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Procès Chalabi: pourquoi nous refusons de défendre. Justice d’exception.

logo-liberation-311x113  J.J De Félice et Stéphane Maugendre

Hier a commencé le procès de Chalabi, un simulacre de procès, aboutissement d’une parodie de justice, auquel nous ne voulons apporter aucune caution. Pourquoi refusons-nous d’assister nos clients, alors que notre rôle est d’assurer leur défense? Parce que nous estimons que, si nous apportons notre soutien à ce procès inéquitable dans une affaire particulièrement sensible, nous acceptons qu’une porte s’ouvre. Cette porte, c’est celle des procédures d’exception pour des «sections spéciales» qu’aucun pays démocratique ne pourra envier à la France. En effet, près de 140 personnes vont être jugées ensemble, deux mois durant, à trois pas de la prison de Fleury-Mérogis, dans le gymnase réaménagé des surveillants de l’administration pénitentiaire, en résumé, dans une prison. Au-delà du lieu, symbole indigne d’une justice qui se confond avec celle des stades d’Amérique latine, des camps militaires turcs ou des geôles de la guerre d’Algérie, c’est le nombre des prévenus qui stigmatise une justice collective au cours de laquelle l’individu est écrasé par la nécessité de l’exemplarité.

Rappelons l’histoire de ce dossier: le risque du terrorisme, soutien d’une campagne politique, embrase un ministère de l’Intérieur, qui, à grand renfort de déclarations, annonce l’arrestation collective de terroristes et des prises d’armes, le démantèlement d’un réseau. La nécessité est née de remodeler une section de juges «antiterroristes», qualifiant ainsi non seulement les juges d’instruction d’«anti» n’instruisant plus qu’à charge, mais aussi, derechef, les personnes prises dans leur filet de présumées terroristes. Cela n’étant à l’évidence pas suffisant, le plus représentatif de ces juges était, fait inconnu dans l’histoire de la magistrature, nommé vice-président de tribunal, devenant de ce fait «le plus puissant des plus puissants hommes» de France. La machine ainsi lancée se double d’une «complicité» avec le pouvoir exécutif de notre pays. Mais la perversion du système créé ne s’arrête pas là, puisqu’il a écarté les avocats, ces empêcheurs de tourner en rond. Le discrédit est d’abord jeté sur eux, avant de les noyer dans un dossier de 50 000 pages, qu’ils ne peuvent consulter que par bribes, en fonction du calendrier du juge, sur un minuscule bureau dans un couloir, dont la copie (au cours de l’instruction) n’est établie que trois mois après la demande (à 3 francs la page, soit 150 000 francs pour la totalité du dossier, sauf si l’avocat est commis d’office). On les noie ensuite dans les méandres d’un prétendu réseau, alors que chacun s’accorde à penser que ce dossier est composé de trois dossiers, dont les connexions sont arbitraires. Ils sont ensuite noyés dans un procès-fleuve, auquel ils ne pourront assister en son intégralité.

Le machiavélisme judiciaire ne s’achève point là, puisque pour juger 140 personnes (dont 27 seulement sont détenues) pour des infractions sensibles, il faut un lieu d’exception fixé selon une procédure particulière dans le cadre d’une loi tout aussi exceptionnelle. Alors, pris au piège de cette mécanique, le législateur vote en catimini une loi d’exception l’avant-veille du 1er janvier 1998. Et, comme nous sommes à quelques mois du procès, seul Fleury-Mérogis est disponible. Le tour est joué, la loi est formellement respectée. Formellement, les droits de la défense peuvent être exercés, réellement, ils sont ignorés. Formellement, le juge d’instruction a instruit, réellement, il a accusé. Formellement, le tribunal jugera, réellement, et malgré toute sa volonté, il sera inéquitable. Lorsque les acteurs de la justice, procureur, juge d’instruction, tribunal ne sont pas à leur place, c’est la justice qui est bafouée.

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Les avocats du procès Chalabi contestent le gymnase-prétoire

images fig Alexandrine Bouilhet, 31/08/1998

Ils estiment que la tenue des audiences à Fleury-Mérogis ne permettra pas à la justice d’être impartiale

IMG_2036C’est dans la plus grande  confusion que débutera de­main, dans un gymnase de Fleury-Mérogis (Essonne), le procès fleuve des 138 isla­mistes, membres présumés du réseau des « frères Chalabi ». Une trentaine d’avocats envisagent déjà de ne pas assurer la défense de leurs clients. D’autres pensent demander un renvoi du procès. Les déclara­tions de principe et dépôts de [conclusions vont se multiplier. Le sujet de discorde concerne  toujours le choix du site arrêté par le premier président de la cour d’appel de Paris : un gym­nase de l’École nationale de l’administration pénitentiaire,  transformé, pour l’occasion, en tribunal correctionnel (nos édi­tions du 25 août).

La métamorphose de cette salle de sports en salle d’au­dience ultra-surveillée a coûté 10 millions de francs à la Chancellerie. Le lieu a été choisi en application d’une loi  spécialement votée en dé­cembre dernier, à la demande du ministre de la Justice. Ce texte permet, pour des motifs de sécurité, de tenir les procès à caractère terroriste hors du palais de justice de Paris, tout en restant dans le ressort de la cour d’appel.

« Grand show de la rentrée »

Furieux d’avoir été mis de­vant le fait accompli, les avocats sont entrés en rébellion. Ils critiquent le choix d’un site situé à proximité d’une en­ceinte pénitentiaire, qui reflète, selon eux, les « dérives idéolo­giques » de la justice antiterro­riste, représentée en l’occur­rence par les juges Jean-Louis Bruguière et Gilbert Thiel. « Le problème, ce n’est pas seule­ment le gymnase de Fleury. C’est cette méthode des juges antiterroristes qui décident de réunir quatre dossiers totale­ment Indépendants en un seul. Et on se retrouve avec 138 prévenus », tempête Me Françoise Cotta, qui défend Mohamed Kerouche, chef pré­sumé du réseau.

« Je n’emmènerai jamais ma robe là-bas », prévient Me Mourad Oussedik, avocat désigné par trois prévenus ac­tuellement placés en liberté surveillée. « Mes clients sont avertis. Ils se débrouilleront sans moi, poursuit-il. Je ne participerai pas à ce grand show de la rentrée organisé par la section antiterroriste du Palais de justice de Paris. Si on accepte qu’un tribunal siège dans une enceinte péniten­tiaire, on pérennise cette juri­diction d’exception. »

Cette politique de la chaise vide ne sera pas une attitude majoritaire, mais elle ne man­quera pas de compliquer l’or­ganisation du procès. Plu­sieurs prévenus risquent de se retrouver sans défenseur alors qu’ils risquent dix ans de pri­son. Deux représentants du conseil de l’Ordre, Mes Benoît Chabert et Jean-Paul Lévy, se rendront à la première journée d’audience pour régler les pro­blèmes qui se poseront avec les avocats commis d’office. « Dans ce contexte, plusieurs avocats vont demander le ren­voi du procès et, personnelle­ment, je trouve cela légitime », indique Me Jean-Paul Lévy.

Politique de la chaise vide

Tous les avocats ne sont pas d’accord pour demander un renvoi. « Je comprends bien la protestation de mes confrères, mais la défense n’a pas à être absente. La poli­tique de la chaise vide n’a ja­mais permis une meilleure dé­fense, estime Me Lev Forster. Je ne soutiendrai pas plus une demande de renvoi car mon client est en détention depuis trois ans et je trouverais inac­ceptable qu’il fasse six mois de plus. »

La position des 35 signa­taires de la pétition du mois de juillet refusant de cautionner ce « simulacre de justice » reste également à définir. Une réunion doit se tenir ce soir dans les bureaux de Me Cotta.

« Nous allons nous décider sur les conclusions à déposer, les déclarations que l’on va faire », explique-t-elle. Parmi les signataires, Me William Bourdon a finalement décidé d’assurer la défense de sa cliente, « car elle me demande de le faire. Mais l’impartialité du procès n’est pas garantie et nous allons déposer des conclusions dans ce sens

Le Conseil d’État interdit la consignation à bord des passagers clandestins

index Nathaniel Herzberg, 31/07/1998

Extrait : LA POLICE ne pourra plus consigner à bord des bateaux les passagers clandestins réclamant l’asile en France. Dans un arrêt rendu, mercredi 29 juillet, le Conseil d’Etat a confirmé un jugement, rendu le 3 mars 1995, par le tribunal administratif de Paris, qui condamnait le refus d’entrer en France opposé à un jeune Mozambicain. Rédigé en des termes particulièrement explicites, l’arrêt de la haute juridiction devrait mettre un terme à une longue bataille juridique qui opposait, depuis quatre ans, l’administration aux associations assistant les étrangers aux frontières.

Zito Mwinyl est âgé de treize ans, le 23 juin 1994, lorsque le Mimoza débarque à Brest. Caché dans les cales du navire depuis Durban, en Afrique du Sud, l’adolescent réclame l’asile. Il affirme avoir été persécuté, avec toute sa famille, dans son pays d’origine. Pour l’administration, qui examine sa demande pendant quatre jours et finit par la rejeter comme « manifestement infondée », il n’est qu’un immigrant économique parmi d’autres.

Mais derrière cette différence d’appréciation classique, une nouvelle polémique éclate. Saisi en référé, le tribunal de grande instance de Paris, condamne, le 27 juin 1994, l’administration pour « voie de fait » et ordonne la remise en liberté immédiate de Zito Mwinyl. Le juge explique en effet que la loi n’offre à la préfecture que deux possibilités : soit admettre le demandeur d’asile sur le territoire afin d’examiner selon la procédure habituelle qui dure quelques mois sa requête, soit le placer en « zone d’attente » afin de déterminer si celle-ci n’est pas « manifestement infondée ». Mais pas question de consigner l’adolescent à bord.

PORTÉE GÉNÉRALE

L’administration libère le jeune garçon mais refuse d’en tirer une leçon de portée générale. Pendant trois ans, elle poursuit les consignations à bord. Les associations portent les affaires devant les juges des référés, qui condamnent les préfets. Mais bien souvent, les bateaux ont repris…

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Bannir la double peine

default 04/06/1998

Lorsqu’il est question de « double peine », les gouvernements passent mais l’attitude reste la même : on ne légifère que dans l’urgence. En avril 1981, pendant la campagne présidentielle et près de Lyon déjà, le père Christian Delorme, le Pasteur Jean Costil et Hamis Boukrouma, lui-même victime, avaient suivi un jeûne de vingt- neuf jours. «L’expulsion de délinquants étran­gers a toujours été prévue dans la loi. Que l’on reconduise un trafiquant de drogue colombien qui serait venu passer quelques mois en France est légitime, reconnaît Christian Delorme, aujour­d’hui membre du Haut Conseil à l’Intégration. Ce qui est en cause, dest lorsque l’on considère que des gens qui ont toute leur vie en France sont des étrangers comme les autres alors qu’ils sont, en quelque sorte, des étrangers compa­triotes».

La spirale répressive en matière de double peine remonte à la fin des années 70, sous le gouvernement de Raymond Barre : la question de l’immigration irrégulière n’est pas encore posée comme un « problème » mais les reconduites à la frontières sont déjà massives et concer­nent alors presque exclusivement les délin­quants étrangers. L’une des dix premières mesures du gouvernement Mauroy marque l’arrêt des expulsions de jeunes de la deuxiè­me génération. Un répit éphémère. La loi Pasqua de 1986 remet en place une logique répressive. La loi Sapin du 31 décembre 1995 ouvre une période plus heureuse. Les catégo­ries protégées d’étrangers non expulsables sont élargies à ceux qui résident habituelle­ment en France depuis l’âge de 10 ans, depuis quinze années, aux parents d’enfants français, aux étrangers mariés avec un Français. Mais la deuxième loi Pasqua, en 1993, permet de contourner cette protection, bafouant la Convention européenne des droits de l’hom­me qui protège le droit de vivre en famille, en autorisant « une expulsion en urgence abso­lue pour atteinte à la sûreté de l’Etat ». Cette notion juridique, aux contours flous, a été maintenue dans la loi Chevènement

« Le nouveau code pénal cautionné par Robert Badinter a aussi élargi en 1994 à plus de deux cents délits les cas où l’on peut recourir à l’inter­diction de territoire français, souligne Maître Stéphane Maugendre (avocat). Ces peines dites complémentaires ont toujours été présentées comme des procédures d’exception. Dans la réalité, elles concernent beaucoup trop de monde ». Sept cents dossiers urgents selon Christian Delorme, près de vingt-mille non résolus selon l’associa­tion Jeunes arabes de Lyon et banlieue (Jalb) qui accueillait dans ses locaux les grévistes. Car entre les arrêtés ministériels d’expulsion (déci­sion administrative) et les interdictions du ter­ritoire national (décision judiciaire), une « double- peine » demeure souvent un fardeau que l’on peut traîner toute sa vie. Les recours sont longs et non suspensifs. L’assignation à résidence que l’administration accorde parfois pour éviter une expulsion, c’est-à-dire l’obligation de demeurer dans le département de son domicile souvent sans avoir le droit de travailler, peut s’éterniser. « La  plupart des expulsés revien­nent en France, leur véri­table pays, et vivent ensui­te dans la clandestinité », déplore Djida Tazdaït, pré­sidente des Jalb et ancienne député européenne. La  double peine est un appel d’air à tous les mondes parallèles. Elle dégrade la situation des banlieues et obscurcit leur ave­nir. Elizabeth Cuigou vient de promettre une com­mission interministérielle et va envoyer une cir­culaire au Parquet pour qu’ils tiennent vérita­blement compte des attaches familiales. Mais il faut maintenir la pression ».

Dans les locaux parisiens du Comité contre la double peine, créé il y a 18 ans, on n’at­tend plus grand-chose des tables rondes avec les ministères. Mariée à un « double-peine », Fatia Damiche a appris à se battre et à connaître le droit pour aider tous ceux que la justice et l’administration rejettent * En aucu­ne manière on ne légitime l’acte délictueux, je suis mère et grand-mère, souligne-t-elle. Mais les pouvoirs publics devront comprendre que la délinquance des « double-peine » est made in France, apprise ici à l’école de la rue et de la misère ». Sur son bureau, elle montre les lettres de détenus qui craignent une reconduite à la frontière. « La prison, est une horreur, explique-t-elle. Mais au moins, à travers les barreaux, on peut toucher et embrasser l’être qui vous est cher. Tout vaut mieux que le bannissement.

Sans-papiers : des associations protestent contre les déclarations de M. Chevènement

index  Ariane Chemin,  03/04/1998

Le ministre de l’intérieur critique «les petits groupes d’extrême gauche»

LES PROPOS tenus par le ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, sur les personnes qui se sont opposées, le 2 mars, à Roissy, à l’expulsion de seize sans-papiers africains pour Bamako et Cotonou, ont provoqué, mercredi 2 avril, de vives réactions d’une partie de la gauche politique, syndicale et associative. Les Verts ont décidé de « parrainer » cinq cents sans-papiers, samedi, lors de leur conseil national.

Dans L’Humanité du 2 avril, Aline Pailler, député apparentée communiste au Parle­ment européen, se dit «scandali­sée».

La colère est montée dans la journée alors que M. Chevènement affinait ses accusations de la veille. A l’issue du conseil des ministres, il a d’abord dénoncé «l’intervention de petits groupes d’extrême gauche, souvent d’ailleurs instrumentés par des formations étrangères». Puis, devant le Sénat, le ministre de l’intérieur a expliqué que « la myo­pie de ceux qui soutiennent de tels comportements (…)fait le lit de l’extrême droite ». « fl est facile de faire appel à la sensibilité », a pour­suivi le ministre. «On a parfaite­ment le droit d’être trotskiste mais non de bafouer la loi ni d’inciter à la rébellion », a-t-il ajouté.

Chevènement a indiqué que « toutes les mesures » étaient prises «pour identifier les fauteurs de troubles». Soulignant que les « délits » ont été commis non seu­lement par «les distributeurs de tracts, mais par un certain nombre de passagers qui se sont interposés », M. Chevènement a aussi déclaré « possible » l’inscription de ces personnes au fichier de l’espace Schengen et leur interdiction de séjour dans ses pays membres. «Il y a beaucoup de moyens qui nous permettent de réagir, nous les étu­dions de manière détaillée», a-t-il menacé.

« LOGIQUE DE SUSPICION »

Les seize sans-papiers qui ont comparu, lundi 30 mars, devant le tribunal correctionnel de Bobigny, pour refus d’embarquement, ont été remis en liberté, après que leurs avocats eurent souligné qu’ils n’avaient pas refusé d’embarquer. Mardi, les expulsions se sont pour­suivies. Dans L’Humanité du 2 avril, Francine Bajande, photo­graphe du quotidien communiste, rapporte que «quelques militants (…) intervenaient auprès des passa­gers, sans distribuer de tracts» quand des « CRS et des policiers des renseignements généraux» ont arrêté vingt-six personnes, des militants associatifs, deux photo­graphes, et elle-même.

« Vous savez très bien que vous avez été arrêtée comme sympathi­sante », a-t-on répondu à Mme Bajande, titulaire d’une carte de presse, qui, retenue pendant trois heures à la direction du contrôle de l’immigration pour trouble à l’ordre public, demandait à exercer ses fonctions. Pierre Zarka, directeur du journal, a adressé une lettre de protestation à M. Chevènement Alain Krivine, porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (troskiste), estime, mercredi, dans un communiqué, que « Jean-Pierre Chevènement perd les pédales »;

« la LCR (…) ne s’arrêtera pas devant les menaces d’un ministre qui oublie qui l’a élu ». Le député André Gérin, porte-parole du groupe communiste sur le projet de loi sur l’immigration, remarque que « l’on est toujours dans la logique de suspicion, de défiance, de répression et loin de l’abrogation des lois Pasqua-Debré ».

La fédération SUD-PTT a écrit au ministre « pour lui faire part de son indignation »; la CGT rappelle «les valeurs fondamentales (…) qui ont toujours fait l’honneur de la France ». L’association Droits devant ! ! s’insurge contre la « nou­velle facette de la politique d’immi­gration » de M. Chevènement. Enfin, la Coordination nationale des sans-papiers estime que « l’inquiétude qui se répand parmi les sans-papiers à l’approche du 30 avril -fin de l’opération de régu­larisation – ne saurait être calmée par les coups de matraque ».

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Sans-papiers : Chevènement gronde

images fig Christophe Doré et Eric Pelletier, 01/04/1998

Les seize étrangers, soutenus le week-end dernier par des passagers empêchant leur départ, ont été libérés lundi

Toutes les mesures ont été prises « pour identifier les fauteurs de troubles dont je n’ai pas besoin de souligner l’incivisme fondamental », a grondé hier Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, devant l’Assemblée nationale.

Les faits à l’origine de son intervention remontent à ce week-end où des passagers, incités par des tracts d’associations de soutien, ont refusé d’embarquer sur des avions à destination du Mali et du Bénin avec des expulsés à bord. Les avocats des sans-papiers ont mis en avant l’opposition des passagers pour disculper leurs clients de toute opposition personnelle à l’embarquement, ce qui a entraîné leur remise en liberté.

Selon quatre témoignages, les sans-papiers étaient menottés, les jambes et la bouche scotchées, accompagnés de policiers qui les auraient insultés, traités de « sales Noirs » et frappés. Ces étrangers avalent été interpellés pendant l’évacuation des églises Notre- Dame-de-la-Gare et Saint-Jean de Montmartre et avalent été installés à bord avant les passagers.

Plus de 30 000 expulsions

« Ceux qui les soutiennent contribuent à bafouer les lois », a ajouté Jean-Pierre Chevènement, précisant que des délits ont été commis « pas seulement par les distributeurs de tracts, mais aussi par un certain nombre de passagers qui se sont interposés et qui ont empêché le décollage de l’appareil ». Le ministre de l’Intérieur a souhaité leur Inscription au fichier de l’espace Schengen, et leur interdiction de séjour dans les autres pays de l’espace.

Ces menaces ne surprennent pas les militants des collectifs qui s’opposent aux expulsions dans l’aérogare 2-A de Roissy depuis deux semaines.  » Nous avons ouvert une brèche, les centres de rétention sont pleins et le gouvernement ne peut pas organiser des charters sans se discréditer. Alors Chévènement cherche à briser le mouvement avant que notre action n’ait un trop large écho », confie l’un d’entre eux.

Le député Vert, Noël Mamère, est intervenu en leur faveur affirment qu’« on ne peut pas Indéfiniment faire croire que ceux qui sont pour que la gauche soit un peu plus humaine, un peu plus solidaire, un peu plus fraternelle (…) sont des trotskistes ou des serveurs de soupe du Front national ».

Selon nos informations, que le ministère de l’Intérieur a refusé de commenter, près de 400 reconduites à la frontière sont effectuées chaque mois sur des lignes régulières depuis l’aéroport de Roissy. Environ 15 % des sans-papiers s’opposent à l’embarquement. Certains arguent du fait qu’ils ne peuvent pas partir sans bagages. Cette « soustraction à l’exécution d’un arrêté ou d’une mesure de reconduite à la frontière » constitue une infraction dont les auteurs sont systématiquement présentés au parquet de Bobigny (Seine- Saint-Denis) et font l’objet d’une mesure de comparution Immédiate. Ce qui a été le cas pour sept sans-papiers, lundi, exposés à des peines de prison ferme accompagnées d’une nouvelle interdiction du territoire français.

Pour une Journée ordinaire, comme celle de mercredi dernier, treize sans-papiers ont été expulsés depuis Roissy : Maliens mais aussi Roumains ou Égyptiens. « Ces reconduites nécessitent des sauf-conduits, notamment de la part du consulat du Mail. Les obtenir ne va pas sans mal », note un fonctionnaire. Les pilotes, de leur côté, peuvent refuser de décoller s’ils considèrent qu’un mouvement d’humeur à l’Intérieur de l’appareil nuit à la sécurité du vol. Un scénario qui se produit plusieurs fois par semaine.

Dans de telles conditions, les expulsions des 30 053 sans-papiers dont les dossiers ont déjà été rejetés dans le cadre de la circulaire Chevènement – le chiffre ne sera définitif que le 30 avril prochain – risquent d’être particulièrement difficiles. De mai 1995 à février 1997, sous le ministère Debré, seulement 23 000 expulsions ont été réalisées.

Sans-papiers: l’angoisse et l’espoir

 Accueil Emilie Rive, 01/04/1998

Un nouveau départ de trois sans-papiers maliens est annoncé aujourd’hui pour Bamako, mais les douze qui comparaissaient hier après-midi à Bobigny ont été relâchés en attendant leur jugement, en mai et juin prochains. Le ministre de l’Intérieur veut entamer des poursuites contre les militants et les passagers qui ont empêché les « éloignements » du territoire.

CE matin, à 11 heures, Dialla Kanouté, Malle Cimaga et Moukantafé Kanté doivent être réembarqués à Roissy, à la suite du jugement rendu samedi par le tribunal correctionnel de Bobigny, où ils n’avaient pas d’avocat, même commis d’office. Depuis mercredi, ils sont incarcérés au sous-sol aveugle du commissariat de la ville, devenu centre de rétention, en face des détenus de droit commun, sans linge de rechange ni produits de toilette… Ce jour-là, les passagers avaient empêché l’expulsion de ces Maliens arrêtés lors de l’évacuation par les forces de police de l’église Saint-Jean-de-Montmartre. Parmi eux, un jeune homme de vingt-cinq ans, dont les parents sont morts et la seule famille, un cousin, réside à Montreuil (Seine-Saint-Denis).

Ce même tribunal a décidé, hier soir, le report de l’audience de douze autres Maliens, eux aussi arrêtés à Saint-Jean, installés de force dans l’A320 d’Air Afrique pour Bamako et réincarcérés à Bobigny après l’intervention des passagers outrés. Mais, pour la première fois, le report octroyé pour préparer la défense sur la forme et le fond est assorti d’une remise en liberté. Le procès aura lieu les 18 mai et 15 juin, après la date butoir d’application de la circulaire Chevènement sur la régularisation des sans-papiers (30 avril). Selon leur avocat, Me Stéphane Maugendre, des faits troublants ont été évoqués lors de l’audience. De tous les témoignages directs ou indirects, il ressort que ce sont bien les passagers qui ont protesté sur les conditions indignes dans lesquelles allait s’effectuer le voyage: assis à l’arrière de l’avion, cachés derrière un rideau, menottés, ceinturés par une ficelle de la poitrine aux chevilles, encadrés par 23 policiers qui entreprenaient de leur mettre des bâillons, les expulsés criaient de peur d’être étouffés. L’interrogatoire du procureur de la République a établi que tous avaient accepté de partir.

Or un rapport du commissaire de la 12e section des renseignements généraux de Paris insiste au contraire sur des incitations à la révolte, « des coups portés avec le corps », des insultes, des menaces. Tout comme il fait état d’un refus de quitter l’église, le 18 mars, malgré les sommations, quand tous les observateurs avaient noté le calme absolu dans lequel s’étaient déroulés les événements. En outre, ce commissaire stigmatise des actes de « rébellion généralisée » de « groupuscules d’extrême gauche » dans l’aérogare, alors que les quelques personnes présentes distribuaient des tracts aux voyageurs. La version du commissaire fait bonne mesure avec les contrôles d’identité systématiques des militants des associations, et aussi avec un volet du projet de loi Chevènement sur l’immigration, qui prévoit de restreindre les organisations autorisées à s’intéresser au problème…

Le soutien aux sans-papiers

Hier, à l’Assemblée nationale, le ministre s’en est pris à « l’incivisme fondamental » de « fauteurs de troubles », membres selon lui d’une « organisation trotskiste d’origine britannique ». Il a ajouté: « Ceux qui les soutiennent contribuent à bafouer les lois, à la perte de repères dont la République a besoin pour faire front contre l’extrême droite. » Selon lui, des délits ont été commis « pas seulement par les distributeurs de tracts, mais par un certain nombre de passagers… » Devant la contestation de certaines expulsions et des méthodes employées, le ministre est allé jusqu’à souhaiter l’inscription de ces personnes au fichier de l’espace de Schengen et l’interdiction de séjour dans les autres pays de l’espace…

La solidarité en tout cas avec les sans-papiers menacés d’expulsion ne se dément pas. Aujourd’hui, Albert Jacquard, généticien des populations et militant des causes humanitaires, sera, à midi quinze, à la cathédrale d’Evry pour apporter son soutien aux sans-papiers de l’Essonne. A l’église Saint-Paul de Nanterre, c’est Jacqueline Fraysse, député-maire communiste de la ville, qui a annoncé qu’elle procéderait à un nouveau parrainage de sans-papiers, le 8 avril prochain.

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Sans-papiers: l’urgence d’une solution humaine

 Accueil,  Emilie Rive, 31/03/1998

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Le mouvement de solidarité aux sans-papiers est revivifié par les interventions de passagers des vols d’Air Afrique, alors que se rapproche la date limite des régularisations. Le PCF demande une entrevue au ministre de l’Intérieur.

EN fin de journée hier, le tribunal correctionnel de Bobigny devait se prononcer sur le sort de 12 Maliens dont les passagers d’un vol d’Air Afrique pour Bamako avaient empêché l’expulsion samedi. Ils avaient été arrêtés lors de l’évacuation par les forces de police des églises Notre-Dame-de-la-Gare et Saint-Jean-de-Montmartre, à Paris, et conduits au centre de rétention de Vincennes. Me Maugendre, l’un de leurs avocats, demandait pour tous le report du jugement. Il remarquait que les dossiers instruits comportaient des questions « bizarres »: « On a fait dire aux gens qu’ils n’ont pas subi de violences policières. Comme si on se protégeait à l’avance contre toute poursuite. Il n’y a pas eu de procès-verbal d’interpellation sur le refus d’embarquement, alors que onze des sans-papiers avaient clairement exprimé leur opposition à la procédure » (le douzième, drogué, bâillonné et menotté, ne pouvait pas s’exprimer). « Il y a des dossiers qui seraient a priori régularisables selon la loi Chevènement, poursuivait l’avocat, leur titulaires ayant travaillé dix, douze ans en France, sans interdiction de territoire ni casier judiciaire pour d’autres faits. »Samedi, à Roissy, des associations de soutien aux sans-papiers distribuaient des tracts aux passagers des vols africains, les engageant à protester auprès des h »tesses et du commandant de bord. Didier raconte: « Les CRS se sont mis à trois, parfois à cinq, pour faire monter les douze sans-papiers un par un. Le bus des passagers est arrivé un quart d’heure seulement avant l’heure d’envol. Ils sont montés, puis descendus après avoir discuté avec le commandant de bord. Les sans-papiers ont été ensuite redescendus et les passagers sont partis avec plus de trois heures de retard. »Une avancée positiveDepuis hier, les sans-papiers des Hauts-de-Seine occupent l’église de Nanterre, comme leurs collègues du Havre, en Seine-Maritime, l’église Saint-Pierre, et ceux de Créteil, en Val-de-Marne, et d’Evry, dans l’Essonne, les deux cathédrales. Ces derniers ont obtenu, samedi, du directeur de cabinet du préfet de l’Essonne une rencontre, le 5 avril, avec les services de la réglementation afin de trouver une méthode de travail commune aux deux parties pour examiner les dossiers en litige. C’est la première ouverture de ce type depuis le début du conflit. La coordination voit là une avancée positive, mais reste vigilante.

Il faut dire que le temps presse. Le 30 avril est la date butoir de la circulaire Chevènement. Les 150.000 sans-papiers qui se sont fait connaître et dont la situation ne sera pas régularisée à cette date seront alors expulsables. La majeure partie des cas aujourd’hui réglés sont ceux des gens pouvant faire état d’attaches familiales en France. Sont donc plus particulièrement concernés les ressortissants algériens, marocains et chinois. En revanche, les communautés d’Afrique noire, et surtout les Maliens et les Sénégalais, souvent célibataires, ont essuyé le maximum de refus. Les préfectures, dans leur cas, font jouer les accords… franco-algériens! Ce qui prouve bien que l’examen des dossiers a été effectué sans aucun sérieux, comme si un quota de régularisations avait été fixé arbitrairement, quelles que soient les situations réelles. Les recours administratifs déposés ne sont pas suspensifs, alors que les procédures peuvent durer jusqu’à quatre mois. Il semble que, si les choix du ministère de l’Intérieur ne changent pas, ce seront plusieurs milliers de sans-papiers qui seront finalement refusés parce que la circulaire Chevènement, déjà très restrictive, n’est même pas appliquée correctement.

Pour sa part, le Parti communiste français s’est adressé par lettre à Jean-Pierre Chevènement, le 24 mars, à qui il demande une rencontre. Il regrette « l’application très restrictive des critères de la circulaire » et souligne que « la régularisation fait apparaître de très grandes lacunes », en s’indignant de « la recrudescence des controles au faciès, d’arrestations massives, de mises en centre de rétention et d’expulsions musclées du territoire ».

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Des passagers bloquent des charters pour Bamako.

 logo-liberation-311x113 Nidam Abdi

Samedi et hier, des expulsions de sans-papiers ont échoué à Roissy.

A l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, la solidarité des passagers a empêché samedi et dimanche le rapatriement forcé de sans papiers Maliens. Deux vols à destination de l’Afrique de l’Ouest ont été annulés grâce à l’intervention des passagers. Samedi matin, alertés sur l’imminence d’un «charter» à destination de Bamako (Mali), une quinzaine de militants d’associations de défense des sans-papiers se sont présentés à l’aérogare 1. Munis de tracts, ils ont commencé à discuter avec les passagers du vol Air Afrique de 15h30. Ils leur ont donné les noms de douze personnes qui devaient être embarquées dans le même avion qu’eux.

«A 90% d’origine malienne, il y a ceux des voyageurs qui se refusent à s’impliquer, souvent des hommes d’affaires ou des cadres, mais les immigrés maliens, qui rentrent visiter leur famille, restent sensibles à cette situation», explique un militant de l’association Jeunes contre le racisme en Europe (JRE). «Les sans-papiers, souvent âgés de 20 à 30 ans, fréquentent les mêmes centres d’hébergement que leurs défenseurs, et une solidarité de foyer a joué énormément pour cette mobilisation», ajoute ce militant qui précise: «Reste qu’il ne faut pas sous-estimer l’attitude des touristes français qui, souvent, réagissent eux aussi contre les expulsions.»

A l’heure d’embarquer dans l’avion, près de la moitié des passagers ont refusé que l’avion décolle avec les douze expulsés. Ils ont demandé l’intervention du commandant de bord. La compagnie Air Afrique, «après avoir menacé d’annuler le vol», selon un voyageur joint à Bamako samedi soir, a fait débarquer les passagers contestataires, suivis des douze sans-papiers, avant que les premiers ne reprennent leur place. L’avion a décollé avec trois heures de retard.

Dimanche matin, un autre vol pour la même ville a été affecté par un mouvement identique, obligeant l’appareil à s’envoler sans les expulsables. La plupart des personnes concernées avaient été interpellées lors de l’évacuation à Paris, les 16 et 18 mars, des églises Notre-Dame-de-la-Gare (XIIIe arrondissement) et Saint-Jean-de-Montmartre (XIe) qu’ils avaient occupées. Dimanche, une nouvelle église, Saint-Paul de Nanterre, a été investie par des sans-papiers et des militants du collectif des Hauts-de-Seine.

Du Mali à Nouméa, même émotion: lors de leur dernière réunion, certains des membres de la Commission nationale consultative des droits de l’homme ont fait part de leur émotion, voire de leur colère, à propos de la tentative d’embarquement forcée des 110 boat people à Nouméa. Les membres de la commission se sont mis d’accord pour adresser au Premier ministre un courrier qu’il doit recevoir ce matin. Rédigée en termes très diplomatiques, cette lettre avertit que la commission suivra de très près la façon dont le gouvernement gérera ce dossier dans les semaines à venir.

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Ambiance d’espoir dans les prétoires

logo-liberation-311x113  B.Bantman , H.Beaudouin et B.Fromentin , 12/06/1997

Lyon, Paris: la justice examinait hier deux cas de sans-papiers.

La gauche régularise, les procès continuent. Deux audiences qui se sont déroulées hier, l’une à Paris devant la cour d’appel, l’autre au tribunal administratif de Lyon donnent un avant-goût des difficultés de la méthode choisie par le gouvernement: la régularisation «au cas par cas». Au risque de l’arbitraire.

Paris, 14 heures, 10e chambre de la cour d’appel. Chinois, Africains, militants et sympathisants emplissent la minuscule salle d’audience où comparaît El Hadj Momar Diop, un Sénégalais arrêté pendant une manifestation au Stade de France à Saint-Denis le 14 mai. Au lendemain de l’annonce de la régularisation prochaine de milliers de sans-papiers, tous veulent voir si les juges seront sensibles au climat de clémence ambiante. Procès test: Diop, en France depuis vingt-trois ans et père d’une petite fille née en France, entre désormais dans la catégorie des «régularisables». Momar Diop a été condamné en première instance à Bobigny à quatre mois de prison pour séjour irrégulier et violence à agent, alors qu’une cassette vidéo tournée pendant la manifestation montre que c’est au contraire lui qui a été frappé (Libération du 26 mai). Le juge avait demandé son maintien en détention, décision attaquée hier par les avocats, avant que la cour d’appel ne tranche sur le fond du jugement le 7 juillet.

L’Intransigeance de Madjiguène Cissé.

En prison, Momar Diop n’est pas abandonné. Un député européen, des cinéastes ont alimenté son compte en banque, et un universitaire s’est engagé à l’héberger. Ils seront déçus, comme tous ceux qui attendaient de la justice un signe de détente: Momar Diop restera en prison. Dans les couloirs, les petits groupes de sans-papiers parlent régularisation. Les discussions sont pratiques parfois, politiques le plus souvent. Dois-je prendre un avocat? «Comment faire passer mon dossier?» demande une femme. Peut-on croire la gauche? Comment faire confiance aux préfectures? Madjiguène Cissé, porte-parole de Saint-Bernard, est la plus intransigeante. «Vous verrez quand les sans-papiers iront dans les préfectures pour se faire régulariser et se retrouveront avec des menottes aux poignets», prévient-elle. Beaucoup sont d’accord avec elle. Mais nombreux sont aussi ceux qui disent qu’il faut s’engouffrer dans la brèche ouverte par la gauche. D’autres se désolent que les deux porte-parole historiques des sans-papiers, elle et Ababacar Diop, ne soient plus sur la même ligne. Quand on lui dit qu’il faut se féliciter et aller plus loin, elle refuse le compromis. D’autres, enfin, tentent de réconcilier les deux bords. «D’accord sur le fond, dit l’avocate Dominique Noguères. Les imprécisions sont inquiétantes. Mais il faut rester diplomate. »

Résident depuis trente ans.

Quelques heures plus tôt, à 450 kilomètres de là, le tribunal administratif de Lyon examinait la situation de Saadi Aït-Hellal, qu’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière doit renvoyer en Algérie. Fils de mineur, Saadi, 41 ans, a un accent ardéchois prononcé et la nationalité algérienne. Hier, il est arrivé par car de Largentière (Ardèche) avec son épouse et leurs enfants, sans oublier une cinquantaine de jeunes, retraités, profs et militants d’associations des droits de l’homme. Le 26 avril, les mêmes avaient manifesté devant la préfecture de l’Ardèche sous une pancarte: «Saadi n’est pas un clando. » Deux jours plus tard, le 28 avril, Saadi Aït-Hellal obtenait un sursis à exécution, le temps que le tribunal administratif puisse se pencher sur son cas. Saadi vit en France depuis trente ans, mais il retourne régulièrement dans sa Kabylie natale. «J’ai longtemps pensé qu’aller de l’Ardèche à l’Algérie, c’était pas plus compliqué que d’aller de l’Ardèche à Lyon», dit-il. Son père, aujourd’hui âgé de 80 ans, était arrivé dans le Nord en 1947 pour travailler dans les mines. De là, il était parti en 1966 à Largentière, où l’on embauchait des mineurs expérimentés. Il fait alors venir d’Algérie sa femme et ses cinq enfants.

Saadi a alors 8 ans. Il fait ses études secondaires, décroche deux CAP, puis des boulots. Depuis 1982, il est titulaire d’une carte de séjour de dix ans, qu’il affirme avoir perdue au début de l’année 1992. Immobilisé trois mois en Algérie l’été dernier, il rentre en France avec son passeport algérien. Et il est interpellé au guichet de la préfecture de l’Ardèche où il tentait d’obtenir le renouvellement de son titre de 1982. Est-ce le signe que le message lancé mardi de Matignon sur les régularisations «au cas par cas» a mieux été reçu à Lyon qu’à Paris? Hier, le commissaire du gouvernement a souligné les inconséquences de la préfecture de l’Ardèche, «ou la notion de fraude est invoquée trop fréquemment dans ce type de dossier». Le tribunal administratif lyonnais s’est donné trois semaines pour rendre sa décision qui, selon le représentant de l’État, pourrait «faire un pas par rapport à la jurisprudence en vigueur».

«Bienveillance inattendue».

Enfin, pour Agnès Kinge Gin, jeune Camerounaise élève de terminale dans un lycée professionnel de Roubaix, ce pas semble déjà avoir été franchi. Menacée d’expulsion à quelques jours des premières épreuves du baccalauréat (Libération du 28 mai), elle a dès jeudi dernier obtenu l’assurance de pouvoir au moins passer l’examen. «L’arrêté de reconduite à la frontière ne sera pas exécuté», a promis le préfet du Nord. «On peut considérer que le nouveau contexte politique n’y est pour rien, ironise un professeur qui, avec ses collègues, s’est démené pour que la jeune lycéenne ne soit pas expulsée. Mais on a cru percevoir une bienveillance inattendue auprès de la préfecture. » Le matin même, Lionel Jospin présentait ses ministres au président de la République.

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