes, durant lesquelles Arumum tenta vainement de lutter contre les policiers, il perdait connaissance et décédait le lendemain à l’hôpital.

A l’époque, Jacques Chirac parlait de « l’overdose des étrangers », évoquant « le bruit et l’odeur », et Edith Cresson, premier ministre, prônait l’utilisation des charters pour renvoyer les étrangers en situation irrégulière. Il n’y avait pas eu d’information judiciaire. Il aura fallu une plainte déposée au nom de la veuve de la victime, du Groupe d’information et de soutien aux immigrés (GISTI) et de l’association France Terre d’asile pour que la justice se mette en marche. Lentement. Ce n’est qu’en 1993 qu’Eric Brendel, le commissaire qui a conduit la tentative de rapatriement, a été mis en examen pour coups mortels, atteinte aux libertés par fonctionnaire public et détention arbitraire, tandis que son subalterne, l’officier de paix Paul Manier, était mis en examem pour le seul premier chef. Les deux fonctionnaires n’ont jamais été suspendus. La reconstitution du drame n’a eu lieu que le 28 avril, presque sept ans après, dans un avion au Bourget. Si les premières expertises insistaient sur la malformation cardiaque de la victime, la reconstitution indique que la compression cervicale « a pu survenir lors des manéuvres de maintien sur le siège effectuées en utilisant une couverture »… Hier, Philippe Marchand a indiqué qu’à l’époque « le ministère n’était pas dans le coup car le rapport parlait de crise cardiaque ».

Les pratiques en cours lors des expulsions ont donné lieu, depuis l’arrivée de Jean-Pierre Chevènement au ministère de l’Intérieur, à des recommandations orales. Tout en permettant aux policiers d’immobiliser la personne expulsée en liant les poignets et les chevilles avec des menottes ou du papier collant, celles-ci leur interdisent de toucher à la bouche. Jean-Pierre Chevènement a également interdit l’administration de calmants. Enfin, depuis la mort de Sémira Adamu, le ministère de l’Intérieur français envisage d’édicter des règles écrites…

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La France aussi expulse durement les sans-papiers Bâillonnés, attachés…

200px-La_Vie propos recueillis par Corine Chabaud, octobre 1998

Elle avait 20 ans et voulait vivre en Belgique. Sémira Àdamu, Nigériane rebelle, est morte le 22 septembre, étouffée avec un coussin par deux gendarmes chargés de son rapatriement. Du coup, le ministre belge de l’intérieur a démissionné. En France, chaque année, 12 000 étrangers en situation irrégulière sont éloignés du territoire. Stéphane Maugendre, avocat et vice-président du Groupe d’information et des immigrés (Gisti), fait le point sur les méthodes françaises d’ex-pulsion de sans-papiers.

« La mort de la jeune Nigériane n est pas étonnante : nous sommes souvent saisis de plaintes pour violences subies dans les pays de l’espace Schengen. Même si ce n est pas systématique, la France use aussi de pratiques violentes. Dans les avions, les sans- papiers sont parfois ligotés. On leur lie les mains avec du Scotch ou des menottes. On leur attache les pieds, parfois fixés à la barre du siège avant. On leur met un bâillon, en principe une bande Velpeau qui les étrangle quand ils bougent trop. Parfois, des policiers escortent les récalcitrants avec des mitraillettes ou des chiens. La technique du coussin ou de la couverture sur la tête est aussi pratiquée. Nous n’avons pas de preuve mais on nous a signalé des cas de personnes endormies avec des piqûres ou des médicaments administres de farce »

« Notre législation est sévère : pour un refus d’embarquer; les personnes en situation irrégulière risquent trois ans de prison. Pour inciter au départ des sans-papiers, la France a réactualisé récemment un système d’aide au retour, qui reste in-efficace. Les expulsions ne sont pas toujours faites dans le respect de la dignité humaine et coûtent cher, car deux policiers raccompagnent la  personne dans son  pays ».

Quand des policiers français expulsent « à la belge »

arton7300 Jean-Marie Horeau, 30/09/1998

Un immigré est mort étouffé sur son siégé, à Roissy. Dans l’indifférence générale, la justice enquête activement depuis sept ans.

LA dernière histoire belge ne fait rire personne. La mort d’une jeune réfugiée nigériane, étouffée par les gendarmes chargés de la maintenir de force sur le siège d’un avion en partance pour Lagos, a provoqué un début de crise poli¬tique à Bruxelles. Le ministre de l’Intérieur a démissionné, tandis que 5 000 personnes ont manifesté le 26 septembre sur le parvis de la cathédrale où était célébré un office à la mémoire de la jeune Samira Adamu.

La presse française a abondamment relaté le drame et les circonstances atroces dans lesquelles la victime est morte, alors que la gendarmerie filmait placidement la scène afin de montrer aux futures escortes l’art et la manière de faire tenir tranquilles les expulsés récalcitrants. Efficacité garantie. Mais il ne faudrait pas que les exploits de la gendarmerie belge fassent oublier les talents de certains membres des forces de l’ordre françaises. Non seulement notre police est capable de faire aussi bien, mais elle agit dans la discrétion.

Commissaire diligent

Le 28 avril dernier, dans un avion stationné sur l’aéroport du Bourget, a eu lieu la reconstitution de la mort d’un sans-papiers. Sous la direction de Corinne Buytet, juge d’instruction à Nanterre, deux policiers, dont un commissaire, ont refait, devant les experts, les gestes qui avaient abouti à la mort d’Arumum Fiva, un Tamoul qui s’était vu refuser l’entrée en France au titre de réfugié. C’était le 24 août 1991, c’est-à-dire il y a plus de sept ans. L’instruction est toujours en cours, menée, on le voit, au pas de charge.

La méthode Velpeau

Ce jour-là, à l’aéroport de Roissy, Arumum est embarqué de force dans un vol UTA à destination de Colombo. Il est accompagné par deux fonctionnaires de la police de l’air et des frontières, dont un commissaire, Eric Brendel. Arrivé deux semaines plus tôt, le Tamoul n’a pas quitté la zone de l’aéroport. Sa demande de statut de réfugié, transmise par fax, a été rejetée — en moins de vingt-quatre heures – par le ministère de l’Intérieur. Pourtant, son épouse avait obtenu le statut de réfugiée en Allemagne, et il espérait la rejoindre.

Le 17 août, une première tentative d’expulsion échoue. Arumum se débat, hurle tant et si bien qu’il est débarqué. Le 24 août, nouvel embarquement. Cette fois, le jeune Tamoul est bien menotté. Et surtout le commissaire Brendel lui a confectionné un bâillon avec une bande Velpeau, qui sert habituellement à panser les blessures. Selon plusieurs témoins, cette bande est croisée sur la nuque et passée ensuite autour du cou. Une nouvelle fois, Arumum se débat et se met à hurler.

Les deux policiers, selon le récit du commissaire, utilisent alors une couverture « comme une sangle » et appuient « de toute leur force sur le haut de son corps pour s opposer à ses secousses ». La scène dure près d’une demi-heure.

Jusqu’à ce que le réfugié se calme tout à fait. « Constatant que son regard était vague, rapporte le commissaire, je pen¬sais qu’il ne s’agissait pas d’une simulation, mais d’une perte réelle de connaissance. » Une infirmière et un médecin, présents à bord, interviennent et pratiquent un massage -cardiaque. Il faudra des ciseaux pour couper la bande Velpeau, tellement celle-ci est serrée. Le commissaire Brendel affirme qu’il l’avait enlevée bien avant le malaise. Version contredite par plu¬sieurs témoins. Et, curieusement, on ne retrouvera jamais cette pièce à conviction…

Magistrats indolents

Évacué par le Samu, Arumum ne reprendra jamais connaissance. Il est mort, selon la toute dernière expertise, rendue en mai dernier, à cause du traitement qu’il a subi lorsqu’il s’étranglait en se débattant, et aussi en raison d’une faiblesse cardiaque.

A la suite d’une plainte de la famille, une instruction a été ouverte. Les deux policiers ont été mis en examen, mais n’ont pas été suspendus un seul jour, et ne sont toujours pas jugés. Le ministre de l’Intérieur (à l’époque Philippe Marchand) n’a pas démissionné. La presse, à la seule exception, sauf erreur, de « L’Express », n’a pas évoqué ce fait divers. Il n’y a eu aucune manifestation, aucune cérémonie, aucune protestation.
Ils sont vraiment fous, ces Belges…

Sans-papiers: confusion sur la date butoir. Inquiétudes autour de la fin des régularisations.

logo-liberation-311x113 Béatrice Bantman

 

Hier, les sans-papiers qui attendent encore les réponses de leur préfecture ont sursauté en entendant, à la radio et à la télé, que la «date butoir» pour les recours était arrivée. Alors que, sur les 142 000 dossiers déposés, 76 754 sans-papiers ont été régularisés au 31 août et 64 461 refusés, un certain nombre d’immigrés n’ont toujours pas de réponse et sont donc dans l’impossibilité de déposer les recours auxquels ils ont droit dans les préfectures et au ministère de l’Intérieur. Renseignements pris, le ministère de l’Intérieur a précisé que seuls étaient concernés les premiers recours devant les préfectures pour les dossiers expressément refusés. Les sans-papiers disposent donc de plusieurs mois avant l’épuisement des recours. Quant à leurs avocats, ils craignent que cette confusion ne nuise à la régularisation.

Hier, une centaine de sans-papiers affolés se sont donc rendus à la préfecture de Paris. «Nous ressentons une angoisse terrible face à la fin des recours car beaucoup d’entre nous n’ont toujours pas reçu de lettre de refus», explique Zhang Yi, du 8e collectif, qui regroupe environ 1 300 personnes. En fait, comme le précisent les deux circulaires du 10 et du 19 août, de nombreuses décisions de régularisation ont été notifiées avant le 15 mai. A la suite de cette notification, les sans-papiers peuvent alors former des recours «gracieux» devant les préfectures, ou «hiérarchiques» au ministère de l’Intérieur. Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti (Groupement d’aide et de soutien aux immigrés), se défend de voir dans cette annonce «un coup médiatique du ministère de l’Intérieur, qui a l’habitude de souffler alternativement le chaud et le froid». Mais Françoise Toubol-Fischer, avocate spécialisée dans le droit des étrangers, craint que les préfectures ne prennent au mot cette annonce d’une date butoir. Déjà, au ministère de l’Intérieur, qui s’est engagé à répondre à tous les recours hiérarchiques ­ 128 000 à ce jour ­, on refuse de renseigner les avocats sur le degré d’avancement des dossiers et, dans les préfectures, il est parfois impossible de faire valoir les droits des demandeurs. A titre d’exemple d’imbroglio, l’avocate cite le cas de ce jeune Mauricien en France depuis dix ans et marié l’an dernier à une Française. La circulaire du 30 septembre 1997 et, a fortiori, la loi Chevènement autorisent la régularisation des étrangers dans son cas. Le 17 novembre suivant, son dossier est rejeté, puis son recours, en avril 1998. Malgré une nouvelle lettre au préfet, on lui notifie son arrêté de reconduite à la frontière en juin. En dépit des interventions de son conseil, l’arrêté est confirmé. Et le couple attend. «Cas particulier», répond-on au ministère lorsqu’on évoque les erreurs de l’administration. S’il est expulsé, le jeune marié se consolera sans doute à l’idée qu’il est un cas particulier.

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Le Conseil d’État interdit la consignation à bord des passagers clandestins

index Nathaniel Herzberg, 31/07/1998

Extrait : LA POLICE ne pourra plus consigner à bord des bateaux les passagers clandestins réclamant l’asile en France. Dans un arrêt rendu, mercredi 29 juillet, le Conseil d’Etat a confirmé un jugement, rendu le 3 mars 1995, par le tribunal administratif de Paris, qui condamnait le refus d’entrer en France opposé à un jeune Mozambicain. Rédigé en des termes particulièrement explicites, l’arrêt de la haute juridiction devrait mettre un terme à une longue bataille juridique qui opposait, depuis quatre ans, l’administration aux associations assistant les étrangers aux frontières.

Zito Mwinyl est âgé de treize ans, le 23 juin 1994, lorsque le Mimoza débarque à Brest. Caché dans les cales du navire depuis Durban, en Afrique du Sud, l’adolescent réclame l’asile. Il affirme avoir été persécuté, avec toute sa famille, dans son pays d’origine. Pour l’administration, qui examine sa demande pendant quatre jours et finit par la rejeter comme « manifestement infondée », il n’est qu’un immigrant économique parmi d’autres.

Mais derrière cette différence d’appréciation classique, une nouvelle polémique éclate. Saisi en référé, le tribunal de grande instance de Paris, condamne, le 27 juin 1994, l’administration pour « voie de fait » et ordonne la remise en liberté immédiate de Zito Mwinyl. Le juge explique en effet que la loi n’offre à la préfecture que deux possibilités : soit admettre le demandeur d’asile sur le territoire afin d’examiner selon la procédure habituelle qui dure quelques mois sa requête, soit le placer en « zone d’attente » afin de déterminer si celle-ci n’est pas « manifestement infondée ». Mais pas question de consigner l’adolescent à bord.

PORTÉE GÉNÉRALE

L’administration libère le jeune garçon mais refuse d’en tirer une leçon de portée générale. Pendant trois ans, elle poursuit les consignations à bord. Les associations portent les affaires devant les juges des référés, qui condamnent les préfets. Mais bien souvent, les bateaux ont repris…

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Bannir la double peine

default 04/06/1998

Lorsqu’il est question de « double peine », les gouvernements passent mais l’attitude reste la même : on ne légifère que dans l’urgence. En avril 1981, pendant la campagne présidentielle et près de Lyon déjà, le père Christian Delorme, le Pasteur Jean Costil et Hamis Boukrouma, lui-même victime, avaient suivi un jeûne de vingt- neuf jours. «L’expulsion de délinquants étran­gers a toujours été prévue dans la loi. Que l’on reconduise un trafiquant de drogue colombien qui serait venu passer quelques mois en France est légitime, reconnaît Christian Delorme, aujour­d’hui membre du Haut Conseil à l’Intégration. Ce qui est en cause, dest lorsque l’on considère que des gens qui ont toute leur vie en France sont des étrangers comme les autres alors qu’ils sont, en quelque sorte, des étrangers compa­triotes».

La spirale répressive en matière de double peine remonte à la fin des années 70, sous le gouvernement de Raymond Barre : la question de l’immigration irrégulière n’est pas encore posée comme un « problème » mais les reconduites à la frontières sont déjà massives et concer­nent alors presque exclusivement les délin­quants étrangers. L’une des dix premières mesures du gouvernement Mauroy marque l’arrêt des expulsions de jeunes de la deuxiè­me génération. Un répit éphémère. La loi Pasqua de 1986 remet en place une logique répressive. La loi Sapin du 31 décembre 1995 ouvre une période plus heureuse. Les catégo­ries protégées d’étrangers non expulsables sont élargies à ceux qui résident habituelle­ment en France depuis l’âge de 10 ans, depuis quinze années, aux parents d’enfants français, aux étrangers mariés avec un Français. Mais la deuxième loi Pasqua, en 1993, permet de contourner cette protection, bafouant la Convention européenne des droits de l’hom­me qui protège le droit de vivre en famille, en autorisant « une expulsion en urgence abso­lue pour atteinte à la sûreté de l’Etat ». Cette notion juridique, aux contours flous, a été maintenue dans la loi Chevènement

« Le nouveau code pénal cautionné par Robert Badinter a aussi élargi en 1994 à plus de deux cents délits les cas où l’on peut recourir à l’inter­diction de territoire français, souligne Maître Stéphane Maugendre (avocat). Ces peines dites complémentaires ont toujours été présentées comme des procédures d’exception. Dans la réalité, elles concernent beaucoup trop de monde ». Sept cents dossiers urgents selon Christian Delorme, près de vingt-mille non résolus selon l’associa­tion Jeunes arabes de Lyon et banlieue (Jalb) qui accueillait dans ses locaux les grévistes. Car entre les arrêtés ministériels d’expulsion (déci­sion administrative) et les interdictions du ter­ritoire national (décision judiciaire), une « double- peine » demeure souvent un fardeau que l’on peut traîner toute sa vie. Les recours sont longs et non suspensifs. L’assignation à résidence que l’administration accorde parfois pour éviter une expulsion, c’est-à-dire l’obligation de demeurer dans le département de son domicile souvent sans avoir le droit de travailler, peut s’éterniser. « La  plupart des expulsés revien­nent en France, leur véri­table pays, et vivent ensui­te dans la clandestinité », déplore Djida Tazdaït, pré­sidente des Jalb et ancienne député européenne. La  double peine est un appel d’air à tous les mondes parallèles. Elle dégrade la situation des banlieues et obscurcit leur ave­nir. Elizabeth Cuigou vient de promettre une com­mission interministérielle et va envoyer une cir­culaire au Parquet pour qu’ils tiennent vérita­blement compte des attaches familiales. Mais il faut maintenir la pression ».

Dans les locaux parisiens du Comité contre la double peine, créé il y a 18 ans, on n’at­tend plus grand-chose des tables rondes avec les ministères. Mariée à un « double-peine », Fatia Damiche a appris à se battre et à connaître le droit pour aider tous ceux que la justice et l’administration rejettent * En aucu­ne manière on ne légitime l’acte délictueux, je suis mère et grand-mère, souligne-t-elle. Mais les pouvoirs publics devront comprendre que la délinquance des « double-peine » est made in France, apprise ici à l’école de la rue et de la misère ». Sur son bureau, elle montre les lettres de détenus qui craignent une reconduite à la frontière. « La prison, est une horreur, explique-t-elle. Mais au moins, à travers les barreaux, on peut toucher et embrasser l’être qui vous est cher. Tout vaut mieux que le bannissement.