Archives de catégorie : droit des étrangers

Un juge déboute provisoirement Hortefeux face à la Cimade

 , Catherine Coroller

Stéphane Lagoutte
Stéphane Lagoutte

Selon nos informations, Brice Hortefeux a perdu, hier, une manche dans le bras de fer qui l’oppose à la Cimade (service œcuménique d’entraide aux étrangers). Le ministre de l’Immigration voulait faire taire cette association en la chassant des centres de rétention administrative (CRA) où elle assiste les étrangers en instance d’expulsion mais le tribunal administratif de Paris lui a infligé un camouflet. Les juges ont suspendu l’appel d’offres lancé par Hortefeux le 22 août. Ce texte modifiait les conditions d’intervention de la société civile dans les CRA.

Muselage. Jusque-là, cette mission était confiée à un seul intervenant, la Cimade, sur l’ensemble du territoire. Cette association étant jugée trop critique, le ministère a décidé, afin de briser toute contestation, que cette tâche serait morcelée et confiée à une multitude d’intervenants. D’où, une division de la France en huit lots, et l’interdiction, pour deux associations, d’intervenir dans le même centre de rétention. Cette tentative de muselage a provoqué un front uni des associations de défense des droits de l’homme. Tous les poids lourds du secteur se sont rangés aux côtés de la Cimade pour protester contre cette mise au pas. Hier soir, ils se sont réunis une nouvelle fois au siège d’Amnesty International France. Brice Hortefeux a fait la sourde oreille, et pour éviter que son appel d’offres ne reste lettre morte, a démarché des associations pour les convaincre de se porter candidates. Hier, trois se disaient publiquement intéressées (lire ci-dessous).

Lundi, la Ligue des droits de l’homme, le Gisti, le Syndicat des avocats de France et l’association des Avocats pour la défense des droits des étrangers et le réseau d’avocats Elena France ont déposé un référé contre cet appel d’offres devant le tribunal administratif de Paris. Et, hier, divine surprise, les juges l’ont suspendu jusqu’au 31 octobre, le ministère de l’Immigration étant prié de présenter ses observations sous cinq jours. «On ne pensait pas que les magistrats rendraient leur décision aussi vite, se réjouit Stéphane Maugendre, le président du Gisti. Visiblement, les points que nous avons soulevés sont suffisamment sérieux pour qu’en dehors de toute audience le président du tribunal administratif suspende l’appel d’offres». Parmi les points en question : l’interdiction des groupements d’associations. Problème : «l’appel d’offres l’interdit alors que la loi l’autorise», relève Serge Slama, maître de conférences en droit public. Autre irrégularité : la contradiction entre le décret «portant modification du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en matière de rétention administrative» et l’appel d’offres consécutif. Le premier prévoit un accompagnement juridique des étrangers afin de leur permettre un accès effectif au droit, le second une simple permanence d’information.

«Problèmes ultérieurs». Au cabinet de Brice Hortefeux, où l’on a découvert la demande de référé en même temps que la décision du juge, la nouvelle a semé la fureur. «Le juge n’a pas retenu d’irrégularités, il ne s’est pas prononcé, il a pris une mesure conservatoire, il a dit « je suspends », cela ne préjuge en rien de sa décision», s’emportait un collaborateur du ministre. Certes, le tribunal n’étaye pas son ordonnance par des doutes explicites sur la légalité de l’appel d’offres. Il dit qu’«il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’enjoindre au ministre de différer la signature des contrats jusqu’au 31 octobre», résume le constitutionnaliste Guy Carcassonne. Mais, pour lui, c’est sûr, «cela signifie qu’il a un doute et qu’il veut y regarder de plus près pour éviter des problèmes ultérieurs». «Il y a des cas dans lesquels la légalité est tellement évidente que le référé est rejeté», ajoute ce professeur de droit public à Paris-X.

Le jugement sur le fond devrait intervenir d’ici à la fin du mois. «On est optimistes, on a des arguments très sérieux», affirme Serge Slama. Lesquels ? Les associations ne veulent pas dévoiler leurs batteries. Pour Serge Slama, «si le ministère connaissait nos arguments, il pourrait publier un avis modificatif pour changer les conditions du marché».

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Rétention : Hortefeux taclé par le juge administratif

rue89-logo Chloé Leprince, 14/10/2008

A l’heure où Rue89 a pu parler avec Stéphane Maugrendre, vice-président du Gisti, on n’avait pas (encore ?) sorti le champagne dans les locaux d’Amnesty International, mardi soir. Réunies pour montrer leur cohésion dans le dossier de la rétention, la plupart des associations œuvrant dans la défense des sans-papiers se félicitaient toutefois déjà d’une première manche victorieuse face à Brice Hortefeux.

Un peu plus tôt dans l’après-midi, le tribunal administratif de Paris venait en effet d’exiger du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale qu’il gèle la signature des contrats dans le marché public de la rétention. Le juge administratif ne se prononce certes pas au fond, dans le document ci-contre : il a jusqu’à fin octobre pour cela.

Le ministère n’a pas respecté un certain nombre de règles

Et Serge Slama, maître de conférence en droit public et instigateur de la requête introduite par plusieurs associations dont le Gisti, la Ligue des droits de l’homme et trois collectifs d’avocats, restait prudent :

« Le juge n’a prononcé aucune sanction au fond. Mais il a déjà estimé que nos motifs en annulation (les arguments qu’on fourbit en droit, ndlr) étaient sérieux. Nous sommes confiants car le ministère n’a pas respecté un certain nombre de règles de concurrence et de publicité, par exemple en interdisant à des associations de postuler ensemble, ou encore en limitant l’action qui relevait de la défense des étrangers,au-delà d’un simple droit d’information. »

Surtout, les associations pouvaient se flatter de l’extrême rapidité de l’intervention du juge dans ce dossier très politique : la requête -certes en référé- avait été déposée la veille au soir. Et beaucoup s’attendaient à ce que les choses trainent davantage.

Forum réfugiés : candidat mais solidaire ?

En attendant le jugement au fond, Stéphane Maugendre soulignait surtout que « Brice Hortefeux a tort defaire croire que les associations sont divisées ». D’ailleurs, si Forum réfugiés et l’Ordre de Malte n’ont pas caché leur intention de postuler, à rebours de toutes les autres associations… Forum réfugiés était pourtant bien présente à la réunion d’hier soir, chez Amnesty.

Pour Stéphane Maugendre, si ce camouflet du juge n’est « pas le premier », il acte toutefois que « le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ne peut pas s’exonérer impunément d’un certain nombre de règles de droit ».

Si l’ensemble des acteurs du secteur se montraient soulagés, mardi soir, Patrick Peugeot, le président de la Cimade, refusait toutefois de crier victoire, mardi soir, après la décision du juge administratif :

« Ce n’est pas à la Cimade de tirer la couverture à elle pour une opération qui vient d’autres associations. D’autant que le juge ne s’est pas encore prononcé au fond et qu’il faut rester prudent. A cette heure, on ne sait même pas qui a déjà signé ces contrats. »

Jusqu’à l’intervention du juge administratif, les candidats avaient jusqu’au 22 octobre pour postuler dans le cadre de l’appel d’offre.

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Haro sur les empêcheurs d’expulser en rond

Accueil, Marie Barbier, 9/10/2008

Solidarité.

Les poursuites se multiplient contre les opposants à la politique d’immigration du gouvernement. Sous la présidence Sarkozy, il ne fait pas bon soutenir les sans-papiers.

Ils se tiennent tous les quatre face au juge, tête baissée et mains derrière le dos. Leur crime ? S’être opposés pacifiquement à l’expulsion de deux Maliens, le 27 février 2008, à bord du vol Paris-Casablanca de la Royal Air Maroc. À la barre, Raphaël Quenum raconte : « Un homme à terre hurlait. Un policier l’étranglait, un deuxième posait son genou sur sa poitrine et le troisième lui tenait les jambes. Un être humain ne mérite pas d’être ainsi malmené. » Les quatre passagers comparaissaient le 26 septembre devant le tribunal de Bobigny pour « provocation directe à la rébellion et entrave à la navigation d’un aéronef ». La procureure a requis quinze jours d’emprisonnement avec sursis et 500 euros d’amende. Le jugement est attendu demain.

Il ne fait pas bon, par les temps qui courent, s’opposer à la politique d’immigration du gouvernement. La répression frappe tous azimuts : les particuliers, comme ces quatre passagers de la Royal Air Maroc, ne sont que la partie visible d’une politique de plus en plus sévère à l’encontre des soutiens aux sans-papiers. En première ligne : les associations, qui s’opposent chaque jour à la politique du chiffre menée par Nicolas Sarkozy et son ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux.

Première étape : la décrédibilisation. Ou comment faire passer un vaste mouvement citoyen pour une agitation orchestrée par quelques dangereux gauchistes. En juin dernier, une note interne du ministère de la Justice évoque une « mouvance anarcho-autonome », qui s’exprimerait notamment « à l’occasion de manifestations de soutien (…) à des étrangers en situation irrégulière ». L’incendie du centre de rétention de Vincennes, le 22 juin, donne un coup d’accélérateur à ces allégations. Pour le gouvernement, les coupables sont tout trouvés. Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, accuse le Réseau Éducation sans frontières (RESF) de « provocations aux abords de ces centres, au risque de mettre en danger des étrangers retenus ». David Weiss, délégué national des Jeunes UMP, va plus loin, qualifiant RESF comme un « mouvement quasi terroriste » qui « pousse les gens à foutre le feu partout ». Jusqu’à présent, aucune plainte n’a été déposée contre le réseau. Mais ses militants restent sur le qui-vive. « On est dans la ligne de mire, indique Richard Moyon. On sait qu’on est attendu au tournant et qu’au moindre faux pas… »

poursuivi pour outrage à autorité publique

Une étape supplémentaire a toutefois déjà été franchie. À Rennes, Paris, Tours ou dans le Jura, les attaques judiciaires se multiplient. Pour Stéphane Maugendre, président du GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés) et avocat des trois militants de Rennes (lire ci-après), ces poursuites judiciaires restent au stade de l’intimidation, mais témoignent du franchissement d’une ligne jaune : « Après la création, en 2003, d’un « délit de solidarité » (1), on est passé à quelque chose de complètement nouveau. Les poursuites contre les associations existaient déjà, mais pas à ce niveau-là. Toute critique contre la politique d’immigration est désormais dans le collimateur du gouvernement. »

Ainsi, le gouvernement n’hésite pas à poursuivre les militants qui comparent les rafles de sans-papiers à celles menées contre les juifs pendant la dernière guerre. Dernier exemple en date : celui de Romain Dunand, trente-cinq ans, habitant du Jura, militant à RESF et à la CNT, qui se dit aujourd’hui un peu « dépassé » par les événements. En 2006, il participe à la campagne de soutien à Florimont Guimard, instituteur poursuivi en justice pour avoir empêché l’expulsion d’un père de famille sans papiers et de ses deux enfants. Mandaté par son syndicat, il écrit à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur : « Voilà donc Vichy qui revient : Pétain avait donc oublié ses chiens ! » Sentence rendue par la justice en février dernier : 800 euros d’amende et un euro de dommages et intérêts pour outrage à autorité publique. Romain Dunand a fait appel et sera rejugé le 22 octobre à Paris. « Ce sera le procès de la solidarité et de la liberté d’expression en général », assure le militant qui promet un procès politique. L’anthropologue Emmanuel Terray et Maurice Rajsfus, de l’Observatoire des libertés publiques, seront d’ailleurs appelés à la barre pour l’occasion.

Les militants risquent cinq ans de prison

Le procès politique, l’association SOS soutien aux sans-papiers s’en rapproche à grands pas. Ses accrochages avec le ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux, ont été le feuilleton de l’été dernier. Résumé des épisodes précédents : le 2 août, alors qu’une poignée de militants manifestent devant le centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), le feu prend à l’intérieur. Trois jours après, le ministre annonce le dépôt d’une plainte contre SOS, accusée d’être à l’origine de l’incendie. Depuis, si l’avocat de l’association, Henri Braun, déclare n’avoir toujours aucune nouvelle de la fameuse plainte, le parquet de Bobigny a ouvert une enquête préliminaire pour « provocations, suivies d’effets, à commettre des dégradations dangereuses ». Les militants poursuivis risquent tout de même jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende…

Dernier épisode en date : le 24 septembre, trois membres de l’association et un sympathisant sont auditionnés. Le même jour, Muriel Elkolli, cinquante-deux ans, militante du Collectif de soutien aux demandeurs d’asile et aux sans-papiers de Tours, qui n’a pourtant pas mis les pieds au Mesnil-Amelot le 2 août, est également entendue. « Les deux gendarmes venus spécialement de Paris m’ont dit : « Vous trouvez pas que ça fait beaucoup ? La fermeture du CRA de Blois, la destruction de Vincennes et maintenant l’incendie au Mesnil-Amelot. » Ils nous considèrent comme des fous furieux qui mettons le feu et nous réunissons en secret. Mais la vraie cause de ces incendies, c’est leur politique d’enfermement des étrangers. »

Quant aux militants du comité des sans-papiers du Nord (CSP 59), ils doivent faire face à de nombreuses attaques depuis plusieurs mois. En décembre 2007, l’un d’entre eux est arrêté et mis en garde à vue trente-six heures sans qu’aucune plainte ne lui soit notifiée. Bis repetita en janvier, le même militant est gardé à vue vingt-quatre heures. Début février, c’est au tour de l’emblématique porte-parole du CSP 59, Roland Diagne, d’être convoqué à la brigade criminelle. On lui signifie alors que la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, a porté plainte contre X suite à deux tracts jugés attentatoires à son honneur. Depuis : rien. « On n’a aucune nouvelle, proteste Roland Diagne. Si une plainte avait été déposée, au moins, on pourrait se défendre, mais là, ils nous arrêtent, nous relâchent… on ne peut rien faire. »

Première conséquence de ces multiples poursuites : la radicalisation du mouvement. « La multiplication des attaques crispe un certain nombre d’associations, analyse Stéphane Maugendre. Celles qui n’étaient pas forcément dans la contestation durcissent le ton. » Pour les plus optimistes, l’énergie dépensée par les pouvoirs publics pour tenter de réduire au silence les militants démontre l’efficacité de leur action. « Il existe une vraie évolution de l’opinion publique, note Richard Moyon de RESF. Il y a quelques années, il était impensable que des parents d’élèves se couchent sur la chaussée pour empêcher l’arrestation d’un père de famille. On prend des coups, c’est vrai, mais on en rend aussi… »

(1) {Le délit « d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour d’un étranger en situation irrégulière» est punie de 5 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende}.

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« C’est complètement fou. Qu’est-ce qu’on a fait ? »

newlogohumanitefr-20140407-434Marie Barbier, 09/10/ 2008

Ginette Janin, retraitée, comparaîtra devant la justice le 12 décembre pour diffamations, avec deux autres militants du Collectif rennais de soutien aux sans-papiers.

Août 2008. Ginette Janin assiste au Festival d’Avignon quand elle apprend la nouvelle : le ministère de l’Intérieur l’attaque en justice pour diffamations et injures publiques contre un corps constitué de l’État. Deux autres militants du Collectif de soutien aux sans-papiers de Rennes sont également poursuivis. Peine maximale encourue : 45 000 euros d’amende. De retour du Festival, la passionnée de théâtre trouve une assignation à comparaître dans sa boîte aux lettres. « Je me suis dit : « C’est complètement fou ! Qu’est ce qu’on a fait ? Dans quelle société on vit ? » Ce n’est pas tant que ça me fait peur. Mais cela en dit long sur la politique du gouvernement… »

En cause : trois tracts, dont certains passages sont jugés insultants pour la police aux frontières (PAF). Intitulé « La PAF recrute, rejoins-nous ! », l’un des tracts ironise sur les méthodes des forces de l’ordre chargées de la lutte contre l’immigration illégale : « Tu veux un métier où, plus t’obtiens des résultats, plus tu gagnes du fric ? », « Dans la journée, tu peux aussi organiser des contrôles au faciès » ou encore « Notre métier autorise l’enfermement des enfants ». « Ces textes ont été écrits par quelques-uns, mais toujours lus et validés en assemblée générale », souligne Ginette, qui insiste sur la responsabilité collective et le côté arbitraire de la plainte. Pour le collectif, les trois prévenus ont été choisis au hasard, lors d’une manifestation devant les locaux de la PAF à Rennes, le 2 avril dernier. Les trois militants étaient présents : l’un a lu le tract à voix haute, un autre a appuyé sur l’interphone de la police et la dernière, Ginette, a répondu aux journalistes présents.

Depuis toujours, Ginette Janin prône la manifestation comme mode d’action. Dans le couloir de son appartement, tout en haut de la plus haute tour du quartier Colombier, une édition de l’Humanité la montre au sein d’un cortège parisien alors qu’elle était lycéenne. Ginette Janin est une révoltée épidermique. Les injustices lui hérissent le poil et la scandalisent. Dans les années soixante, elle milite, à Paris, à l’Union des étudiants communistes (UEC) avec Serge July, Bernard Kouchner et Alain Krivine. La professeure d’histoire-géographie s’installe ensuite dans le Morbihan. Elle y est militante syndicale et, un temps, conseillère municipale. Mais les partis ne la tentent pas. Elle préfère les causes.

Depuis sa retraite, la sexagénaire vit à Rennes, où elle milite depuis trois ans au collectif de soutien aux sans-papiers. Elle dit : « Quand on se bat pour davantage de justice sociale, il est logique de se battre pour les sans-papiers. Ce sont les plus exploités, les plus pauvres, les plus en marge. » Créé en 2002, le collectif rennais compte une cinquantaine de militants réguliers. À leur actif : rassemblements, manifestations, occupations et permanences juridiques. Depuis 2007 et l’installation d’un centre de rétention en Ille-et-Vilaine, le collectif organise des « parloirs sauvages » : les militants se postent derrière les grillages pour « discuter » avec les retenus en attente d’une probable expulsion. « C’est très dur, dit Ginette. À travers les grilles, ils nous racontent des choses désespérées. »

Le procès, initialement prévu le 19 septembre, a été repoussé au 12 décembre. Il devrait faire grand bruit. D’abord parce que des dizaines de militants du collectif ont entamé une procédure de comparution volontaire, demandant ainsi à être jugés au même titre que les trois prévenus. Ensuite parce que les avocats ont prévu de lui donner un retentissement politique. « On va plaider le caractère non diffamatoire et non injurieux, commente Stéphane Maugendre, l’un des avocats des prévenus et président du GISTI. C’est de la caricature, comme Charlie Hebdo le faisait il y a quelques années. On veut aussi prouver que certains passages sont vrais : comme le contrôle au faciès. » Pour Ginette, « bien sûr que ce procès sera une tribune politique contre la politique d’immigration ». Mais la militante ne perd pas de vue ses objectifs : « On ne veut pas se laisser bouffer par le procès. Notre travail est d’aider les sans-papiers et, en ce moment, il se passe vraiment des trucs horribles. »

M. B.

Un sans-papiers libéré rattrapé par le zèle policier

  Mourad Guichard

Lorsqu’il sort du tribunal de Bobigny, ce mardi 30 septembre, Ismaël, ressortissant congolais sans papiers, mais travaillant en France depuis sept ans, est un homme libre. Maurice Amouyal, son patron, s’est engagé à effectuer les démarches pour obtenir sa régularisation et Stéphane Maugendre, son avocat, se félicite que la cour ait assorti d’un sursis sa peine de prison pour «rébellion». Ismaël venait de refuser un embarquement vers le Congo après un mois passé au centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne).

C’était sans compter sur le zèle des policiers du commissariat voisin de Mitry-Mory, les mêmes qui l’avaient arrêté trois mois auparavant. Au sortir de son lieu de travail, moins de vingt-quatre heures après sa libération, Ismaël est de nouveau arrêté et placé en garde à vue. Visiblement, les policiers ne connaissent pas la récente décision de justice.

«En droit strict, Ismaël était en état de récidive dès la sortie du tribunal», explique Stéphane Maugendre, par ailleurs président du groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). «La seule parade à cette aberration juridique est la dépénalisation pure et simple du séjour irrégulier et du refus d’embarquement.»

Pour le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) qui a suivi ce dossier, la situation d’Ismaël relève de l’ubuesque. «Voici un homme qui travaille en France depuis sept ans, paye régulièrement ses impôts jusqu’à la redevance télé et dont le patron affirme la nécessité de le garder en contrat à durée indéterminée (CDI), insiste Marie Montolieu, présidente d’un comité local parisien. Cet homme n’a pas eu la chance de travailler pour un grand restaurant parisien et de bénéficier de la publicité actuelle qui est faite pour la régularisation collective des sans-papiers.»

Ismaël, qui a été libéré jeudi dernier et qui a repris son travail le lendemain, ne comprend pas les raisons de cette deuxième garde à vue. «Dans leur ordinateur, les policiers auraient dû avoir les éléments», estime-t-il. «Durant la garde à vue, sans doute pour justifier leur prise, ils ont insisté pour que je reconnaisse que j’avais volé ce qui était contenu dans mon sac.» Résigné, son patron explique : «Nous repartons à zéro. Son CDI a été cassé et il a perdu toute son ancienneté. Il est aujourd’hui comme un nouvel entrant dans la boîte.»

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Enseignants, protestants, avocats… : la galaxie hétéroclite des soutiens

index,  Luc Bronner et Michel Delberghe, 07/08/2008

Des enseignants, des lycéens, des parents d’élèves, des juristes, des syndicalistes, des chefs d’entreprise… Le profil des militants et sympathisants engagés dans la défense des sans-papiers est assez hétéroclite, même si la plupart des associations impliquées sont classées à gauche. Cette galaxie se révèle assez mouvante avec des collectifs qui naissent et disparaissent en fonction des menaces d’expulsion repérées ici dans un établissement scolaire, là par un syndicat, plus loin par un club sportif… Trois associations ou collectifs jouent un rôle moteur, rejoints, plus récemment, par des syndicats de salariés comme la CGT. A leurs côtés, interviennent des asso­ciations comme la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature ou des organisations de l’éducation natio­nale (SUD-Education, SNES, etc.).

La Cimade. L’association, créée en 1939 par des protestants, a conservé son acrony­me d’origine lié à la guerre (qui signifie Comité inter-mouvements auprès des éva­cués) mais se présente aujourd’hui com­me un « service œcuménique d’entraide » intervenant auprès des étrangers et des migrants. Elle est chargée, depuis 1984, d’une mission officielle dans les centres de rétention administrative (CRA) pour accompagner les personnes retenues et les conseiller.

Présidée par Patrick Peugeot, elle dispo­se de moyens importants, contrôlés par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), avec 120 salariés et 1 500 bénévo­les. Le ministère de l’immigration la finan­ce à hauteur de 40 % de son budget, le res­te étant assuré par des dons, des subven­tions de collectivités locales et de fonda­tions privées. La Cimade publie des enquê­tes sur la situation des centres de réten­tion. Elle n’a pas cessé, depuis plusieurs mois, d’alerter le gouvernement sur la situation critique dans certains CRA, notamment à Vincennes (Val-de-Marne) et au Mesnil-Amelot (Seine-et-Mame).

Le Gisti. Le Groupe d’information et de soutien des immigrés, crée en 1972, est une association spécialiste du droit des étran­gers. Il organise des permanences juridi­ques, assure des formations. Début 2008, il comptait 208 membres, dont 54 avocats. Cette structure, présidée par l’avocat Sté­phane Maugendre, joue un rôle important dans le combat juridique, contestant régu­lièrement les textes réglementaires devant la juridiction administrative française ou européenne. Plusieurs « grands arrêts » du Conseil d’Etat ont été obtenus sur des recours déposés par le Gisti.

RESF. Le Réseau éducation sans frontiè­res est un rassemblement informel de cen­taines de collectifs locaux, créés autour d’établissements scolaires, pour assurer la défense d’élèves mineurs menacés d’expul­sion du fait de la reconduite de leurs parents. Depuis sa création, en 2004, ce réseau a connu un développement rapide, soutenu par des syndicats d’enseignants et des associations de parents. Grâce à ses actions (parrainages, pétitions, manifesta­tions), le réseau estime avoir empêché plusieurs milliers d’expulsions. Son porte-parole national est Richard Moyon.

CGT et Droits devant !! Le mouve­ment a commencé en février par une grè­ve inédite de salariés employés avec de fausses cartes de séjour dans un grand res­taurant parisien. Depuis, la CGT et l’asso­ciation Droits devant ! ! accompagnent les actions spontanées qui ont émergé dans plus de 70 entreprises, pour l’essen­tiel en Ile-de-France, contraintes par la nouvelle loi sur l’immigration de licencier leurs salariés employés « irrégulière­ment », le plus souvent depuis plusieurs années. Au total, plus de 800 travailleurs ont été régularisés, au cas par cas dans les préfectures, parfois avec l’aide des chefs d’entreprise concernés. Pour autant, ce mouvement concerne assez peu les fem­mes qui occupent des emplois précaires dans le nettoyage et la restauration.

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M. Hortefeux s’en prend aux soutiens des sans-papiers

index Luc Bronner, 07/08/2008

LéoFaustine/PHOTOPQR/« LE PARISIEN »
Léo Faustine/PHOTOPQR/« LE PARISIEN »

Les associations de soutien aux sans-papiers se sentent désormais dans la ligne de mire du gouvernement et de la majorité parlementaire. Avec l’annonce du dépôt d’une plainte contre SOS soutien aux sans-papiers, accusée d’avoir incité à la révolte des immigrés placés au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), le gouvernement a franchi une étape dans le durcissement de ses rapports avec les collectifs mobilisés contre la politique gouvernementale.

Le ministre de l’immigration et de l’iden­tité nationale, Brice Hortefeux, a interrom­pu ses vacances, mardi 5  août, et présidé une courte réunion avec des hauts responsables des ministères de l’intérieur et de l’immigration pour faire le point sur les incidents du Mesnil-Amelot, samedi 2 août, au cours desquels trois matelas avaient été incendiés par des retenus en attente d’expulsion alors que se déroulait, à l’extérieur, une manifestation de SOS soutien aux sans-papiers.

Devant les journalistes, le ministre i dénoncé les « agissements » de l’association, proche du mouvement autonome qu’il a qualifiée de « groupuscule » et dont les membres sont, à ses yeux, des « agita­teurs » » et des « provocateurs ». Le ministre a confirmé le dépôt d’une plainte contre le collectif et demandé l’interdiction de manifester, samedi 9 août, devant le CRA dt Mesnil-Amelot.

Pour justifier ces décisions, M. Horte­feux s’appuie sur les déclarations du prési­dent de l’association, Rodolphe Nettier, au Parisien du 4 août. Celui-ci appelait à « brû­ler les centres » – propos qu’il a depuis démenti avoir tenus. Le cabinet du minis­tre précise que d’« autres éléments » figu­rent dans la plainte – notamment la présen­ce, lors du rassemblement du 2 août, d’une banderole appelant à la « destruction » des centres. M. Nettier rétorque que la banderôle n’avait pas été apportée par l’associa­tion mais par des « anarchistes ».

Au-delà du cas particulier de SOS sou­tien aux sans-papiers, acteur secondaire dans le paysage militant, cet épisode inter­vient dans un contexte de rapports tendus avec les associations historiques. Le minis­tère de l’immigration tente discrètement de réduire les capacités critiques de la Cimade, association d’origine protestante chargée d’assurer la défense et l’informa­tion des retenus au sein des centres. M. Hortefeux, qui ne dissimule pas son agacement vis-à-vis de la Cimade, préconi­se de faire appel à des associations caritati­ves, comme la Croix-Rouge ou l’Ordre de Malte (Le Monde du 26 juillet) pour assu­rer une plus grande « diversité » dans l’aide aux sans-papiers. « La Cimade est trop indépendante à ses yeux. Le ministère veut éclater ses missions en les confiant à plu­sieurs associations dans l’idée de réduire son poids », explique un proche du dossier. L’UMP a multiplié, ces derniers mois, les accusations et les critiques à l’encontre des « collectifs » de soutien aux sans-papiers. A plusieurs reprises, son porte-parole, Frédé­ric Lefebvre, a mis en cause les associations dans les incidents. Après l’incendie, le 22 juin, du CRA de Vincennes, il s’en était pris très durement au Réseau Education sans frontières (RESF), lui attribuant une « responsabilité morale » dans les troubles.

Les associations, qui décrivent une atmosphère tendue dans les centres de rétention, estiment que le ministère tente d’allumer des « contrefeux » pour prévenir les critiques au cas où surviendrait un dra­me. « Les gestes de désespoir se multiplient dans les centres. La stratégie de M. Hortefeux vise à cacher cette réalité qui est le produit de sa politique », souligne Richard Moyon, porte-parole de RESF. « Le gouvernement détourne l’attention sur des “groupuscules d’extrême gauche”, j’emploie des guillemets, pour éviter qu ’on se préoccupe de sa politique et de ce qui se passe dans les centres de réten­tion », ajoute Stéphane Maugendre, prési­dent du Gisti. Les associations réfléchis­sent à une action commune pour dénoncer l’attitude du gouvernement.

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Vincennes, les feux de la honte

Le centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes, qui a brûlé le 22 juin, était en proie à une violence permanente : début d’incendie, automutilation, suicides. Pourquoi les conditions de rétention des sans-papiers sont-elles devenues inacceptables ? Analyse de Stéphane Maugendre, avocat.

« Réunir 280 personnes dans des conditions aussi mauvaises et pour des durées aussi longues ne peut conduire qu’à des gestes désespérés. Les centres de rétention ne dépendent pas de l’administration judiciaire et ne sont pas censés être des prisons. Les textes prévoient au contraire des conditions d’accueil dites “hôtelières”. Pourtant, on s’habitue à ce que les sans-papiers soient criminalisés et que ces lieux soient de fait des lieux de détention. Les incendies du CRA de Vincennes ont été déclenchés après la mort non élucidée d’un Tunisien de 41 ans. Mais aussi juste après que le Parlement européen eut voté une directive visant à “harmoniser le retour” des immigrés en situation irrégulière et allongeant à dix-huit mois la durée possible de rétention. “Harmonie” et “retour” sont de jolis mots qui cachent la violence de l’expulsion. Désormais, un sans-papiers dont le seul délit est d’avoir cherché un asile en France pourra donc rester jusqu’à dix-huit mois dans un centre de rétention. »

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« En rétention, l’explosion était inéluctable »

Accueil, Entretien réalisé par Alexandre Fache, 24/06/ 2008

Pour l’avocat Stéphane Maugendre, nouveau président du GISTI, c’est la politique d’expulsions massives du gouvernement qui est à l’origine de l’incendie de Vincennes. Avocat au barreau de la Seine-Saint-Denis, Stéphane Maugendre, quarante-sept ans, a succédé, le 17 mai dernier, à Nathalie Ferré à la présidence du Groupe d’information et de soutien aux immigrés.
Comment réagissez-vous à la destruction du centre de Vincennes ?
Stéphane Maugendre. Il ne faut pas s’étonner que ce genre de choses arrive. Les retenus sont de plus en plus nombreux, et leur durée de rétention ne cesse de s’allonger. La politique gouvernementale dans ce domaine est tout entière consacrée à un seul objectif : faire du chiffre, ce que les policiers eux-mêmes confirment et parfois regrettent. Les centres sont surchargés, ils accueillent des gens de plus en plus désespérés, dans des conditions de « cohabitation » avec les services de police très tendues, ce qui ne va pas sans certaines exactions, répertoriées par les rapports de la CIMADE, du commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe ou encore des parlementaires qui se rendent à l’intérieur de ces centres. L’explosion était donc inéluctable. Le décès de ce retenu tunisien, dans des conditions qui restent à préciser, a été l’élément déclencheur.
La situation était particulièrement difficile à Vincennes…
Stéphane Maugendre. Tous les témoignages évoquaient en effet dans ce centre des conditions indignes de la République. D’autant que la rétention, théoriquement, ce n’est pas la prison. Les retenus sont censés être accueillis dans des conditions « hôtelières ». On en était loin ! Et cela ne va pas s’améliorer : l’Europe vient d’adopter la fameuse directive retour, qui permet de prolonger une rétention jusqu’à dix-huit mois, et ce avec femmes et enfants. Nous sommes face à une spirale délirante qui ne fera qu’augmenter l’occurrence de ce genre de drame. Pour les éviter, une seule solution : fermer tous ces centres.
Le gouvernement ne semble pas aller dans ce sens, le ministre se félicitant de la hausse spectaculaire des expulsions…
Stéphane Maugendre. Cette politique de reconduites massives à la frontière est totalement illusoire. Si aujourd’hui, hypothèse d’école, l’immigration clandestine s’arrêtait totalement, plus de dix ans seraient nécessaires pour reconduire toutes les personnes en situation irrégulière. On cultive donc une gigantesque illusion. D’autant que les arrivées illégales sur le territoire se poursuivront, que ce soit pour des raisons climatiques, politiques ou économiques.
Voilà vingt ans que vous exercez en tant qu’avocat, auprès des sans-papiers. Que peut le droit face à cette politique ?
Stéphane Maugendre. Tous les jours, nous essayons, avec d’autres avocats, de trouver des failles dans les procédures, de mettre en avant de nouveaux instruments pour que le droit des gens soit respecté au mieux. Mais, c’est vrai, la législation ne cesse de se durcir. Les conditions pour prendre un arrêté de reconduite à la frontière s’élargissent, la période de rétention administrative s’allonge, les accords dits « de réadmission », qui raccourcissent les délais et compliquent les possibilités de recours, ne facilitent pas les remises en liberté… C’est un combat permanent, duquel on ne sort pas toujours vainqueur.
Un dernier mot : l’UMP menace de poursuites le collectif RESF, l’accusant d’être en partie responsable de l’incendie du centre de Vincennes…
Stéphane Maugendre. Ces propos sont totalement irresponsables. Les associations, RESF ou d’autres, sont là pour défendre les gens, au quotidien, elles ne les poussent en aucune manière à mettre le feu aux centres de rétention, aussi inhumains soient-ils. La responsabilité d’un événement comme celui de ce week-end, de ce geste de désespoir, est d’abord et avant tout celle du gouvernement, qui a fait de l’expulsion le leitmotiv de sa politique d’immigration.

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