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La préfecture retire sa note aux travailleurs sans-papiers

  Carole Sterlé, 26/12/2007

UNE PROMESSE d’embauche ou un CDI contre une régularisation. Pour les nombreux sans-papiers qui travaillent, parfois avec de vraies feuilles de paye, la proposition est tentante. La loi Hortefeux du 20 novembre autorise en effet cette régularisation, à titre exceptionnel, pour les sans-papiers qui travaillent dans des secteurs en manque de main-d’oeuvre.
Des dossiers se constituent en préfecture, alors que la loi n’est pas encore opérationnelle.

En Seine-Saint-Denis, une note de la Direction départementale du travail du 5 décembre informe les ressortissants étrangers qu’ils « doivent se présenter à la préfecture de Bobigny ou sous-préfecture du Raincy avec une promesse d’embauche pour examen de la situation et recevabilité de la demande ». Depuis, les téléphones des associations et avocats spécialisés ne cessent de sonner.

« Des étrangers en situation irrégulière nous demandent s’ils doivent aller faire les démarches », rapporte un avocat. Les réponses divergent. « Moi, je leur dis de ne surtout pas y aller, estime Stéphane Maugendre, avocat et vice-président du Gisti*. On surfe sur une rumeur. Et comme la loi n’est pas encore applicable, en se signalant auprès de la préfecture, ils s’exposent à une interpellation. »

La liste des « métiers sous tension » n’est toujours pas publiée

Interrogée, la préfecture de Bobigny a fait savoir que cette note avait été retirée après quelques jours. « Son affichage était prématuré puisque nous attendons les directives gouvernementales, explique-t-on au cabinet du préfet. Cette note est donc caduque, nulle et non avenue », ajoute-t-on sans préciser si des dossiers ont été constitués entre-temps. A Paris, une note similaire, datée du 22 novembre, stipule que, « dans l’attente des instructions ministérielles », la Direction départementale du travail de Paris « recevra les dossiers de demande d’autorisation de travail qui lui seront présentés ». Selon nos informations, des dossiers ont déjà été constitués.

Au ministère de l’Emploi, on indique qu’aucune directive n’a été donnée par rapport à la réalisation de ces notes, et on renvoie sur le ministère de l’Intégration et de l’Identité nationale. « Pour que la régularisation par le travail soit effective, il faut que le décret d’application soit publié. Cela ne devrait pas être très long, Brice Hortefeux souhaiterait que ce soit le plus vite possible », précisent les services du ministre de l’Intégration.

Et d’assurer qu’un « cuisinier sénégalais a été régularisé dans la région de Strasbourg, où les cuisiniers faisaient défaut ». Pour l’heure, aucune liste des métiers « en tension » pour les ressortissants d’Etats tiers (hors Europe élargie) n’est officielle.

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Sans-papiers : les soutiens sur « écoute informatique » ?

rue89-logo Chloé Leprince 22/12/2007

Un projet de loi prévoit d’autoriser la police à placer des logiciels espions notamment contre l’aide aux sans-papiers.

Et si la police était désormais habilitée à placer des logiciels espions dans les ordinateurs dans le but de surveiller en temps réel le flux informatique des particuliers et des entreprises, y compris les e-mails et les conversations téléphoniques via des logiciels comme Skype ? C’est en tout cas ce que prévoit une disposition, dévoilée la semaine dernière par la presse, de la prochaine Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Lopsi), qui doit être présentée en janvier par Michèle Alliot-Marie en Conseil des ministres.

Contactés ce samedi, les services du ministère de l’Intérieur évitent encore de communiquer plus amplement sur le sujet. « Un peu tôt » y explique-t-on. Plusieurs dispositions ont pourtant filtré et notamment ce nouveau feu vert à l’installation de « mouchards ».

Les policiers seraient autorisés à avoir recours à ces « clés de connexion » non seulement pour de la grande délinquance « dès lors que les faits sont commis en bande », précise le texte tel qu’il a filtré à ce jour -et n’a pas été démenti par le ministère. Mais aussi pour « l’aide à l’entrée et au séjour d’un étranger en situation irrégulière ».

Sur le papier, la justification s’articule bien sûr autour de la lutte contre les réseaux de l’immigration clandestine et notamment contre les passeurs. Mais, dans les faits, des associations comme RESF, par le biais de laquelle des particuliers s’organisent notamment pour assister, et parfois cacher, des parents d’enfants scolarisés qui sont en situation irrégulière, pourraient être menacées.

« Une volonté symbolique et politique plus qu’une vraie utilité »

C’est sous le contrôle du juge d’instruction et du juge des libertés et de la détention (JLD) que la police sera habilitée à contrôler en temps réel le contenu des ordinateurs des gens placés sur « écoute informatique ». Un JLD interrogé par Rue89 se montre « plutôt sceptique » :

« Cette disposition traduit bien sûr la pression accrue sur la lutte contre l’immigration clandestine. Partout, dans les services de police, les préfectures, les gendarmeries, on forme des équipes spécifiquement destinées à cela. Mais, du point de vue de l’enquête, je suis dubitatif sur le lien entre ce qui peut circuler sur ces ordinateurs et les étrangers en situation irrégulière. J’ai du mal à saisir l’utilité de la chose. »

Pour ce magistrat, cette disposition nouvelle relève en fait davantage d’une volonté « symbolique ou politique » que d’une utilité réelle, alors qu’à ses yeux, on déploie déjà bien davantage d’énergie à poursuivre les sans-papiers eux-mêmes qu’à lutter contre les réseaux de passeurs.

Inquiétude des associations

La plupart des associations n’avaient pas encore relevé ce détail de la Lopsi, qui ne sera rendue publique que début 2008. Mais cette nouvelle génération de mouchards inquiète, alors que Rue89 racontait début décembre que deux salariées de France terre d’asile avaient été placées sur écoute pendant plusieurs mois avant d’être carrément placées en garde à vue pour avoir eu des conversations téléphoniques avec de jeunes clandestins qu’elles suivaient dans le cadre de leurs maraudes.

Vice-président du Gisti, l’avocat Stéphane Maugendre rappelle qu’il y a une tendance à la criminalisation générale de l’aide aux sans-papiers :

« Cette disposition serait un pas de plus mais, dès à présent, la loi sur l’aide au séjour irrégulier est tellement vaste qu’elle concerne aussi bien l’oncle qui accueille son neveu quelques jours, le petit passeur, les associations qui aident les sans-papiers, que les gros réseaux de trafic. »

Si aucun parent d’élève associé par exemple à RESF n’a encore été poursuivi, Stéphane Maugendre souligne que la pression va bien crescendo sur le terrain.

Du côté de la Cimade, Sarah Bellaïche juge « très inquiétante » la nouvelle mouture de la loi de sécurité intérieure mais constate également que l’arsenal législatif permettait déjà de donner un tour de vis supplémentaire, en poursuivant par exemple les passagers d’un avion qui s’étaient opposés à l’expulsion d’un clandestin pour « atteinte au bon fonctionnement d’un aéronef ».

Immigration : Hortefeux en mission périlleuse

logo_jdd_fr1 Elsa Guiol (avec Stéphane Joahny), 16/12/2007

Autant dire que Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, est attendu au tournant. Avant même son intervention, mardi à l’Assemblée, les critiques fusent et la riposte s’organise. Le gouvernement doit présenter une nouvelle loi sur « la maîtrise de l’immigration, l’intégration et l’asile ». Ce texte déjà très controversé vise principalement à restreindre l’immigration familiale, et plus particulièrement le regroupement familial. Nicolas Sarkozy en avait fait une promesse de campagne et compte sur son ministre pour venir à bout de son projet, moins d’un an après le vote de la dernière loi sur l’immigration.

« L’immigration familiale, principal vecteur de l’immigration en France »

Pour le ministère, le constat est simple : « Avec 94.500 titres de séjour délivrés en 2005, l’immigration familiale reste le principal vecteur de l’immigration en France, loin devant les flux d’étudiants (48.900 titres) ou de travailleurs (13.650 titres). » Le regroupement familial strictement a concerné près de 23.000 étrangers, ce qui correspond à 11 % de la totalité des titres de séjour accordés en 2005. Plusieurs nouvelles dis¬positions visent à enrayer le phénomène : contrôle préalable de la connaissance de la langue française et des va¬leurs de la République, obligation de retourner dans le pays d’origine pour dé¬poser une demande de carte de séjour, augmentation du niveau de ressources nécessaires (jusqu’à 1,2 fois le smic, selon la taille de la famille), obligation de signer un « contrat d’accueil et d’intégration », suspension ou mise sous tu¬telle des allocations familiales en cas de rupture de ce contrat…

Depuis 2003, c’est le quatrième texte de loi sur ce thème présenté à l’Assemblée nationale. La procédure liée au regroupement familial, elle, a déjà été modifiée par deux lois, deux décrets, trois circulaires et un arrêté. « Notre objectif est d’aboutir à un équilibre entre l’immigration économique et familiale », insiste-t-on au ministère, où on n’oublie pas non plus l’objectif d’expulsions : 25.000 avant la fin de l’année. Le ministre ne s’est pas gêné pour le rappeler mercredi aux préfets, en convoquant vingt d’entre eux dans son bureau.

Dans ce climat tendu, les associations de défense des immigrés haussent le ton. Pour le collectif Uni(e) contre une immigration jetable (Ucij, qui regroupe une centaine d’associations) : « Cette diarrhée législative, alors que les précédentes lois n’ont pas été mises complète¬ment en œuvre, conduit à se poser la question des motivations réelles du gouvernement, la répétition des réformes ne vise-t-elle pas davantage à flatter les réflexes racistes et xénophobes dans la population? » Pour la Cimade: « L’impossibilité de suivre une formation dans le pays d’origine en raison du coût et/ou des distances entraînera des refus de délivrance de visa. Mais il est illusoire de penser que les personnes accepteront une séparation familiale. » Plusieurs as-sociations rappellent un précédent : « En 2003, puis en 2006, l’augmentation du ni-veau de ressources exigible avait déjà été proposée à l’Assemblée nationale mais deux fois rejetée par le Sénat », qui avait jugé la proposition discriminatoire. Un rassemblement est prévu à 18 heures mardi devant l’Assemblée nationale.

Dans la classe politique comme chez les experts, le débat fait rage. Pour Faouzi Lamdaoui, secrétaire national du Parti socialiste en charge notamment des questions d’immigration, le projet constitue un choix « politiquement condamnable et juridiquement contestable » qui va à l’encontre de l’objectif affiché : l’intégration des populations immigrées. « On durcit les conditions du regroupement familial alors que c’est justement un vecteur d’intégration. » A l’inverse, la démographe Michèle Tribalat estime que le texte va dans le sens de l’Histoire: « La plupart des pays européens cherchent à réduire la part familiale de l’immigration en provenance des pays tiers. »

« Onze pays européens ont déjà adopté cette pratique »

L’adoption par la commission des lois de plusieurs amendements suscite encore davantage la polémique. L’un lèverait l’interdiction de recueillir des données relatives à l’origine raciale ou ethnique dans le cadre d’études sur « la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration ». Une proposition d’emblée condamnée par SOS-Racisme. Un autre, déposé par Thierry Mariani (UMP), autorise un demandeur du regroupement familial à avoir recours aux tests ADN pour prouver son lien de filiation. Pour justifier sa proposition, le député du Vaucluse répète que « onze pays européens ont déjà adopté cette pratique. Et il n’est de toute façon pas question de conserver les échantillons ».

Cette proposition a provoqué un tollé. L’opposition et les associations émettent des doutes sur la possibilité de réaliser ce type de tests dans les pays d’origine, et s’inquiètent du sort réservé aux enfants adoptés ou recueillis. « Cet loi ne doit pas être votée, martèle Me Stéphane Maugendre, avocat spécialiste du droit des immigrés. C’est le dernier coup de vis avant l’interdiction totale du regroupement familial. » Il n’est pas le seul à le penser. La séance de mardi à l’Assemblée nationale risque d’être agitée.

Des dizaines de sans-papiers libérés par le tribunal

  Carole Sterlé, 13/12/2007

RAREMENT on aura vu autant de sourires dans la salle d’audience des étrangers au tribunal de grande instance de Bobigny. C’est dans cette petite salle surchauffée, à l’entrée du palais de justice, que sont convoqués les étrangers en situation irrégulière, interpellés en France, ou à leur descente d’avion à Roissy.

« Vous n’êtes pas maintenue en zone d’attente, explique le juge des libertés et de la détention à une jeune femme qui réclamait l’asile politique. Sous réserve de l’appel du parquet, dans quatre heures, vous serez remise en liberté. »

Les dossiers étaient si nombreux hier – quarante-quatre au total – qu’une seconde salle a été réservée aux jugements. Là encore, le scénario se répète. « Vous êtes en situation parfaitement irrégulière, précise le juge à une jeune Syrienne, qui s’est vue déboutée de sa demande d’asile. Ce n’est pas parce que je porte une robe noire que je régularise la situation. » La jeune femme, et les quarante-trois autres étrangers convoqués hier, sont ressortis libres, et heureux.

Les avocats ont trouvé une faille dans la procédure

Depuis qu’un avocat a ouvert la brèche, il y a au moins un peu plus d’une semaine, les avocats ont compris qu’en faisant valoir l’article 552-5 du Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), ils pouvaient obtenir la libération de leur client, au motif qu’il n’existe aucune trace tangible que les étrangers convoqués ont été régulièrement avisés de la date et de l’heure de l’audience afin de préparer leur défense. La plupart des juges des libertés et de la détention leur donnent raison.

« Si on ne restreignait pas autant le droit des étrangers dans la pratique, on n’en serait pas là. Ce sont des batailles comme celles-ci qui font avancer la jurisprudence », estime Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis et vice-président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés).

Quelques appels ont été formés, mais selon nos informations, tous les arrêts rendus confirment les décisions de libération. De son côté, le parquet de Bobigny n’a encore jamais fait appel de telles libérations, appel suspensif s’il est formé dans un délai de quatre heures. « Le parquet n’exclut pas de faire des appels suspensifs et le parquet général (NDLR : de la cour d’appel) n’exclut pas l’éventualité d’un pourvoi en cassation », indiquait-on hier soir à la cour d’appel de Paris, dont relève le tribunal de Bobigny. En attendant cet éventuel pourvoi, les étrangers sans papiers ressortent libres et souriants du tribunal de Bobigny.

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« On est en plein délire ! »

obs Interview de S.Maugendre par F.Miguet 24/11/2007

Pourquoi l’enfant, Angolais tout comme son père, ne fait-il pas, lui aussi, l’objet d’un éloignement du territoire ?

– La justice relative à l’enfance est gérée par l’ordonnance de février 1945 relative à la protection de l’enfance. Celle-ci dispose clairement l’interdiction de tout éloignement d’un enfant du territoire français jusqu’à sa majorité.
Deux droits s’opposent ici : d’un côté celui des étrangers, de l’autre le droit qui s’applique aux mineurs. C’est ce dernier qui prime. Un mineur ne peut en aucun cas être éloigné du territoire français. C’est le principe.
Peut-on légalement éloigner du territoire français un parent sans son enfant ?
– C’est une question compliquée. Si l’on prend la décision d’éloigner une femme ou un homme du territoire français, on ne peut pas, en principe, faire éclater une famille. Il faudrait donc que l’enfant soit éloigné aussi. Comme ce dernier ne peut l’être, du fait de l’ordonnance de 1945, son droit devrait primer, et interdire la reconduite de ses parents. Actuellement, en pratique, il y a très peu de reconduites à la frontière qui concernent des sans-papiers parents d’enfants résidant sur le territoire français.
D’ailleurs, les juridictions judiciaires et administratives ont pour habitude de sanctionner de telles pratiques. Quand il y en a cependant, il s’agit de cas à la marge, et cela ne concerne qu’un seul des deux parents. En l’espèce, la mère de l’enfant est décédée.
Il s’agit là de choix politiques. Dans la mesure où l’on veut faire primer la chasse à l’étranger sur la vie des enfants, on peut se permettre d’éloigner le majeur, avec ou sans son enfant.
Mais, si l’on considère, au contraire, que l’on doit faire primer la vie du mineur, on interdit, dans ce cas, de faire exploser les familles.
C’est une situation scandaleuse !
On se focalise sur un cas particulier, comme si cela représentait l’ensemble des étrangers sur le territoire français. Là, l’enfant est scolarisé, il a des amis, qui peuvent très bien être nos enfants. C’est toute une cohérence sociale qui est touchée, pas seulement l’enfant, mais aussi ceux qui l’entourent. Au nom de quoi ? D’une politique de fermeté ?
La Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France, dit qu’un enfant doit être protégé. Il y a ici une ingérence du politique contre l’enfant. L’argumentation juridique existe, mais, ici, l’on fait face à un choix politique.
Si l’on choisit que les parents d’enfants domiciliés sur le territoire français peuvent être reconduits à la frontière, alors on se désengage des obligations internationales.
Cela existe depuis la circulaire Sarkozy de 2006, qui annonçait qu’elle allait régulariser des parents d’enfants présents sur le territoire français. 60.000 personnes sont allées se dénoncer aux préfectures sur la base de critères qui paraissaient souples. Mais, une circulaire n’a aucun effet en droit. Entre 6.000 et 10.000 personnes ont été régularisées. Mais les autres ?
Elles ont été fichées. La situation à laquelle nous faisons face à présent a été préparée depuis longtemps. En ce moment on parle de régularisation par le travail avec la loi Hortefeux. Mais rien n’est clair. De nombreux employés et employeurs en situation irrégulières vont se livrer en pâture sans garantie précises. On les fiche, eux aussi. Le cas de cet Angolais est symptomatique. Qu’est-ce que cela change si on le laisse avec son enfant ? Rien du tout. On est en plein délire !
Que risque-t-il d’advenir de l’enfant ? L’Etat n’a-t-il pas une obligation d’aide ou de protection le concernant ?
– L’Etat a une obligation de protection sous réserve qu’il n’y ait pas d’autre membre de la famille. Un juge pour enfant doit être saisit, afin que le mineur soit placé auprès d’un tiers digne de confiance. Ce peut être une tante, un oncle, mais aussi l’ASE (Aide sociale à l’enfance). Savez-vous combien coûte une reconduite à la frontière, grosso modo ?
On parle de 50.000 euros. C’est énorme ! Là, on va devoir ajouter la saisine du juge pour enfant, qui a sûrement beaucoup mieux à faire. Imaginez l’argent que cela coûte. On tombe sur la tête !
Appuyer sur cet accélérateur là pour obtenir 25.000 reconduites à la frontière, c’est du chiffre, pour faire de l’annonce. Et cela au détriment du travail de la police et de la gendarmerie. Lorsque l’on en discute avec eux, on constate que policiers et gendarmes en ont pardessus la tête. Pendant ce temps, ils ne peuvent pas lutter contre la vraie délinquance. Aujourd’hui, être sans-papiers, c’est un délit puni d’un an d’emprisonnement et de trois ans d’interdiction du territoire. Et on préfère s’arcbouter là-dessus.
Mais ces gens ne sont pas des voyous. Ils viennent en France pour travailler, parce qu’il ya du boulot en France. Il y a, aujourd’hui, 500.000 postes non pourvus dans le monde du travail, dont 70.000 dans le bâtiment. On nous dit: « Régulariser des gens, ça fait des appels d’air ». Mais l’appel d’air c’est qu’il y a du travail non pourvu en France, et que ces gens veulent le faire. J’ai des clients sans-papiers qui travaillent entre 35 et 70 heures par semaines. Et lorsqu’il faut présenter un titre de séjour pour obtenir un CDI, il se barre. C’est ça la vérité. Ces gens ne sont pas responsables des émeutes dans les banlieues, ils ne viennent pas pour faire du trafic, mais pour travailler.

Que reste-t-il de la double peine ?

Par Saïd Aït-Hatrit, pour Afrik.com et Eric Chaverou, pour Radio France. Ce reportage a été réalisé dans le cadre du programme « Mediam’Rad » de l’Institut Panos. Il sera complété, cette semaine, de trois portraits de condamnés ayant subi la double peine.

15/10/2007

Après le vote de la loi Sarkozy sur l’immigration, des étrangers continuent de subir cette mesure. La loi Sarkozy sur l’immigration votée en novembre 2003 n’a pas supprimé mais réduit la possibilité pour un étranger de subir une « double peine ». L’application même du texte est aujourd’hui critiquée par des avocats et des associations. S’il a disparu de l’actualité et de l’ordre du jour du gouvernement, le débat sur le caractère discriminatoire ou non de l’expulsion d’un étranger en conséquence directe d’une condamnation n’a pas été tranchée.
Emai dernier, Mohamed M’Barek a été condamné à 25 ans de prison pour l’assassinat en 2004 d’Anthony Ashley-Cooper, Lord Shaftesbury, époux de sa sœur Jamila, dans une sombre affaire d’héritage. Ressortissant tunisien, il a également écopé d’une interdiction définitive du territoire (ITF). Une « double peine », ont expliqué certains médias qui avaient rapporté l’information. Le même mois, Salif Kamaté, un Malien âgé d’une cinquantaine d’années et vivant en France depuis l’âge de 15 ans, a empêché sa reconduite à la frontière en se débattant dans l’avion qui devait l’acheminer à Bamako. Cette fois, ce sont les policiers de l’air et des frontières chargés de son escorte qui ont indiqué aux passagers du vol Air France, qui protestaient contre la violence utilisée pour contraindre le sans-papiers à rester assis, qu’il s’agissait d’« un double peine ».

Pourtant, à cette même période, électorale, le candidat aux présidentielles Nicolas Sarkozy faisait de l’abrogation de la « double peine » l’une des mesures phare de son bilan à la Place Beauvau. Relayé par ses proches collaborateurs, à l’instar de sa future secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Rama Yade, il présente la loi relative à l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité (dite MISEFEN, ou loi Sarkozy), depuis son adoption, le 26 novembre 2003, comme un texte qui « supprime » [1] cette pratique.

L’étranger « n’a pas à subir une seconde sanction en étant expulsé »

Or, cette loi n’a pas supprimé mais réduit la possibilité d’assortir les condamnations pénales contre des ressortissants étrangers d’interdictions du territoire, une mesure judiciaire prononcée par les tribunaux, ou d’arrêtés d’expulsions, une mesure administrative prononcée par le ministère de l’Intérieur ou les préfectures. En 2003, Nicolas Sarkozy s’était dit convaincu par la campagne menée depuis deux ans par le Collectif « Une peine, point barre », particulièrement par le film de Bertrand Tavernier : « Histoire de vies brisées », du fait que la réponse pénale à un délit « ne peut varier selon que l’on est, sur sa carte d’identité, français ou non. Lorsqu’il a passé toute son enfance en France ou qu’il y a fondé une famille, explique-t-il dans un livre publié en 2004 (« La République, les religions, l’espérance », édition du Cerf), le second n’a pas à subir une seconde sanction en étant expulsé dans son pays de nationalité et coupé de sa famille. »

C’est pourquoi le ministre de l’Intérieur avait proposé à l’Assemblée nationale, pour ces raisons humanitaires, mais aussi en raison des « sérieuses difficultés rencontrées par les pouvoirs publics pour procéder à l’exécution de ces mesures » de « double peine », de créer plusieurs « catégories de protections quasi absolues contre l’expulsion ou la peine d’interdiction du territoire ». En théorie, l’étranger qui vit en France depuis « qu’il a atteint au plus l’âge de 13 ans », celui qui « réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans » ou depuis dix ans et qui est marié avec un(e) Français(e) depuis au moins trois ans ou qui est père d’enfant français n’est plus expulsé, sauf en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat ou d’activités terroristes. En juillet 2004, suite à la sortie médiatique de l’imam de Vénissieux Abdelkader Bouziane sur le droit coranique accordé à un musulman de « battre sa femme », l’expulsion de l’étranger bénéficiant d’une protection quasi absolue a été rendue possible en cas de comportements constituant des « actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».

« Mon cousin est en Algérie mais on a supprimé la double peine, comment ça se fait ? »

Pourtant, assure aujourd’hui Me Séverine Pierrot, avocate au barreau de Paris et bénévole au Mrap : « Les conditions posées pour bénéficier d’une protection dite « quasi absolue » sont des conditions en poupée russe, tellement [nombreuses] à remplir, qu’en gros, pratiquement personne n’en bénéficie. J’ai reçu dernièrement le cousin d’une personne expulsée en Algérie et actuellement en grande détresse, poursuit-elle. C’est un « quasi national », le profil pour lequel on avait prétendument supprimé la double peine. Ce Monsieur me dit : « Je ne comprends pas, mon cousin est en Algérie mais on a supprimé la double peine, comment ça se fait ?  » » Dans ces situations, « on a beaucoup de mal à remonter le courant… à leur dire : « malheureusement, ça n’est pas le cas » », explique Léopold, qui reçoit des ressortissants étrangers en mal de conseils à une permanence parisienne du Mrap depuis 15 ans. « C’est difficile à chiffrer, poursuit-il, mais il me semble qu’actuellement, on peut voir ici au moins un cas de double peine par semaine. Ce sont toujours un peu les mêmes profils, avec énormément de personnes interpellées pour délit de défaut de papier… ça n’est pas du grand banditisme. Pour la grande majorité, ils ne connaissent pas le pays dans lequel on va les envoyer, ne parlent pas la langue et n’ont aucun appui. »

La loi MISEFEN a bien profité à quelques étrangers. Elle prévoyait un dispositif permettant à ceux qui en avaient écopé de demander l’abrogation de leur arrêté d’expulsion ou de leur interdiction du territoire français (ITF) jusqu’au 31 décembre 2004. Près de 1200 en auraient profité, selon Luis Retamal, de la Cimade. Mais là encore, les conditions à remplir étaient telles – notamment celle demandant la preuve d’une résidence « habituelle » sur le territoire français depuis le 30 avril 2003 – que de nombreuses demandes n’ont pas été satisfaites. Les autorités ont par ailleurs parfois rechigné à accorder des assignations à résidences aux étrangers qui en avaient besoin pour effectuer leur demande. Dans le fonctionnement quotidien de la justice, « l’effet de la campagne [de communication autour de la double peine] fait que les tribunaux prononcent moins l’ITF », alors que cela était devenu « un réflexe » depuis les années 1970 (loi Chalandon 31 décembre 1970), explique Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers. Mais avec « quelques milliers » d’ITF prononcées chaque année, cette peine reste l’« une des plus courantes en France derrière les peines d’emprisonnement et le retrait du permis de conduire », précise le vice-président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés). « Quant aux arrêtés d’expulsion, il y en a toujours quelques centaines par an ».

La double peine « n’existe pas »

Ces effets sont encore très insuffisants pour l’avocat, dont l’association avait quitté le Collectif « Une peine, point barre » avant même l’adoption de la loi MISEFEN en 2003. « C’était une réforme de façade, elle contenait à l’intérieur même des articles de la loi une inapplicabilité aux cas de double peine que nous connaissions », explique-t-il. Aujourd’hui, les associations de défense des droits des étrangers maintiennent les revendications qui n’avaient pas abouti en 2003. « Je suis pour l’abolition totale de l’ITF, la double peine judiciaire, explique Stéphane Maugendre. Concernant la double peine administrative (l’arrêté d’expulsion), je ne suis pas contre le fait que l’Etat puisse bien évidemment se protéger contre des menaces. Ca, c’est le pouvoir régalien de l’Etat. Si on remet ce pouvoir là en cause, on remet en cause l’Etat. Mais ce que je ne veux pas, c’est que cet arrêté d’expulsion soit prononcé à raison d’une condamnation pénale. L’arrêté doit être là pour protéger contre quelqu’un qui met en danger la société française. Il faut donc mettre en place une procédure d’expulsion qui soit contradictoire et qui puisse vérifier si les risques contre la société sont réels ou non », développe l’avocat, dont le raisonnement est le même sur ce point que celui de la Cimade.

A l’inverse, pour certains députés de la majorité, comme Jacques Myard, réélu en juin dernier dans la 5e circonscription des Yvelines, la protection accordée aux étrangers à travers la loi MISEFEN est « excessive ». Lui-même se dit opposé à « une espèce de préformatage de la justice » sur la base de critères à remplir et favorable à accorder au juge « toute latitude » concernant « l’expulsion ou non » d’un étranger. Quant à la double peine, explique-t-il, elle « n’existe pas ». En droit, rappelle le député, l’ITF est « une peine complémentaire à une peine principale » – l’ITF peut aussi être une peine principale – de la même façon qu’une condamnation pour conduite en état d’ivresse peut être assortie d’un retrait de permis. Mais « la supercherie de cette argumentation, rétorque Luis Rétamal, est que la philosophie de la peine complémentaire vise à permettre la réinsertion du condamné, qui a payé sa dette, dans la société. Or, celle-ci est impossible pour l’étranger reconduit, qui paye toute sa vie ».

Par ailleurs, ajoute Stéphane Maugendre, l’ITF est « la seule peine du code pénal prononcée à raison de l’extranéité de la personne » condamnée, alors « qu’elle doit [l’]être à raison de l’acte délinquant ou de la personnalité ». Pour autant, Jacques Myard refuse d’y voir une rupture d’égalité. Car « il y a dans tous les droits nationaux une différence entre ce que sont les nationaux d’un pays et les étrangers (…) qui n’ont pas un droit absolu à rester sur le territoire national ». Quand bien même ces derniers seraient des « quasi-français » qui se croiraient protégés par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui impose aux États la protection des individus contre toute atteinte à leur vie privée et familiale.

[1] Le 24 juillet 2006, le ministre de l’Intérieur évoque dans une interview au quotidien Le Figaro la double peine « que j’ai supprimé [et que] Mme Royal veut rétablir »

⇒ Voir l’article et écouter l’interview

l’Etat mis en cause après l’affaire Ivan

rue89-logo Chloé Leprince 17/08/2007

Il est sept heures du matin, le 9 août, lorsque des coups retentissent à la porte de la famille Dembski-Aboueva. Calfeutrés derrière le battant, Andreï et Natalia refusent d’ouvrir à la quinzaine de policiers dans la cage d’escalier de cet immeuble d’Amiens. Sans papiers, ce couple russo-tchétchène est arrivé en France en 2004 avec Ivan, leur fils, aujourd’hui âgé de douze ans. Lorsque les voisins entendent les coups, ils tentent de raisonner la famille, qui menace de se jeter par la fenêtre.

A défaut de réussir à forcer la porte, les policiers font venir un serrurier. Les voisins racontent le bruit strident de la perceuse, les cris de panique derrière la porte. Le père se met en tête de sauter sur le balcon de l’appartement du dessous. Son épouse renonce, mais Ivan tente de suivre son père. Il tombe du quatrième étage et chute de quatorze mètres. Le collégien, scolarisé à Amiens, passera plusieurs jours dans le coma. On apprenait mardi qu’il n’était plus dans un état critique mais restait hospitalisé.

Médiatisée par les avocats de la famille, qui a choisi Maître Jacques Vergès et Maître Francis Lec, l’affaire fait office de caisse de résonance à un malaise de plus en plus nourri dans le dossier des sans-papiers. « La responsabilité de l’Etat est au cœur de ce drame. Nous demandons à l’Etat de reconnaître sa responsabilité », brocarde Maître Francis Lec qui se réfère aux textes européens en matière de droits de l’Homme et argue de la « mise en danger de la vie d’autrui ». Au moment de la perquisition, la famille avait fait appel de la décision d’expulsion devant le juge administratif, qui devait les entendre le 6 septembre, pointe Francis Lec :

Pour Réseau éducation sans frontières qui parle dans un communiqué de « chasse à l’enfant », la période estivale est particulièrement tendue : « Ce n’est pas un accident. C’est l’effet direct et inéluctable de la politique imposée aux préfectures et aux policiers par le gouvernement. » « Les sans-papiers sont peut-être moins vigilants, la Préfecture profite du fait que les militants soient parfois en vacances, et ils accélèrent le rythme avant la rentrée, pour qu’on ne puisse pas dire qu’il s’agit de familles d’enfants scolarisés », précise à Rue89 une militante de RESF en région parisienne, sur la brèche cet été.

Le gouvernement a annoncé qu’il accordait un titre de séjour de six mois à la famille d’Ivan. « Dérisoire », rétorquent ses avocats qui entendent donner valeur de symbole à cet accident et dénoncer au passage la radicalisation de la lutte contre les sans-papiers. En posant ici la question de la responsabilité de l’Etat et en menaçant de porter plainte contre les policiers intervenus le matin du 9 août, ils entendent donner à l’affaire Ivan l’écho d’une bavure. Au moment où les associations évoquent un contexte de crispation sur le terrain.

« Objectif : 25000 reconduites à la frontière en 2008 »

« Les interpellations sont de plus en plus musclées, dénonce ainsi Stéphane Maugendre, avocat de profession et vice-président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés). Un étranger en situation irrégulière, ce n’est pourtant pas un terroriste ou un grand délinquant ! C’est quelqu’un qui travaille, qui mène une vie normale, qui ne terrorise pas toute une cité ! On est en plein délire : pour faire du chiffre, on emploie les grands moyens, car c’est plus facile d’aller chercher un sans-papiers chez lui que de démanteler un trafic de stup’. Depuis la circulaire de régularisation, l’an dernier, la police dispose d’une manne : près de 60000 personnes sont allées se faire ficher ! Le processus était enclenché, la chasse aux étrangers est ouverte. »

Du côté des forces de l’ordre, certains syndicats observent un durcissement des méthodes employées, et remettent en cause l’opportunité d’appréhender les sans-papiers chez eux au petit matin plutôt que de les interpeller à l’extérieur. A l’heure où les avocats de la famille d’Ivan arguent de la responsabilité de l’Etat dans l’accident, le malaise grandit chez certains policiers. « Notre boulot, c’est d’appliquer la loi. Avec l’objectif de 25000 reconduites à la frontière en 2008, les fonctionnaires sur le terrain sont poussés au zèle, et les moyens intensifiés, confirme Francis Masanet, secrétaire général adjoint de l’Unsa police. Mais le problème, c’est qu’il n’y a aucune consigne écrite : c’est le règne de l’informel. Or, quand il se produit un drame comme avec Ivan, nous sommes en première ligne malgré nous. »

Même tonalité chez certains syndicats à la préfecture de police. Pour Frédéric Guillo, responsable CGT à la préfecture de police de Paris, ce zèle se double d’une opacité sur l’activité des services chargés des étrangers en situation irrégulière :

Ces mises en garde interviennent alors que le monde associatif, Gisti et Cimade en tête, mettent aussi le curseur sur la responsabilité de l’Etat. En novembre 2006, Maître Stéphane Maugendre a obtenu du tribunal que le policier de la police de l’air et des frontières responsable de l’interpellation de Getu Hagos Mariame soit condamné pour « homicide involontaire ». A 24 ans, l’Ethiopien en situation irrégulière avait trouvé la mort, en janvier 2003, durant son expulsion, à bord d’un avion en direction de Johannesburg. Fort de cette déclaration de culpabilité prononcée par la justice, l’avocat reprend du service au nom de la famille de la victime et réclame aujourd’hui une « indemnisation ». Pour cela, il plaidera bientôt à son tour la responsabilité civile de l’Etat.

Et alors que certains syndicats de police, à l’instar de Synergie, critiquent l’inflation des rappels à l’ordre de la Commission nationale de déontologie et de sécurité, une autre histoire vient de faire surface : celle d’Abdelkader, expulsé par bateau vers l’Algérie le 8 août. D’après la Cimade, il aurait été roué de coups quelques jours plus tôt lors d’une première tentative d’expulsion, à l’aéroport de Roissy, à Paris. L’ONG autorisée à se rendre dans les centres de rétention argue elle aussi d’actes « démesurés » de la part de la police de l’air et des frontières. Arrivé sur le territoire algérien, il a déposé une plainte devant la justice française.

Sans-papiers : « La mobilisation va au-delà des habituels militants »

rue89-logo Anne Diatkine 04/07/2007

Il y a un an, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, décidait d’examiner la situation des enfants sans papiers scolarisés et de leurs familles. Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti, revient sur les critères « arbitraires » de régularisation qui ont prévalu, et décrit la situation des familles déboutées.

Parmi les éléments examinés par les préfectures : la maîtrise de la langue française, l’absence de lien avec le pays d’origine, et la scolarisation des enfants depuis au moins deux ans. Les familles disposaient de deux mois pour déposer leur dossier à une administration vite débordée, tant les critères semblaient s’appliquer à des milliers d’entre elles. Sur environ 30000 dossiers déposés, il y a eu 7000 régularisations. Que deviennent les familles déboutées ? Questions à Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés).

Quel bilan peut-on tirer de la circulaire du 13 juin 2006 ?

Elle a permis de régulariser des familles, dans le plus grand arbitraire, puisque des situations identiques ont reçu des réponses opposées, selon les préfectures et l’interprétation du texte. Du coup, des dizaines de milliers de personnes sont sorties du bois. Elles sont désormais fichées avec l’imprimatur d’Arno Klarsfeld. Ce qui fait un vivier considérable de gens facilement interpellables. Ces fichiers pourront servir pour respecter les chiffres de 25000 éloignements et 130000 mises en cause dans des affaires de séjour irrégulier, par an, annoncés par M. Hortefeux. De fait, le traitement informatique des dossiers permet de classer les sans-papiers selon les nationalités. Ce qui est un moyen simple de préparer des charters.

Quelles sont les conséquences juridiques d’une « mise en cause » ?

C’est un terme très vague sans réelle consistance juridique, utilisé pour englober les employeurs et les réseaux mafieux, et les soutiens aux sans-papiers. Selon Hortefeux, les seconds sont les alliés objectifs des premiers. On sait qu’apporter de l’aide à un sans-papier est un délit, mais de là à le punir d’une peine de prison… On observe cependant que les mises en examen de soutien sont de plus en plus nombreuses.

Comment vivent les familles sorties de l’ombre ?

Dans la terreur. Le réflexe, c’est de retourner à la clandestinité. Elles déménagent quand elles le peuvent. Ce qui les oblige à rompre les liens qu’elles avaient tissés au moment de la constitution de leur dossier. La mobilisation a provoqué la rencontre entre des mondes étanches, et pour certaines familles exclues, c’était les prémisses d’une insertion, ne serait-ce que dans la vie de l’école. Aujourd’hui, elles sont dans la méfiance. Une simple visite médicale devient un drame. Elles sont à la merci de n’importe quel employeur.

Comment mener une vie clandestine quand on a des enfants scolarisés ?

C’est impossible et c’est le paradoxe de certaines familles refoulées par la circulaire, qui parlent le français et sont si « intégrées » , qu’elles ne peuvent se volatiliser du jour au lendemain. Leur intégration même les transforme en cibles pour la police. Mais en même temps, leur arrestation provoque à chaque fois une mobilisation énorme. À l’inverse, un célibataire sans papiers logeant dans un foyer est plus aisément invisible et mobile, mais lorsqu’il est sur le point d’être expulsé, ça ne provoque aucun remous. Dans ce contexte, l’établissement scolaire est devenu un lieu particulier, le seul où les parents sans papiers peuvent se sentir en sécurité. La loi interdit qu’on demande aux parents qui y inscrivent leurs enfants leurs papiers. Elle tient un rôle d’asile. Mais les parents qui viennent chercher leurs enfants à la sortie peuvent être interceptés en famille. En centre de rétention, ils n’ont plus que 48 heures pour trouver un avocat et faire un recours. Sauf exception, ils en sortent à condition de laisser leur passeport et sont alors assignés à résidence, en attendant qu’une place dans un avion leur soit trouvée. Deux solutions : soit ils acceptent de quitter la France, soit ils disparaissent dans la nature.

Comment explique-t-on que ces derniers mois, plusieurs couples aient été incarcérés tandis que les enfants étaient sans nouvelles d’eux, parfois pendant plusieurs jours ?

Certaines familles ont donné l’adresse de leur employeur dans le dossier qu’elles ont déposé l’été dernier. Fourni en preuves d’intégration, il contenait des attestations de travail ou des promesses d’embauche, parfois des avis d’imposition, car même lorsqu’on travaille au noir, on doit déclarer ses revenus. D’autres part, le mode d’arrestation a changé, notamment à Belleville. Après quelques scandales médiatisés, elles se font moins au faciès, dans la rue, mais plus discrètement dans les ateliers ou restaurants où les parents travaillent souvent ensemble. Du coup, ils sont également embarqués ensemble. Le comble, ce sont les familles cueillies le 13 juin dernier à la sortie du métro Belleville. Elles revenaient du dépôt collectif de demandes de rendez-vous organisé symboliquement par RESF, un an après la parution de la circulaire.

Étant donné l’absence d’issue et le peu de régularisations, ne serait-ce pas normal que les soutiens se découragent ?

Si les étrangers ont toujours intérêt à conserver précieusement les preuves de leur présence en France, il est impossible aujourd’hui de donner de véritable conseil sur l’intérêt de déposer un dossier, même aux personnes qui entrent dans le cadre du Cesa. Cependant, les populations d’un quartier ou d’une école, qui peuvent sembler endormies, surprennent toujours par la force de leur réaction lorsqu’une personne est en danger.

Il y a une semaine, une grève a été votée dans une école du XXe pour protester contre la « mise en rétention » d’une mère chinoise, expulsable à tout moment. Lorsque les parents Pan ont été mis en centre de rétention, laissant pendant quatre jours sans nouvelles leurs enfants en maternelle, deux cent cinquante parisiens ont fait le trajet jusqu’à Rouen, pour être présents lors de l’audience. Une salle pleine, ça impressionne, et non seulement les Pan ont été relâchés, mais l’arrêté de reconduite à la frontière a été levé.

Non seulement la mobilisation reste forte, mais elle s’étend bien au-delà du militantisme habituel. Il n’est pas rare que les salles d’audience des tribunaux administratifs soient pleines. Le gouvernement est dans une position intenable. Selon un rapport parlementaire, il y a entre 400000 et 500000 sans-papiers en France. À supposer que ce chiffre reste stable, il lui faudrait vingt ans pour expulser tout ce monde.

En 2006, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy a dû, sous la pression des associations, régulariser deux fois plus de monde qu’en 2005. Rien ne dit que malgré ses discours, Hortefeux ne soit pas obligé de mener une politique plus souple que celle qu’il promet. De fait, grâce à la vigilance de RESF.

A lire :  A Paris, une école du XXe mobilisée contre une expulsion
La mère thaïlandaise d’un jeune garçon tente un ultime recours.

Deux travailleurs clandestins interpellés à la Lanterne

images 2 REUTERS

Une enquête préliminaire a été ouverte à la suite de l’interpellation de deux travailleurs clandestins d’origine malienne sur le chantier de la Lanterne, à Versailles, résidence officielle prisée de Nicolas Sarkozy, apprend-on de source judiciaire.
Les deux hommes ont fait l’objet d’un contrôle d’identité mercredi à l’entrée de la Lanterne, un ancien pavillon de chasse proche du château de Versailles traditionnellement réservé aux Premiers ministres depuis 1959, et désormais sous surveillance policière depuis que le chef de l’État et sa famille y séjournent régulièrement les week-ends.
Les deux ouvriers, détenteurs de fausses cartes de séjour, devaient travailler sur le chantier de rénovation de la résidence pour le compte d’une entreprise privée mandatée par l’État, qui est propriétaire de la Lanterne. Ils ont été placés en garde à vue mercredi puis remis en liberté.
Le parquet avait la possibilité de les poursuivre pour séjour irrégulier, faux et usage de faux – faits imputables aussi à l’employeur. Les deux hommes pouvaient par ailleurs être soumis à un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, a-t-on précisé à Reuters de source judiciaire.
« Cette affaire illustre le fait que des sans-papiers travaillent dans des entreprises en France », a déclaré à Reuters Me Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers.
Le secrétaire général du gouvernement, Serge Lasvignes, a précisé que les travaux de restauration de ce bâtiment édifié en 1787 avaient débuté en 2002 et ne répondaient « absolument pas » à une demande de l’Elysée.
Il a démenti l’information du Parisien-Aujourd’hui en France selon laquelle Nicolas Sarkozy et son épouse Cécilia avaient demandé à ce qu’on remette la piscine en état.
« C’est un programme de restauration qui date de 2002. L’essentiel a été fait en 2003-2004, on a refait la toiture. Il y avait pas mal de dégâts liés à la tempête de 1999, il fallait reprendre les plantations, refaire le toit », a-t-il dit.
Les travaux en cours visent à « restaurer le mur d’enceinte de la cour d’honneur ». Ils devraient s’achever à l’hiver.
Nicolas Sarkozy a choisi de recevoir samedi à la Lanterne le Premier ministre néerlandais Jan-Peter Balkenende dans le cadre de ses consultations bilatérales avant le Conseil européen des 21 et 22 juin.
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Des sans-papiers travaillaient dans la résidence présidentielle Versailles (Yvelines)

  Stéphane Sellami et Julien Constant, 15/06/2007

DES OUVRIERS sans papiers interpellés alors qu’ils rénovaient une résidence présidentielle très appréciée du couple Sarkozy ! C’est l’incroyable histoire qui s’est déroulée mercredi matin à Versailles (Yvelines). Ce matin-là, une équipe d’ouvriers se présente à l’entrée du domaine la Lanterne, un superbe pavillon de chasse érigé à la fin du XVIIIe siècle et situé juste derrière les jardins du château de Versailles.

Employés d’une société privée, ils viennent effectuer le ravalement du bâtiment qui appartient à l’Etat.

Installés dans une petite maison, des CRS gardent les lieux nuit et jour depuis que la famille Sarkozy y passe ses week-ends.

Cette magnifique propriété abrite un bâtiment d’un étage en forme de U, d’une vingtaine de mètres de long pour six de large. Les lieux comprennent également un grand jardin avec piscine et tennis.

Les services de l’État très embarrassés

« Apparemment, le couple Sarkozy a demandé à ce qu’on remette la piscine en état », croit savoir un policier. Selon les rumeurs qui bruissent dans la ville du Roi-Soleil, l’épouse du président se sentirait si bien à la Lanterne qu’elle souhaiterait en faire sa demeure à plein temps. « Elle aurait dit que les lieux convenaient plus que l’Elysée à une vie de famille avec des enfants, ajoute une autre source. C’est dans cette perspective que des travaux auraient été commandés par les services de l’Etat.»

C’est dans ce contexte que les CRS contrôlent les papiers d’identité des ouvriers qui viennent donner un coup de jeune aux bâtiments. Deux salariés maliens fournissent de fausses cartes de séjour. Les fonctionnaires s’en aperçoivent et interpellent immédiatement les deux hommes. Un fourgon du commissariat de Versailles vient les chercher et les conduit au commissariat de la ville. Comme c’est l’usage, les policiers font leur rapport au parquet. « On pouvait leur reprocher d’être entrés et d’avoir séjourné illégalement sur le territoire français et les poursuivre pour faux et usage de faux, explique Me Stéphane Maugendre, l’avocat spécialiste sur le droit des étrangers.

En ce qui concerne le travail dissimulé, on ne peut pas le leur imputer. Seul l’employeur peut être inquiété à condition qu’il ait eu connaissance de la nature frauduleuse de la carte. »

En l’occurrence, l’employeur a expliqué aux enquêteurs qu’il ignorait que ses ouvriers étaient sans papiers. « Il croyait que leurs cartes de séjour étaient valables», confirme un policier.

Mais selon nos informations, cette affaire embarrasserait tellement les services de l’État que les deux ouvriers éviteront probablement les foudres de la justice. « Le dossier a été récupéré par le procureur lui-même et il le gère dans le secret de son bureau. Aucune poursuite ne devrait être engagée pour travail dissimulé ou séjour irrégulier, souffle une source proche de l’enquête.

La volonté de la préfecture était de faire une procédure administrative pour les renvoyer au Mali le plus vite possible sans laisser de traces. »

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