Archives de catégorie : Avocat

France : procès d’une expulsion mortelle

11377260_1098083010205972_3295819974471160524_n Saïd Aït-Hatrit, 28/09/2006

Crédit photo : Arbeiterfotografie
Trois policiers comparaissent pour la mort accidentelle d’un jeune Ethiopien en 2003. Jeudi a débuté en France le procès de trois jeunes policiers accusés d’avoir accidentellement causé la mort d’un jeune Ethiopien, en janvier 2003, lors d’une tentative de reconduite à la frontière. En expliquant n’avoir fait ni plus ni moins qu’à l’occasion d’autres procédures du même type, ils mettent en évidence la violence parfois déployée pour expulser les immigrés clandestins.

Jusqu’où les forces de l’ordre peuvent-elles aller pour mettre en œuvre une procédure de reconduite à la frontière ? Les trois jeunes policiers de l’air et des frontières dont le procès pour homicide involontaire a démarré jeudi, au tribunal de Grande instance de Bobigny, ne le savaient pas au moment des faits qui leurs sont reprochés. Ils répondent de « maladresses et manquements à une obligation de sécurité et de prudence ayant entraîné involontairement le décès », après avoir brutalisé le 16 janvier 2003 un jeune Ethiopien âgé de 25 ans. Getu Hagos était arrivé le 11 janvier 2003 sans papiers ni billet à Roissy-Charles-de-Gaulle (Paris), dans un vol Air France, en provenance de Johannesburg (Afrique du Sud). Non admis sur le territoire français, débouté de sa demande d’asile politique, il est tombé dans le coma dans l’avion qui devait le reconduire en Afrique du Sud (en vertu de la convention de Chicago). Sa mort a été enrégistrée deux jours plus tard.

Getu Hagos s’était présenté en France sous une fausse identité, celle de Mariame, un Somalien vivant à Nairobi, au Kenya. Il avait déposé une demande d’asile en Afrique du Sud sous le même pseudonyme, Mariame, le nom de sa mère. L’autopsie effectuée sur son corps a conclu à une mort consécutive à un « arrêt cardio-respiratoire » dû à l’utilisation d’une technique dite du « pliage ». Aujourd’hui, Me Maugendre, l’avocat de la famille de Getu Hagos, attend d’abord « une déclaration de culpabilité » de la part des prévenus. Et aussi « qu’il soit montré qu’il y a une pression de la hiérarchie et du ministère de l’Intérieur pour faire du chiffre coûte que coûte, au mépris de la sécurité et de la santé des gens. » Le procureur de la République a requis de la prison avec sursis contre deux des prévenus. Le jugement a été mis en délibéré au 23 novembre.

J’ai « appliqué ce qu’on m’a dit de faire »

Le jour de sa reconduite, Getu Hagos a résisté avec énergie à son départ dès la zone d’attente. L’après-midi même, il avait été ausculté à deux reprises pour ce que le médecin a considéré comme des malaises simulés. C’est pourquoi l’escorte chargée de le ramener était composée de trois éléments et non de deux, comme le veut l’usage. Même entravé avec du velcro au niveau des jambes, des genoux et des chevilles, le jeune homme se débat car il préfère « mourir plutôt que repartir », l’a entendu dire l’un des fonctionnaire de police. Pour le maintenir sur son siège, les policiers le plient alors en deux, la tête sur les genoux, pendant plus de vingt minutes. Trois témoins alors membres du personnel de la compagnie aérienne affirment avoir vu tantôt un, tantôt deux policiers s’asseoir sur le dos de Hagos, ce que les gardiens de la paix nient. Quoi qu’il en soit, « même en retenant la version selon laquelle Axel D. ne s’était pas à proprement parlé assis sur la victime (…), le décès de [Getu Hagos] ne peut s’expliquer que par cette pression de pliage », a conclut l’expert médical, cité dans l’information judiciaire.

Le chef de l’escorte, Axel D., était âgé de 23 ans au moment des faits. Il avait déjà réalisé 65 reconduites depuis 2001, contre une trentaine pour son collègue, David T., 25 ans, et trois pour le renfort, Merwan K., âgé de 29 ans. Tous trois ont été suspendus dix mois avant d’être réintégrés dans de nouveaux services. Les cheveux blonds coupés courts, comme ses deux collègues, le regard inquiet dans son costume sombre, Axel D. s’est défendu jeudi en expliquant avoir « appliqué exactement ce que l’on [lui] a dit de faire dans ces situations », faisant référence à la « consigne du pliage ». De la même façon, pointant l’absence de formation pour ce type de mission, il a assuré qu’aucune instruction ne lui avait jamais été prodiguée sur la limite à ne pas atteindre avant d’interrompre une procédure. Lorsque l’avocat de la partie civile lui a fait remarquer l’existence d’une infraction sur le « refus d’embarquement », le policier a argué que ce n’était pas à lui mais au commandant de bord de prendre cette décision. « Certains d’entre eux, a témoigné David T., nous disent de les laisser crier, d’autres nous disent déjà au pied de l’avion de ne pas monter ».

Une formation pour éviter les accidents

Six mois après l’affaire Hagos – et celle d’un Argentin également mort durant sa reconduite – les pouvoirs publics français ont créé l’Unité nationale d’escorte, de soutien et d’intervention (Unesi). Les policiers candidats doivent se soumettre à une épreuve de « gestes techniques professionnels en intervention » (GTPI) avant de suivre une formation où ces GTPI sont actualisés – la « technique du pliage » est désormais prohibée – et où des gestes de premier secours sont enseignés. Mais malgré des demandes répétées, « nous ne connaissons toujours pas les consignes prodiguées dans ces formations », explique Hélène Gacon, la présidente de l’association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé). Ce qui lui fait craindre que les techniques n’aient pas tant évolué que cela.

Dans l’une de ses publications (La frontière et le droit : la zone d’attente de Roissy sous le regard de l’Anafé), l’Anafé recense, certificat médical et « incapacités de travail » à l’appui, les violences pratiquées d’avril à novembre 2004 lors de tentatives d’éloignement. Pour justifier ces reconduites contre des personnes qui refusent farouchement de quitter le sol français, la DGPN assure qu’elles ont « un rôle dissuasif non négligeable vis-à-vis d’émigrants potentiels et constitue donc un frein, en amont [des] frontières, à l’immigration illégale. » Au contraire, estime Me Maugendre, « ça n’a absolument aucun effet dissuasif. Et je pense que rien n’a d’effet dissuasif. »

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Somalien mort: prison avec sursis requise contre deux policiers de la PAF

AP, Pierre-Antoine Souchard, 28/09/2006

Le procureur de la République de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a requis jeudi de l’emprisonnement avec sursis, sans en préciser la durée, contre deux policiers et la relaxe d’un troisième poursuivis pour homicide volontaire à la suite du décès d’un Somalien de 24 ans, embarqué de force dans un avion en janvier 2003.

Le jugement a été mis en délibéré au 23 novembre.

Les deux premiers fonctionnaires de la Police aux frontières (PAF) policiers « ont été négligents ou maladroits », a assuré l’accusation en estimant que leurs gestes ont conduit au décès de Getu Hagos Mariame. Ce dernier était arrivé le 11 janvier 2003 d’Afrique du Sud. Le 16, sa demande d’asile étant rejetée, il doit être ré-embarqué dans un vol d’Air France à destination de Johannesburg.

Mais l’homme refuse son retour, simule deux malaises en zone d’attente de l’aéroport de Roissy. De force, il est embarqué à l’arrière de l’avion avant les passagers, entre Axel Daillier, 26 ans, chef d’escorte, et Merwan Khellady, 32 ans. Le troisième fonctionnaire, David Tarbouriech, 28 ans, fait face sur la rangée précédente.

Le « déporté accompagné », c’est ainsi qu’on les appelle, hurle, se débat. Pour le forcer à rester calme, Axel Daillier le maintient plié en deux sur son siège, Merwan Khellady tient les menottes, lui entravant les mains dans le dos. David Tarbourieh lui appuie sur la tête de temps en temps pour l’empêcher de se relever mais fera surtout le « tampon », comme il l’a expliqué, avec les passagers.
Getu Hagos Mariame serait resté dans cette position une vingtaine de minutes. Selon l’expertise médicale, cette position pliée a entraîné son décès par manque d’oxygénation. Depuis ce drame, cette « technique du pliage » est interdite

« J’ai appliqué les consignes. On n’avait aucune formation. La consigne de ‘pliage’ était celle à faire lorsqu’un individu se rebellait », a expliqué Axel Daillier. A l’époque des faits, il était à la PAF depuis trois ans et avait déjà effectué une trentaine d’escortes.
Brusquement, le passager se calme. Leur première réflexion est qu’il simule un malaise. Mais bien vite, ils s’aperçoivent qu’il est victime d’un malaise. Le Somalien décédera à l’hôpital.

Pour l’accusation, il ne fait aucun doute que les gestes de Daillier et Khellady, doublé d’une « formation lacunaire », ont entraîné le décès de la victime.

L’avocat de la partie civile, Me Stéphane Maugendre, a estimé que les trois hommes sont allés au-delà de l’usage de la force strictement nécessaire. Et regretté qu’ils n’aient pas eu un mot à l’audience pour les parents de la victime qu’il représente.

Les trois hommes n’ont pas exprimé de regrets. « On ne peut qu’être affecté », a déclaré David Daillier. « C’est quand même assez troublant de vivre avec cela », a ajouté Merwan Khellady tandis que David Tarbouriech assurait qu’il lui avait fallu « trois semaines pour digérer tout cela ».

La défense a plaidé la relaxe. Pour Me François Cornette de Saint-Cyr, avocat de Tarbouriech, ils n’ont « fait que leur devoir », sans excès de « zèle ». Me Georges Holleaux, avocat de Merwan Khellady, a plaidé que ces policiers n’avaient pas de règles écrites en cas de reconduite. Depuis ce drame, elles existent. Après le drame, les trois fonctionnaires avaient été suspendus dix mois, avant d’être réintégrés

Des policiers jugés pour la mort d’un étranger expulsé

europe1_beta, 28/09/2006

Trois fonctionnaires de la Police de l’air et des frontières (PAF) ont comparu jeudi devant le tribunal de Bobigny pour « homicide involontaire » d’un Africain mort en janvier 2003 dans l’avion qui devait le renvoyer en Afrique du Sud. La représentante de l’accusation a estimé que deux des prévenus, Axel Dallier, 26 ans, et Merwan Khelladi, 32 ans, soupçonnés de brutalités, s’étaient montrés « maladroits et négligents » mais n’avaient pas enfreint de règlement. Elle a donc requis une peine de prison avec sursis, d’une durée non précisée. Elle a demandé au tribunal de ne pas inscrire la sanction aux casiers judiciaires des prévenus, ce qui leur permettrait de continuer à exercer leur métier. Contre le troisième policier, David Tarbouriech, 28 ans, elle a requis une relaxe car il n’est pas impliqué dans les gestes qui ont conduit à la mort de la victime. Le jugement a été mis en délibéré au 23 novembre.

Getu Hagos, qui semble être Somalien ou Ethiopien, est mort le 18 janvier 2003 alors que les policiers venaient de l’embarquer de force dans un vol pour l’Afrique du sud, pays dont il était venu une semaine auparavant sans aucun papier d’identité.

Les policiers ont reconnu à l’audience l’avoir menotté et entravé aux genoux et aux chevilles avec du scotch pour le faire monter dans l’appareil, puis ont dit l’avoir maintenu en position penchée alors que les autres passagers embarquaient.

Trois membres de l’équipage ont affirmé lors de l’enquête que les policiers Dallier et Khelladi en fait assis sur lui alors qu’il était couché, afin de l’empêcher de crier. Il se montrait en effet paniqué et très agité à l’idée d’être expulsé. Il est mort non d’asphyxie mais d’un malaise vagal, l’irrigation du cerveau ayant été stoppée.

L’avocat de la famille de la victime, Me Stéphane Maugendre, a regretté qu’ils n’aient pas renoncé et engagé une procédure de poursuite pour « refus d’embarquer », comme c’est habituel. Il a regretté que les prévenus n’aient pas eu un mot à l’audience pour la famille de l’Africain. « Ils ont voulu expulser un homme à tout prix, au prix non seulement de sa dignité mais de sa vie », a-t-il dit.

Depuis cette ministère de l’Intérieur a publié des recommandations aux policiers exécutant les expulsions, stipulant de limiter l’usage de la force et de faire marche arrière si la personne être en situation de panique. Des formations ont été mises sur pied.

Des policiers jugés pour la mort d’un étranger expulsé

logo express 28/09/2006

Une peine de prison avec sursis, d’une durée non précisée, a été requise contre deux policiers jugés pour l »’homicide involontaire » d’un Africain mort en janvier 2003 dans l’avion qui devait le renvoyer en Afrique du Sud.

La représentante de l’accusation a estimé que les deux prévenus de la Police de l’air et des frontières (PAF), Axel Dallier, 26 ans, et Merwan Khelladi, 32 ans, soupçonnés de brutalités, s’étaient montrés « maladroits et négligents » mais n’avaient pas enfreint de règlement.

Elle a demandé au tribunal de ne pas inscrire la sanction aux casiers judiciaires des prévenus, ce qui leur permettrait de continuer à exercer leur métier.

Contre un troisième policier prévenu des mêmes faits, David Tarbouriech, 28 ans, elle a requis une relaxe car il n’est pas impliqué dans les gestes qui ont conduit à la mort de la victime.

Le jugement devait être mis en délibéré dans la soirée.

Il est très attendu par le ministère de l’Intérieur comme par les associations de défense des étrangers, au moment où la France s’apprête à dépasser pour l’année 2006 le chiffre de 20.000 expulsions d’étrangers de l’an dernier.

Getu Hagos, qui semble être Somalien ou Ethiopien, est mort le 18 janvier 2003 alors que les trois policiers venaient de l’embarquer de force dans un vol pour l’Afrique du sud, pays dont il était arrivé une semaine auparavant sans aucun papier d’identité.

Les policiers ont reconnu à l’audience l’avoir menotté et entravé aux genoux et aux chevilles avec du scotch pour le faire monter dans l’appareil, puis ont dit l’avoir maintenu en position penchée alors que les autres passagers embarquaient.

Trois membres de l’équipage ont affirmé lors de l’enquête que les policiers Dallier et Khelladi s’étaient en fait assis sur lui alors qu’il était couché, afin de l’empêcher de crier.

Il se montrait en effet paniqué et très agité à l’idée d’être expulsé. Il est mort non d’asphyxie mais d’un malaise « vagual », l’irrigation du cerveau ayant été stoppée.

L’avocat de la famille de la victime. Me Stéphane Maugendre, a regretté qu’ils n’aient pas renoncé et engagé une procédure de poursuite pour « refus d’embarquer », comme c’est habituel.

Il a regretté que les prévenus n’aient pas eu un mot à l’audience pour la famille de l’Africain. « Ils ont voulu expulser un homme à tout prix, au prix non seulement de sa dignité mais de sa vie », a-t-il dit.

Interrogés sur la mort de l’homme, les prévenus se sont dit « troublés », « surpris » et ont parlé de « situation pas facile à vivre » mais n’ont pas exprimé de regrets.

Depuis cette affaire, le ministère de l’Intérieur a publié des recommandations aux policiers exécutant les expulsions, leur stipulant de limiter l’usage de la force et de faire marche arrière si la personne apparaît être dans une situation de panique. Des formations ont été mises sur pied.

Des policiers jugés pour la mort d’un étranger expulsé

Reuters, 28/09/2006

Une peine de prison avec sursis, d’une durée non précisée, a été requise contre deux policiers jugés pour homicide involontaire » d’un Africain mort en janvier 2003 dans l’avion qui devait le renvoyer en Afrique du Sud.

La représentante de l’accusation a estimé que les deux prévenus de la Police de l’air et des frontières (PAF), Axel Dallier, 26 ans, et Merwan Khelladi, 32 ans, soupçonnés de brutalités, s’étaient montrés « maladroits et négligents » mais n’avaient pas enfreint de règlement.

Elle a demandé au tribunal de ne pas inscrire la sanction aux casiers judiciaires des prévenus, ce qui leur permettrait de continuer à exercer leur métier.

Contre un troisième policier prévenu des mêmes faits, David Tarbouriech, 28 ans, elle a requis une relaxe car il n’est pas impliqué dans les gestes qui ont conduit a la mort de la victime.

Le jugement devait être mis en délibéré dans la soirée.

Il est très attendu par le ministère de l’Intérieur comme par les associations de défense des étrangers, au moment où la France s’apprête à dépasser pour I’année 2006 le chiffre de 20.000 expulsions d’étrangers de l’an dernier.

Getu Hagos, qui semble être Somalien ou Ethiopien, est mort le 18 janvier 2003 alors que les trois policiers venaient de l’embarquer de force dans un vol pour l’Afrique du sud, pays dont il était arrivé une semaine auparavant sans aucun papier d’identité.

Les policiers ont reconnu à l’audience l’avoir menotté et entravé aux genoux et aux chevilles avec du scotch pour le faire monter dans l’appareil, puis ont dit l’avoir maintenu en position penchée alors que les autres passagers embarquaient.

Trois membres de l’équipage ont affirmé lors de l’enquête que les policiers Dallier et Khelladi s étaient en fait assis sur lui alors qu’il était couché, afin de l’empêcher de crier.

Il se montrait en effet paniqué et très agité à l’idée d’être expulsé. Il est mort non d’asphyxie mais d’un malaise « vagual », l’irrigation du cerveau ayant été stoppée.

L’avocat de la famille de la victime, Me Stéphane Maugendre, a regretté qu’ils n’aient pas renoncé et engagé une procédure de poursuite pour « refus d’embarquer », comme c’est habituel.

Il a regretté que les prévenus n’aient pas eu un mot à l’audience pour la famille de l’Africain. « Ils ont voulu expulser un homme à tout prix, au prix non seulement de sa dignité mais de sa vie », a-t-il dit.

Interrogés sur la mort de l’homme, les prévenus se sont dit « troublés », « surpris » et ont parlé de situation pas facile à vivre » mais n’ont pas exprimé de regrets.

Depuis cette affaire, le ministère de l’Intérieur a publié des recommandations aux policiers exécutant les expulsions, leur stipulant de limiter l’usage de la force et de faire marche arrière si la personne apparaît être dans une situation de panique. Des formations ont été mises sur pied.

Pourquoi je lis «Libération»

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Stéphane Maugendre avocat, vice-président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) «Je l’achète tous les jours parce que je ne veux pas qu’il meure»

J’avais 12 ans quand Libé est né. Je me souviens encore de Sartre à la télé. Dans l’ambiance familiale, c’était un gros événement. Je me souviens aussi qu’on s’était dit : enfin un journal de gauche ! C’est pour cela que je l’achète encore aujourd’hui, même si je pense qu’il est moins de gauche. Très important aussi, Libération c’était un journal d’opinion, avec des analyses de fond. C’est peut-être un peu moins le cas aujourd’hui, même s’il continue d’animer le débat sur la politique, la culture parfois, et des phénomènes de société importants, comme les sans-papiers. Et cela va au-delà du journal de gauche. Mais Libération devrait reprendre de plus belle. Et puis il y a l’originalité, des numéros spéciaux sur la mort d’Hergé, de Reiser… Toutes ces idées novatrices, comme Ecrans récemment, qui permettent d’avoir un oeil sur autre chose. Bien sûr, j’achète aussi Libé pour être informé, surtout quand je suis en vacances, loin de Paris. J’ai parfois eu des actes d’achat fluctuants. Mais là, je l’achète tous les jours, parce que je ne veux pas qu’il meure. Ce journal ne peut pas mourir, il ne peut pas disparaître, encore moins à quelques mois d’une échéance électorale. Qui sinon va jouer son rôle ? Pas le Monde, encore moins 20 Minutes ou Metro. Car, si j’aimerais que Libé se repolitise davantage, il reste le journal de gauche.

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Les télés au secours des sans-papiers?

20minutes.fr Raphaëlle Baillot, 06/07/2006

Des micros surplombent la foule sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris : facile de repérer les équipes de l’AFP Vidéo, d’Arte et de France 3, hier matin. Elles étaient là pour filmer les centaines de sans-papiers venus déposer un dossier de régularisation à la préfecture de police. La télé a largement rendu compte des conditions de vie des quelque 15 000 clandestins qui ont inscrit leurs enfants à l’école, mais restent menacés d’expulsion. « Depuis janvier, nous avons diffusé dix-sept sujets sur ce thème, le double avec les rediffusions », atteste Pascal Doucet-Bon, chef des « infos géné » de la Deux. « Nous y avons consacré six reportages dans les JT rien que la semaine dernière », complète son homologue de France 3 Philippe Panis.

Parti en croisade contre « la chasse aux enfants », le Réseau éducation sans frontière (RESF) a bien compris le goût des médias pour ce feuilleton à fort coefficient émotionnel. « La couverture n’a pas faibli depuis janvier, quand nous avons communiqué sur les premiers parrainages d’enfants par des personnalités », se félicite Anne-Laure Barbe, membre de RESF. Le « 12/13 » de France 3 a ainsi reçu vendredi un Philippe Torreton devenu parrain. « Ce côté “paillettes” peut paraître gênant, mais on se doit d’utiliser le pouvoir de l’image pour faire connaître la cause », revendique l’avocat Stéphane Maugendre, spécialisé dans la défense des immigrés.

Sur toutes les chaînes essaiment donc des reportages consacrés à ces familles menacées de reconduites à la frontière. Au risque de préférer le ressenti à l’analyse. « Ces situations spectaculaires peuvent tirer les larmes, admet Etienne Leenhardt, numéro 2 de l’info de France 2. Mais nous n’inventons rien, c’est notre boulot de les montrer. » Du coup, « on compense avec un commentaire très sobre », souligne Virginie Fichet, auteur pour France 2 d’un zoom sur une famille arménienne. Sobriété ou non, Arno Klarsfeld, le médiateur qui doit examiner les dossiers au cas par cas, a reconnu lundi sur France Inter que « le biais de la presse » pourrait l’alerter sur la détresse de certaines familles ! Réponse médiatique à une mobilisation médiatique.

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«La circulaire Sarkozy, c’est surtout de la poudre aux yeux»

  Anne Diatkine

 

Un grand nombre de familles sans papiers semblent entrer dans le cadre de la circulaire. Existe-il un quota ?

L’annonce de Sarkozy fait naître beaucoup d’espoirs chez les familles de sans-papiers. Or, ces critères sont cumulatifs et la plupart en induisent d’autres, implicites. C’est un entonnoir. On y entre volontiers, mais on en sort au compte-gouttes. Le nombre de régularisations est marginal ! C’est surtout de la poudre aux yeux. Une loi hyper répressive sur l’immigration est votée, puis une circulaire est publiée, qui vise à montrer que Sarkozy est humain.

Les familles doivent-elles se dépêcher de déposer un dossier en préfecture ?

Je leur déconseille. Il faut qu’elles prennent le temps de le bétonner et de le faire relire par une des associations faisant partie de RESF ou par un avocat spécialiste.

Le sixième critère évoque «la réelle volonté d’intégration de ces familles, caractérisée notamment par leur maîtrise du français, le suivi éducatif des enfants». Que signifie «maîtriser» une langue ?

Chaque préfet se posera la question ! Est-ce savoir la parler, la lire et l’écrire, ou seulement la parler ? Dans certaines préfectures, il y aura des entretiens individuels avec les deux parents, je leur conseille de mettre dans leur dossier un certificat d’inscription à un cours de français. Ce critère est excluant pour les familles originaires d’un pays dont la langue est éloignée du français.

Qu’appelle-t-on «le suivi éducatif» des enfants ?

Avant le 7 juillet [date de la fermeture des classes, ndlr], il faudrait que les directeurs d’établissements fassent des attestations d’assiduité, non pas pour l’année écoulée, mais pour les trois dernières années. Mais il faudrait aussi qu’il y ait des lettres de parents d’élèves et d’enseignants qui témoignent de l’accompagnement de sortie par l’un des parents sans papiers. Les médecins généralistes doivent également écrire des lettres témoignant que les enfants sont soignés.

Il semble facile de prouver que l’on a «un enfant né en France ou qui y réside habituellement depuis qu’il a atteint au plus l’âge de 13 ans»…

Ce qui exclut les familles dont les enfants sont arrivés quand ils avaient plus de treize ans. Comment les bacheliers et les étudiants sans papiers vont-ils être régularisés ?

Quels recours ont les familles ?

Aucun, car il s’agit d’une circulaire, et non d’une loi ou d’un décret.

Les parents en situation irrégulière sont souvent persuadés qu’ils seront protégés à la rentrée de septembre…

En vertu de quoi ? En août, la loi sur l’immigration est applicable. Les préfectures auront tous les moyens de reconduire les familles à la frontière. Si Nicolas Sarkozy avait eu envie de «protéger» les familles dont l’un des enfants est scolarisé, il aurait pris un décret qui aurait permis de faire des recours devant les tribunaux.

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Cheikha Rimitti, chanteuse algérienne

index, Véronique Mortaigne, 16/05/2006

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Le cœur de Cheikha Rimitti a lâché. La mère du raï moderne est morte d’une crise cardiaque, lundi 15 mai à Paris, alors qu’elle avait donné samedi soir un concert au Zénith en compagnie de ces jeunes « cheb », aujourd’hui des hommes mûrs, qui l’avaient tant aimée, tant copiée, Khaled en tête. Cette Algérienne de 83 ans venait d’aborder un nouveau chapitre de sa longue carrière de chanteuse populaire.

Avec une énergie de jeune fille, celle qui avait accompagné en chansons plus d’un demi-siècle d’histoire algérienne multipliait les apparitions publiques, comme au Printemps de Bourges le 1er mai. Long collier de perles, ors, barrettes et peignes, robe rose brodée de roses roses, tatouages au henné, Rimitti parlait un arabe fleuri et chantait d’une voix rauque, ses cheveux noirs tombant aux reins.

Paysanne d’origine, née le 8 mai 1923 vers Oran, nourrie au chant rural, elle connaissait aussi sa dette envers les anciens, les chanteurs ambulants du raï bédouin. Toujours accompagnée par les ancestraux tambours guellal, circulaires, et flûtes gasba, en roseau et au son bas, Rimitti savait mieux que quiconque scander, pétrir des poèmes souvent provocants, cassés de mots français (J’en ai marre, j’en ai marre, ou encore Radgine fi la plage oui dirou fi l’amour).

D’elle, on connaît peu, hormis son prénom : Saïda. Rimitti n’a jamais donné son identité ni accepté les caméras de télévision et tolérait les photographes depuis peu, par superstition et pour protéger les siens en Algérie. Elle avait gagné son surnom lors d’une soirée de cabaret où elle ordonnait au patron : « Remettez, remettez ! » (une tournée) : « rimitti », avec l’accent. Elle fut d’abord une déclassée dans l’Algérie colonisée des années 1920, analphabète, orpheline allant de village en village.

« Je mangeais ce que l’on me donnait, je dormais chez les gens, ou dans les marabouts (les tombeaux des saints), racontait-elle. J’étais comme possédée. Il y avait les fêtes des saints, les musiciens dormaient là, je dansais. » Dans les années 1940, elle aborde la chanson à Relizane, Oran et Alger, après avoir servi le raï traditionnel, musique d’origine bédouine née à la fin du XIXe siècle.

Après l’indépendance, Rimitti provoqua à la fois le FLN et l’islam strict en présidant à des fêtes arrosées à la bière au nez et à la barbe des censeurs de l’Algérie post-révolutionnaire. A sa manière, y compris chez les jeunes Franco-Maghrébins, Rimitti était une héroïne de la liberté, boudée par l’Algérie officielle. Après les émeutes françaises de novembre 2005, elle avait pris fait et cause pour les fauteurs de trouble, confiant au Monde : « Je considère les jeunes de banlieue comme mes enfants. J’ai de la pitié. Ils sont au chômage, or ils sont français, ce ne sont pas des émigrés, ils ont droit au travail, aux appartements, à l’éducation et à l’école. J’ai vécu tout cela. Si eux souffrent, alors moi aussi. »

Rimitti est devenue célèbre en 1954 avec la sortie de Charrag, Gatta, son deuxième disque, irrévérent et sensuel, pour Pathé-Marconi, attaque contre le tabou de la virginité (« Il me broie, me bleuit/Il m’attise/Il m’abreuve »). Adepte du va-et-vient entre les deux rives de la Méditerranée, elle s’installe en France en 1978 mais passait toujours le ramadan en Algérie avec les siens, mari de son vivant, neveux, nièces, leurs enfants, une tribu rapportée.

PULSION RYTHMIQUE

Cette championne du double langage restera dans l’ombre communautaire jusqu’au Festival de Bobigny en 1986, qui lance la mode raï dans l’Hexagone. Elle eut un premier concert en 1994 à l’Institut du monde arabe. Plaisirs charnels, blessures d’amour, fantasmes féminins, noyades dans l’alcool, elle n’omet rien, raconte tout en s’appuyant sur sa mémoire – éléphantesque, selon la légende – de la culture arabo-berbère. Accents roulés, torrents de pulsion rythmique, de flûte, de youyous, elle compose aussi, commentant en chansons les facilités du TGV ou les surprises du téléphone.

Car Rimitti n’était pas femme à s’endormir. Elle avait touché un nouveau public à la fin des années 1990 en tentant des expériences, comme dans Sidi Mansour (1994) avec Robert Fripp et le bassiste des Red Hot Chili Peppers, ou dans le plus électronique N’ta Goudami (sorti chez BecauseMusic, le label d’Amadou et Mariam et de Manu Chao). « Après Bobigny, j’ai souffert, j’ai pleuré : ils avaient profité de moi pour lancer le rock (le pop raï), qui est un raï trafiqué. Alors, je me suis dit, puisque vous m’avez utilisée, je vais utiliser vos propres armes, la musique américaine. Et je les ai doublés ! », s’amusait Rimitti, dont l’album Nouar (2000) a obtenu le Grand Prix du disque de l’Académie Charles-Cros. Avec son avocat, Me Stéphane Maugendre, elle venait de récupérer la propriété de ses enregistrements contre des producteurs indélicats et de régulariser sa situation à la Sacem française et à l’ONDA algérienne.

« Khaled et Safi Boutella m’avaient chipé La Camel (description des plaisirs de la chair vécus par les ouvriers du port méthanier d’Arzew dans les années 1960). Zavouania avait piqué Le Marabout, et puis l’ONB, Cheb Abdou, tous se sont servis. Mais on m’a rendu mon dû. Et Rimitti, c’est comme un palmier qui donne des dattes. Je suis là, et les jeunes se sont évaporés », constatait-elle en regrettant le manque de vigueur actuel du pop-raï, avant d’ajouter : « Zidane travaille avec ses pieds, Rimitti gagne en utilisant sa voix. »

« C’est l’arbitraire le plus total »

, Propos recueillis par Anne-Cécile Juillet, 07/05/2006

LP/P. DE POULPIQUET
LP/P. DE POULPIQUET

Stéphane Maugendre, avocat et président du Gisti décrypte les conditions de la régularisation.

LES DÉPUTÉS achèveront mardi l’examen du projet de loi de Nicolas Sarkozy sur l’immigration. Vendredi soir, l’Assemblée nationale a adopté l’une des mesures phares du texte : la suppression de la régularisation automatique des immigrés clandestins au bout de dix ans de présence en France.

Stéphane Maugendre, président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), redoute que les régularisations soient soumises à « plus d’arbitraire ». Comment percevez-vous cette mesure ?

Stéphane Maugendre. Nous étions déjà critiques au moment où cette durée de dix ans a été décidée par Jean-Pierre Chevènement, parce qu’il n’y a pas de durée pertinente, a priori, qui puisse justifier de l’intégration d’une personne. D’autant que cela ne concerne que très peu de monde : seulement 3 000 immigrés sont régularisés chaque année par cette voie. C’était donc beaucoup de bruit pour rien. En revanche, l’idée des régularisations au cas par cas est inquiétante : car celles-ci vont dépendre de la bonne volonté des préfets ou des élus locaux. C’est la certitude de l’arbitraire le plus total.

Concrètement, qu’est-ce que cela va changer dans la vie des immigrés clandestins ?

L’immense majorité des clandestins en France travaillent. Certains ont des fiches de paie, et d’ailleurs, c’est ce qui leur permettait d’être régularisés de plein droit au bout de dix ans. Cette nouvelle mesure va précariser encore davantage leur situation, les mettre encore plus sous la coupe d’employeurs indélicats ou de ces marchands de sommeil qui profitent de leur situation. On a appris que des Dash 8, habituellement utilisés comme avions bombardiers d’eau par la sécurité civile, ont été utilisés pour ramener des clandestins dans leur pays d’origine… Ce sont des façons d’agir absolument scandaleuses ! C’est pire qu’un charter, cela fait vraiment penser que l’on prend ces gens pour du bétail. Mais le plus inquiétant, c’est que cela s’est fait dans le plus grand secret. Sarkozy avait promis de la transparence : c’est exactement le contraire qui se produit. Qu’est-ce qui nous assure que tous les protocoles, notamment en termes de droits ou d’hygiène, ont été respectés ?

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