Sans-papiers: le délit de solidarité supprimé

Léa Ticlette

Au chapitre des nouveautés législatives de ce début d’année, l’évolution de mesures concernant les sans-papiers en France. Plus de garde à vue mais une retenue administrative pouvant durer jusqu’à 16 heures. Le texte publié ce mercredi 2 janvier au Journal officiel supprime aussi le délit de solidarité. Il avait soulevé l’émotion des associations de défense des étrangers, entraînant notamment plusieurs condamnations de personnes ayant aidé des individus en situation irrégulière.

La loi date de 2005 mais a fait beaucoup de remous pendant la présidence de Nicolas Sarkozy qui avait établi des quotas d’expulsions d’immigrés clandestins. Des poursuites ont donc été engagées à l’encontre notamment de membres d’associations qui ont soutenu des sans-papiers.

Le cas de Monique Pouille est emblématique. Cette retraitée de Béthune, dans le nord de la France, rechargeait tous les jours les portables d’immigrés clandestins installés dans sa rue. Un matin, la police des frontières tape à sa porte. S’en suivent plusieurs heures d’attente, trois heures et demie d’interrogatoire, et l’incertitude quant à d’éventuelles poursuites. Monique n’a jamais été inquiétée par la justice, l’affaire a été classée sans suite. Mais comme le cas de Monique, beaucoup de dossiers ont été ouverts, pour peu de condamnations. Pour le président d’Emmaüs, Christophe Deltombe, cette mesure avait surtout pour but d’intimider et de déstabiliser, bref de dissuader quiconque aurait voulu soutenir les sans-papiers.

La loi sur le délit d’aide au séjour irrégulier exclut donc maintenant les actions humanitaires et désintéressées. Il n’est donc pas illégal de nourrir, d’héberger et d’aider un immigré clandestin, tant que c’est sans contrepartie. Mais à en croire Stéphane Maugendre, avocat et président du Groupe d’information et de soutien des immigrés, le Gisti, le terme de « contrepartie » est bien trop large. Le gouvernement va donc dans le bon sens mais pour lui, il ne supprime donc pas tout-à-fait le délit d’aide au séjour illégal. La mesure ne manquera pas tout de même de soulager les personnes en cours de poursuites, dont les dossiers devraient être classés sans suite.

De la garde à vue à la retenue administrative

Avant juillet dernier, les sans-papiers étaient mis en garde à vue pour que les autorités vérifient leur identité. Mais la Cour de cassation en a décidé autrement : pour elle, il est illégal de mettre quelqu’un en garde à vue s’il n’encourt pas une peine d’emprisonnement. Et le séjour illégal sur le territoire n’est pas passible de prison.

Les immigrés clandestins seront donc dorénavant « retenus » plutôt que « gardés à vue ». Ce qui signifie qu’ils ne seront plus nécessairement menottés, pourront garder leur ceinture, leurs lacets et surtout leur téléphone portable. La retenue implique par ailleurs certains droits : le recours à un avocat, la visite d’un médecin, l’autorisation d’utiliser le téléphone et donc la possibilité de prévenir soi-même sa famille.

Et d’après la nouvelle loi, la police ne pourrait contrôler l’identité de clandestins potentiels que si des éléments objectifs extérieurs à la personne font « apparaître sa qualité d’étranger ». Une mesure qui doit permettre d’éviter les contrôles au faciès. Pour Stéphane Maugendre du Gisti, il ne s’agit que d’un changement théorique.

Cette publication au Journal officiel est un pas symbolique pour un gouvernement qui a affirmé qu’il ne régulariserait pas plus de sans-papiers, et qu’il en expulserait autant que lors de la présidence précédente. Il y aura donc 30 000 expulsions par an environ.

Simon, un maître-nageur d’une piscine de Calais, décide un jour d’aider un jeune Kurde souhaitant rejoindre l’Angleterre à la nage. Il le fait tout d’abord pour impressionner sa femme dont il est séparé, puis il prend vite le risque d’être arrêté par la police pour son aide à un clandestin.

Sorti en 2009, Welcome, ce film de Philippe Lioret avec Vincent Lindon, a fait couler beaucoup d’encre. Primé par l’Union européenne, il est à l’origine de l’article de loi abolissant le délit de solidarité avec les sans-papiers.

En 2006, Indigènes, de Rachid Bouchareb, fait également sensation. Ce film historique avec une pléiade de vedettes françaises d’origine maghrébine rappelle la participation des militaires d’Afrique du Nord aux côtés des Français lors de la Seconde Guerre mondiale. Grâce au film, ces anciens combattants oubliés peuvent enfin toucher une pension qu’ils réclamaient depuis des années.

Alors le cinéma peut-il changer le monde ? Bien peu de cinéastes avouent avoir la naïveté ou l’idéalisme de pouvoir faire évoluer la société. Et plus rares encore sont les films qui ont pu influencer la justice.

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