Élève sans doigt et prof sans cœur

  Didier Arnaud

Une enseignante, qui avait mutilé par accident un adolescent, comparaissait hier au tribunal

Cette porte qui claque n’en finit pas de résonner. Parce qu’elle a tranché le doigt d’un enfant. Parce que celle qui l’a fermée n’a pas eu un comportement exemplaire. Ce matin de février 1999, Jonathan arrive en retard en cours d’histoire. Dans sa main, il tient un gobelet de chocolat. Au lycée Florent-Schmitt de Saint-Cloud, l’exactitude est plus que règle d’or, vertu pédagogique. La professeur, Sylvie Cavaillès, repousse Jonathan. Rapport de police: «Avec sa main, elle m’a agrippé au visage tout en me repoussant. Pour ne pas tomber, je me suis raccroché au chambranle de la porte. A ce moment-là, elle a violemment claqué la porte sur mon majeur.» Jonathan laisse un bout de doigt dans la porte. Un lambeau de trois centimètres. Infirmerie, pompier, hôpital Boucicault. Greffe. 90 jours d’arrêt maladie. Aujourd’hui, il a retrouvé partiellement l’usage de sa main. Mais l’accident a laissé des traces chez tout le monde. Et tout d’abord chez Jonathan. Ses parents ont porté plainte. Sylvie Cavaillès était renvoyée lundi devant le tribunal correctionnel de Nanterre pour «violence volontaire ayant entraîné une mutilation».

Bon élève. Tailleur-pantalon gris, visage fermé, elle répétera à plusieurs reprises: «Je suis extrêmement bouleversée par l’accident. Je suis consciente des blessures, c’est un accident. Je n’ai pas blessé volontairement Jonathan.» Elle affirme ne pas avoir vu le doigt sur la porte quand elle l’a poussé. Petit bonhomme à lunettes de 16 ans, Jonathan est un très bon élève. 17 de moyenne en maths. Une tendance à «faire de l’humour», l’insolence des enfants gâtés. Entre lui et sa prof d’histoire, il y a des antécédents. Elle lui a confisqué ses lunettes, l’a attrapé au collet. A l’audience, elle réfute: «Je n’ai pas d’animosité particulière à son égard.» Après l’accident, c’est un copain qui réconforte Jonathan à l’infirmerie. Elle ne le voit pas partir avec les pompiers. N’a aucun mot pour lui. Elle reprend l’appel comme si de rien n’était, expliquant qu’elle avait l’«obligation» de rester en classe, qualifiant même son geste de «malencontreux incident». A-t-elle fait preuve d’imprudence, d’inattention? se demande le procureur. A chaque fois, Sylvie Cavaillès répond par la négative, avec distance. A-t-elle eu un comportement décalé? se demande le président. «Peut-être ai-je été maladroite», se contente-t-elle de dire, sans émotion.

Mais c’est après que tout s’est corsé. Un mois plus tard, l’adolescent revient en cours. A la barre, il dit: «Il y a eu un froid entre moi, les profs de ma classe et les autres élèves. J’avais encore mes amis, mais ils n’étaient pas comme avant. Comme si rien ne s’était passé.» Son père témoigne: «Il est de plus en plus triste, il ressent une sorte d’abandon.» La réaction des professeurs, soudés derrière leur collègue, entretient ce sentiment. La plainte des parents, la garde à vue de Sylvie Cavaillès: les professeurs ressentent une profonde injustice. Ils se sont mobilisés derrière elle. Dans un tract, ils écrivent: «Chercher à faire passer un accident regrettable qui pourrait arriver à chacun d’entre nous pour un acte d’agression volontaire nous semble inacceptable.» Les rapports d’inspection sont élogieux. Plus d’une centaine d’attestations de moralité de profs la soutiennent. A la barre, ils défilent. Un témoin: «Je ne travaillais pas ce jour-là. Je ne l’ai pas vu. Ce ne peut être qu’un accident.»

«Pressions». Côté enseignants, les mauvaises langues persiflent. La mère de Jonathan est médecin vacataire au ministère de l’Intérieur. Les policiers auraient particulièrement soigné le dossier. A la barre, la conseillère d’éducation dira avoir téléphoné à une élève qu’elle savait avoir été contactée par les parents de Jonathan » Les parents d’élèves, eux, écrivent au recteur pour se plaindre de «pressions» sur les élèves pour qu’ils reviennent sur leurs déclarations: «Nous déplorons que l’élève n’ait pas eu d’autre choix que de changer d’établissement. [« ] Cette affaire semble avoir été traitée dans le seul intérêt de l’enseignante responsable, écrivent-ils. Il n’y a eu aucune prise en charge attentive et éducative de la victime.» Statut de victime. La partie civile, par le biais de Me Pierre-François Veil, fustigera le comportement de la prof ­ «Mme Cavaillès ne peut s’excuser, dire pardon, la compassion ne s’enseigne pas» ­ en demandant qu’on accorde enfin à Jonathan le statut de victime. Le procureur insistera sur le fait que la prof n’ait pas «fait la part des choses» après avoir claqué la porte en restant dans la classe. Pourtant, «quand un gamin fait une erreur, on lui demande des comptes», poursuit la magistrate. Elle réclamera deux mois d’emprisonnement avec sursis et une non-inscription au casier judiciaire. Bertrand Maugendre et France Weyl, pour la défense, regrettent que les parents aient opté pour la solution pénale. Ils demanderont la relaxe, en expliquant que le caractère volontaire de la violence n’est pas établi. Après quatre heures d’audience, les profs sont sortis en masse. Jonathan était seul avec ses parents. Jugement le 10 janvier.

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