Archives de catégorie : violences policières

Trois policiers suspendus après la mort d’un sans-papiers à Roissy

index 3 22/01/2003

En un mois, deux étrangers en situation irrégulière sont décédés à Roissy lors de leur embarquement. Le ministère de l’Intérieur a décidé de suspendre provisoirement trois fonctionnaires de la PAF.

Le ministre de l’intérieur a décidé hier de suspendre provisoirement trois policiers de la PAF (Police aux Frontières) de Roissy après la mort samedi d’un Somalien sans papiers qui devait être reconduit en Afrique. La direction générale de la police nationale (DGPN) précise que cette suspension est « une mesure conservatoire qui ne préjuge en rien la suite d’une procédure » judiciaire. Cette suspension concerne les trois policiers chargés d’escorter cet homme jusqu’à un appareil d’Air France à destination de Johannesburg (Afrique du Sud).

De son côté, le parquet de Bobigny a ouvert mardi une information judiciaire contre X pour homicide involontaire. « A l’issue du compte-rendu d’autopsie réalisée par deux experts médecins légistes, le Parquet a requis l’ouverture d’une information judiciaire contre X du chef d’homicide involontaire afin de poursuivre les investigations tant sur les faits que sur le plan médico-légal », indique-t-il. Le parquet ne précise pas en revanche les causes de la mort retenues par les médecins légistes après l’autopsie.

Des malaises simulés ?

Mariame Getu Hagos, âgé de 24 ans, était arrivé en France, seul et sans papiers, le 11 janvier de Johannesburg. Sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière, il a eu un malaise lors de son embarquement le jeudi 16 janvier à 23H00, a-t- on indiqué lundi de source judiciaire. Transporté à l’hôpital Robert Ballanger de Villepinte, en Seine-Saint-Denis, l’homme est mort samedi après-midi. La dépouille a été conduite à l’institut médico-légal (IML) de Paris pour déterminer les causes exactes de la mort. « Pour l’exécution de la mesure administrative, les fonctionnaires de police ont usé de la contrainte à l’égard de cette personne, qui avait auparavant simulé des malaises et qui se débattait », précise le parquet dans son communiqué.

Mardi soir, le MRAP s’est ému du décès du jeune Somalien et ajoute « qu’une fois de plus et une fois de trop, le MRAP est amené à constater qu’un débouté du droit d’asile est renvoyé par la force dans son pays d’origine dans des conditions telles qu’il décède d’un malaise dans l’avion, et ce après deux malaises précédant l’embarquement qui auraient été qualifiés de simulation par un médecin ».

Mort d’un Argentin le 30 décembre

Le 30 décembre, un ressortissant argentin de 52 ans était mort d’une crise cardiaque à Roissy alors qu’il allait partir à bord d’un avion pour l’Argentine. L’autopsie avait conclu à une mort naturelle, une conclusion qui ne convainc toujours pas les associations, telles que le GISTI (groupe d’information et de soutien aux immigrés).

Ces deux décès font ressurgir le débat sur les conditions d’expulsion des étrangers en situation irrégulière au moment où Nicolas Sarkozy

Vols avec violences fatales

 Charlotte Rotman et Jacky Durand ,

Trois policiers de la PAF provisoirement suspendus.

Nicolas Sarkozy pourra-t-il encore décemment parler de «filière positive» à propos de reconduite aux frontières après le second décès intervenu en moins d’un mois lors d’une expulsion à l’aéroport de Roissy (1) ? Après l’Argentin Ricardo Barrientos, le 30 décembre (lire ci-contre), c’est un jeune Somalien qui est mort, samedi dernier, deux jours après une tentative d’embarquement mouvementée conduite par la Police aux frontières (PAF). «Il n’est pas impossible que les techniques d’immobilisation employées par l’escorte aient contribué à l’asphyxie et au décès de cet homme», reconnaissait hier une source proche du ministère de l’Intérieur.

Asile.

Mariame Getu Hagos, 24 ans, était arrivé à Roissy en provenance de Johannesburg (Afrique du Sud), le 11 janvier. Seul et sans papiers. Il avait été placé en zone d’attente le temps que sa demande d’asile politique soit examinée, puis rejetée. Hier, le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a ouvert une information judiciaire contre X pour homicide involontaire après le décès du Somalien. Le parquet a saisi l’Inspection générale des services (IGS, police des polices) pour diligenter une enquête administrative.

Le jour de son expulsion, le jeudi 16 janvier, Mariame Getu Hagos «était très excité», selon des policiers. «Ce qui n’a rien d’extraordinaire dans le contexte du retour forcé», explique un fonctionnaire de la PAF. Dans l’après-midi, le garçon est examiné par le service médical d’urgence de l’aéroport, après un malaise. Dans la soirée, vers 19 heures, il est de nouveau ausculté. Les deux fois, le médecin qui l’examine juge ces malaises «factices». Et conclut à une simulation. Selon le service médical, «il essayait clairement d’échapper à l’urgence de l’expulsion». C’est également la version que retient la police. Selon le Samu, l’état de santé de Mariame Getu Hagos est alors compatible avec son maintien en zone d’attente et, donc, avec son expulsion. Les policiers embarquent alors le jeune homme sur le vol AF-990 à destination de Johannesburg.

Vers 23 heures, trois policiers de la PAF le font monter dans l’appareil, au lieu de deux habituellement. «Il était très agité, affirme une source proche de l’aéroport. Le personnel de bord l’a attesté.» Placé à l’arrière de l’avion, menotté et entravé aux pieds, le jeune Somalien semble se calmer. Selon des policiers, «après qu’on lui a desserré ses menottes, il a réussi à libérer l’une de ses mains et a frappé un membre de l’escorte». Les policiers l’auraient alors plié en deux sur son siège, mains sur les omoplates, le torse plaqué contre les genoux. Il s’agit de la même technique d’immobilisation qui avait été employée lors de l’expulsion de Ricardo Barrientos. C’est dans cette phase de «compression non évaluée mais qui aurait duré plusieurs minutes» que le jeune Somalien a été victime d’un troisième malaise.

«Il s’était calmé, il ne se débattait plus.» Selon des membres de l’équipage, une demi-heure après son embarquement, et alors que l’avion est rempli de moitié, il était inanimé, inerte. Il a été alors extrait de son siège. «On l’a allongé sur le dos et tenté de le réanimer, jusqu’à l’arrivée du Samu», se souvient un steward. En vain. Mariame Getu Hagos a été transporté à l’hôpital Robert-Ballanger à Aulnay. Après une phase de coma, il est mort, samedi après-midi, deux jours plus tard.

Information judiciaire.

«A l’issue du compte-rendu d’autopsie réalisé par deux experts médecins légistes, le parquet a requis l’ouverture d’une information judiciaire contre X du chef d’homicide involontaire afin de poursuivre les investigations tant sur les faits que sur le plan médico-légal», indiquait hier le parquet de Bobigny qui retient que «pour l’exécution de la mesure administrative, les fonctionnaires de police ont usé de la contrainte à l’égard de cette personne, qui avait auparavant simulé des malaises et qui se débattait». Hier soir, le ministre de l’Intérieur décidait de suspendre provisoirement les trois fonctionnaires de la PAF chargés de l’escorte. «Une mesure conservatoire, précisait le communiqué de la Direction générale de la police nationale (DGPN), qui ne préjuge en rien la suite d’une procédure dorénavant confiée à la justice et qui permettra à celle-ci de se dérouler dans la sérénité.».

(1) Le ministre espère davantage de reconduites à la frontière. Dans une tribune publiée dans le Monde du 18 janvier, il déplore que le taux de reconduite ait chuté de 23,5 % en 1996 à 16,7 % en 2001. Et souhaite que ses services gagneront en efficacité.

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«Il était sous la couverture, tout était calme»

 Charlotte Rotman

Avant Mariame Getu Hagos, un Argentin de 52 ans a, lui aussi, trouvé la mort au cours de son expulsion. Lui aussi menotté et maintenu plié en deux par deux policiers, selon une méthode devenue habituelle pour les expulsions difficiles. C’était le 30 décembre dernier, lors du vol AF 416 Paris-Buenos Aires, sur la compagnie Air France.

Il s’appelait Ricardo Barrientos. L’Institut médico-légal a indiqué dans son rapport d’autopsie que la cause du décès était un infarctus. La police a conclu à une mort naturelle et juge l’affaire «classée». Le Gisti et l’Anafé (l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) s’apprêtent pourtant à porter plainte contre X, pour «non-assistance à personne en danger» et «coups mortels». Amnesty International, depuis Londres, a adressé une lettre à Nicolas Sarkozy pour obtenir des éclaircissements sur ce décès. L’Anafé a également invité le Premier ministre à saisir sur ce sujet la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Siège central.

Selon le rapport de police, «aucun incident n’a été signalé par le pilote au moment de l’embarquement, ni avant ni après. La procédure a été respectée». Comme c’est le cas lors d’expulsions délicates qui nécessitent une escorte policière, Ricardo Barrientos a été placé au fond de l’avion, sur le siège central de la dernière rangée. Avant l’arrivée des passagers, il s’est démené, a gesticulé et crié en espagnol. Mais quelques minutes seulement. «Il avait les pieds attachés au siège avant, les mains menottées et une couverture sur lui. Les policiers faisaient pression sur lui, pour le maintenir replié, la tête en bas», témoigne un steward. «Il s’est vite calmé, se souvient encore ce navigant. Il s’est bien écoulé une demi-heure sans qu’on l’entende.»

Malaise.

Ainsi quand les époux Billmann, en partance pour une expédition touristique en Amérique latine, s’installent sur la même rangée, ils ne «remarquent pas d’agitation.» «Tout était calme. Il ne réagissait pas, je me suis dit qu’il était peut-être drogué», se souvient Sabine. Après de longues minutes, les policiers se rendent compte que Ricardo est au plus mal. L’Argentin est transporté vers l’avant de l’avion. «Deux autres policiers sont venus, en tenue ceux-là. Ils l’ont sorti, l’un le tenant par les épaules, l’autre par les pieds», se rappelle Sabine Billmann. «Il avait de longs cheveux pas très clean, je me suis dit : soit il est shooté, soit il est mort.» Selon le médecin qui l’a ausculté ­ une passagère, appelée au secours, et dont Libération a retrouvé la trace ­, c’était bel et bien le cas. «Je me suis rendue à l’avant de l’appareil, sur la passerelle, se souvient ce docteur. Il était allongé. J’ai tout de suite vu qu’il avait l’air mort. Il avait le teint gris, n’avait plus de pouls.» Selon l’enquête de police, il n’y a rien à redire. «Nous voulons que soient élucidées les circonstances de cette mort», dit pourtant Me Stéphane Maugendre (avocat), rédacteur de la plainte des associations.

Avant cette expulsion qui lui fut fatale, Ricardo Barrientos vivotait de la vente de ses poèmes. Il s’imaginait bohème dans une époque qui ne s’y prête pas, et vivait sous les ponts de Paris, près de Notre-Dame. Il traînait dans les bistrots du quartier, rue de la Huchette, se mettant tout nu à la moindre contrariété. C’est d’ailleurs ce qui l’a mené en établissement psychiatrique, puis en prison. En 2002, il a été condamné à plusieurs reprises pour exhibition et également défaut de papiers. Il se disait ancien joueur international de football. Il avait rompu les liens avec sa famille à Buenos Aires, mais aussi en Espagne. Il ne voulait surtout pas retourner en Argentine. Il l’avait répété à Jérôme Martinez, un permanent de la Cimade, qui l’avait rencontré à Fresnes, en mai. «Il m’a dit qu’il était en France depuis plus de quatre ans. Qu’il ne voulait pas repartir, qu’en Argentine, on le prenait pour un fou. Il avait l’air paumé, fragile», se rappelle-t-il.

Rapatriement.

A Fleury-Mérogis, on se souvient d’un «détenu qui avait tendance à se déshabiller». Un compatriote qui l’avait croisé et tenté de l’aider se rappelle que personne ne le connaissait dans le milieu des Argentins, à Paris. Pour Ricardo Barrientos, un rapatriement sanitaire avait été demandé. Sans succès. Son corps est toujours en France, à la morgue.

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Encore un mort lors d’une expulsion

Il était somalien, avait 24 ans, et il est mort samedi après-midi, après trois jours de coma. Jeudi à 23 h, il était à Roissy, dans un avion qui devait le renvoyer à Johannesburg (Afrique du Sud) d’où il était arrivé quelques jours auparavant. Il avait demandé l’asile politique qui lui avait été refusé. Selon la police, le jeune homme était «très excité» et avait dû être escorté par trois agents de la police aux frontières au lieu des deux habituels. Avant l’embarquement, il avait fait deux malaises considérés par un médecin comme simulés. Pourtant, dans l’avion, un troisième malaise lui a été fatal. Le parquet de Bobigny a demandé une enquête à l’Inspection générale des services. Déjà, le 30 décembre, un Argentin de 52 ans était mort d’une crise cardiaque à Roissy alors qu’il était expulsé dans son pays. Une autopsie avait conclu à la mort naturelle. Une autopsie du jeune Somalien a également été ordonnée.

Ouverture d’une information judiciaire après la mort d’un Somalien

AFP, 21/01/2003

Le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a ouvert mardi une information judiciaire contre X pour homicide involontaire après la mort d’un Somalien en situation irrégulière qui devait être reconduit en Afrique, annonce-t-il dans un communiqué.

A l’issue du compte-rendu d’autopsie réalisée par deux experts médecins légistes, le Parquet a requis l’ouverture d’une information judiciaire contre X du chef d’homicide involontaire afin de poursuivre les investigations tant sur tes faits que sur le plan médico-légal », indique-t-il.

Le parquet ne précise pas en revanche les causes de la mort retenues par les médecins légistes après l’autopsie pratiquée.

Jeudi, un ressortissant somalien, âgé de 24 ans, arrivé à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle le 11 janvier et déclaré non admis, devait être reconduit sous escorte de la police de l’air et des frontières sur un vol en direction de Johannesburg (Afrique du Sud).

« Pour l’exécution de la mesure administrative, les fonctionnaires de police ont usé de la contrainte à l’égard de cette personne, qui avait auparavant simulé des malaises et qui se débattait », précise le parquet dans son communiqué.

« Au cours de cette opération, le ressortissant somalien a perdu connaissance puis, après les premiers secours, il a été admis à l’hôpital Ballanger à Aulnay où il est décédé le 18 janvier après une phase de «coma », ajoute la même source.

Le parquet de Bobigny a saisi l’inspection générale des services (IGS, police des polices) pour diligenter une enquête administrative.

Un Argentin meurt à Roissy d’un arrêt cardiaque pendant son expulsion

index Sylvia Zappi,  08/01/2003

Une association met en cause la police aux frontières.

LE RETOUR lui fut fatal. Ricardo Barrientos, un Argentin né en 1950, devait être expulsé vers son pays à la suite de sa sortie de prison le 30 décembre. Il est mort avant que l’avion ne décolle de l’aéroport de Roissy. Il avait été embarqué à bord du Boeing 416 d’Air France à 22 h 30 accompagné par une « unité d’éloignement de la police aux frontières », précise le ministère de l’intérieur. Son expulsion ayant été préparée, il n’est pas passé par un centre de rétention.

« La procédure normale a suivi son cours », précise le service de communication de la police nationale. La procédure « normale » veut en effet que le passager forcé soit embarqué avant les autres voyageurs et installé au fond de l’appareil. Là, il est entra­vé : menottes attachées dans le dos ou au siège, et de plus en plus sou­vent, selon les témoignages des per­sonnels de bord, il est plié en deux, la tête sur les genoux, et maintenu dans cette position par deux poli­ciers.

« M. Barrientos a manifesté son refus d’embarquer quand il s’est instal­lé mais il n’y a pas eu d’incident signa­lé par le pilote », assure la direction de la police nationale. Juste avant le départ, alors que tous les autres pas­sagers ont pris place à bord, l’Argen­tin a été pris d’un malaise.

Là, les versions des faits diver­gent La police aux frontières (PAF) assure que dès que les deux policiers se sont aperçus de l’évanouisse­ment ils ont averti le commandant de bord qui a fait débarquer le passa­ger et a appelé le service médical d’urgence. Le médecin a alors cons­taté le décès et le corps a été trans­porté à l’Institut médico-légal. « Il est décédé à l’extérieur de l’avion », insiste la direction de la police nationale.

A l’inverse, selon les témoignages recueillis par l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), une fois que les policiers se sont aperçus que le corps qu’ils maintenaient était inerte, le commandant de bord a deman­dé si un médecin se trouvait à bord.  « Ils ont amené le corps à l’avant sans ménagement. Le voyageur médecin a constaté l’arrêt cardiaque. Le corps a alors été débarqué », raconte Patrick Delouvin de l’Anafé.

Le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a été immédiatement saisi et a ordonné une autopsie. Elle a conclu à un arrêt cardiaque «classique ». Le commandant de bord a été entendu par la police et a pu regagner deux heures plus tard l’avion et le faire décoller. Quatre autres membres de l’équipage sont restés au sol pour témoigner.

« L’enquête est faite et a conclu à ta régularité des procédures ». assure la PAF. Quant aux conditions de main­tien forcé du passager, elles sont habituelles : « Tout s’est passé dans les conditions réglementaires et léga­les», souligne la police nationale. Du côté des associations de défense des étrangers, rien n’est moins sûr :

« nous craignons que cette “mort naturelle” ne se soit produite dans une position pas si naturelle. Est-ce que cette mesure de plier les gens en deux pour annihiler toute résistance est devenue une règle générale pratiquée par la PAF pour les expulsions ? », s’inquiète M. Delouvin.

C’est en tout cas le premier décès lors de ce type <f opérations depuis dix ans. En 1991, c’est un deman­deur d’asile sri lankais qui avait trou- vé la mort lors de son embarque­ment à bord de l’avion qui devait [e ramener à Colombo. Là aussi, l’en­quête avait conclu à un arrêt cardia­que. Depuis, la PAF avait dû obser­ver un certain nombre de régies, dont l’arrêt de toute procédure, en cas de refus manifeste du passa­ger. Et en cas de refus du comman­dant de bord.

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Mort dans l’avion d’un Argentin expulsé

  Charlotte Rotman

Ricardo Barrientos est décédé dans l’appareil qui devait le ramener à Buenos Aires.

Pascale Aimar
Pascale Aimar

Ricardo Barrientos, un Argentin de 52 ans, est mort à Roissy dans l’avion qui devait le ramener dans son pays. Cet étranger sans papiers, sous le coup d’une interdiction du territoire français notifiée par le préfet de l’Essonne, devait être expulsé vers Buenos Aires par le vol AF 416 de la compagnie Air France, le 30 décembre au soir. Il est ressorti sans vie de l’appareil où il avait été embarqué. La police aux frontières (PAF) assure qu’il s’agit d’une mort naturelle.

Plié en deux. Ricardo Barrientos a été présenté à l’embarquement à 22 h 30, le lundi 30 décembre. «Il n’était pas très content de partir», convient la PAF. Comme souvent dans ce genre d’expulsion, il est amené à l’arrière de l’appareil par une brigade d’escorte, avant l’embarquement normal des passagers. Il est alors assis sur le siège central de la dernière rangée et plié en deux par deux policiers en uniforme qui le maintiennent dans cette position, en appuyant sur chacune de ses omoplates. «Cette méthode de faire plier en deux les étrangers renvoyés, de les oppresser pour les empêcher de crier et d’alerter les passagers est de plus en plus répandue», note l’Anafé, l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers.

«Juste avant le départ, il a été pris d’un malaise», note l’enquête de police. Selon des témoins à bord, l’homme gesticulait et se débattait, comme c’est presque systématiquement le cas. «Puis il a arrêté de se débattre», se rappelle un passager. Les policiers ne réagissent pas immédiatement. «Cela a été un peu nébuleux», se souvient cette même source. Peut-être ont-ils imaginé que l’Argentin, comprenant que son expulsion devenait inévitable, abandonnait toute résistance ?

Puis, alors que l’avion s’est totalement rempli, on demande un médecin à bord. Ricardo Barrientos est transporté, inerte, vers l’avant de l’appareil. Il est porté à l’horizontale, «comme un sac à patates», selon des témoins. Les passagers ne s’inquiètent pas vraiment. Un touriste sud-américain, médecin, vient l’ausculter et le déclare mort depuis une dizaine de minutes. Selon la police aux frontières, un médecin du service médical d’urgence est venu l’examiner sur la passerelle, à la sortie de l’avion maintenu au sol. Lui aussi constate le décès. Une autopsie a été pratiquée par l’Institut médico-légal de Paris qui conclut à une crise cardiaque. Selon la PAF, il n’y a pas eu de violences. «Aucun incident n’a été signalé par le pilote au moment de l’embarquement, ni avant ni après. La procédure a été respectée.»

En l’absence d’autres versions que celle de la police, des interrogations demeurent cependant autour de ce décès ainsi que sur l’état de Ricardo Barrientos avant son embarquement. D’avis médical, une crise cardiaque est précédée de signes avant-coureurs qui auraient pu alerter son entourage. Les infarctus aussi brutaux sont rarissimes et précédés de très violentes douleurs thoraciques.

Drames. Ces dernières années, d’autres expulsions ont viré au drame. En septembre 1998, la jeune Nigériane Sémira Adamu, escortée par la police belge, avait péri lors d’une tentative de rapatriement particulièrement violente. Sa mort avait bouleversé la Belgique. En France, le dernier décès à bord d’un avion survenu lors d’une procédure d’expulsion remonte à 1991. Sur le vol UT 568, à destination de Colombo, un demandeur d’asile sri lankais n’avait pas survécu à l’embarquement. Le rapport de la police aux frontières avait conclu à l’«arrêt cardiaque».

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Les avocats dénoncent la «démagogie sécuritaire»

logo-liberation-311x113  Dominique Simonnot

«Dysfonctionnement». «L’exploitation à des fins politiques de la Justice constitue un grave dysfonctionnement de nature à nuire à la sérénité et à l’indépendance des juridictions», estiment les avocats qui «déplorent des commentaires des plus hauts représentants de la République empiétant ainsi sur le pouvoir des juges en violation de la séparation des pouvoirs». Ils défendent par ailleurs les avancées de la loi sur la présomption d’innocence. Et, en réponse aux policiers qui cognent à tour de bras sur «la loi Guigou, loi des voyous», et ont mis en place un réseau de surveillance des décisions de justice, les signataires demandent «au ministre de l’Intérieur de prendre les mesures qui s’imposent pour faire cesser l’ingérence de certains policiers» dans la justice.

En colère, les avocats rappellent que «les violences policières continuent de détruire le lien social dans les banlieues et que les parquets ne contrôlent pas assez les forces de l’ordre dont les violences demeurent en général impunies». Et soulignent que «le nombre d’affaires impliquant les forces de l’ordre comme auteurs de violences ou d’injures ne paraît pas avoir diminué».

Dans un second texte, les avocats prennent la défense de Jean-Paul Laurans, le président de la chambre de l’instruction parisienne. C’est lui qui avait remis en liberté, il y a un an, Jean-Claude Bonnal dit «le Chinois», depuis suspecté de six meurtres (lire ci-contre). De là s’en était suivie la polémique qui continue d’enfler. Des hommes politiques et non des moindres ­ Jospin, Forni… ­ avaient alors parlé d’une «dramatique erreur» et la ministre de la Justice s’était même vantée d’avoir «saqué» le juge qui postulait à un changement de poste. Les soussignés affirment donc leur «volonté de voir cesser ces attaques injustifiées à l’égard du président Laurans, demandent aux représentants de l’Etat de cesser de créer et d’alimenter une campagne de mise à mort de l’instruction judiciaire».

Motivés. Partie d’une trentaine d’avocats très motivés, l’initiative mêle toutes les cha pel les. Des ténors pénalistes ­ Françoise Cotta, Pierre Haïk, Jean-Yves Leborgne, Lef Forster, Hervé Témime ­ de plus jeunes talents ­ Claire Doubliez, Auda Catala, Christian Saint-Palais ­ ou des spécialistes du droit des étrangers ­ Stéphane Maugendre, Eric Plouvier. Les textes continuent de circuler par e-mail et fax. «On s’est dit qu’on ne pouvait plus continuer à se regarder dans le miroir sans rien faire. Il faut que les avocats qui sont proches de la réalité des tribunaux contrecarrent cette démagogie sécuritaire!», explique Eric Plouvier. «La gauche et la droite rivalisent d’indignité dans le débat sur la justice. Cela donne vraiment envie de monter au feu», reprend Hervé Témime. Un avocat s’amuse: «Regardez les signataires, c’est la preuve qu’on est loin de la bande de gauchistes.».

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Les avocats dénoncent la «démagogie sécuritaire»

logo-liberation-311x113   Dominique Simonnot
«Dysfonctionnement». «L’exploitation à des fins politiques de la Justice constitue un grave dysfonctionnement de nature à nuire à la sérénité et à l’indépendance des juridictions», estiment les avocats qui «déplorent des commentaires des plus hauts représentants de la République empiétant ainsi sur le pouvoir des juges en violation de la séparation des pouvoirs». Ils défendent par ailleurs les avancées de la loi sur la présomption d’innocence. Et, en réponse aux policiers qui cognent à tour de bras sur «la loi Guigou, loi des voyous», et ont mis en place un réseau de surveillance des décisions de justice, les signataires demandent «au ministre de l’Intérieur de prendre les mesures qui s’imposent pour faire cesser l’ingérence de certains policiers» dans la justice.
En colère, les avocats rappellent que «les violences policières continuent de détruire le lien social dans les banlieues et que les parquets ne contrôlent pas assez les forces de l’ordre dont les violences demeurent en général impunies». Et soulignent que «le nombre d’affaires impliquant les forces de l’ordre comme auteurs de violences ou d’injures ne paraît pas avoir diminué».
Dans un second texte, les avocats prennent la défense de Jean-Paul Laurans, le président de la chambre de l’instruction parisienne. C’est lui qui avait remis en liberté, il y a un an, Jean-Claude Bonnal dit «le Chinois», depuis suspecté de six meurtres. De là s’en était suivie la polémique qui continue d’enfler. Des hommes politiques et non des moindres ­ Jospin, Forni… ­ avaient alors parlé d’une «dramatique erreur» et la ministre de la Justice s’était même vantée d’avoir «saqué» le juge qui postulait à un changement de poste. Les soussignés affirment donc leur «volonté de voir cesser ces attaques injustifiées à l’égard du président Laurans, demandent aux représentants de l’Etat de cesser de créer et d’alimenter une campagne de mise à mort de l’instruction judiciaire».
Motivés. Partie d’une trentaine d’avocats très motivés, l’initiative mêle toutes les cha pel les. Des ténors pénalistes ­ Françoise Cotta, Pierre Haïk, Jean-Yves Leborgne, Lef Forster, Hervé Témime ­ de plus jeunes talents ­ Claire Doubliez, Auda Catala, Christian Saint-Palais ­ ou des spécialistes du droit des étrangers ­ Stéphane Maugendre, Eric Plouvier. Les textes continuent de circuler par e-mail et fax. «On s’est dit qu’on ne pouvait plus continuer à se regarder dans le miroir sans rien faire. Il faut que les avocats qui sont proches de la réalité des tribunaux contrecarrent cette démagogie sécuritaire!», explique Eric Plouvier. «La gauche et la droite rivalisent d’indignité dans le débat sur la justice. Cela donne vraiment envie de monter au feu», reprend Hervé Témime. Un avocat s’amuse: «Regardez les signataires, c’est la preuve qu’on est loin de la bande de gauchistes.».

Deux policiers jugés après un décès lors d’une reconduite à la frontière

index Nicolas Weill, 24/05/1999

POUR la première fois, des policiers ont comparu, jeudi 20 mai, pour répondre du décès d’un étranger au cours d’une tentative d’éloignement forcé du territoire. Poursuivis pour homicide involontaire devant le tribunal correctionnel de Nanterre, le commissaire principal Eric Brendel et le lieutenant jean-Paul Manier étaient en service, le 24 août 1991, à l’aéroport de Roissy pour procéder à la reconduite à la frontière d’Arumugan Kanapathillai, un Sri-Lankais Ide trente-trois ans arrivé en France sans visa, le 9 août, sous le nom d’Arumum. Le lendemain, l’homme décédait à l’hôpital des suites d’un malaise survenu dans l’avion, alors que les policiers tentaient de le renvoyer vers Colombo.

Sur la victime elle-même, l’audience en apprendra bien peu, huit ans après les faits. Tout au plus sa veuve, mère d’une petite fille d’une dizaine d’années, elle- même déboutée du droit d’asile en Allemagne, viendra évoquer l’appartenance de son mari au parti des Tigres tamouls, son enlèvement et la terreur que lui inspirait l’idée d’un retour au Sri Lanka, synonyme, selon lui, de mort (Le  Monde du 2 octobre 1998).

Mais, bien plus que le décès d’un homme, le procès, dans lequel plusieurs associations de défense des droits des étrangers étaient parties civiles, a mis en cause les pratiques « musclées » de reconduite à la frontière.

Les débats ont été l’occasion de décrire en détails les conditions dans lesquelles s’effectuent ces éloignements quand ceux-ci sont soumis à une logique administrative de rendement Le 24 août 1991, après une première tentative avortée d’embarquement, Arumum, menotté par derrière, puis aux pieds et bâillonné avec une bande Velpeau, est installé avec les deux policiers de son escorte au fond de l’appareil UTA à destination de Colombo. C’est alors que les deux policiers tentent de le maîtriser et de l’empêcher de crier qu’il se débat et est pris d’un malaise.

Pourquoi un bâillon? Cette question hantera le procès comme elle a hanté l’instruction. Une bataille d’experts et plusieurs autopsies n’ont pas permis d’établir que cet accessoire, dont aucun texte n’a jamais autorisé l’usage, ait pu causé la mort d’Arumum, qui souffrait de faiblesse cardiaque.

«L’aspect psychologique est important, a expliqué Eric Brendel à la barre, pour tenter de justifier l’usage du bâillon. C’est le moyen de montrer au réembarqué, souvent réticent, que la police est prête à assurer le départ » Les deux policiers ont évoqué les conditions de plus en plus difficiles de ces opérations. Avocat des prévenus, Me Binet a mis en cause la fréquence des blessures et des morsures subies par les policiers de la part de « réembarqués » tentant leur va-tout pour rester sur le territoire français, ou paniqués à l’idée de retourner dans une région où ils estiment leur vie en danger.

DÉSHUMANISATION

« Nous n’avons rien fait de plus qu’à l’ordinaire, se justifie Eric Brendel. Notre situation était difficile : si nous restions cois, il n’y avait plus d’escorte. Il fallait exécuter une mission, un point c’est tout. » « C’était soit cela soit une admission sur le territoire qui mettait en route une pompe aspirante, et ça n’était pas notre vocation », appuie M. Lallemand, un témoin, officier de police qui servait en 1991 sous les ordres d’Eric Brendel.

Me Gilles Piquois, défenseur de la veuve du Sri-Lankais, a dénoncé la déshumanisation du processus de reconduite : « C’est de la violence inhumaine qui n’a rien de psychologique. Les reconduits ne sont pas des délinquants, a-t-il souligné. Nous sommes en présence de fonctionnaires qui n’ont pas respecté les textes. Il est naturel qu’un officier de police dise non à des ordres illégaux. »

Il demandera une « rente d’éducation » pour la fille de la veuve d’Arumum. Le premier substitut Hervé Garrigues a terminé son réquisitoire en laissant ouverte la possibilité de la relaxe. « Mais si le tribunal condamne, ajoute-t-il, je ne serai pas choqué si les prévenus sont dispensés de peine. »

Jugement le 24 juin.

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