Camille Polloni, 16/02/2015
L’appel aux dons a tourné par e-mail, via Twitter et sur quelques sites militants, comme Paris-luttes.info. Depuis mercredi dernier, il a aussi sa page sur KissKissBankBank, pour deux mois. Discrètement, sans faire trop de bruit, un documentaire essaie de voir le jour : « Qui a tué Ali Ziri ? », de Luc Decaster.
En décembre dernier, après de multiples rebondissements – une « guerre d’usure », pour reprendre l’expression de Mediapart –, la cour d’appel de Rennes a confirmé le non-lieu sur la mort d’Ali Ziri. Alors que la famille et même l’avocat général demandaient la réouverture de l’instruction, il n’y aura ni reconstitution, ni accès à la vidéosurveillance du commissariat, ni audition des policiers présents ce jour-là. L’avocat de la famille, Stéphane Maugendre, s’est de nouveau pourvu en cassation.
Sur les 15 000 euros demandés, le projet a récolté 2 520 euros en cinq jours. Ce film de 90 minutes revient sur une histoire déjà presque oubliée, celle d’un retraité algérien de 69 ans tombé dans le coma lors de son interpellation par la police après un contrôle routier, et mort deux jours plus tard à l’hôpital d’Argenteuil (Val-d’Oise). C’était en 2009. L’état d’alcoolémie d’Ali Ziri et des problèmes cardiaques ont été invoqués pour expliquer son décès.
Mais depuis six ans, ses proches et le collectif constitué en sa mémoire espèrent faire reconnaître qu’Ali Ziri a été victime de violences policières – comme l’indiquent les hématomes qui couvraient son corps – et d’un « pliage » illégal dans le fourgon de police.
« Dès la première manifestation »
Le réalisateur Luc Decaster est un témoin privilégié de la mobilisation pour Ali Ziri et de ces péripéties judiciaires. Habitant d’Argenteuil et membre du collectif, il a filmé « dès la première manifestation » , raconte son producteur, Michel David. En assumant un regard de l’intérieur, sans prétendre rester neutre.
Dans la fiche de présentation du film, décrit comme « étouffé » de la même manière que son sujet, Luc Decaster « s’attache à représenter ce qu’une telle affaire suscite à l’intérieur d’une ville de banlieue ordinaire ». Il montre « les nombreuses actions dans la rue, les réunions internes du collectif Vérité et justice pour Ali Ziri, ainsi que les longues discussions avec les avocats, dans les halls des palais de justice ».
Le montage est déjà fait. La collecte vise à terminer la post-production, l’étalonnage et le mixage, pour pouvoir distribuer le documentaire en salle.
La boîte de production de Michel David, Zeugma Films, a pourtant l’habitude de trouver des financements (même si c’est rarement facile). Elle a déjà travaillé avec Luc Decaster, réalisateur de trois films militants auparavant, qui lui ont attiré de bonnes critiques.
« On ne pensait pas que ça bloquerait »
A lire l’appel aux dons, qui parle de « censure financière », on se dit que le sujet du film a hérissé le poil des mécènes potentiels. Il y a peut-être de ça, mais Michel David se montre quand même assez mesuré, en évoquant un concours de circonstances « politique » et « administratif ».
« La difficulté inhérente à ce film, et ça, personne n’y peut rien, c’est que le tournage s’est déroulé sur plusieurs années. Luc tournait tout seul, de manière militante, il ne se payait pas.
Nous n’avions pas demandé d’avances sur recettes avant de réaliser, mais nous pensions le faire au moment du montage. C’est l’une des possibilités et on ne pensait pas que ça bloquerait. Seulement, le CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée, ndlr] a changé ses règles il y a deux ans environ. Pour pouvoir postuler à ces aides, il faut désormais obtenir un agrément, en montrant que des salaires ont été payés, que des frais ont été engagés. »
Faute de financement du CNC, poursuit Michel David, l’équipe s’est donc tournée vers la région Ile-de-France pour obtenir une aide à la post-production.
« Ils n’ont pas accepté le film. On ne connaît jamais les raisons des refus. »
Le financement participatif, un palliatif
Le « crowdfunding », ou financement participatif, est donc apparu comme une réponse à la disette, surtout que le producteur en avait eu un premier aperçu réussi le mois dernier. Un premier appel au don de 50 000 euros sur KissKissBankBank, pour un film sur le conflit israélo-palestinien réalisé par Marcel Ophüls et Eyal Sivan, a rempli sa mission à 111%.
Michel David s’est dit qu’un film sur Ali Ziri « trouverait un public dans les réseaux très militants, qui comprendraient l’intérêt de cette histoire de violences policières, et voudraient qu’il sorte en salles ».
De fait, le démarrage est plutôt bon, mais le producteur ne veut pas s’emballer :
« L’expérience précédente nous a prouvé qu’au milieu de la collecte, il y a un creux. Il faut relancer les appels aux dons tous les cinq ou six jours.
Depuis un an et demi ou deux ans, je me retrouve avec de moins en moins d’investissement public, notamment d’Arte, même si j’ai de très bonnes relations avec eux. »
Luc Decaster, lui, salue son « producteur courageux », qui l’a soutenu et rémunérera lui-même la monteuse, mais trouve « anormal » de devoir faire appel au public :
« Ce n’est pas un modèle. Nous serons de plus en plus amenés à fonctionner de cette manière, je ne suis pas le seul. »
Ali Ziri non plus n’est pas le seul, mais il trouvera peut-être des spectateurs déterminés à faire exister au moins l’une de ces histoires d’hommes morts aux mains de la police, qui font beaucoup moins parler d’elles en France qu’aux Etats-Unis.
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