Archives de catégorie : Avocat

Sucy : relaxe requise contre la maire accusée d’avoir discriminé des Roms

logoParisien-292x75Elsa Marnette, 01/07/2015

4911067_60512a10-201c-11e5-bb91-001517810e22-1De son propre aveu, elle se présente « très impressionnée » à la barre du tribunal correctionnel de Créteil. Ce mercredi matin, la maire (LR) de Sucy-en-Brie Marie-Carole Ciuntu fait l’objet d’une citation directe pour avoir discriminé des gens par rapport à leur appartenance à la communauté Rom. Entre septembre et novembre 2014, elle aurait, selon l’avocat et ancien opposant politique de l’élue Me Karsenti, refusé de scolariser cinq enfants Roms qui vivaient dans un bidonville de la commune. Elle ou plutôt ses services, directement incriminés par les parties civiles, et notamment par la présidente du collectif RomEurope 94.

Le 30 septembre, Aline Poupel se présente à la mairie de Sucy avec un dossier pour chaque enfant. Il lui manque une attestation de domiciliation. « L’agente m’a dit qu’elle ne pouvait pas prendre l’inscription et que c’était une décision catégorique du cabinet du maire », raconte la militante associative. Elle assure qu’une loi permet pourtant de procéder aux démarches sans ce document et repart.

« Nous ne connaissions pas la qualité de cette personne et elle est partie sans donner aucun document, assure de son côté Marie-Carole Ciuntu pour justifier la non-inscription. Il n’y a eu aucune instruction contraire. » Et l’élue de voir derrière cette action « un coup monté ».

A l’issue d’une audience fleuve, le procureur a requis la relaxe. Le jugement sera rendu le 2 septembre.

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Un maire qui aurait refusé de scolariser des Roms face à la justice à Créteil

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Créteil (AFP)

Un maire devant la justice, accusé d’avoir refusé de scolariser cinq enfants roms dans sa commune du Val-de-Marne: une action rarissime, selon les associations. Mais à l’issue d’une journée de débats mercredi à Créteil, c’est la relaxe qui a été requise.

« A mon sens, la preuve d’une discrimination n’est pas suffisamment apportée », a déclaré le procureur, prenant ainsi la défense de Marie-Carole Ciuntu, maire Les Républicains de Sucy-en-Brie, ville moyenne du Val-de-Marne (27.000 habitants).

L’affaire remonte au 30 septembre 2014, quand une représentante de l’association Romeurope –partie civile dans ce procès– se présente à la mairie, les dossiers de cinq enfants roms sous le bras.

L’année scolaire a déjà débuté, mais elle demande au guichet à scolariser ces enfants, qui vivent depuis quatre mois dans un bidonville sur la commune.

« La jeune femme s’est levée et a dit: +je vais aller voir mon responsable+ », témoigne à la barre cette militante, habituée à scolariser des Roms dans tout le département.

Quand « la personne de l’accueil » revient, elle lui oppose, selon elle, « un refus catégorique du cabinet du maire ». Le ton monte. Elle quitte les lieux.

Le jour même, une lettre est envoyée à Marie-Carole Ciuntu. « Nous vous demandons expressément de revenir sur ce refus et si vous persistez, notre collectif saisira le Défenseur des droits », écrit l’association, selon un extrait lu mercredi par son avocat Me Jérôme Karsenti.

Suivent plusieurs mises en demeure, notamment une du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), également partie civile, tout comme le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).

Sans réponse et après un peu plus d’un mois d’attente, une citation directe pour « discrimination raciale » est déposée contre Mme Ciuntu.

– ‘Une affaire montée, politique’ –

Cette dernière peine, à l’audience, à justifier son absence de réponse. « Tout ceci demande du temps », bredouille-t-elle, se disant « très impressionnée d’être ici ».

Puis elle se dévoile peu à peu et livre une version plus nuancée des faits. Selon elle, l’agent d’accueil de la mairie aurait réclamé un justificatif de domicile pour chaque enfant, demande que la militante, qui n’aurait en outre pas justifié de sa légitimité à demander les scolarisations, n’a pas acceptée.

« Nous n’avons pourtant jamais opposé la domiciliation » à une demande de scolarisation, affirme Mme Ciuntu, expliquant qu’il suffit aux familles d’être domiciliées par une association ou même au Centre communal d’action sociale (CCAS) pour que leur demande soit acceptée. « Plus de dix enfants roms sont aujourd’hui scolarisés » à Sucy-en-Brie.

Autre élément: un arrêté d’expulsion avait été déposé sept jours avant la requête de Romeurope, à la demande du préfet du Val-de-Marne, les Roms étant installés sur un terrain dangereux.

Elle souligne alors que l’un des avocats qui lui fait face, Me Karsenti, fut également un de ses conseillers municipaux d’opposition (PS) pendant deux ans. « Pour moi, l’affaire change de dimension », raconte-t-elle. « On a pris cette affaire comme une affaire montée, politique. »

Lui se lève, réfute d’une voix forte « ces accusations », puis tourne ostensiblement la tête, plus tard, quand elle évoque à nouveau son nom. Leur évident mépris mutuel transpire au milieu d’une salle d’audience déjà accablée par les températures caniculaires.

L’avocat du Défenseur des droits, également présent, se dit « sidéré ». « C’est cinq enfants pris en otage d’un conflit politique entre le maire et Me Karsenti », estime-t-il, considérant pour sa part que la discrimination est « caractérisée ».

Aveu troublant et involontaire, lâché dans la journée par Mme Ciuntu sur Me Karsenti: « S’il m’avait appelée, ça aurait été réglé dans les heures qui suivent ».

Affaire mise en délibéré au 2 septembre.

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Deux fillettes de 3 et 6 ans retenues par erreur plusieurs jours en zone d’attente à Roissy

index 3, Y.T. avec AFP,  12/06/2015 (Video)

Une fillette française de 6 ans et une autre, ivoirienne, de 3 ans, ont été retenues chacune quatre à cinq jours en zone d’attente de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, avant de retrouver leurs parents et la liberté, ont indiqué jeudi des sources concordantes à l’AFP. La première, de nationalité française, a été conduite samedi, à son arrivée du Cameroun, en zone d’attente pour personnes en instance (ZAPI), où sont habituellement placés les sans-papiers qui ne sont pas admis à entrer en France.

Sous l’autorité de la Police aux frontières (PAF), les mineurs y sont accueillis dans des locaux ad hoc, avec du personnel spécialement formé. Scolarisée dans ce pays où elle vit avec sa grand-mère, la fillette venait voir sa mère, française également, en vacances, a précisé l’avocate de cette dernière, Sidonie Leoue. Les policiers ont estimé que ses papiers étaient « usurpés », considérant que la petite fille ne ressemblait pas à la photo sur son passeport français, pourtant récent.

Demande d’indemnisation

Il a fallu quatre jours pour qu’elle soit libérée, la petite fille reconnaissant sans hésitation sa maman à l’aéroport et au tribunal de Bobigny, où elle comparaissait mardi. Elle a aussi pu nommer sa maîtresse et ses camarades de classe sur une photo scolaire. Le juge a souligné que « l’ensemble des éléments du dossier » contredisait la version policière du faux passeport. Me Leoue compte désormais demander des dommages-intérêts à l’Etat et la restitution des papiers.

« Elle n’arrête pas d’en parler »

Interviewée ce vendredi matin, sur Europe 1, la maman de la fillette explique que sa fille « commence à reprendre un peu ses marques. Elle va beaucoup mieux. Elle n’arrête pas d’en parler et pose plein de questions » Pour l’instant, elle le prend encore bien mais combien de temps ? »

La petite ivoirienne Fanta est, elle, arrivée samedi à l’aéroport et n’a été libérée que mercredi, sur décision du juge des libertés et de la détention (JLD), ont expliqué son père et son avocate à l’AFP. Le maintien d’un enfant aussi jeune, isolé de ses parents, en ZAPI, est exceptionnel, a précisé une source impliquée dans le dossier. Cette décision se justifiait toutefois par la nécessité de vérifier que c’était bien son père qui l’accompagnait et qu’elle n’avait pas été arrachée à sa famille ivoirienne, a précisé cette source, qui n’est pas liée aux autorités policières.

Le père de Fanta avait présenté aux policiers un faux passeport, acquis selon lui parce qu’il devait la ramener d’urgence en France et que, lui-même en situation irrégulière, il ne pouvait user des voies légales. « Il fallait coûte que coûte aller chercher ma fille pour éviter qu’elle ne soit excisée », a expliqué Mohammed Doumbia, qui affirme avoir demandé l’asile pour elle. Suite à ces faits, une enquête a été ouverte par le Défenseur des droits pour éclaircir les circonstances du maintien de Fanta dans la Zapi, a déclaré une porte-parole. Contactée, la préfecture n’avait pas réagi jeudi après-midi.

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Argenteuil : six ans après sa mort, les proches d’Ali Ziri ne désarment pas

Propos Recueillis par Maïram Guissé, 11/06/2015

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Photo Jocelyne Moreira

Le collectif Vérité et justice pour Ali Ziri reste mobilisé. Ce vendredi soir*, il organise un hommage à la mémoire du retraité algérien, sur la dalle d’Argenteuil. Une date symbolique, puisqu’il s’agit du sixième anniversaire de la mort d’Ali Ziri, 69 ans.

Le Chibani est décédé le 11 juin 2009, à l’hôpital d’Argenteuil, deux jours après son interpellation mouvementée par la police, à la suite d’un contrôle routier pour état d’ivresse, à Argenteuil. L’avocat de la famille, Stéphane Maugendre revient sur six années d’instruction judiciaire.

Où en est l’affaire aujourd’hui ?

STÉPHANE MAUGENDRE. Nous nous sommes pourvus en Cassation, pour la deuxième fois, après la décision de la chambre de l’instruction de Rennes (NDLR : Ille-et-Vilaine). Cette dernière a confirmé en décembre le non-lieu déjà rendu en octobre 2012 par le juge d’instruction du tribunal de Pontoise. L’arrêt de Rennes, que je trouve scandaleux, dit que la police a utilisé la force nécessaire.

Qu’attendez-vous de la Cour de cassation ?

Soit elle annule l’arrêt de Rennes, estimant que la décision n’a pas été bien motivée. Soit elle le confirme, estimant que tout a bien été traité. Dans ce cas, nous sommes prêts à saisir la Cour européenne des droits de l’Homme. Dans cette affaire, il n’y a pas eu d’instruction véritable menée par un juge d’instruction. Nous ne lâcherons pas.

Que demandez-vous ?

Six ans après la mort d’Ali Ziri, les trois policiers en cause n’ont jamais été entendus par aucun juge d’instruction saisi de l’affaire. Or, une policière a indiqué avoir utilisé la technique du pliage sur le retraité. Nous avons également demandé l’audition des témoins, et qu’une reconstitution soit faite au regard des expertises. Tout cela nous a toujours été refusé, comme le visionnage de la vidéo de l’arrivée d’Ali Ziri au commissariat d’Argenteuil. Quand une personne meurt en étant sous l’autorité de fonctionnaires de police, toutes les portes doivent être ouvertes pour être refermées une à une, sans négliger aucune piste. Propos RecueillisParMaïram Guissé

* Vendredi, à 20 h 30, Esplanade de l’Europe à Argenteuil. Gratuit.

L’interpellation mouvementée du retraité au cœur des débats

L’innocence des trois policiers qui ont procédé à l’interpellation d’Ali Ziri, le 9 juin 2009, à Argenteuil, ne fait aucun doute pour le syndicat de police Alliance. « Depuis le début, on ne cesse de dire que les collègues n’ont pas causé la mort de M. Ziri, insiste Ludovic Collignon, secrétaire départemental du syndicat de police Alliance. La technique du pliage n’a jamais été utilisée contrairement à ce que l’on peut entendre. »

L’interpellation était mouvementée. Sur ce point, tous sont d’accord. « Il (NDLR : Ali Ziri) était assis derrière, côté passager. La policière lui a maintenu le haut du corps contre l’appui-tête pour éviter qu’il ne donne des coups au collègue qui était à l’arrière », détaille Ludovic Collignon. Le syndicat aurait aimé que les policiers — toujours en service — soient « entendus par les juges d’instruction, car ça n’a pas été le cas » et qu’une « reconstitution soit faite ». « Si ça permettait à la famille de M. Ziri d’avoir des explications et de faire son deuil… », réagit-il.

La mobilisation des proches et du collectif, le syndicat dit la « comprendre ». « Mais je ne comprends pas pourquoi personne ne se pose de questions en direction du corps médical. Quand M. Ziri est arrivé à l’hôpital d’Argenteuil, il était conscient. L’infirmière n’a pas jugé bon de prendre ces constantes. Dix minutes plus tard, le médecin l’a trouvé en arrêt respiratoire. Personne ne regarde de ce côté », martèle Ludovic Collignon.

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Droit d’asile : le combat des interprètes afghans qui ont servi la France

france-24-logo[1] Valentin Graff,  28/04/2015

Panneaux%20Afghanistan%20France[1]La France a quitté l’Afghanistan fin 2012 sans ses personnels afghans, souvent menacés de mort. Peu ont pu trouver asile dans l’Hexagone. Sous la pression de plusieurs avocats, les autorités françaises ont accepté de réexaminer ces dossiers.

« Parfois, je regrette d’avoir choisi la langue française. » Ahmad*, 23 ans, est afghan. Pendant un peu moins d’un an, entre septembre 2011 et juin 2012, il a travaillé comme interprète pour l’armée française, jusqu’à ce qu’il reçoive des injures et des menaces de mort. Inquiet, il a alors déposé un dossier à l’ambassade pour obtenir un visa français, s’envoler pour la France et retrouver un sentiment de sécurité. Sans succès. Ahmad n’est pas seul dans ce cas. En tout, 258 auxiliaires afghans de l’armée française ont demandé à rejoindre la France, mais seuls 73 ont reçu un avis favorable.

Certains, désespérés, ont tout de même quitté leur pays natal. Passé par la France, qui lui a refusé l’asile, Ahmad vit ainsi à Stuttgart depuis cinq mois. Balbutiant quelques mots d’allemands, il loge dans un foyer en attendant que les autorités statuent sur son sort. Il voudrait pouvoir rejoindre la France. Et depuis le 21 avril, l’espoir renaît. Interpelé par un collectif d’avocats, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a indiqué dans un communiqué que « les dossiers ayant donné lieu à un refus feront l’objet d’un réexamen (dans les deux mois), sur simple demande des intéressés ». Pourquoi un tel revirement, un an et quatre mois après avoir signifié à Ahmad le rejet de sa demande ? Pourquoi à cet instant ? Grâce à une action intentée non pas à Stuttgart mais à Kaboul, quelques mois plus tôt, par un autre interprète afghan.

Un jour de la fin du mois de janvier 2015, Abdul Raziq rentre chez lui, dans les faubourgs ouest de la capitale afghane. Il découvre une énième lettre, placardée sur sa porte. Elle conjugue injures et menaces anonymes, comme toutes les précédentes. La première fois, c’était un coup de téléphone. Abdul s’était vu qualifier « de traître, d’espion, de chien d’étranger ». Il avait prévenu son employeur, l’armée française, et était resté caché pendant un mois. Cette fois, on le menace de décapitation.

Abdul Raziq travaille auprès des soldats français depuis fin 2001. A l’époque de l’arrivée des premiers bataillons tricolores, il n’avait que 14 ans et devait sa maîtrise du français à l’école privée qu’il avait fréquentée à Kaboul. Treize ans plus tard, il subit les conséquences d’une moitié de vie au service d’une force étrangère. « J’ai grandi avec l’armée française, confie-t-il à France 24. Lorsqu’on a refusé ma demande de visa, je me suis dit qu’il n’y avait pas d’autre solution. » Mais cette fois, ces menaces clouées à la porte derrière laquelle tremblent sa femme et ses deux filles, âgées d’un an et trois ans, lui semblent intolérables. « J’ai su que je n’avais plus le choix. J’ai décidé d’agir. » Abdul Raziq bat le rappel des interprètes et leur donne rendez-vous le 5 mars pour une manifestation.

Le feu aux poudres

« Le jour de la manifestation, nous étions 30 ou 35 », se rappelle Abdul. « Certains n’habitaient pas à Kaboul, d’autres ne voulaient pas prendre le risque de s’exposer. Moi, je n’avais pas le choix. Nous nous sommes retrouvés au parc Shāre Naw », à 15 minutes à pied de l’ambassade de France. Un demi-kilomètre plus loin, les voilà bloqués à un rond-point militarisé. Après discussions, trois d’entre eux, dont Abdul Raziq, peuvent poursuivre leur chemin vers l’ambassade.

Le « colonel en colère », qui les attend à la porte, ne se calme qu’en apprenant la présence de deux journalistes avec la troupe d’interprètes. Parmi eux, Joël Bronner, correspondant en Afghanistan pour RFI, raconte la scène dans un long reportage. L’officier français oppose malgré tout un refus ferme et définitif aux demandes des manifestants. « Il nous a dit que la procédure de visa était terminée, qu’on ne pouvait plus rien faire et que la France avait pris sa décision, se souvient Abdul Raziq. Il voulait juste nous faire partir. »

Il ne le sait pas mais en congédiant les interprètes, le colonel est loin de mettre fin au problème. En France, le journaliste Thibault Jouzier tombe sur une dépêche de l’AFP qui relate ce qui devait rester un non-événement : les protestations d’une poignée d’Afghans à plus de 5 000 kilomètres de la France. Il joint Abdul Raziq puis publie, au lendemain de la manifestation, un article pour le site Internet du journal « La Croix », pour lequel il pige.

Référés et lettres ouvertes

Douze jours plus tard, le quotidien décide de publier aussi cette histoire dans son édition papier datée du 19 mars. « On devait réagir immédiatement sur le site », explique Nathalie Lacube, adjointe au chef du service Monde et économie du journal. « Huit jours plus tard, les choses n’avaient pas bougé. On est alors allés sur le papier, là où l’article aurait plus de visibilité. » C’est ce numéro qui atterrit sous les yeux de Me Caroline Decroix, avocate spécialisée dans le droit des étrangers. « Profondément choquée », elle contacte le journaliste. Elle découvre que certains interprètes n’ont toujours pas eu de réponse claire. Que d’autres n’ont pas pu récupérer leurs passeports à l’ambassade, dont on leur interdit l’accès. « J’ai dit à Thibault Jouzier que s’il pouvait se débrouiller pour rapatrier les dossiers des Afghans [les preuves de leur demande de visa, de leurs services dans l’armée française et des menaces pesant sur leur personne notamment, NDLR], je pourrais m’en occuper juridiquement », raconte-t-elle.

En peu de temps, elle obtient les documents fournis par pas moins de 54 interprètes déboutés. Elle demande alors de l’aide à d’autres avocats de différentes spécialités (droit administratif, pénal, des étrangers…) dont beaucoup appartiennent, comme elle, à l’Association de défense des étrangers (ADDE). Bientôt, 35 avocats participent bénévolement à l’opération et forment un « collectif » qu’elle et sa consœur Me Fenna Baouz incarnent sur la scène médiatique.

Sous la conduite énergique de Me Decroix, le collectif avance sur deux fronts : il prépare des requêtes en référé pour chacun des dossiers, dont le nombre ne cesse de croître en même temps que l’exposition médiatique. Objectif : intervenir devant le tribunal administratif de Nantes, compétent pour statuer sur les refus de visas. Et il avance parallèlement sur le plan politique. Il interpelle le président François Hollande par une lettre ouverte le 8 avril. « Je ne voulais pas en arriver directement au conflit juridique, explique Caroline Decroix. L’honneur de la France est en jeu, nous voulions leur laisser la chance de s’en sortir d’eux-mêmes. »

Il faut croire que la menace des référés a fait mouche. À moins que ce soit la deuxième lettre ouverte, publiée cette fois par les députés UMP de l’étranger Thierry Mariani et Alain Marsaud, le 16 avril ? Toujours est-il que Laurent Fabius a jugé opportun de rouvrir le dossier. « Le contexte est un peu particulier », juge Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Son association avait, elle aussi, diffusé une lettre ouverte il y a un an et demi, sans réel impact. « Il y a sans doute plus de pression politique aujourd’hui qu’à l’époque sur le plan international », poursuit-il. « Peut-être du fait des attentats ou des naufrages de migrants. » L’image de la France, et celle de François Hollande dont le prestige international dépasse le domestique, sont en jeu.

« La qualité des services rendus »

« Les lettres ouvertes et la manifestation devant notre ambassade à Kaboul témoignent de l’insatisfaction suscitée par ce dossier, analyse Gaël Veyssière, sous-directeur de la presse pour le ministère des Affaires étrangères. Le gouvernement a souhaité remettre à plat la question des visas afghans pour donner une réponse à ceux qui n’en avaient pas reçu et revoir les demandes refusées et contestées. » Le processus prendra en compte trois critères, censés être les mêmes qui avaient conduit la commission concernée à ne délivrer que 73 visas : la « gravité des menaces » pesant sur les auxiliaires, leur « capacité d’intégration » en France et la « qualité des services » rendus à l’armée française.

Ahmad sera-t-il concerné par cette révision ? Pourra-t-il mettre fin à son exil allemand ? Lui dont les rêves de France s’étaient brisés sur le froid de la fin du mois de novembre 2014. Tout juste débarqué à Paris, il n’avait pas réussi à obtenir l’asile et avait dû errer deux semaines dans les rues et les parcs parisiens. Jusqu’à se résoudre à traverser le Rhin pour y trouver une place dans un foyer. Il y est depuis la fin de l’automne et occupe ses journées en allant à la bibliothèque trois fois par semaine lire des romans persans et français, et regarder des films. Avec ses trois compatriotes, dont il partage la chambre, il fait du sport tous les jours à la salle de gym, dont l’accès lui est gratuit.

Pour preuve de sa bonne foi, l’Élysée a reçu le 22 avril cinq représentants du collectif d’avocats et leur a assuré que les dossiers seraient traités en urgence. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a, lui, annoncé le lendemain l’envoi à Kaboul d’une mission conjointe avec le ministère de la Défense pour examiner les demandes de visa. Cette mission devrait arriver sur place cette semaine. En outre, le Quai d’Orsay a assuré au collectif d’avocats qu’il le recevrait également cette semaine. Lors de cette réunion, Me Decroix entend bien présenter les 127 dossiers dont le collectif a désormais la charge.

Abdul Raziq, quant à lui, n’a pas quitté son domicile le visage découvert, depuis la manifestation du 5 mars. « Si c’est indispensable, je sors à la tombée de la nuit, en portant un foulard et des lunettes de soleil », murmure-t-il. Après son ultime fait d’armes, il s’est retranché chez lui. « La mort peut venir chaque jour mais je n’en veux pas. Ni dans des semaines, ni dans des mois. J’ai encore peur que la France refuse les visas. » Reste à la France de juger si la moitié de sa vie passée à aider l’armée française répondra au critère de « qualité des services rendus ».

*Le prénom a été modifié.

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« La Méditerranée n’est plus un cimetière. C’est un charnier »

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Pour avoir tenté d’atteindre l’Europe dans les conditions les plus extrêmes et les plus dangereuses, ils seraient déjà au moins 950 à avoir perdu la vie en Méditerranée depuis le début de l’année. Cette semaine, 400 personnes se seraient ainsi noyées au large de l’Italie. Les conditions météorologiques s’améliorant, les traversées ont repris à cadence soutenue et il n’est pas un jour sans que les garde-côtes italiens n’aillent secourir des navires transportant des centaines de passagers clandestins. Ces arrivées massives de migrants en provenance du continent africain s’annoncent plus nombreuses encore qu’en 2014. A ces drames, les pays de l’Union européenne répondent en se barricadant et par l’inertie collective. cropped-stephane_maugendre_2.jpgLes associations d’aide aux immigrés n’ont, elles, de cesse de dénoncer, encore et toujours, les politiques migratoires mises en œuvre dans l’espace européen. Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Bobigny et président du GISTI (Groupe d’Information et de Soutien aux Immigrés), témoigne de cette fracture qui se creuse entre nord et sud et du peu d’humanité des politiques migratoires.

Cecil Thuillier : Quelle est la politique migratoire actuellement appliquée en Europe ?

Stéphane Maugendre : La politique migratoire, c’est la fermeture, c’est de faire de l’Europe une forteresse. Des murs qui sont de plus en plus hauts autour des frontières européennes, avec de plus en plus de difficultés pour rentrer sur le territoire français et donc des moyens de plus en plus délirants de la part des passeurs ou même des gens qui risquent de plus en plus leur vie.

GIOVANNI ISOLINO / AFP

Des migrants naufragés à leur arrivée le 16 avril 2015 dans le port d’Augusta en Italie. (© Giovanni Isolino / AFP)

Selon vous, quel intérêt les personnels politiques des pays européens ont-ils à gérer les choses de cette façon, alors que ces efforts de dissuasion n’ont visiblement aucun effet ?

Stéphane Maugendre : D’après ce que j’ai compris de ces politiques, l’idée supposée c’est de faire peur ou, du moins, d’inciter les gens à ne pas quitter leur pays pour l’Europe parce que c’est dangereux. Et de leur dire que c’est impossible d’entrer en Europe. Impossible parce qu’il n’y a pas de travail, parce que c’est pire en Europe que dans leurs pays… Donc ce n’est pas vraiment une politique.

Votre association, le GISTI, participe-t-elle à des concertations avec des représentants politiques, des responsables de gouvernement, des décideurs des politiques publiques de l’immigration ? Comment êtes-vous associé au débat public et à quoi ressemblent vos échanges ?

Stéphane Maugendre : Zéro. Nous, cela fait un certain nombre d’années qu’on prône la liberté de circulation et la liberté d’installation. Et depuis des années et des années, on nous prend pour de doux rêveurs. Petit à petit, des syndicats, des partis politiques, y compris les Verts, commencent à comprendre que ce serait peut-être au moins une réflexion à mener. (…) Il y a par exemple une organisation de dangereux gauchistes qui s’appelle l’Unesco – pardonnez-moi ce trait d’humour – qui a publié un ouvrage sur une politique migratoire d’ouverture des frontières. Ils ont demandé à des économistes, des sociologues, des démographes de travailler sur cette question-là.

Je vous rappelle que vous avez vécu, vous en tant que Française, une expérience d’ouverture des frontières durant toute votre vie, sans même que vous vous en aperceviez. On est passé de 7 à 27 pays en Europe. On a instauré la liberté de circulation, avec parfois des prises de position politique du genre  »on va être envahi par les concierges portugaises et les plombiers polonais ». Je n’ai pas senti que nous ayons été envahis par des hordes de Polonais, de Roumains ou de Grecs. C’est une expérience qui s’avère être positive, qui est possible et qui démontre qu’on n’est pas envahis.

Parmi les arguments avancés pour justifier la fermeture des frontières, il y a celui de la crise qui sévit en Europe  et met déjà mal les Européens. Que faire des migrants clandestins dans un tel contexte ?

Stéphane Maugendre : On nous a toujours servi ce discours-là : on est en crise et si on ouvre les frontières, on va être envahis. On nous l’a dit pour les Portugais, pour les Grecs. Or, si aujourd’hui il y a des gens qui fuient leur pays – ces gens que j’appelle des réfugiés économiques, des réfugiés climatiques, des réfugiés de la guerre – c’est à nous de les accueillir parce que nous avons une certaine responsabilité dans l’externalisation de ces guerres, de ces problèmes climatiques ou économiques. Il y aurait 500.000 personnes prêtes à venir en Europe. 500.000 personnes sur 500 millions ? et on nous parle d’invasion !

Si on pousse plus loin, la réflexion, la question c’est : qu’est-ce-qu’on met en place ? Est-ce-que tout le  »pognon » qu’on met pour fermer les frontières, financer Frontex, construire des barbelés ou installer des radars… et pour prendre l’exemple de la France, tous les moyens mis pour les reconduites aux frontières qui coûtent des dizaines de milliers d’euros par individu. On injecte tout ce  »pognon » pour lutter contre la venue alors qu’on pourrait l’utiliser pour les accueillir.

Puisque vous évoquez la France, quelle différence voyez-vous dans le traitement de ces questions selon les gouvernements de droite ou de gauche qui se sont retrouvés à la tête du pays ?

Stéphane Maugendre : ça n’a pas bougé. Je le répète tout le temps, la seule différence c’est qu’avant on disait  »avec fermeté et humanité » et maintenant on dit  »avec humanité, mais fermeté ». C’est le seul changement.

En terme de législation franco-française, on parle toujours en terme de suspicion à l’égard des étrangers, on regarde toujours l’étranger comme un envahisseur. On est tout simplement en dehors de la réalité de ce que vivent les étrangers, les milliers d’étrangers installés sur le sol français qui travaillent, qui ont une famille, dont les enfants vont à l’école, qui paient des impôts, des cotisations, qui participent à la vie de la cité etc…(…) Il y a 30 ans, on a inventé la carte de séjour de 10 ans pour les étrangers, ceux qui a priori devaient s’installer durablement sur le territoire français pour les aider à s’intégrer plus facilement, leur donner le temps de s’installer. Depuis 30 ans on n’a pas arrêté de détricoter cette avancée qui était fondamentale. Maintenant les gens ont des cartes d’un an. Et avec une carte d’un an, qui fait un emprunt ? Qui arrive à avoir un emploi en CDI au lieu d’un CDD ? Donc, les gens sont totalement précarisés dans leur séjour, dans leur vie familiale, leur vie sociale.

On parle de droit des étrangers, mais finalement ces étrangers ont-ils vraiment des droits, un statut ?

Stéphane Maugendre : Pour les étrangers qui sont en mer Méditerranée, non il n’y en a pas, ils n’ont pas de statut. La Méditerranée n’est plus un cimetière, elle est un charnier. Ça fait des années et des années qu’il y a des gens qui meurent en Méditerranée, on le sait. Il y a presque 3 ans, on a déposé plainte car à cause de la guerre en Libye, des migrants qui avaient fui sur un bateau. Ils sont passés à côté de navires militaires, ont été repérés sur des radars et pourtant ils ont mis 10 jours pour mourir de faim, de soif sur leur embarcation. On s’en fout de ces gens-là. Il a fallu que le pape aille à Lampedusa pour découvrir qu’il y avait des gens qui mouraient en Méditerranée.

Que craignez-vous quant à l’évolution de cette situation ?

Stéphane Maugendre : L’Europe va poursuivre sa fermeture et ne va pas lâcher ce cap-là. La forteresse sera de plus en plus défendue, donc il y aura de plus en plus de morts. Des négociations vont peut-être avoir lieu avec la Tunisie, l’Algérie, la Libye pour que soient multipliés les camps qui existent là-bas. Ces camps où le droit est absent. Quand les migrants arrivent en Europe, ils ont des droits. Mais quand ils arrivent dans des camps qui ne sont pas situés en Europe mais de l’autre côté de la Méditerranée il n’y a pas de droit. On risque d’avoir des lieux de non-droit dans lesquels des associations dites humanitaires iront pour voir si ce sont véritablement des réfugiés et pour créer éventuellement des couloirs humanitaires. Je crains que des missions seraient confiées au HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés) ou à d’autres organismes pour aller choisir les bons ou mauvais réfugiés dans ces camps.

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Meurtre de la petite Chloé : les raccourcis du FN

 ,Geoffrey Bonnefoy ,16/04/2015

POLEMIQUE – Au lendemain du viol puis du meurtre de la petite Chloé, à Calais, le parti d’extrême droite s’en est pris vertement à la justice dans un argumentaire non dénué d’approximations. Metronews démêle le vrai du faux.

Le FN est monté au créneau, avec beaucoup d’imprécisions, après la mort de Chloé.

À l’émotion suscitée par le viol et le meurtre de la petite Chloé, mercredi, à Calais, les ténors du FN ont rajouté ce jeudi une opération de récupération politique. L’occasion pour Marine Le Pen de fustiger, à tort, l’abrogation de la « double peine » et pour Gilbert Collard d’entonner sa petite musique, récurrente, concernant les remises de peine prévues par la loi. Metronews fait le point sur ce double-argumentaire.

Marine Le Pen et la double peine

Sur Twitter, Marine Le Pen a fait d’une pierre deux coups en s’en prenant à la suppression de la double peine, décidée par son adversaire politique favori : Nicolas Sarkozy.

Pour rappel, la double peine consiste à sanctionner un délinquant étranger à de la prison, tout en l’interdisant de territoire à sa sortie. Sur ce point, et dans le cas du drame de Calais, la présidente du Front national, qui a commencé sa carrière comme avocate, fait de l’intox. « Nicolas Sarkozy n’a pas abrogé la ‘double peine’ mais a modifié certaines dispositions à la marge. On peut regretter que M. Sarkozy l’ait présentée ainsi à l’époque, ce qui est faux. On peut regretter aussi que Mme Le Pen rebondisse sur un mensonge sans le vérifier », grince Me Maugendre, auprès de metronews.

Concrètement, la double peine a seulement été aménagée sous la précédente mandature : la justice conserve la possibilité de prononcer des peines complémentaires d’expulsion pour les « criminels étrangers. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le tribunal de Boulogne-sur-Mer concernant le principal suspect en prononçant une interdiction de territoire français. Sauf que, dans ce cas précis, la peine a été annulée. Et pour cause, les faits pour lesquels le suspect a été condamné ne permettent pas en effet, légalement, son expulsion.

Gilbert Collard et les remises de peine

Ce jeudi, au micro de Sud Radio, le député du Gard, élu avec le soutien du FN, a déploré, lui, que le principal suspect de ce meurtre sordide – un ouvrier polonais de 38 ans au passé judiciaire chargé – ait bénéficié d’une remise de peine, dans le cadre d’une précédente condamnation. Ce qui semble vrai, mais tout à fait conforme à la loi.

Condamné le 30 mars 2010 à six ans de prison pour extorsion avec violences et tentative de vol aggravé en état de récidive, le suspect a purgé sa peine entre le 29 juin 2009 et le 21 mars 2014, soit un peu moins de 5 ans, d’après les éléments communiqués jeudi en milieu de journée par le procureur de Boulogne-sur-Mer, Jean-Pierre Valensi.

Les remises de peine sont strictement encadrées par le Code pénal. Elles sont calculées en fonction de crédit attribués quasiment automatiquement en fonction de la durée de la détention (ils ne sont remis en question que s’il y mauvaise conduite). Le suspect ayant été condamné avant l’entrée en vigueur de la réforme pénale de Christiane Taubira, qui a harmonisé, au 1er janvier dernier, le calcul de ces crédits entre primo-délinquants et récidivistes, Gilbert Collard ne peut donc s’en prendre qu’à la loi. Et non à un quelconque dysfonctionnement dans cette affaire précise.

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Pourquoi l’immigration est-elle devenue un sujet policier ?

Extrait du numéro 84, avril 2015 de la revue Causes Communes de la Cimade

Confrontées à la police dans leur parcours migratoire et en France, les personnes étrangères sont souvent les victimes d’une politique discriminatoire. La police joue un rôle incontournable dans la politique migratoire, quelle est sa responsabilité? Pourquoi des dérapages existent-ils et en quelles proportions?

Débat autour de ces questions à la bibliothèque Robert Desnos de Montreuil, entre Gaëtan Alibert, policier gardien de la paix, SUD Intérieur (Union syndicale Solidaires), Emmanuel Blanchard, maître de conférence à l’université de Versailles-Saint-Quentin et chercheur au Cesdip (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales), Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis et président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s), Denis Perais, préfecture de la Seine-Maritime, SUD Intérieur.

Dominique Chivot : Que prévoit la loi à propos des contrôles d’identité ? Qui peut-on contrôler ?

Stéphane Maugendre : Les contrôles d’identité doivent être faits quand il y a présomption d’infraction ou sur réquisition du procureur de la République pour une période et un endroit donnés, en raison de troubles à l’ordre public.

Emmanuel Blanchard : Ils renvoient au rôle historique de la police, créée pour identifier l’extranéité, non pas au sens juridique du terme (entre Français et étrangers) mais pour faire en sorte que des personnes qui ne se connaissent pas obéissent à des règles partagées. L’identification est donc au cœur du travail policier, mais le cadre juridique est très lâche, c’est pourquoi il y a tant de débats. Ce sont les contrôles d’identité qui cristallisent les frictions entre police et population.

Dominique Chivot : Les contrôles des étrangers sont-ils efficaces ? À quoi servent-ils ?

Gaëtan Alibert : Oui, dans la mesure où c’est le moyen le plus simple pour trouver les personnes sans titre de séjour : cela découle en fait de la pression mise sur les policiers pour atteindre les objectifs chiffrés donnés par l’administration, ce qu’on appelle la politique du chiffre. Il y a certes des services spécialisés qui ont d’autres méthodes, mais pour les patrouilles classiques –îlotage, police secours, brigade anti-criminalité– qui n’ont pas forcément connaissance des réseaux de passeurs, c’est leur connaissance du terrain qui les pousse à des contrôles d’identité dans tel ou tel quartier où il y a forcément plus de chances de trouver des gens en ILE (infraction à la législation des étrangers). La lutte contre les réseaux mafieux de passeurs passe par des investigations beaucoup plus longues et moins médiatisées. C’est elle pourtant qui doit être efficace, et non les contrôles d’identité qui ne servent qu’à faire du chiffre.

Denis Perais : S’il existe toujours une politique du chiffre, cela se fait aujourd’hui de façon assez sournoise. Les notes de service se contentent de dire «ces opérations se doivent d’être irréprochables aux yeux de nos directions zonales et centrales» sans donner de chiffre. L’injonction est beaucoup plus subtile, afin d’éviter ce qui pourrait faire scandale. Mais on mobilise beaucoup d’agents de la force publique pour ces contrôles, alors qu’on en mobilise beaucoup moins pour contrôler les fraudes, par exemple au code du travail. Les procédures d’urgence concernant les obligations de quitter le territoire français (OQTF) prennent une place prépondérante au détriment des autres missions. Cette pratique est particulièrement mise en évidence devant les tribunaux administratifs. Cela découle d’un choix politique en amont, dont la police est l’instrument visible. Depuis le milieu des années 1970, le choix politique est de faire de l’immigration un problème.

Emmanuel Blanchard : On peut élargir à la question: à quoi ça sert de vouloir contrôler les frontières? Aujourd’hui on assiste à un spectacle du contrôle des frontières, parce qu’un État qui s’est démis d’une partie de sa souveraineté, notamment en matière économique, s’il ne veut pas s’affaisser et se délégitimer totalement, doit montrer qu’il est actif sur d’autres domaines, comme la criminalité de rue ou les frontières. Alors même qu’elles sont de plus en plus effacées pour une partie de la population, il s’agit de montrer qu’on est capable de les contrôler. Sans ce spectacle, il n’y a plus d’État. La construction du mur est l’incarnation de ce spectacle. Mur qui va être contourné, mais il y a une mise en scène de la capacité d’agir, sans véritable débouché.

Dominique Chivot : Que pensez-vous des dérapages, comment les expliquez-vous ?

Gaëtan Alibert : C’est une toute petite partie. Mais c’est sur elle que se cristallisent les débats. Il y a de multiples raisons, dont certaines beaucoup plus profondes que les comportements individuels: la politique du chiffre, la façon dont on voit notre jeunesse, la manière dont on voit les étrangers, la manière dont les politiques instrumentalisent tout cela, etc. Les policiers appliquent une politique qui conduit à ce que certains contrôles se passent mal. Un sociologue comme Laurent Mucchielli parle d’engrenage: dans les quartiers populaires, les policiers sont dans un engrenage de violences symboliques, verbales ou physiques. Au bout d’un moment les situations sont explosives. Il faut bien sûr sanctionner des comportements, mais ce qu’il faut sanctionner avant tout, ce sont ces politiques sécuritaires liberticides qui opposent les gens, et dont les policiers, comme les migrants, comme les jeunes des quartiers populaires, sont prisonniers.

Stéphane Maugendre : La dérive du contrôle résulte non seulement des ordres du ministère de l’intérieur, mais aussi de la complicité de la justice: lorsqu’un procureur de la République demande aux services de police des contrôles systématiques devant le tribunal administratif et derrière la Cour nationale du droit d’asile, à l’heure des audiences où des étrangers viennent contester leur OQTF, on va bien évidemment faire du chiffre ! Mais lorsqu’on demande au parquet de bien vouloir nous donner les statistiques, le nombre de réquisitions données aux services de police, nous n’avons jamais aucune réponse.

Denis Perais : Le terme de «dérapage» ou de «bavure» laisse penser que c’est à la marge, alors que c’est le système qui génère les violences et les légitime.

Dominique Chivot : Les policiers français sont-ils suffisamment formés?

Gaëtan Alibert : La formation initiale dure un peu moins d’un an, avec seulement quelques cours, de quelques heures sur ces sujets, elle est donc forcément incomplète. La formation continue est difficilement possible et concentrée sur des aspects techniques et pas du tout sociologiques. Le constat est fait depuis très longtemps par l’ensemble des syndicats, il est partagé, y compris par le ministère.

Emmanuel Blanchard : Des enquêtes comparent les représentations des policiers avant qu’ils entrent sur le terrain et après quelques années de pratique. En gros, avant d’entrer dans la police, ces policiers sont représentatifs de la population française, avec ni plus ni moins de préjugés sur les étrangers. Mais ils en ont de plus en plus au fur et à mesure de la pratique professionnelle. Cela peut s’expliquer par le fait d’envoyer les jeunes gardiens de la paix sur des territoires dont ils n’ont aucune connaissance. Et s’il n’y a pas le travail de déconstruction sociologique, pour essayer de comprendre ce que sont ces territoires, les personnes qui y habitent, comment passer de la perception à l’analyse, cela génère des formes de préjugés racistes.

Gaëtan Alibert : C’est vrai aussi des jeunes gardiens de la paix eux-mêmes issus de minorités ethniques. Il n’y a pas que le policier blanc qui contrôle au faciès. On est dans une relation assez complexe à l ’autre.

Dominique Chivot : Quel est le rapport de forces entre la police et la justice ? Ou entre la police et les autres services du ministère de l’intérieur ?

Stéphane Maugendre : Depuis que la législation a changé, le fait d’être en situation irrégulière n’est plus un délit et ne peut donc pas motiver une garde à vue. Mais pendant une période, la police a continué à mettre en garde à vue les étrangers en situation irrégulière, en rajoutant un petit délit d’outrage, de jet de pierre, des petites choses… pour ne pas avoir à utiliser la procédure de vérification d’identité, qui ne permet de garder la personne que pendant quatre heures. Puis la loi Valls a fait passer ce temps de retenue judiciaire, d’abord à 10 heures, puis à 12 puis finalement 16 heures. De fait, on a finalement recréé une espèce de garde à vue pour étrangers. Sous la pression des policiers. Autre exemple du rapport entre police et immigration, significatif des dérives actuelles : la création d’une annexe du tribunal de grande instance de Meaux au Mesnil-Amelot, jouxtant le centre de rétention et construit avec les deniers du ministère de l’intérieur.

Emmanuel Blanchard : Selon les pays, la question de l’immigration est partagée entre différents ministères: intérieur, travail, affaires sociales, justice et affaires étrangères. Les équilibres sont variables, mais en France, la part de l’intérieur a toujours été bien plus importante. Les derniers changements sont liés à la création du ministère de l’immigration et de l’identité nationale qui a rapatrié les directions des autres ministères cités. Puis, avec la dissolution de ce ministère, tout est resté sous la tutelle de l’intérieur y compris l’asile et les visas.

Stéphane Maugendre : Avec le changement de majorité, on aurait pu s’attendre à un détricotage de cette opération menée par Nicolas Sarkozy en 2007.

Dominique Chivot : Y a-t-il des sanctions en cas de dérapage ?

Gaëtan Alibert : L’administration policière est celle qui est le plus contrôlée et où il y a le plus de sanctions prononcées. On compte en moyenne, ces dernières années, 2 500 policiers sanctionnés. Certains sont sanctionnés, parfois très durement, sur des faits peu importants, tandis qu’il y a des faits très graves et connus de la hiérarchie, qui ne sont pas sanctionnés. Cela dépend de ce qui s’ébruite : si on n’a pas pu empêcher la diffusion de l’information, on fait du fonctionnaire le bouc émissaire.

Stéphane Maugendre : Sur le plan pénal, j’ai eu à traiter trois affaires de décès lors de reconduites à la frontière. Résultats : une relaxe (après huit ans d’instruction), un non lieu et une condamnation à trois mois avec sursis pour homicide involontaire (après six ans d’instruction). Une quatrième instruction est en cours. Sur d’autres cas de violences policières, si l’IGPN ou l’IGS n’interviennent pas immédiatement, l’instruction dure des années et des années. Autre difficulté : la frilosité des juges d’instruction, qui ne veulent pas se mettre à dos les services de police dont ils peuvent ultérieurement avoir besoin pour d’autres affaires.

Débat animé par Dominique Chivot et retranscrit par Françoise Ballanger

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