Archives de catégorie : Avocat

Quand des policiers français expulsent « à la belge »

arton7300 Jean-Marie Horeau, 30/09/1998

Un immigré est mort étouffé sur son siégé, à Roissy. Dans l’indifférence générale, la justice enquête activement depuis sept ans.

LA dernière histoire belge ne fait rire personne. La mort d’une jeune réfugiée nigériane, étouffée par les gendarmes chargés de la maintenir de force sur le siège d’un avion en partance pour Lagos, a provoqué un début de crise poli¬tique à Bruxelles. Le ministre de l’Intérieur a démissionné, tandis que 5 000 personnes ont manifesté le 26 septembre sur le parvis de la cathédrale où était célébré un office à la mémoire de la jeune Samira Adamu.

La presse française a abondamment relaté le drame et les circonstances atroces dans lesquelles la victime est morte, alors que la gendarmerie filmait placidement la scène afin de montrer aux futures escortes l’art et la manière de faire tenir tranquilles les expulsés récalcitrants. Efficacité garantie. Mais il ne faudrait pas que les exploits de la gendarmerie belge fassent oublier les talents de certains membres des forces de l’ordre françaises. Non seulement notre police est capable de faire aussi bien, mais elle agit dans la discrétion.

Commissaire diligent

Le 28 avril dernier, dans un avion stationné sur l’aéroport du Bourget, a eu lieu la reconstitution de la mort d’un sans-papiers. Sous la direction de Corinne Buytet, juge d’instruction à Nanterre, deux policiers, dont un commissaire, ont refait, devant les experts, les gestes qui avaient abouti à la mort d’Arumum Fiva, un Tamoul qui s’était vu refuser l’entrée en France au titre de réfugié. C’était le 24 août 1991, c’est-à-dire il y a plus de sept ans. L’instruction est toujours en cours, menée, on le voit, au pas de charge.

La méthode Velpeau

Ce jour-là, à l’aéroport de Roissy, Arumum est embarqué de force dans un vol UTA à destination de Colombo. Il est accompagné par deux fonctionnaires de la police de l’air et des frontières, dont un commissaire, Eric Brendel. Arrivé deux semaines plus tôt, le Tamoul n’a pas quitté la zone de l’aéroport. Sa demande de statut de réfugié, transmise par fax, a été rejetée — en moins de vingt-quatre heures – par le ministère de l’Intérieur. Pourtant, son épouse avait obtenu le statut de réfugiée en Allemagne, et il espérait la rejoindre.

Le 17 août, une première tentative d’expulsion échoue. Arumum se débat, hurle tant et si bien qu’il est débarqué. Le 24 août, nouvel embarquement. Cette fois, le jeune Tamoul est bien menotté. Et surtout le commissaire Brendel lui a confectionné un bâillon avec une bande Velpeau, qui sert habituellement à panser les blessures. Selon plusieurs témoins, cette bande est croisée sur la nuque et passée ensuite autour du cou. Une nouvelle fois, Arumum se débat et se met à hurler.

Les deux policiers, selon le récit du commissaire, utilisent alors une couverture « comme une sangle » et appuient « de toute leur force sur le haut de son corps pour s opposer à ses secousses ». La scène dure près d’une demi-heure.

Jusqu’à ce que le réfugié se calme tout à fait. « Constatant que son regard était vague, rapporte le commissaire, je pen¬sais qu’il ne s’agissait pas d’une simulation, mais d’une perte réelle de connaissance. » Une infirmière et un médecin, présents à bord, interviennent et pratiquent un massage -cardiaque. Il faudra des ciseaux pour couper la bande Velpeau, tellement celle-ci est serrée. Le commissaire Brendel affirme qu’il l’avait enlevée bien avant le malaise. Version contredite par plu¬sieurs témoins. Et, curieusement, on ne retrouvera jamais cette pièce à conviction…

Magistrats indolents

Évacué par le Samu, Arumum ne reprendra jamais connaissance. Il est mort, selon la toute dernière expertise, rendue en mai dernier, à cause du traitement qu’il a subi lorsqu’il s’étranglait en se débattant, et aussi en raison d’une faiblesse cardiaque.

A la suite d’une plainte de la famille, une instruction a été ouverte. Les deux policiers ont été mis en examen, mais n’ont pas été suspendus un seul jour, et ne sont toujours pas jugés. Le ministre de l’Intérieur (à l’époque Philippe Marchand) n’a pas démissionné. La presse, à la seule exception, sauf erreur, de « L’Express », n’a pas évoqué ce fait divers. Il n’y a eu aucune manifestation, aucune cérémonie, aucune protestation.
Ils sont vraiment fous, ces Belges…

Sans-papiers: confusion sur la date butoir. Inquiétudes autour de la fin des régularisations.

logo-liberation-311x113 Béatrice Bantman

 

Hier, les sans-papiers qui attendent encore les réponses de leur préfecture ont sursauté en entendant, à la radio et à la télé, que la «date butoir» pour les recours était arrivée. Alors que, sur les 142 000 dossiers déposés, 76 754 sans-papiers ont été régularisés au 31 août et 64 461 refusés, un certain nombre d’immigrés n’ont toujours pas de réponse et sont donc dans l’impossibilité de déposer les recours auxquels ils ont droit dans les préfectures et au ministère de l’Intérieur. Renseignements pris, le ministère de l’Intérieur a précisé que seuls étaient concernés les premiers recours devant les préfectures pour les dossiers expressément refusés. Les sans-papiers disposent donc de plusieurs mois avant l’épuisement des recours. Quant à leurs avocats, ils craignent que cette confusion ne nuise à la régularisation.

Hier, une centaine de sans-papiers affolés se sont donc rendus à la préfecture de Paris. «Nous ressentons une angoisse terrible face à la fin des recours car beaucoup d’entre nous n’ont toujours pas reçu de lettre de refus», explique Zhang Yi, du 8e collectif, qui regroupe environ 1 300 personnes. En fait, comme le précisent les deux circulaires du 10 et du 19 août, de nombreuses décisions de régularisation ont été notifiées avant le 15 mai. A la suite de cette notification, les sans-papiers peuvent alors former des recours «gracieux» devant les préfectures, ou «hiérarchiques» au ministère de l’Intérieur. Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti (Groupement d’aide et de soutien aux immigrés), se défend de voir dans cette annonce «un coup médiatique du ministère de l’Intérieur, qui a l’habitude de souffler alternativement le chaud et le froid». Mais Françoise Toubol-Fischer, avocate spécialisée dans le droit des étrangers, craint que les préfectures ne prennent au mot cette annonce d’une date butoir. Déjà, au ministère de l’Intérieur, qui s’est engagé à répondre à tous les recours hiérarchiques ­ 128 000 à ce jour ­, on refuse de renseigner les avocats sur le degré d’avancement des dossiers et, dans les préfectures, il est parfois impossible de faire valoir les droits des demandeurs. A titre d’exemple d’imbroglio, l’avocate cite le cas de ce jeune Mauricien en France depuis dix ans et marié l’an dernier à une Française. La circulaire du 30 septembre 1997 et, a fortiori, la loi Chevènement autorisent la régularisation des étrangers dans son cas. Le 17 novembre suivant, son dossier est rejeté, puis son recours, en avril 1998. Malgré une nouvelle lettre au préfet, on lui notifie son arrêté de reconduite à la frontière en juin. En dépit des interventions de son conseil, l’arrêté est confirmé. Et le couple attend. «Cas particulier», répond-on au ministère lorsqu’on évoque les erreurs de l’administration. S’il est expulsé, le jeune marié se consolera sans doute à l’idée qu’il est un cas particulier.

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Les critiques contre le procès du « réseau Chalabi » ne cessent de s’amplifier

index Acacio Pereira,  09/09/1998

Extrait : Dans un appel, cinquante-quatre personnalités estiment que les débats qui ont lieu dans le gymnase de Fleury-Mérogis ne respectent « ni le principe fondateur de la personnalisation des poursuites, ni le droit à un procès équitable, ni les droits de la défense » . JUSTICE Le procès du « réseau Chalabi » se poursuit dans la controverse à Fleury-Mérogis. Les avocats qui ont, pour la plupart, déserté l’audience, ont rencontré, lundi 7 septembre, la bâtonnière de l’ordre des avocats de Paris.

Le procès du «procès de masse».

logo-liberation-311x113 Franck Johannes, 09/09/1998

Cinquante-quatre personnalités condamnent les conditions d’audience

IMG_2042Ils sont cinquante-quatre a avoir signé l’appel: Danielle Mitterrand, l’abbé Pierre ou Théodore Monod s’opposent «aux procès de masse» comme celui de Fleury-Mérogis, «qui ne respectent ni le principe fondateur de la personnalisation des poursuites, ni le droit à un procès équitable, ni les droits de la défense». Parmi les signataires, dont la liste a été publiée hier par le Monde, figurent également la Ligue des droits de l’homme, SOS-Racisme, le Syndicat de la magistrature, mais aussi des élus communistes (Patrick Braouezec), socialistes ( Yann Galut), Verts (Alain Lipietz, Noël Manière), des cinéastes (André Téchiné, Robert Guediguian, Laurent Bouhnik ou Claude Confortés), des habitués (Gilles Perrault, Léon Schwartzenberg), mais aussi des personnalités plus surprenantes, comme le professeur de droit Jean-Jacques Duperoux ou le général Pierre Gallois.


Un collectif de cinquante avocats.

L’initiative n’est pas mince: hier, le procès Chalabi est sorti du prétoire et ce n’est plus seulement dans le gymnase de l’administration pénitentiaire de Fleury-Mérogis que se juge le sort des 138 membres présumés des réseaux islamiques. Les avocats de la défense, qui ont quitté l’audience mardi dernier, n’en reviennent d’ailleurs toujours pas. «Même si on remonte aux porteurs de valises (qui aidaient le FLN algérien pendant la guerre d’Algérie, ndlr), un collectif de cinquante avocats, ça ne s’est jamais vu, sourit Me Dominique Triquaud. Toutes les sensibilités sont présentent parce que ce sont des principes que nous défendons. » Pourtant, personne n’y croyait. «Le mouvement s’est radicalisé au fur et à mesure, explique Me Maxime Malka, ce qui est arrivé n’était pas prévisible une semaine plus tôt» D’autant que les prévenus suivent le mouvement. A Fleury- Mérogis, le président Bruno Steinmann poursuit d’une voix égale ses interrogatoires, dans une salle déserte depuis une semaine: 8 personnes dans le public hier, 10 prévenus libres sur 111 et 3 détenus sur 27.

Les avocats sont aujourd’hui une trentaine à se réunir trois fois par semaine pour mettre au pont la stratégie et sont suivis par une vingtaine d’autres sur les 70 avocats théoriques. On se réunit chez Françoise Cotta ou Dominique Tricaud, et ce n’est pas toujours facile. «Il y a des problèmes d’ego incroyables, souligne un participant, c’est ça le plus difficile à gérer.» Quelques avocats du collectif ne cachent pas qu’ils iront défendre le jour venu leur client, même s’ils restent solidaires de leurs confrères. D’autres ont des stratégies plus complexes, comme Me Lev Forster, qui a signé les conclusions demandant le renvoi du procès, mais est resté à l’audience. Me Joseph Cohen-Saban dénonce, lui, « l’envol outré et théâtral des robes noires » de ses confrères et assure qu’il faut «cesser de nous gargariser avec des mots tels que “stades” ou “casernes” en évoquant les conditions du procès». Me Isabelle Coûtant-Peyre lui en propose d’autres: l’avocate de Mohamed Chalabi dénonce avec nuance «la pratique des rafles selon des méthodes dignes de la Gestapo et de la Milice», la «torture pendant les gardes-à-vue» et, finalement, «les moyens terroristes» de la lutte antiterroriste contre ceux «qui ont une autre opinion politique que ceux des pouvoirs dominants».

«Dossier de merde».

Le problème est sans doute ailleurs, et c’est curieusement Mohamed Chalabi qui a touché le plus juste. Les avocats, «on n’a jamais cru en eux, a dit mercredi l’accusé principal. Avec ce dossier de merde, ces 70000 feuilles, ils n’ont même pas été foutus de trouver une connerie pour tout faire annuler. Où ils sont, les procéduriers?». Effectivement, pas un avocat n’a soulevé de moyens de nullité pendant l’instruction, la chambre d’accusation n’a pas eu à débattre de la disjonction du dossier en plusieurs procès. Les avocats ont signé le feuilleton de l’audience (la feuille d’émargement), et les prévenus ont accepté de comparaître le premier jour. Du coup, le procès est réputé contradictoire, et a pu légalement commencer. Il peut désormais continuer, jusqu’au ridicule, même en l’absence des parties. Le garde des Sceaux, qui a reçu hier deux représentants de l’ordre des avocats, leur a expliqué qu’il n’était pas question de faire pression sur un tribunal quel qu’il soit, et que chacun devait prendre ses responsabilités.

Pourvois en appel et en cassation.

«On a été nul, reconnaît un avocat, on s’y est pris trop tard. Mais moi, par exemple, j’ai fait libérer mon client trois mois après son interpellation, en 1994. Il n’avait pas un rond, il a disparu, j’ai classé le dossier. Trois ans après, il revient me voir. Qu’est-ce que je pouvais faire?» Le collectif a cependant organisé une riposte, sur trois fronts. Onze avocats ont fait appel de la décision du président Steinmann de refuser la mise en liberté des détenus, mais le moyen est fragile. Ensuite, une quarantaine de recours devant la Commission européenne des droits de l’homme ont été déposés par Me Alain Mikowski. Mais toutes les voies de droit n’ayant pas été épuisées, il faudra sans doute attendre le jugement du procès Chalabi, puis son appel et les pourvois en cassation pour faire aboutir la procédure à Strasbourg. Le résultat est attendu «vers 2001 ou 2002». Dernier moyen, le plus solide, la requête en suspicion légitime contre le tribunal, engagé par 64 prévenus et déposée par Me Arnaud Lyon-Caen. La Cour de cassation pourrait se réunir le 23 septembre et rendre sa dérision dans la journée.

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Le « procès Chalabi » se poursuit devant des bancs vides

index Acacio Pereira, 06/09/1998

Le tribunal a examiné, vendredi, en moins d’une heure, les faits reprochés à trois prévenus, en leur absence.Les avocats continuent de dénoncer « un procès inéquitable et honteux »

A son quatrième jour, le procès du « réseau Chalabi » de soutien aux maquis algériens a continué dans un contexte surprenant. Alors que 138 personnes sont prévenues, seuls 3 détenus, 3 avocats et une trentaine de prévenus libres étaient présents, vendredi, dans le gymnase de l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire de Fleury-Mérogis (Essonne) spécialement aménagé. Le bras de fer se poursuit entre le président du tribunal,Bruno Steinmann, et la plupart des avocats qui ont déserté le procès, pour en dénoncer le caractère « de masse ». Ils appellent les pouvoirs publics à « faire cesser cette injustice ». De son côté, le président a fait procéder à des aménagements matériels réclamée par les avocats. Il espère que ceux qui boycottent le procès reviendront bientôt sur leur décision. Sinon, il pourrait accélérer le rythme du procès.

PLUS LES JOURS passent, plus la durée des audiences du « procès Chalabi » se réduit. Record battu, vendredi 4 septembre : en moins d’une heure, le tribunal a examiné les faits reprochés à trois des cent trente-huit prévenus soupçonnés d’avoir participé à un réseau de soutien logistique aux maquis islamistes algériens. La veille, avec vingt-trois autres prévenus détenus, ils avaient quitté les box dans la confusion la plus totale. Ils ne sont pas revenus. Un seul est représenté par son avocat, bien désœuvré.

Le planning initial ne devrait pas être bouleversé dans l’immédiat. Le président Bruno Steinmann espère toujours que les prévenus qui ne veulent plus comparaître et les avocats qui ont décidé de boycotter le procès reviendront bientôt sur leurs décisions. A défaut, il pourrait être tenté d’accélérer le mouvement en examinant chaque jour le cas d’un plus grand nombre de prévenus. Quoi de pire, en effet, pour un président de tribunal que de mener des débats virtuels faute de participants ?

A l’ouverture de l’audience, M. Steinmann s’offre un petit préambule en forme de pique contre les avocats absents. Mardi, au premier jour du procès, ces derniers avaient réclamé de pouvoir s’asseoir plus près du tribunal et de pouvoir communiquer avec leurs clients prévenus. Bruno Steinmann avait alors promis de faire le maximum avant la fin de la semaine. «Des ouvertures ont été pratiquées dans les vitres pare- balles », indique-t-il. Avec une pointe d’ironie, il ajoute : « Des chaises, installées à la demande des avocats, se trouvent depuis deux jours en face de moi. » Vides, naturellement

Le président fait ensuite part au tribunal des faits reprochés aux trois prévenus du jour. Après chaque lecture, s’efforçant de maintenir une apparence de normalité, il pose la question rituelle au représentant du ministère public, Bernard Fos : «Avez-vous des observations à formuler?» «Je regrette simplement de ne pas pouvoir poser de questions au prévenu », répond, désolé, M. Fos. La scène est presque drôle. Pour le reste, le procès semble tourner à vide, au point que dans la salle, un prévenu libre ne cache plus son ennui en bâillant ostensiblement

PROTESTATION COLLECTIVE

Avant la levée de l’audience jus¬qu’à lundi, Ismaïl Debboub, l’un des trois prévenus détenus présents, demande à prendre la parole. «Je voulais préciser que, concernant les armes retrouvées dans le pavillon que j’habitais à Villeneuve-Saint-Georges, elles n’ont en aucun cas appartenu à un autre réseau que le nôtre, à savoir celui du FIS. » La veille, Mohamed Chalabi, présenté comme l’un des chefs du réseau démantelé, avait pris la responsabilité de l’ensemble des armes retrouvées par les policiers (Le Monde du 5 septembre). « Pourquoi vous démarquer?, interroge le président. – Parce que je n’ai jamais fait partie du réseau Chalabi », lâche le prévenu.

A l’extérieur du gymnase de Fleury-Mérogis où se déroule le procès, Mes Nathalie Jaudel et Mathilde Jouanneau, au nom du collectif des avocats contestataires, réclamant à nouveau « l’arrêt de ce procès inéquitable et honteux, indigne d’un État démocratique ». Dans ce texte bref, les avocats appellent «solennellement les pouvoirs publics et les démocrates de ce pays à [les] soutenir pour faire cesser cette injustice». Enfin, selon nos informations, tous les avocats commis d’office dans ce procès sont convoqués, lundi matin 7 septembre, par la bâtonnière dei l’ordre des avocats, Me Dominique de La Garanderie. Le texte de la convocation ne précise pas l’ordre du jour.

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Les audiences surréalistes du « procès Chalabi » à Fleury-Mérogis

index Acacio Pereira,

Le chef présumé du réseau a dénoncé une « cabale policière, un simulacre d’instruction et une mascarade de procès ». Le box des accusés s’est tour à tour rempli puis vidé devant un tribunal médusé

II n’y avait plus grand monde, jeudi 3 sep­tembre, au gymnase de Fleury-Mérogis, pour la troisième journée du procès du « réseau Chalabi », un réseau de soutien logistique aux maquis algériens. La quasi-totalité des avocats boycottent les audiences afin de dé­noncer ce « procès de masse » -138 prévenus -tandis que les trois quarts des 107 prévenus libres ne se sont pas présentés. Le chef pré­sumé du réseau, Mohamed Chalabi, a lon­guement pris la parole pour dénoncer cette « cabale policière, ce simulacre d’instruction et cette mascarade de procès ». « Qu’on ar­rête de dépenser l’argent du contribuable, a- t-il lancé. Et ces vitres blindées… Qui va me tirer dessus ? La sécurité militaire ? Quand mon jour viendra, il viendra. » Les avocats ont déposé jeudi une requête en suspicion légitime contre le tribunal auprès de la Cour de cassation.

SURRÉALISTE. Il n’y a sans doute pas d’autre mot pour qualifier ce qu’il reste du procès des 138 membres présumés d’un réseau de soutien logistique aux maquis islamistes algériens. Au troisième jour d’audience, jeudi 3 septembre, la quasi-totalité des prévenus a quitté dans une confusion indescriptible le gymnase de l’École nationale de l’administration pénitentiaire de Fleury-Mérogis où ont lieu les débats.

Après le coup d’éclat des avocats qui, dès le début du procès, ont décidé de boycotter les débats afin de dénoncer les conditions de son organisation, le président Bruno Steinmann s’apprête à entendre quatre prévenus, mais seuls deux avocats sont présents. Deux avocats commis d’office qui réclament un renvoi du procès pour avoir le temps de rencontrer leurs clients et d’étudier le dossier. Le président décide de joindre l’examen de la demande au fond. Les deux avocats quittent immédiatement la salle. Le président Steinmann ne se laisse pas démonter. « Nous allons maintenant examiner le cas d’Ahmed Djellal », annonce-t-il. Le prévenu est dans le box, mais il n’a pas d’avocat. Il n’en veut pas. Il ne veut pas s’expliquer. « Je n’ai rien à vous dire », lâche-t-il avant de se rasseoir. « C’était déjà le cas pendant l’instruction, répond le président. Vous aviez même refusé de signer la plupart des PV. » Il attend une réponse. Mohamed Chalabi, le chef présumé du réseau, se lève et s’empare du micro. « Il n’y a plus rien à dire, lance-t-il. C’est quoi cette association de malfaiteurs dont on nous accuse ? Ça a commencé par une cabale policière, puis un simulacre d’instruction et maintenant une mas­carade judiciaire. »

L’homme est visiblement en co­lère. Il annonce que, pour la troi­sième fois en trois jours, un préve­nu détenu a été victime, le matin même, de coups portés par ses gar­diens. «Mourad Tacine, ils l’ont massacré à Fresnes et il est au mitard. A quoi vous jouez ? Vous voulez faire comme avec les martyrs chré­tiens, nous mettre dans l’arène avec les lions?» Mohamed Chalabi s’adresse ensuite au substitut Ber­nard Fos. « Vous êtes le représentant du ministère public, c’est vous qui ac­cusez et vous n’avez aucune question à nous poser! Vous nous parlez de justice mais on a déjà casqué de toute façon. Moi, ça fait bientôt quatre ans que je suis à l’isolement Alors, vous nous reprochez quoi ? Des détentions d’armes ? »

« RELÂCHEZ-LES »

Pointant les scellés, il poursuit: «Toutes ces armes, elles sont à moi, je prends tout pour moi. Les autres prévenus détenus n’ont rien à voir avec ça, relachez-les. Ceux qui sont libres, laissez-les rentrer chez eux».

Le président l’interrompt et de­mande à la greffière de noter la déclaration du prévenu. Mais Moha­med Chalabi continue. «Qu’on arrête de dépenser l’argent du contri­buable. Et ces vitres blindées… Qui va me tirer dessus ? La sécurité mili­taire ? Quand mon jour viendra, il viendra. » Pendant près d’une de­mi-heure, Mohamed Chalabi mo­nopolise la parole. Avec son phy­sique de moudjahidin afghan et son accent de titi parisien, il harangue ses coprévenus, prend le public à témoin, dénonce les conditions du procès et toute l’instruction qui l’a précédé. « Quand j’ai rencontré ce bouffon de Bruguière, cette truffe, il m’appelait « Momo le caïd ». Qu’est- ce que ça veut dire ça ? »

C’est l’un des rares moments où le président Bruno Steinmann intervient pour demander au prévenu de mesurer ses propos, mais il en faut plus pour l’arrêter. « On se sert de vous pour nous condamner et on va tous partir. Les avocats, qu’ils fassent ce qu’ils veulent, de toute fa­çon, on n’a jamais cru en eux. Il n’y en a pas un qui a trouvé une irrégu­larité, une faute de procédure dans ce dossier de plusieurs dizaines de milliers de pages. Qui s’est occupé de nous?» Joignant le geste à la pa­role, le prévenu se lève et s’apprête à quitter le box. Les gardiens l’en­tourent Le président lui demande de se rasseoir. Mohamed Chalabi crie à ses coprévenus «debout» en arabe. Tous se lèvent Les gardiens leur passent les menottes. Un mou­vement s’esquisse vers la sortie. Le tribunal est médusé.

Quelques instants plus tard, cha­cun retrouve sa place dans le box mais Mohamed Chalabi ne dé­sarme pas. « Nous sommes des ado­rateurs de Dieu, nous ne sommes soumis qu’à lui. On va partir et on ne vient plus. » « Le tribunal a entendu votre déclaration, asseyez-vous s’il vous plaît », répond le président  Steinmann. « Laissez-nous partir et  je jure devant Dieu qu’il n’y aura pas  d’incidents », répond le prévenu.

« Je m’en vais moi aussi », s’exclame  Ahmed Djellal. Un prévenu, désireux lui aussi de quitter le procès, en vient aux mains avec ses gardiens. « Nous sommes solidaires »,  lance une voix dans l’autre box. Le président suspend l’audience.

Au retour du tribunal, le prétoire est pratiquement vide : pas un seul avocat et un seul prévenu détenu dans un box. Quinze prévenus I libres sont dans la salle. Bruno Steinmann, imperturbable en appa­rence, commence l’examen des i faits reprochés à Ahmed Djellal et à trois coprévenus, mais en l’absence des personnes concernées et de leurs avocats, l’examen se résume à I la lecture de leurs curriculum vitae I et des faits retenus contre eux. Les avocats qui ont quitté le procès ont déposé, jeudi 3 septembre, une re­quête en suspicion légitime contre le tribunal auprès de la Cour de cassation.

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Grand flop d’un « grand procès »

logo france soir Arnaud Levy, 05/09/1998

RÉSEAU CHALABI • Avocats déserteurs, prévenus boudeurs

IMG_2039Ce qui devait être le procès exemplaire d“un réseau terroriste reliant islamisme et banditisme en France va-t-il tourner au procès de la justice antiterroriste? Déserté par les avocats puis par les prévenus, rythmé par les incidents, plongé dans la confusion, mais poursuivi mordicus dans un gymnase dont le vide souligne la démesure de l’entreprise, au terme d’une semaine d’audience le procès Chalabi a versé dans l’irréel.

Ce qui est aujourd’hui en cause, du moins aux yeux, de la défense, c’est moins la symbolique et l’éventuel inconfort du lieu retenu pour les débats, un gymnase réaménagé à grands frais en face de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis), que la nature même du dossier qui a imposé ce « procès de masse » (74 volumes et 35 000 côtes pour 138 prévenus). Bref tout ce qu’on a appelé la «méthode Bruguière», celle, en réalité, du pool d*instruction qu’il chapeaute et de la 14ème section antiterroriste. Faite d’une « logique de rafle » pour Me Dominique Tricaud, de « procédures d’amalgame » selon Me Irène Terel. « Il y a 3 réseaux distincts avec un maximum de 20 personnes impliquées à des degrés très divers dans chacun » avance le premier Le résultat, estime la seconde, rend « impossible tout examen individualisé des charges par le tribunal qui n’est pas en mesure de rendre une justice sereine. »

Boycott

Le boycott concerté des avocats n’arrange certes rien. « Mais la moins mauvaise défense consiste à dire quand il n’y a pas de défense possible. 70 avocats unanimes dans une telle affaire c’est exceptionnel et significatif », résume M* Tricaud. Jusqu’à quand ? » Aucune position n’est figée observe-t-on prudemment. La défense, qui réclame un renvoi du procès et une division du dossier, a déjà déposé une requête en suspicion légitime contre le tribunal correctionnel et devait déposer un recours devant la Cour européenne des Droits de l’homme. Lundi soir les avocats réexamineront la situation. Mais d’ici là, la tactique du banc vide risquant de trouver rapidement ses limites, ils espèrent que le débat aura quitté le domaine juridique pour le terrain politique.

La Ligue des droits de l’homme est déjà montée au créneau. Jeudi, l’Ordre des avocats parisiens avait renouvelé sa dénonciation d’un procès « incompatible avec les droits de la défense ». Dans un autre registre, au crédit limité, la Fraternité algérienne en France (proche de l’ex-Front islamique du salut) a également profité de la tournure du procès pour en demander le renvoi. Pour relayer leurs protestations, les avocats s’activaient hier à élaborer pour le week-end un appel de « personnalités ». En comptant sur le soutien conjoint des « démocrates », de politiques éventuellement revanchards, voire de la neutralité bienveillante de la Chancellerie. « Car ce procès, selon Me Françoise Cotta est l’aboutissement d’une tentative politique mise en place en 1986 quand on a institué une 14ème section antiterroriste qui vise à mettre sous coupe l’institution judiciaire. Aux politiques de dire si elle a sa place dans un état républicain »,

Reste qu’en dépit d’une hypothétique « politisation » du dossier (qui a mis au jour des structures organisées de trafic d’armes, de matériel médical et de faux papiers), seul le tribunal présidé par Bruno Steinmann pourrait décider d’un renvoi. Plus qu’improbable au regard de sa conduite des débats. « Cela voudrait dire que les procès sont laissés à la discrétion des parties », estime un magistrat au Parquet de Paris où les critiques de la défense sont jugées au mieux « pas sérieuse », au pire « irresponsables ».

Délais

« C’est absurde de dire que c’est un procès digne d’un pays totalitaire. Ce n’est pas un tribunal d’exception, et les audiences se déroulent selon les règles du code de procédure pénale ». Un temps envisagé le « découpage » du dossier a été rejeté. « Car il y a bien un réseau unique avec des strates distinctes et des responsabilités diverses, des « têtes » aux « fourmis ». Entre plusieurs maux nous avons choisi le moindre. Il fallait juger dans des délais raisonnables et conserver sa cohérence au dossier ». Le problème est qu’à ce jour toute « cohérence » a déserté le gymnase de Fleury.

Requête en suspicion légitime contre le tribunal

Dans un gymnase déserté, pratiquement sans avocats ni prévenus, le procès Chalabi a tourné au procès-fantôme, hier une situation qui n’est pas illégale, à laquelle le tribunal ne peut plus rien, mais qui donne une image irréaliste de la justice française, comme l’a souligné l’un des avocats qui prônent le boycott de ce procès et son renvoi.

En fin de matinée Mes Nathalie Jaudel et Mathilde Jouanneay ont, distribué un communiqué des défenseurs, critiquant à nouveau « un procès de masse et d’amalgame artificiellement construit dans le seul but de mettre en scène une justice spectacle ».

Si spectacle il y avait, il a été hier singulièrement limité. L’audience de l’après-midi n’a cette fois duré qu’une heure, consacrée à la lecture par le président Bruno Steinmann des faits reprochés à trois personnes, qui ne se sont pas défendues : pour la simple raison qu’elles n’étaient pas dans le box, ayant refusé de venir.

Il n’y avait que trois prévenus détenus – et neuf gendarmes pour les encadrer — ainsi que quelques dizaines de prévenus libres dans la salle, disséminés par petits groupes d’amis, dont certains hésitaient entre le rire et les bâillements. L’un des trois détenus (sur 27) présents, Ismaïl Debboub, a pour sa part repris la parole pour se démarquer du réseau Chalabi.

Les avocats de la moitié environ des prévenus ont carrément demandé à la Cour de cassation d’examiner dès la semaine prochaine une requête en suspicion légitime contre le tribunal afin d’obtenir la suspension du procès. Les juristes relèvent qu’un tel cas n’a jamais été évoqué devant la Cour de cassation et doutent du succès de la démarche.

La situation est donc étrange, mais, juridiquement légale. Dès lors que le président Steinmann a décidé de ne pas suspendre le procès, celui-ci doit aller à son terme, quelle que soit l’attitude des prévenus et de leurs défenseurs. Le tribunal pourrait encore pendant quelques audiences n’évoquer que quelques dossiers par jour, le rythme pouvant devenir plus soutenu si les prévenus ne se décident pas à revenir. D’autre part, ceux qui se représenteraient devraient pouvoir s’exprimer, même si le tribunal a déjà traité leur cas en leur absence. Le procès reprendra lundi à 13 h 30.

Justice à l’abattage

index édito , 03/09/1998

Le procès du réseau Chalabi, qui s’est ouvert mardi 1e septembre à Fleury-Mérogis, constitue un précédent dangereux. La justice y tourne le dos aux principes qui, en théorie, l’autorisent à être rendue « au nom du peuple français ». Durant des audiences prévues pour une durée d’au moins deux mois, cent trente-huit prévenus dont vingt-sept comparaissent détenus seront parqués dans un gymnase de l’administration pénitentiaire, jugés à l’abattage non loin de l’enceinte d’une maison d’arrêt.

Comment juger sereinement quand la mise en scène judi­ciaire, dès le départ, vaut accusa­tion? Car, si elle est exception­nelle, hors du droit commun, sans précédent connu, c’est donc bien que l’on tient pour acquis que les prévenus sont eux aussi exceptionnels, forcément liés les uns aux autres, imbriqués, complices, formant un « réseau » qui ne pourrait être jugé qu’en vrac, sans faire de détail. Com­ment juger tranquillement, dis­tinguer les responsabilités, déli­miter les degrés d’implication, quand le dossier d’instruction est un monstre procédural, comptant soixante-quatorze tomes et plus de 30 000 cotes ? Comment res­pecter la présomption d’inno­cence quand certains prévenus sont en détention provisoire – donc sans que leur culpabilité ait été établie par un tribunal – de­puis près de quatre ans ?

Cette parodie de justice, concé­dée par les plus hautes autorités judiciaires du pays, est l’aboutis­sement d’un système discutable, à l’œuvre depuis plus de dix ans.

Après la vague d’attentats de 1986, une loi a centralisé les dos­siers terroristes au sein de la 14e section du parquet de Paris et les a confiés à une escouade de juges antiterroristes. Il fallait « terroriser les terroristes », n’hési­tait pas à proclamer le discours officiel, et pour cela, la fin allait justifier les moyens. Depuis,-aussi bien sur le front islamiste qu’en Corse ou au Pays Basque, des juges aux pouvoirs considérables traquent l’ennemi, n’hésitant pas à recourir à la tactique du ratis­sage au plus large, fût-ce au prix de dizaines de mises en détention provisoire injustifiées.

Une telle centralisation du sys­tème judiciaire antiterroriste n’est pas critiquable en soi et elle ne manque pas d’efficacité. Mais à condition de s’en tenir au droit et de s’assurer que pourront être établies, en bonne justice, les res­ponsabilités individuelles des personnes poursuivies. A l’évi­dence, tel n’est pas le cas du pro­cès du réseau Chalabi. Il est im­possible de juger conjointement autant de personnes, au cours d’un même procès. Il ne sera guère possible de les entendre, de leur donner le temps de s’expli­quer, de se défendre. Une telle mise en scène n’a aucun sens, si­non celui de vouloir, à tout prix, donner l’illusion à l’opinion pu­blique que la lutte antiterroriste « à la française » porte ses fruits.

Un « petit peuple », composé pour l’essentiel de travailleurs immigrés, sera donc ainsi mal ju­gé. Pendant ce temps, les pour­fendeurs de la justice française restent silencieux, décidément plus prompts à s’indigner des mises en examen des puissants de notre monde.

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La plupart des avocats du réseau Chalabi ont quitté le gymnase qui sert de salle d’audience

index Acacio Pereira, 03/09/1998

Dénonçant un « procès de masse », ils menacent de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Le procès des 138 prévenus du «réseau Chalabi», un réseau de soutien logistique aux maquis a débuté mardi 1er septembre dans une ambiance extrêmement chaotique. Dénonçant une « justice-spectacle », la plupart des avocats ont quitté le gymnase de Fleury-Mérogis, où ont lieu les audiences. Ils menacent de saisir la Cour européenne des droits de l’homme algériens (lire aussi notre éditorial page 14).

LA PREMIÈRE JOURNÉE d’audience du procès de cent trente-huit membres présumés d’un réseau de soutien logistique aux maquis islamistes algériens s’est déroulée dans une ambiance quelque peu pagailleuse, mardi 1e septembre. Comme si prévenus et avocats s’étaient passé le mot pour mettre leurs comportements en adéquation avec l’image qu’ils ont de l’endroit choisi pour la tenue de ce procès : le gymnase de l’École nationale d’administration pénitentiaire de Fleury-Mérogis, à quelques mètres de la maison d’arrêt. Un lieu « symbole » qu’ils jugent bien peu conforme à l’idée d’une justice sereine et équitable.

Avant l’ouverture des débats, des avocats avaient fait part de leur colère, criant au « procès de masse », dénonçant une « justice d’exception » (Le Monde du 1e septembre). Qu’à cela ne tienne donc : à justice d’exception, audience d’exception, et rien n’a été épargné au président, Bruno Steinmann. Les rites judiciaires, qui, avec le décorum, contribuent à l’image d’une justice solennelle, ont été malmenés. A l’arrivée des juges dans la salle d’audience, des prévenus refusent de se lever, comme le veut pourtant la tradition. Paraissant indifférents aux échanges qui se déroulent, à quelques mètres d’eux, entre les avocats et le tribunal, les prévenus libres discutent, rient parfois, vont et viennent dans le prétoire, font des signes de la main à leurs co-prévenus détenus, assis derrière des box pare-balles.

Certains avocats jouent aux indisciplinés, restant debout quand le président leur demande de s’asseoir sur les chaises réservées. « Trop loin, disent-ils. Trop loin du tribunal, trop loin de nos clients. » Des avocats qui parfois interrompent le président de manière intempestive, jusqu’à ce que celui- ci les rappelle à l’ordre, puisqu’il faut bien rentrer dans le vif du sujet. Ou plutôt commencer l’appel des prévenus. Cette obligation, rapidement expédiée en temps normal, réclame ici près de trois heures. Tour à tour, les prévenus se lèvent, se présentent au tribunal, se voient rappeler les faits qui leur sont reprochés. Certains parfois osent une question, «j’ai un travail, je commence tous les jours à 17 heures, mais je veux assister au procès. Serait-ce possible de quitter l’audience vers 16heures?», demande l’un, «je suis cardiaque, j’habite à 900 kilomètres, je ne peux pas venir tous les jours », indique un autre. Le président Steinmann reste inflexible : « Vous êtes prévenu de certains faits, il faut que vous soyez présent »

Pendant ce temps, la colère des avocats n’est pas retombée. Non, décidément, ils ne veulent pas s’asseoir « au fond de la salle, près du public», et réclament des places proches du prétoire. Ils exigent de pouvoir communiquer avec leurs clients détenus, ce qu’interdisent les vitres pare-balles munies seulement de quelques petits trous. «Comment voulez-vous que l’on ait une discussion confidentielle, interroge Me Nathalie Jodel. Mon client est là, au fond du box, je n’ai pas pu le voir avant je ne peux pas lui parler içi » Le président Steinmann se dit conscient du problème. « J’avais demandé que l’on élargisse les trous, explique-t-il, mais ce n’est pas possible parce que les vitres sont recouvertes d’un revêtement spécial qu’on ne peut percer au risque de briser le verre. » Une solution est finalement trouvée : des chaises vont être ajoutées, et des vitres du box retirées.

Dans la salle, l’ambiance est surchauffée. Les  rayons du soleil traversent le Plexiglas de la toiture et la climatisation, louée spécialement pour le procès, est en panne. La litanie des noms se poursuit malgré tout. Voilà près d’une heure que l’appel a commencé, et le président en est encore à la lettre « C ». « C » comme Chalabi, comme Mohamed Chalabi. C’est lui qui a donné son nom au groupe que doit juger le tribunal. II est présenté par l’accusation comme l’un des principaux instigateurs du réseau. Comme d’autres prévenus détenus, il s’est laissé pousser la barbe en prison. « Vous êtes de nationalité algérienne », demande Bruno Steinmann. «Non, répond Mohamed Chalabi, je suis de nationalité musulmane, je n’ai rien à voir avec la junte militaire. » Le président ne relève pas et passe au suivant.

« TOI, TAIS-TOI, RENTRE CHEZ TOI »

Sur les cent trente-huit prévenus cités à comparaître, quatre sont sous le coup d’un mandat d’arrêt qui n’a pas été exécuté. La quasi¬totalité des prévenus libres sont présents. Quatre des vingt-sept prévenus détenus ont refusé de quitter leur maison d’arrêt respective pour se rendre au procès, notamment un homme très attendu : Mohamed Kerrouche, celui que l’accusation présente comme le chef et l’idéologue du réseau. Par¬mi ceux qui ont accepté de se rendre à l’audience, certains ne veulent pas de défenseur, comme Rachid Merad. Son avocat tente bien une intervention, mais il l’arrête : « Toi, tais-toi, rentre chez toi. » D’autres, au contraire, réclament un avocat commis d’office parce que celui qu’ils avaient choisi n’est pas venu à l’audience. D’autres, enfin, profitant de ne pas avoir reçu leur citation à comparaître, dénient au tribunal le droit de les juger. « J’ai déjà passé deux ans et demi en prison, c’est déjà une condamnation », lance Mustapha Daouadji, surnommé « le docteur », poursuivi notamment pour «recel de docu¬ments administratifs ».

Après une suspension d’audience, Me Jean-Jacques de Felice prend la parole au nom des avocats présents. Évoquant «une mascarade, une imposture, une injustice absolue », il réclame un renvoi pur et simple du procès, où « aucune défense individuelle n’est possible ». «Nous n’accepterons pas de cautionner ce procès, d’être des avocats alibis, taisant, acceptant, car c’est la règle dans les régimes autoritaires. » A peine son intervention terminée, la quasi-totalité des avocats – environ soixante-dix – quittent la salle, suivis d’une centaine de prévenus libres. Le président Steinmann cache sa colère devant ce nouvel accroc à la règle.

Les avocats n’ont attendu ni la réponse de Bernard Fos, le substitut du procureur, ni la décision du tribunal, qui renvoie l’examen de la demande au jugement sur le fond. Le procès devait donc se pour¬suivre, mercredi 2 septembre, sans que l’on sache si le départ des contestataires était définitif ou pas. A l’extérieur du gymnase – salle d’audience, certains d’entre eux annonçaient déjà leur intention de déposer une requête en suspicion légitime contre le tribunal et de saisir la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.

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Un réseau islamiste en procès à Fleury-Mérogis.

logo-liberation-311x113   Franck Johannes

Il y avait jusque-là une ambiance bonne enfant, chacun papotait avec son voisin dans un aimable brouhaha. Le président Bruno Steinmann joue certes méticuleusement son rôle, mais dès la première journée, hier, du procès du réseau Chalabi, l’audience lui a échappé. On n’entasse pas sans menus inconvénients cent trente-huit prévenus du plus grand procès islamiste de tous les temps dans un gymnase de Fleury-Mérogis (Essonne). La moitié des prévenus ne se lève pas à l’entrée du tribunal, les avocats rigolent dès que le ministère public ouvre la bouche, et toute la salle applaudit à la première pique de la défense.

Hier soir, une soixantaine d’avocats ont demandé le renvoi sine die du procès, la libération des détenus et la levée des contrôles judiciaires. Puis ils ont quitté la salle avec la centaine de prévenus qui comparaissaient libres. Le procès continue, mais dans des conditions acrobatiques. C’est Me Jean-Jacques de Felice qui a porté le fer, au nom de ses collègues, mais si l’élan était noble, le souffle était court. «Non, non, non, a théâtralement attaqué le vieux routier des droits de l’homme. Jamais! Nous n’accepterons jamais cette mascarade, cette imposture, cette injustice, cette impossibilité de défendre dignement nos clients.» Tous les avocats se sont levés, en cercle autour de lui, avec la moitié de la salle debout, dans un silence religieux: on aurait entendu plaider Me de Felice.

«Les jeux sont faits». Le gymnase de Fleury, d’abord. «Est-ce un stade? Est-ce une prison? C’est une honte, a murmuré l’avocat. Qui est responsable? Pas vous, monsieur le président, qui n’êtes plus rien. L’affaire a déjà été jugée depuis la rafle de 1994, depuis le premier jour, le premier mois, la première année. Les jeux sont faits. Mais nous n’accepterons pas de cautionner, d’être des avocats alibis, des avocats taisant, des avocats acceptant». Parce que, pour Me de Felice, c’est comme ça que ça se passe dans les régimes totalitaires. Le vieux monsieur, après quelques apartés émouvants et inaudibles, a conclu sous un tonnerre d’applaudissements et toute la salle a levé le camp.

Convention européenne. En droit, les avocats s’appuient sur des bases fragiles, quoique honorables, et notamment la Convention européenne des droit de l’homme. Elle dispose que «toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial». Pour la défense, un procès équitable ne «saurait se tenir dans un espace non judiciaire», en l’occurrence une salle de gymnastique, «sous la pression d’un dispositif sécuritaire». Le cas avait été prévu, une loi toute particulière a été votée le 29 décembre dernier pour délocaliser à Fleury la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris.

Par ailleurs, les deux mois d’audience constituent, pour les prévenus libres, une «ingérence de l’autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale», de la même convention européenne. Ils dénoncent dans la foulée «les lois d’exception qui gouvernent de multiples violations du droit commun» et les viols répétés des droits de la défense dans cette gigantesque procédure.

Quatre avocats ont fait bande à part. Mes Bruel et Cohen-Saban, qui n’ont rien dit, Me Chevais, qui ne s’associe pas «aux combats d’arrière-garde», et Me Lev Forster, qui assure que ceux qui souhaitent être défendus doivent pouvoir l’être.

Contrôle judiciaire. Après un bref délibéré, le tribunal a décidé de joindre l’incident au fond, c’est-à-dire de décider au moment du jugement s’il renvoie toute l’affaire: une façon courtoise d’envoyer promener les avocats. En attendant, il maintient les détenus en détention, les prévenus sous contrôle judiciaire et attend tout son petit monde cet après-midi à 13 h 30. La riposte est classique, le collectif d’avocats a déjà prévu de déposer aujourd’hui une requête en suspicion légitime, pour que le président soit chassé de l’affaire à son corps défendant.

Conditions pénibles. Le procès, bien sûr, va continuer. Mais dans des conditions qui s’annoncent pénibles.Il a fallu près de trois heures pour faire l’appel des 138 prévenus, il va falloir «trouver un miroitier compétent» pour faire des ouvertures dans les cages vitrées pour que les avocats puissent discuter cinq minutes avec leurs clients, et installer d’autres sièges au fond du tribunal.

Evidemment, les accusés sont un peu remontés. Rachid Merad envoie à son avocate, «rentre chez toi, je t’ai écrit une lettre, tu n’as même pas répondu». Un autre explique au président qu’il a payé son avocat mais qu’il n’est pas là, et qu’il veut qu’on le rembourse. Un prévenu répond au président que ce qu’on lui reproche est «archiment faux», mais c’est Mohamed Chalabi qui cadre le débat quand le président lui demande de confirmer qu’il est de nationalité algérienne. «Musulmane. Je n’ai rien à voir avec la junte algérienne.»

Histoire de corser un peu les débats, Me Eric Plouvier, qui défend des seconds couteaux, a demandé hier au tribunal de faire citer un magistrat et un ancien ministre de l’Intérieur, le juge Bruguière et Charles Pasqua.

Lire aussi page 6 le texte de Jean-Jacques de Felice et de Stéphane Maugendre, avocats.

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