Léonarda : la police bien dans les clous ?

  Fabrice Tassel et Laure Bretton

«S’il y a eu faute, l’arrêté de reconduite à la frontière sera annulé. Cette famille reviendra pour que sa situation soit réexaminée en fonction de notre droit, de nos principes et de nos valeurs», a expliqué mercredi le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, ajoutant que les arrêtés de reconduite «n’autorisent pas que les enfants soient interpellés dans l’enceinte scolaire». Cet après-midi, l’enquête de l’Inspection générale de l’administration devrait dire s’il y a eu «faute» (et laquelle) lors de l’interpellation, le 9 octobre, de Léonarda.

L’environnement scolaire, matérialisé par le bus duquel l’adolescente est descendue à la demande de la police de l’air et des frontières (PAF), est un élément central, puisqu’il a largement contribué à déclencher la polémique, des élus socialistes y voyant une résurgence de l’époque sarkozyste. En octobre 2005, après l’arrestation de plusieurs enfants de sans-papiers au sein de leur établissement, le ministre de l’Intérieur de l’époque avait émis une circulaire demandant aux préfets «d’éviter des démarches dans l’enceinte scolaire ou dans ses abords» et de suspendre, le temps de l’année scolaire, l’expulsion de familles de sans-papiers ayant un enfant scolarisé. Il semble toutefois que ce texte soit devenu caduc depuis un décret de 2008.

Coup de fil. Faut-il alors remplir un vide juridique pour endiguer la pression, comme Sarkozy en 2005 ? L’exécutif réfléchirait à la façon de sanctuariser à nouveau les enceintes scolaires, peut-être en amendant la circulaire d’août 2012 sur les Roms. Tout en s’indignant de l’interpellation de la jeune Kosovare, l’avocat pour le Groupement d’information et de soutien des immigrés, Stéphane Maugendre, explique «les policiers ne peuvent pas pénétrer dans un établissement scolaire, sauf s’ils sont requis». Le coup de fil passé par la PAF à l’enseignante qui encadrait la sortie scolaire pour lui demander d’arrêter le bus pourrait valoir sésame. «A priori, le droit a été respecté, mais sans s’encombrer de grands principes sur le respect de l’école, de la vie familiale…» conclut Stéphane Maugendre.

Démêlés. Mais d’autres éléments vont entrer en ligne de compte pour un éventuel retour de la famille, comme la personnalité de Resat Dibrani, 47 ans, le père de Léonarda. Sa situation irrégulière sur le territoire a été aggravée par des démêlés qu’il a eus avec la justice : une main courante déposée (puis retirée) à la gendarmerie de Levier (Doubs), où vivait la famille, par sa femme, Gemilia, pour des violences sur deux de leurs filles, Léonarda et Maria. L’homme, mais aussi sa femme, ont aussi fait l’objet d’un rappel à la loi pour quelques larcins.

Les violences sur les enfants ont pesé sur la décision d’expulser les Dibrani. En droit, seule l’expulsion du père aurait été possible. Mais lors des expulsions de familles, les autorités prennent l’intérêt de l’enfant, celui de vivre avec ses parents, en compte. Le 8 octobre, alors que Resat venait d’être expulsé, Gemilia a affirmé qu’elle souhaitait rester en France pour l’éducation de ses enfants, avant d’hésiter à vivre loin de son mari. Le Réseau Education sans frontières et le comité de soutien aux Dibrani se sont affrontés sur le sujet, même si leur marge de manœuvre était étroite compte tenu de la situation administrative de la famille. Le préfet a tranché en faveur «du droit», évoqué par Jean-Marc Ayrault. Celui-ci fera-t-il primer «les valeurs», et lesquelles ?

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