Archives de catégorie : Avocat

Mis en examen pour compassion

Actualités Politique, Monde, Economie et Culture - L'Express Dupont Audrey, 

Gare à ceux qui aident les immigrés

La générosité peut-elle être un délit? L’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 stipule que toute personne qui aura «facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France […] sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros». Les 23 avril et 30 mai, Charles Framzelle, dit «Moustache», et Jean-Claude Lenoir, membres du Collectif de soutien d’urgence aux réfugiés, ont été mis en examen pour «aide au séjour» d’immigrés clandestins. Jusqu’alors, cet article très contesté n’avait été que rarement utilisé. Mais dans son projet de loi sur l’immigration – discuté à partir du 24 juin à l’Assemblée nationale – Nicolas Sarkozy prévoit de le renforcer en aggravant les peines. En ligne de mire: les associations et les syndicats. Camille, responsable de la communauté d’Emmaüs de Bourg-en-Bresse (Ain), a déjà été mis en garde à vue en février dernier pour le même motif. Une procédure est en cours. «Si Emmaüs est mis en examen, toutes les associations, les maires et Etienne Pinte [député maire UMP de Versailles, qui réclame l’abolition de la double peine] doivent l’être aussi!» s’insurge Stéphane Maugendre, avocat et vice-président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Fabien Tuleux, délégué général d’Emmaüs France, renchérit: «On touche ici à nos valeurs. Depuis cinquante ans, nous pratiquons un accueil inconditionnel. En hiver, on se fiche du statut administratif des gens. Notre relation est avant tout fondée sur la confiance.»

⇒ Lire l’article

Roissy-Bamako, avec escale au tribunal

  Jacky Durand

Il ne fait pas bon s’embarquer sur les avions réquisitionnés par Nicolas Sarkozy pour ses expulsions. Trois passagers du vol Paris-Bamako BIE961 de la compagnie Air Méditerranée, programmé le 1er avril au départ de Roissy, en ont fait l’expérience : ils seront jugés le 23 juin prochain devant la 17e chambre du tribunal de grande instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis) pour «entrave volontaire à la circulation ou à la navigation d’un aéronef». Ils encourent une peine maximale de cinq ans de prison ferme et 37 500 euros d’amende.

«Atmosphère agitée». Paul Rosner, 22 ans, et Léandre Chevalier, 27 ans, font partie de l’association Imragen qui soutient des projets humanitaires et sociaux à travers le monde. Le 17 avril, ils doivent s’envoler vers Bamako au Mali pour une mission d’évaluation sur une ferme qui fait vivre des personnes handicapées et leurs familles. Leur vol, prévu à 12 h 10 dans l’aérogare 3 de Roissy, est différé à deux reprises.

Paul raconte : «A 13 heures, nous avons vu trois fourgons de police s’immobiliser devant notre porte d’embarquement. Des passagers ont demandé s’il s’agissait d’une reconduite aux frontières mais la responsable de l’embarquement leur a répondu que les policiers étaient en attente à cet endroit « pour profiter de l’ombre ».»

A 16 h 50, Paul et Léandre retrouvent les cars de police au pied de l’avion où «l’atmosphère était déjà bien agitée». «Nous nous sommes installés à nos places, au milieu de l’appareil, explique Léandre. C’est alors que nous avons compris qu’au moins quatre personnes étaient retenues au fond de l’avion, les mains entravées dans le dos avec une dizaine de policiers les entourant.»

Des expulsés crient, d’autres pleurent. Le ton monte entre les passagers et les agents de la Police aux frontières (PAF). «D’un seul coup, il y a eu un grand mouvement de foule et les cris provenant du fond de l’avion se sont faits plus forts», dit Paul qui saisit son appareil photo quand son voisin lui affirme que «les forces de l’ordre sont en train de frapper un expulsé». «Je me suis précipité dans le fond de l’avion et j’ai déclenché mon appareil en direction des policiers qui criaient « attrapez-le, prenez-lui l’appareil ! »».

Garde à vue. Paul rejoint sa place à côté de Léandre, mais deux policiers accourent et les menottent. «Nous avons été descendus de l’avion pour être jetés dans un fourgon.» Un troisième passager menotté les rejoint. Il s’agit de Patrick Hermann, un responsable de la Confédération paysanne. Peu après 18 heures, les trois hommes sont placés en garde à vue dans les locaux de la PAF de Roissy pour «s’être opposés à une procédure de reconduite aux frontières».

Ils racontent les cellules dégoûtantes où s’entassent les sans-papiers interpellés à l’aéroport : «J’ai écouté leurs vies, leurs rêves quand ils viennent en France, dit Léandre. Avec moi, il y avait un Malien d’une vingtaine d’années, fou de football et un Sierra-Léonais qui a pleuré quand on l’a remis en liberté.» Au policier «très courtois» qui les a interrogés, Paul et Léandre ont raconté «la situation explosive» qu’ils ont découverte dans l’avion.

Collectif. Après vingt heures de garde à vue, les trois passagers du Paris-Bamako ont été conduits devant le parquet du tribunal de grande instance de Bobigny où on leur a signifié les charges retenues contre eux et leur convocation devant une chambre correctionnelle.

En vue du procès, un collectif de soutien (1) s’est constitué. Il a reçu le renfort de plusieurs organisations, dont la Confédération paysanne, Droits devant !!, SUD-Education, France-Libertés et le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Sur le site monté à l’occasion, une question clignote à l’adresse de l’internaute : «Citoyenneté et solidarité seraient-elles un délit ?» Le procureur donnera sa réponse dans un peu plus d’une semaine.

⇒ Lire l’article

Fronde contre les audiences à Roissy.

logoParisien-292x75 Pascale Egrée, 8 /06/2003

«NON À UNE juridiction d’exception sur l’aéroport de Roissy ! » : «  Projets Sarkozy, atteintes à la justice »… A quelques jours de l’examen en première lecture du projet de loi Sarkozy sur l’immigration, loi qui doit être adoptée le 11bjuin par la commission des lois de l’Assemblée nationale, la grogne s’intensifie au tribunal
de Bobigny.

Objet de cette « fronde » qui unit magistrats du TGI et avocats du barreau de Seine-Saint-Denis depuis plusieurs semaines sous forme de lettres ouvertes, tribunes, pétitions et motions : la délocalisation des audiences des étrangers à Roissy-Charles-de-Gaulle, prévue par l’article

34 dudit projet. Une vieille polémique

L’idée de faire statuer les juges sur le maintien ou non en rétention des étrangers en situation irrégulière au plus près des lieux de leur arrivée – c’est-à-dire des zones d’attente portuaires et  aéroportuaires – est une vieille revendication des ministres de l’Intérieur et un vieux sujet de discorde avec leurs homologues de la Justice.

Le TGI de Bobigny est le premier concerné, puisque Roissy, principal point d’arrivée de migrants en France, dépend de sa zone de compétence (95 % des étrangers concernés par les procédures dites du « 35 quater »). En 2002, ses juges ont ainsi statué sur le sort de plus de 12 000 étrangers (un flux en augmentation constante depuis trois ans), transportés quotidiennement entre l’aéroport et le tribunal par des escortes de la PAF. Il y a deux ans, une nouvelle étape avait été franchie par l’Intérieur, avec l’aménagement, malgré une première levée  de boucliers, d’une salle d’audience au cœur d’une des zones d’attente de Roissy (Zapi 3). Fin prêt depuis un an, l’endroit est resté vide. Dominique Perben lui-même s’opposait à son utilisation. Mais un arbitrage de Matignon a tranché en faveur de Nicolas Sarkozy. Rédigé sur mesure, l’article 34 de son projet, s’il est adopté, forcera les magistrats à s’incliner. « Le juge des libertés et de la détention statue au siège du tribunal de grande instance, dit le texte. Toutefois, si une salle d’audience lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée sur l’emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire, ll statue dans cette salle. » Du côté des policiers, on attend avec impatienceque la loi soit votée. « C’est une question d’efficience et de bon emploi des effectifs », souligne Jean-Yves Topin, directeur de la PAF de Roissy, qui rappelle que 30 à 60 de ses fonctionnaires ont chaque jour affectés aux transferts. « Je défends une position pragmatique, y compris quant au confort des étrangers non admis », insiste-t-il. Les avocats sont très mobilisés

Du côté judiciaire, on multiplie les démarches contre une disposition jugée « contraire aux grands principes d’impartialité, d’égalité de traitement et de publicité des débats ». « Délocaliser ces audiences revient à placer un tribunal à l’intérieur d’une enceinte policière ! », s’insurge Brigitte Marsigny, bâtonnier de Seine-Saint-Denis, qui s’inquiète d’un amoindrissement des droits de la défense.
« Toute personne, citoyenne ou non de notre pays,  a le droit d’être entendue dans une enceinte judiciaire normale », tempête Dominique Barella, de l’Union syndicale des magistrats (USM), qui souligne les difficultés d’accès à la salle de Zapi 3. « Les principes du droit ne peuvent s’effacer devant des arguments matériels », insiste Stéphane Maugendre, avocat de Bobigny  et vice-président du Groupe d’information et de soutien des immigrés ( Gisti).

Soutenus par les associations de défense des droits des étrangers, magistrats et avocats espèrent encore que cet article 34 ne sera pas maintenu. Et vont jusqu’à promettre, s’il l’est, « d’utiliser tous les moyens de droit et de procédure pour que cette salle d’audience soit déclarée illégale ».

⇒ Voir l’article

Fronde contre les audiences à Roissy

logoParisien-292x75 Pascale Egrée, 8 /06/2003

«NON À UNE juridiction d’exception sur l’aéroport de Roissy ! » : « Projets Sarkozy, atteintes à la justice »… A quelques jours de l’examen en première lecture du projet de loi Sarkozy sur l’immigration, loi qui doit être adoptée le 11 juin par la commission des lois de l’Assemblée nationale, la grogne s’intensifie au tribunal
de Bobigny.

Objet de cette « fronde » qui unit magistrats du TGI et avocats du barreau de Seine-Saint-Denis depuis plusieurs semaines sous forme de lettres ouvertes, tribunes, pétitions et motions : la délocalisation des audiences des étrangers à Roissy-Charles-de-Gaulle, prévue par l’article

34 dudit projet. Une vieille polémique

L’idée de faire statuer les juges sur le maintien ou non en rétention des étrangers en situation irrégulière au plus près des lieux de leur arrivée – c’est-à-dire des zones d’attente portuaires et aéroportuaires – est une vieille revendication des ministres de l’Intérieur et un vieux sujet de discorde avec leurs homologues de la Justice.

Le TGI de Bobigny est le premier concerné, puisque Roissy, principal point d’arrivée de migrants en France, dépend de sa zone de compétence (95 % des étrangers concernés par les procédures dites du « 35 quater »). En 2002, ses juges ont ainsi statué sur le sort de plus de 12 000 étrangers (un flux en augmentation constante depuis trois ans), transportés quotidiennement entre l’aéroport et le tribunal par des escortes de la PAF. Il y a deux ans, une nouvelle étape avait été franchie par l’Intérieur, avec l’aménagement, malgré une première levée de boucliers, d’une salle d’audience au cœur d’une des zones d’attente de Roissy (Zapi 3). Fin prêt depuis un an, l’endroit est resté vide. Dominique Perben lui-même s’opposait à son utilisation. Mais un arbitrage de Matignon a tranché en faveur de Nicolas Sarkozy. Rédigé sur mesure, l’article 34 de son projet, s’il est adopté, forcera les magistrats à s’incliner. « Le juge des libertés et de la détention statue au siège du tribunal de grande instance, dit le texte. Toutefois, si une salle d’audience lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée sur l’emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire, ll statue dans cette salle. » Du côté des policiers, on attend avec impatienceque la loi soit votée. « C’est une question d’efficience et de bon emploi des effectifs », souligne Jean-Yves Topin, directeur de la PAF de Roissy, qui rappelle que 30 à 60 de ses fonctionnaires ont chaque jour affectés aux transferts. « Je défends une position pragmatique, y compris quant au confort des étrangers non admis », insiste-t-il. Les avocats sont très mobilisés

Du côté judiciaire, on multiplie les démarches contre une disposition jugée « contraire aux grands principes d’impartialité, d’égalité de traitement et de publicité des débats ». « Délocaliser ces audiences revient à placer un tribunal à l’intérieur d’une enceinte policière ! », s’insurge Brigitte Marsigny, bâtonnier de Seine-Saint-Denis, qui s’inquiète d’un amoindrissement des droits de la défense.
« Toute personne, citoyenne ou non de notre pays, a le droit d’être entendue dans une enceinte judiciaire normale », tempête Dominique Barella, de l’Union syndicale des magistrats (USM), qui souligne les difficultés d’accès à la salle de Zapi 3. « Les principes du droit ne peuvent s’effacer devant des arguments matériels », insiste Stéphane Maugendre, avocat de Bobigny et vice-président du Groupe d’information et de soutien des immigrés ( Gisti).

Soutenus par les associations de défense des droits des étrangers, magistrats et avocats espèrent encore que cet article 34 ne sera pas maintenu. Et vont jusqu’à promettre, s’il l’est, « d’utiliser tous les moyens de droit et de procédure pour que cette salle d’audience soit déclarée illégale ».

Appel à désobéir à la loi Sarkozy sur l’immigration

index, Sylvia Zappi, 08/06/2003

SIX ANS après leur premier appel contre la loi Debré sur les étrangers, les cinéastes récidivent. Le même journal comme support – les Inrockuptibles -, la même solidarité avec les sans-papiers, le même mode d’interpellation des autorités publiques – une pétition « citoyenne » -, et la même phraséologie – « appel à la désobéissance ». Le 28 mai, l’hebdomadaire lançait une pétition, appelée « manifeste des délinquants de la solidarité », sur l’hébergement et l’aide aux sans-papiers.

En 1997, les pétitionnaires s’étaient élevés contre les poursuites engagées à l’encontre d’une militante lil­loise poursuivie pour avoir hébergé un sans-papiers. Le mouvement s’était ensuite transformé en protestation contre la loi Debré, qui durcissait les conditions d’obtention des certificats d’hébergement des étrangers en visite en France. « Ce qui est proposé aujourd’hui est encore plus dur », estime l’avocat Stéphane Maugendre, vice-président du Groupe d’information et de soutien des immigrés.

Le 19 juin, l’Assemblée nationale commencera l’exa­men du projet de loi sur l’immigration de Nicolas Sarkozy. Le texte prévoit une peine de prison de dix ans et une amende de 750 000 euros pour « toute personne qui (…) aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, le séjour irréguliers d’un ranger en France ou dans l’espace international [zone d’attente] ». Le projet étend ces condamnations aux « personnes morales », c’est-à-dire aux associations, dont les biens pourront être saisis.

Les cinéastes Laurent Cantet, Catherine Corsini et Jean-Pierre Thorn, les metteurs en scène Daniel Mesguich, Ariane Mnouchkine, Olivier Py et Jacques Weber, les comédiens Jeanne Balibar, Jean-François Perrier, Denis Podalydès, Karin Viard, et les musiciens Rodolphe Burger, Noir Désir, Sergent Garcia, les Têtes raides se disent solidaires des «centaines d’associa­tions, des milliers de citoyens qui accueillent, aident, informent sur leurs droits des étrangers ». Des intellec­tuels comme Etienne Balibar, Monique Chemiller-Gendreau, Annie Collovald, Frédéric Lebaron, Gérard Mau- ger, Yann Moulier-Boutang, Jean-Luc Nancy, Johanna Siméant, Pierre Vidal-Naquet ou Loïc Wacquant les ont suivis. « Nous déclarons avoir aidé des étrangers en situation irrégulière, déclarent-ils. Nous déclarons notre ferme volonté de continuer à le faire. Si la solidarité est un délit, je demande à être poursuivi(e) pour ce délit. » 123 organisations, associations et syndicats se sont joints à l’appel. Et 2 000 signatures individuelles sont arrivées en à peine huit jours via le site Internet (www.gisti.org).

⇒ Lire l’article

Manifeste des délinquant(e)s de la solidarité.

« Toute personne qui (…) aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France ou dans l’espace international précité sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 €. » (Article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945)

Chaque année en France, malgré l’article 21 de la loi sur l’entrée et le séjour des étrangers, des centaines d’associations, des milliers de citoyens, accueillent, aident, informent sur leurs droits des étrangers.

Ils le font dans des conditions difficiles en raison de la faiblesse de leurs moyens et des innombrables obstacles rencontrés dans les préfectures, les administrations et institutions censées assurer accueil et protection à tous, mais aussi en raison d’une attitude de suspicion généralisée envers les étrangers. De plus en plus, ceux et celles qui défendent l’État de droit et la nécessité de l’hospitalité sont menacés de poursuites, quand ils ne sont pas mis en examen, par exemple pour avoir seulement hébergé gratuitement un étranger en situation irrégulière .

Demain, si l’actuel projet de réforme du gouvernement est voté, ces citoyens et associations « coupables » d’aide au séjour irrégulier pourront être condamnés plus sévèrement encore*.

Dans le même temps où on cherche ainsi à créer un véritable délit de solidarité, le silence est fait sur la situation des étrangers en France et en Europe, et sur le rôle effectif de centaines d’associations et de milliers de citoyens solidaires des étrangers en situation irrégulière.

Nous déclarons être l’un d’eux. Nous déclarons avoir aidé des étrangers en situation irrégulière. Nous déclarons avoir la ferme volonté de continuer à le faire. De même que nous réclamons un changement radical des politiques à l’égard des immigrés et des étrangers, nous réclamons le droit à la solidarité, contre la logique des États.

Si la solidarité est un délit, je demande à être poursuivi(e) pour ce délit.

Paris, le 27 mai 2003

⇒ Lire le manifeste des délinquant(e)s de la solidarité.

Un concert contre la double peine a attiré près de 15 000 personnes à Paris

index Sylvia Zappi, 12/05/2003

rep
AFP/Jean-Pierre Muller

Ils sont massés depuis près d’une heure devant l’immense podium planté place de la République, à Paris. Sous un soleil radieux, près de 15 000 personnes se sont enflammées, samedi 10 mai, pour le grand concert gratuit organisé pour les « victimes de la double peine », une campagne qui mobilise depuis dix-huit mois une quarantaine d’associations et de syndicats.

Jeunes Parisiens pour la plupart – la banlieue ne s’est pas déplacée -, ils sont venus en masse écouter les groupes les plus engagés : la Tordue, qui a composé une chanson sur ce thème, les Têtes raides, Zebda, Yann Tiersen, les Femmouzes T, les rapeurs de La Rumeur, puis Jacques Higelin, dans un bœuf improvisé. Pendant plus de sept heures, le public a écouté les discours, les histoires de vie brisée des « double peine » et les envolées des artistes.

C’était l' »ultime manifestation » de la Campagne. Pour protester une fois encore contre le sort réservé à ces milliers d’étrangers, anciens délinquants ayant purgé leur peine de prison, condamnés à une expulsion vers leur pays d’origine. Et pour donner un avertissement au gouvernement avant la discussion au Parlement du projet de loi de Nicolas Sarkozy, prévue fin juin.

La réforme, présentée en conseil des ministres le 30 avril, vise à protéger de l’éloignement du territoire les étrangers ayant fait « toute leur vie en France ». Le texte crée, sous certaines conditions, une « protection absolue » pour certaines catégories, notamment les conjoints et parents de Français, et les étrangers arrivés depuis au moins l’âge de 13 ans ou présents depuis plus de vingt ans. En aménageant la loi, sans abroger l’interdiction du territoire – plus de 2 000 peines exécutées chaque année -, le texte a mécontenté la plupart des associations, malgré les précautions de la Cimade, qui voit dans la réforme « une avancée ».

« DE LA POUDRE AUX YEUX »

« L’enjeu n’est pas de replâtrer le système ou de faire des mesures humanitaires », a prévenu le cinéaste Jean-Pierre Thorn. « Sarkozy impose tellement de conditions que le principe de protection devient une exception », assène Me Stéphane Maugendre du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Le chanteur de la Rumeur a, lui, dénoncé « une discrimination à gerber ». Les poings se lèvent et un « Pas de justice, pas de paix », slogan du Mouvement de l’immigration et des banlieues, est repris par les premiers rangs.

Au-delà, c’est l’ensemble du projet de loi du ministre de l’intérieur qui était dans les têtes. Majid Cherif, des Zebda, s’est emporté contre ce « symbole d’une République qui n’intègre pas la couleur de la peau ». C’est le statut et la place des étrangers qui « révoltent »les musiciens des Têtes raides comme ceux de la Tordue. « Nous n’avons pas donné mandat à ce gouvernement pour qu’il fasse une décalcomanie de la politique de Le Pen », a lancé Michel Tubiana, de la Ligue des droits de l’homme. Quand le Chant des partisans, version Motivés, est repris par les Zebda, une forêt de poings s’est levée.

⇒ Lire l’article

Les associations dénoncent une réforme de la double peine « en trompe l’oeil »

index,  Sylvia Zappi, 05/04/2003

« ÇA OU RIEN, c’est quasiment la même chose. » Le verdict posé par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) au lendemain de la rencontre entre Nicolas Sarkozy et les animateurs de la campagne contre la double peine est sévère, mais reflète assez fidèlement le sentiment dominant des associations de défense des étrangers. Mercredi 2 avril, le ministre de l’intérieur a fait connaître les conclusions du groupe de travail qu’il avait créé en novembre 2002 ( Le Monde du 4 avril).

Les principales organisations impliquées dans ce dossier ont décidé de faire connaître, vendredi, leur profonde déception » lors d’une conférence de presse.

Une « réforme en trompe l’œil », des « modifi­cations cosmétiques » : les mots pour caractéri­ser le sentiment dominant ne sont pas les mêmes. Mais le constat est partagé : la réforme qui se dessine derrière les propositions du grou­pe de travail et que Nicolas Sarkozy a déclaré fai­re siennes ne répond pas aux attentes. Le minis­tre de l’intérieur avait pourtant presque réussi à convaincre certaines associations et quelques personnalités comme Bertrand Tavemier de la sincérité de ses intentions réformatrices. Il avait ainsi publiquement reconnu le caractère « inhu­main» de l’interdiction du territoire français (ITF) pour « les étrangers dont l’essentiel de la vie est en France ».

Confronté à une campagne efficace qui mobili­sait associations, syndicats et organisations poli­tiques, relayée par des députés de plus en plus nombreux, y compris dans les propres rangs de la majorité, le ministre de l’intérieur était conve­nu qu’il était nécessaire de réformer l’ordonnan­ce de 1945 sur le séjour des étrangers.

« SE DONNER UNE IMAGE »

La réforme dessinée par le rapport du groupe ad hoc ne remet pas en cause le principe de la double peine, mais tente de l’aménager en le ren­dant moins arbitraire. Certaines associations ont l’impression de s’être fait flouer. « On est dans le domaine des effets d’annonce et de l’instrumentali­sation des associations avec un faux dialogue », analyse Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme (LDH). « Ces propositions vont permettre au ministre de se donner une ima­ge de mouvement alors que rien ne bouge. »

Même sévérité au Gisti, où l’on juge que si le ton général du rapport est « il faut être humain », en même temps, selon Stéphane Maugendre, avocat et vice-président de l’association, « au nom de l’“éthique de responsabilité” avan­cée pour justifier le maintien de la double peine, des principes de base comme la non-discrimina­tion et la proportionnalité des peines sont invalidés ».

D’autres se montrent plus pondérés. Le Mou­vement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuplés (MRAP) veut « rester attentif et vigi­lant » et rappeler ses positions de principe pour une interdiction absolue de prononcer des ITF. Mais Mouloud Aounit, son président, estime que « le dossier n’est pas bouclé ».

La Cimade n’est pas non plus totalement criti­que : « M Sarkozy a respecté le plan de travail annoncé. A priori, j’ai confiance », assure Ber­nard Bolze, porte-parole de la campagne, qui reconnaît cependant : « II ne touche pas au principe de l’ITF, et la vraie protection pour les résident de longue durée n’apparaît pas. » Il pense néanmoins que « le rapport n’est pas le projet de loi et que les associations ont leur rôle à jouer ».

C’est également le sentiment du député (UMP) Étienne Pinte, auteur d’une proposition de loi supprimant les ITF. « C’est un point extrêmement positif que le ministre ait tenu ses engagements. Mais j’ai du mal à comprendre pourquoi le rapport maintient les interdictions du territoire partir du moment où le ministère de l’intérieur a entre les mains la possibilité d’expulser au nom l’ordre public. » Le député a prévu d’envoyer par écrit, d’ici huit jours », ses réactions. Tout comme les associations, qui ont mis au point une lettre conjointe expliquant que « le principe de maintien de la double peine est inadmissible ».

⇒ Lire l’article

La double peine a la peau dure

«C’est un traitement cosmétique : le rapport arrondit un peu les angles, mais laisse les plaies à vif», estime Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme (LDH). «Une peine point barre» admet que «le groupe de réflexion a largement identifié les conséquences insupportables de la double peine, mais le principe même de son maintien reste inadmissible». Stéphane Maugendre, pour le Gisti (groupe d’information et de soutien des immigrés), regrette que «l’ITF soit vue comme n’importe quelle autre peine complémentaire et non comme une peine discriminatoire».

Le groupe de travail propose l’instauration de deux catégories d’étrangers bénéficiant «d’une protection absolue» contre l’expulsion quand elle est vécue comme «un bannissement», et qu’elle entraîne «l’éclatement des familles». D’une part, les étrangers nés en France ou arrivés avant l’âge de 10 ans ou de 13 ans (l’âge n’est pas encore tranché). D’autre part, ceux qui, résidant en France depuis dix ans, sont mariés à un (e) Français (e) ou parent d’enfant français.

Mais, même dans ces catégories, des exceptions sont envisagées, dans les cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, terrorisme ou certaines infractions à la législation des stupéfiants. «Nous découvrons que l’absolu est relatif», relève le Mrap. «Importer du cannabis suffira à constituer une exception», illustre la LDH, pour laquelle «il s’agit là de délits fourre-tout». Jean Costil, de la Cimade : «C’est la construction d’une usine à gaz comme il en existe déjà beaucoup dans le droit des étrangers.» «Les gens attendaient mieux que ça», pense le MIB, Mouvement de l’immigration et des banlieues. «On nous promet une réforme globale et on ne nous propose que du sparadrap», déplore le Syndicat de la magistrature. Moins sévère, Didier Liger, pour le syndicat des avocats de France, a tenu à «saluer le courage politique de Nicolas Sarkozy» et reconnu «des avancées notables». Les associations feront parvenir à Sarkozy leurs contre-propositions d’ici une dizaine de jours.

Le frère de l’Argentin ceinturé porte plainte

  Jacqueline Coignard, 0

Il demande «la vérité» sur le décès survenu lors de l’expulsion.

Ce sont les médias argentins qui lui ont appris son décès : son frère unique dont il était sans nouvelles depuis quatre ans, Ricardo, était mort le 30 décembre sur un aéroport parisien, avant le décollage d’un avion qui allait le ramener de force au pays (Libération du 7 janvier). Carlos Barrientos s’est alors mis à surfer sur les sites des quotidiens français pour en savoir plus sur les conditions de ce tragique embarquement sur le vol AF 416 Paris-Buenos Aires de la compagnie Air France. Depuis une semaine, Carlos Barrientos est à Paris. Avec réserve et émotion, il explique être venu accomplir son «devoir de frère».

Errance. «Je veux donner une sépulture digne à mon frère. Assister à son enterrement», dit-il. Un enterrement administratif est prévu au cimetière de Tremblay-en-France, mais sans date précise. Or Carlos doit rentrer ce lundi en Argentine, car ses ressources sont limitées. Il veut aussi reconstituer le parcours français de Ricardo, depuis son séjour à Aix jusqu’à ses errances de poète des rues à Paris. Et savoir pourquoi cet homme de 52 ans est mort. Sur ce point, il laisse la parole à ses deux avocats qui vont, en son nom et au nom des associations qu’ils représentent (1), porter plainte pour «coups mortels». Me Stéphane Maugendre et Me Sophie Thonon-Wesfreid vont déposer cette plainte contre X, la semaine prochaine, devant le doyen des juges de Bobigny.

A huis clos. Ricardo Barrientos avait été maintenu plié en deux par deux policiers qui appuyaient sur ses omoplates. La police a expliqué que c’était la procédure habituelle ; l’institut médico-légal a conclu à un infarctus ; et le juge a estimé que la mort était naturelle, avant de classer l’affaire. «Ricardo est mort à huis clos et l’enquête s’est déroulée à huis clos», constate Me Maugendre.

Il y a pourtant des contradictions entre la version officielle et les témoignages de passagers recueillis dans les différents médias. «Il y avait deux médecins parmi les passagers, dont une femme qui a constaté la mort. Aucun des passagers n’a été entendu par les enquêteurs, pas plus que les hôtesses et stewards», s’étonne Me Maugendre. Cet homme est mort entre les mains des policiers, et un minimum de transparence est nécessaire, selon les deux avocats. Ricardo a-t-il été tué ? «Je ne peux pas le présager. La justice française doit clarifier les choses, éclairer la vérité», répond Carlos. D’où l’intérêt de confier l’affaire à un juge d’instruction, comme c’est déjà le cas pour un Ethiopien décédé dans les mêmes conditions en janvier.

(1) Le Gisti, l’Anafé, le Mrap et l’Association France-Amérique latine.

⇒ Voir l’article

Avocat