« J’ai d’abord entendu le souffle des flammes»

logoParisien-292x75 Carole Guechi, 19/12/1995

EMOTION intense, hier après-midi à Bobigny, à la barre de  la cour d’assises de Seine- Saint-Denis, quand Odile Mansfield, la victime, raconte la sauvage agres­sion dont elle a été victime de la part de la sœur de son petit ami. Aujour­d’hui âgée de dix-nuit ans, celle qui était décrite comme une très belle jeune fille porte maintenant le masque des grands brûlés. Malgré les mots qui s’étranglent dans sa gorge, Odile tente d’expliquer à la cour ce qui s’est passé en ce soir de printemps, le 18 mai 1993.

«Vers 22 h 30, avec deux amis, nous revenions du parc de la Sapi­nière, tout proche de la cité Gagarine de Romainville où nous habitions », raconte-t-elle douloureusement.

« Elle m’a aspergée d’essence»

« Nous étions partis à la rencontre d’un autre copain, que nous n’avons finalement pas trouvé. Sur le chemin du retour, près du grillage de la maternelle, Nadira Bitach, la sœur aînée de mon petit ami Abdelkrim, m’a appelée. Je me suis avancée vers elle. Elle a commencé à m’insulter. Je lui ai répondu que ce n’était pas la peine de discuter avec moi et j’ai tenté de partir. Elle m’a rattrapée, m’a fait tomber, m’a agrippée par les cheveux… Quand je me suis redres­sée face à elle, elle a saisi un petit récipient en plastique posé sur le sol derrière elle et m’a aspergée d’es­sence. J’ai levé les mains pour proté­ger mes yeux. J’ai entendu le bruit d’un souffle, comme celui d’un Zippo qu’on allume… et j’ai pris feu. Malgré la douleur, j’ai couru vers mes copains, mais je ne voulais pas m’approcher d’eux de peur de les brûler. Alors, quelqu’un m’a fait tomber et m’a recouverte de vête­ments pour éteindre les flammes. Ensuite, je me suis évanouie. C’est la voix de ma sœur, plus tard, qui m’a fait reprendre conscience. »

Puis elle parle de Nadira. «Je ne comprends pas pourquoi elle m’a fait ça. Jusque-là, elle était toujours à me cajoler, elle disait que j’étais sa préférée…» Odile éclate alors en sanglots, obligée de quitter la barre pour cacher ses larmes sur un visage marqué par les cicatrices des multiples greffes déjà pratiquées. Brûlée sur plus de 50 % de son corps, dont 39 % au troisième degré, Odile est une miraculée. « Elle gardera des séquelles esthétiques et fonction­nelles, notamment aux mains, pen­dant toute sa vie», a confirmé un médecin spécialiste des grands brû­lés. « Sans parler des séquelles psy­chologiques : elle doit se reconstruire une personnalité et s’accepter telle qu’elle est aujourd’hui. Ce sera le plus dur ». Dans la salle des assises du palais de justice de Bobigny, l’émo­tion est à son comble.

Si Odile ne comprend pas le geste de Nadira Bitach, trente-sept ans, aujourd’hui dans le box des accusés pour tentative d’assassinat, cette dernière n’a pourtant jamais manqué de mobiles.

Une vingtaine de tentatives de suicide

Arrêtée deux heures et demie après le drame, Nadira avoue dès sa première audition. « Elle était très volubile, pas avare de confessions, racontera le lieutenant de police chargé de l’entendre. Elle m’a expli­qué pêle-mêle qu’elle ne supportait pas la liaison entre son petit frère et Odile. Qu’il y avait un problème de religion, lui étant musulman et Odile catholique. Pour elle, Odile l’avait cherché et mérité. »

« Nadira reprochait aussi à la mère d’Odile Mansfield, qui était une de ses amies, une dette jamais remboursée. Elle affirmait avoir mis en garde Odile, lui intimant l’ordre de ne plus voir son frère et de lui rendre des vêtements et des photos quelle avait conservés de lui. Elle lui avait même interdit de passer devant le bâtiment de la cité où elle habitait sous peine de provoquer sa colère. » Et, en ce 18 mai 1993, Odile n’avait pas tenu compte de cette dernière mise en garde…

Si Nadira Bitach motive sans cesse son geste, elle dégage pourtant toute responsabilité en se réfugiant derrière son état dépressif. Il est vrai que l’accusée. ainée d’une famille de huit enfants, sans emploi, veuve et mère d’un garçon de quatorze ans. a déjà fait une vingtaine de tentatives de suicide. Elle était d’ailleurs suivie médicalement depuis plusieurs an­nées avant les faits. mais pour  Odette Mansfield la mère d’Odile, « Nadira était surtout jalouse de la beauté d’Odile. » Au point de vouloir la défigurer.