Avocats : Premiers états généraux

6604839-9962832 16/02/1990

Sur la sellette : l’aide légale. Mais aussi l’avenir

_DSC0010La colère monte chez les avocats. Après doux journées nationales de protestation, les différents barreaux de France, pour la plupart en grève tiendront samedi pour la première fois de leur histoire des états généraux au palais de Justice de Bobigny.

Les raisons de la grogne? Officiellement, l’épineux de l’aide légale. Mais derrière se profile la crainte de plusieurs milliers d’avocats,18 000 au total, inquiets de la prolétarisation croissante du secteur judiciaire.

Instituée par la loi du 3 janvier 1972, l’aide légale (l’aide judiciaire en matière civile et commissions d’office en pénal). Il permet aux plus défavorisés d’accéder à la justice. Le principe est noble. Mais les finances ne suivent pas. «400 millions de francs pour l’aide judiciaire, 40 millions pour les commissions d’office, c’est à peine le budget de fonctionnement de Beaubourg», remarque Me Brigitte Marsigny, bâtonnier à Bobigny.

Au fil des ans, face à la croissance exponentielle des demandes, le système est devenu invivable. Ce n’est pas par hasard que le palais de justice de Bobigny a été choisi comme lieu de rassemblement. Zone urbaine extrêmement défavorisée, à fort taux de population immigrée, la Seine-Saint-Denis est sans doute l’un des départements les plus concernés par l’aide légale. Dans ses cités délabrées vouées à la délinquance, où le chômage sévit durement, chaque journée apporte son lot de drames: agressions, viols, enfants et femmes battus, meurtres… L’aide légale, ici, représente près du tiers de l’activité du barreau. Sur les 166 avocats de l’ordre de Bobigny (à Paris, ils sont 6000), environ 150 ont eu à traiter l’année dernière 9 600 commissions d*office (10% du nombre total de commissions nationales) et plus de 3 000 dossiers d’aide judiciaire. Or, à titre d’exemple, que l’on y consacre dix heures ou cinquante, un divorce est indemnisé 2 250 francs et un dossier passant en cour d’assises 580 francs. «Chaque fois que j’accepte de défendre une femme battue sans ressources, ce qui arrive fréquemment, souligne Me Stéphane Campana, installé depuis dix ans à Aubervilliers, je sais que je perds 12 000 francs. » Et comment faire lorsqu’il faut payer deux secrétaires, dont une à mi-temps, et faire tourner ce cabinet qui fonctionne avec deux avocats?

CALCUL

Généralement, les frais de gestion représentent, selon les cas, de 35 à 80 % du chiffre d’affaires d’un cabinet Pour le seul barreau de Bobigny, Me Stéphane Maugendre, membre du bureau du SAF (Syndicat des avocats de France), s’est livré à un petit calcul où il apparaît que sur 2 400 commissions avec instruction correctionnelle, la perte cumulée serait de plus de 14,7 millions de francs.

Manque de temps, manque d’argent le problème de l’aide légale pose avec acuité la question de la dégradation d’une profession menacée de scission. La fusion prochaine, prévue pour le printemps, des avocats et des conseils juridiques risque d’entrainer de sérieux bouleversements. Dans le secteur juridique, le seul solvable, la concurrence s’annonce féroce. Et les avocats français y sont fort mal préparés. Leur formation (maîtrise de droit plus un an d’enseignement pour obtenir le Capa, certificat d’aptitude à la profession d’avocat) accuse de sérieuses lacunes.