—
Trois policiers jugés pour violences sur des habitants de Saint-Denis en 2001.
Cinq ans de procédure judiciaire, d’attente prolongée par quatre reports d’audience et, au final, un sentiment assez partagé et pesant d’incommunication hier matin au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Juliette, Houria, Sofiane et Lucas n’ont pas obtenu les explications qu’ils attendaient des trois policiers qu’ils accusaient de les avoir frappés, le 17 octobre 2001 (Libération du 26 octobre 2001). Costume gris, profil bas, les trois fonctionnaires comparaissaient pour «violences par personne dépositaire de l’autorité publique», mais ont nié les faits qui leur étaient reprochés. C’est peu dire que tout un monde séparait victimes et prévenus dans la salle d’audience de 11e chambre, présidé par un juge unique. «Ce n’est pas le procès de la police nationale en Seine-Saint-Denis, a dit la procureure, Camille Hennetier. Mais cette affaire est emblématique du « dialogue de sourds » qui pèse sur les relations entre la police et la population.»
Attroupement. Il est vrai que, dès son origine, l’affaire jugée hier suivait pas à pas le scénario ordinaire du divorce entre habitants des quartiers et forces de l’ordre : une intervention à l’utilité contestée par un attroupement d’habitants débouchant sur l’arrivée en nombre de policiers et une vague confuse d’interpellations. Ainsi, le 17 octobre 2001, en début de soirée dans le centre-ville de Saint-Denis, des îlotiers contrôlaient à la suite d’un vol de portable un jeune homme qui fut rapidement mis hors de cause. Le ton était monté entre les policiers et une dizaine de jeunes. Avec d’autres habitants, Juliette, éducatrice, était descendue de son appartement «en robe de chambre et en claquettes» pour tenter d’apaiser la tension alors que des renforts de police arrivaient sur place. Elle fut menottée, frappée à terre et gazée. Lucas, mineur au moment des faits, eut le nez fracturé par un coup de pied, tandis qu’Houria était giflée par un policier alors qu’elle tentait de s’interposer pour protéger sa propre fille, enceinte de sept mois. Cinq ans plus tard, Lucien T., 50 ans, explique maladroitement qu’il n’a fait que lever la main pour se protéger d’une mère de famille hystérique. Les autres prévenus ne sont guère plus loquaces quand le tribunal avance la débauche de moyens déployés par la police face à de simples habitants. «On intervient sur un vol. Le jeune contrôlé est mis hors de cause par un autre policier. Pourquoi appeler des renforts ?» demande le juge Olivier Géron à l’un des prévenus, aujourd’hui chargé de la formation des policiers sur le terrain. «A cause de la supériorité numérique de la foule. Les policiers ont eu peur pour leur intégrité physique. Ça dépend aussi de la maturité du fonctionnaire qui est à la radio», répond Thierry J., 37 ans. En l’occurrence, c’était une adjointe de sécurité (ADS, emploi-jeune dans la police) qui avait demandé des renforts sur les ondes. «Son ton était choquant, on sentait un danger pour la personne», affirme Sylvain G., 33 ans, le troisième prévenu. Le juge Géron insiste : «20, 21… 28 policiers vont se retrouver à intervenir dans des conditions qui m’ont paru ubuesques. Les policiers se sont gazés les uns les autres. Comment expliquez-vous cela Monsieur J. ?» La faute à un «gardien de la paix stagiaire» ou un «faux mouvement» avance le policier.
Matraque. La procureure a également évoqué hier la «réponse disproportionnée» des forces de l’ordre face à «une situation de crise qui n’était pas incontrôlable vu les participants». Evoquant des violences«inacceptables», elle a demandé au tribunal de condamner à six mois de prison, dont quatre avec sursis, Thierry J., qui a été désigné par Lucas comme lui ayant porté des coups au visage. Contre Sylvain G., désormais à la police aux frontières, elle a requis quatre mois de prison avec sursis. Il était accusé d’avoir frappé à coups de matraque Sofiane, âgé de 17 ans à l’époque. Contre le dernier policier, Lucien T., le seul encore en poste à Saint-Denis, elle a requis deux mois avec sursis. L’avocate des policiers a plaidé la relaxe de ses clients, mettant en doute l’exactitude des témoignages. Le jugement a été mis en délibéré au 24 janvier 2007.