Il y a un an, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, faisait paraître une circulaire qui énonçait six critères de régularisation des sans-papiers ayant des enfants scolarisés en France. Parmi eux : la maîtrise de la langue française, l’absence de lien avec le pays d’origine et la scolarisation des enfants depuis au moins deux ans. Les familles disposaient de deux mois pour déposer leur dossier aux préfectures qui furent vite débordées. Sur environ 30 000 dossiers déposés, il y a eu 7 000 régularisations. Que deviennent les familles déboutées ? Questions à Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés).
Quel bilan peut-on tirer de la circulaire du 13 juin 2006 ?
Elle a permis de régulariser des familles, mais dans le plus grand arbitraire, puisque des situations identiques ont reçu des réponses opposées, selon les préfectures et l’interprétation du texte. Des dizaines de milliers de personnes sont sorties du bois,ce qui fait un vivier considérable de gens facilement interpellables. Ces fichiers pourront servir pour respecter les chiffres annuels de 25 000 éloignements et 130 000 «mises en cause dans des affaires de séjours irréguliers» annoncés par Brice Hortefeux.
Quelles sont les conséquences juridiques d’une «mise en cause» ?
C’est un terme très vague sans réelle consistance juridique, utilisé pour englober les employeurs, les réseaux mafieux et les soutiens aux sans-papiers. Selon Hortefeux, les soutiens sont les alliés objectifs des premiers. On sait qu’apporter de l’aide à un sans-papier est un délit, mais de là à le punir d’une peine de prison… On observe cependant que les mises en examen de soutien sont de plus en plus nombreuses.
Comment vivent les familles sorties de l’ombre ?
Dans la terreur. Le réflexe, c’est de retourner à la clandestinité. Elles déménagent quand elles le peuvent, ce qui les oblige à rompre les liens qu’elles avaient tissés au moment de la constitution de leur dossier. La mobilisation a provoqué la rencontre entre des mondes étanches, et, pour certaines familles exclues, c’était les prémices d’une insertion. Aujourd’hui, elles sont dans la méfiance. Une simple visite médicale devient un drame. Elles sont à la merci de n’importe quel employeur.
Est-ce si facile de mener une vie clandestine, lorsqu’on a des enfants scolarisés ?
C’est impossible et c’est le paradoxe de certaines familles refoulées par la circulaire, qui parlent le français et sont si «intégrées» qu’elles ne peuvent se volatiliser du jour au lendemain. Leur intégration même les transforme en cible pour la police. Mais en même temps, leur arrestation provoque à chaque fois une mobilisation énorme. A l’inverse, un célibataire sans papiers logeant dans un foyer est plus invisible et mobile, mais, lorsqu’il est sur le point d’être expulsé, ça ne provoque aucun remous. Dans ce contexte, l’établissement scolaire est devenu un lieu particulier, le seul où les parents sans papiers peuvent se sentir en sécurité. Mais les parents qui viennent à la sortie peuvent être interceptés en famille. En centre de rétention, ils n’ont plus que quarante-huit heures pour trouver un avocat et faire un recours. Sauf exception, ils en sortent à condition de laisser leur passeport et sont alors assignés en résidence, en attendant qu’une place dans un avion leur soit trouvé. Donc, soit ils acceptent de quitter la France, soit ils disparaissent dans la nature.
Comment explique-t-on que, ces derniers mois, des couples ont été incarcérés, leurs enfants restant sans nouvelles pendant plusieurs jours ?
Certaines familles ont donné l’adresse de leur employeur dans le dossier qu’elles ont déposé l’été dernier. Fourni en preuves d’intégration, il contenait des attestations de travail ou de promesse d’embauche, parfois des avis d’imposition, car même lorsqu’on travaille au noir, on doit déclarer ses revenus. D’autre part, le mode d’arrestation a changé, notamment à Belleville. Après quelques scandales médiatisés, elles se font moins dans la rue au faciès, mais plus discrètement dans les ateliers ou restaurants où les parents travaillent souvent ensemble.
Etant donnée l’absence d’issue et le peu de régularisations, ne serait-il pas normal que les soutiens se découragent ?
Si les étrangers ont toujours intérêt à conserver précieusement les preuves de leur présence en France, il est impossible aujourd’hui de donner de conseil global. Cependant, la population d’un quartier ou d’une école surprend toujours par la force de sa réaction. Il y a une semaine, une grève a été votée dans une école du XXe arrondissement pour protester contre la mise en rétention d’une mère chinoise expulsable à tout moment. Lorsque les parents Pan ont été envoyés en centre de rétention, leurs enfants restant quatre jours sans nouvelles, 250 Parisiens ont fait le trajet jusqu’à Rouen pour assister à l’audience. Une salle pleine, ça impressionne, et non seulement les Pan ont été relâchés, mais l’arrêté de reconduite à la frontière a été levé. Il n’est pas rare que les salles des audiences des tribunaux administratifs soient pleines. Le gouvernement est dans une position intenable. Selon un rapport parlementaire, il y a entre 400 000 et 500 000 sans-papiers en France. A supposer que ce chiffre reste stable, il faudrait vingt ans pour expulser tout ce monde. En 2006, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy a dû, sous la pression des associations, régulariser deux fois plus de monde qu’en 2005. Rien ne dit que, malgré ses discours, Hortefeux ne sera pas obligé de mener une politique plus souple que celle qu’il promet. De fait, grâce à la vigilance de Réseau éducation sans frontières (RESF).
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