De sérieux trafiquants de stups sont jugés à partir de mercredi et jusqu’à la fin de semaine à Nanterre. Tenu par un boss très organisé, le réseau a écoulé plusieurs tonnes de cannabis entre l’été 2012 et la fin 2013, d’après ce que conclut le juge d’instruction.
Mais ce Franco-marocain de 47 ans, qui menait son business à Clichy, ne s’expliquera pas devant le tribunal de Nanterre. Depuis bientôt trois ans, il est en cavale. En juin 2013, sentant la police trop près de lui, il a filé au Maroc. Sans abandonner ses affaires, qu’il gérait par téléphone en calant livraisons, rendez-vous avec les clients, transports, paiements, assisté de deux hommes de confiance. Eux non plus ne sont pas des perdreaux de l’année. Mohamed, 35 ans, surnommé 9-3 puisqu’il vient de Pierrefitte, est à la fois «apporteur d’affaires » et semi-grossiste pour ses clients de Seine-Saint-Denis. Khalile, 35 ans aussi, fait figure de «chargé de clientèle » et récupère l’argent. Sur instructions du dealer en cavale, le frère du boss a pris les opérations en main, chapeautant les livraisons à coups de 400 kg, stockage et négociations… Chauffeur, homme à tout faire, gros clients et acheteurs plus modestes, ils sont sept autres prévenus convoqués devant le tribunal.
La Sûreté départementale a enquêté plus d’un an avant de cerner cette équipe «professionnelle ». Jusqu’à une descente en décembre 2013, où furent saisis 270 kg dans un box du Luth à Gennevilliers, quartier où la tête de réseau et son frère possédaient des biens immobiliers.
Un homme de 19 ans comparaissait, ce vendredi, devant le tribunal correctionnel de Versailles, pour trafic de produits stupéfiants. Le jeune homme a été arrêté, mardi à Magnanville, au volant de sa voiture par la police.
Les forces de l’ordre ont découvert à ses pieds une sacoche dans laquelle se trouvait de l’herbe, de la MDMA, de la cocaïne, et de l’héroïne. Trois téléphones portables, dont deux volés, ont également été saisis. Dans le box des prévenus, ce jeune homme croit tout savoir et surtout estime qu’il n’est pas un trafiquant. Il assure que pour rembourser une dette de 500 €, il a accepté de conduire un dealeur avec sa marchandise dans des soirées où ce dernier faisait son commerce. Les forces de l’ordre ont découvert 1 160 € cachés dans la télévision de sa chambre. Le procureur a requis une peine de 18 mois de détention dont six mois de prison ferme. Son avocat MeStéphane Maugendre a estimé qu’il était bien «une nourrice mobile » mais que son casier judiciaire vierge et son cursus en BTS devaient permettre au tribunal de prononcer une peine aménageable. Le délibéré était attendu tard dans la soirée.
Une fois de plus, l’unique réponse qu’envisagent les pouvoirs publics face à la situation dans le Calaisis, c’est l’évacuation d’un camp de réfugiés, et leur dispersion. On feint de s’attaquer aux causes réelles du problème ; mais en réalité, en s’en prenant aux victimes condamnées à se disperser dans la peur, cette politique ne fait que le déplacer et l’aggraver. Cette « solution » n’en est pas une.
Aux huit organisations qui ont adressé une lettre ouverte à Bernard Cazeneuve pour lui demander de surseoir à l’évacuation programmée d’une grande partie de la « jungle » de Calais, le ministre de l’Intérieur vient d’adresser une réponse qui est une fin de non-recevoir : il justifie sa décision à coups de propos incantatoires sur le respect des droits fondamentaux des migrants et le bien-fondé de politiques qui ne varient pas depuis des années, malgré leur échec évident ; et il rappelle aux associations leur « partenariat » avec l’État comme pour les impliquer dans la politique qu’elles contestent. Dans la foulée, la préfecture du Pas-de-Calais vient de publier un arrêté ordonnant aux occupants de la zone sud du bidonville, dite « la Lande », de quitter les lieux mardi 23 février au plus tard.
Les bulldozers ne peuvent pas tenir lieu de politique. Cela n’implique évidemment pas de nous accommoder d’une « jungle » dont le nom dit tout. Personne ne saurait accepter le maintien en l’état du bidonville de Calais, pas plus que du camp de Grande-Synthe, ni d’aucun autre. Personne ne peut se satisfaire de voir des réfugiés contraints de survivre dans de tels lieux.
Depuis des années, nous ne cessons d’ailleurs de dénoncer l’indignité de ces conditions de vie, comme l’a fait également Jacques Toubon, le Défenseur des droits, l’été dernier. Plus récemment, le tribunal administratif de Lille a même condamné l’État à procéder en urgence à des améliorations, décision confirmée par le Conseil d’État.
Pour autant, il n’est pas question non plus de cautionner l’évacuation annoncée, non seulement parce qu’elle est inhumaine, mais aussi parce qu’elle ne résoudra rien. Chasser les habitants d’une large partie du bidonville, y faire passer des bulldozers et détruire tout ce qui, dans la précarité et avec les moyens du bord, a été construit au fil des mois : à quoi bon ?
Les migrants qui se trouvent dans le Calaisis veulent souvent rejoindre des proches en Grande-Bretagne. D’autres seraient en droit de demander l’asile en France mais ils ne le savent pas toujours, ou bien ils se méfient de l’accueil qui leur serait réservé. D’autres encore attendent une réponse à leur demande. Parmi eux, il y a beaucoup d’enfants… Or pour plusieurs catégories de migrants, il existe des solutions inscrites dans les textes, avec des dispositifs, des acteurs, des fonds alloués à cet effet. Elles auraient pu être mises en œuvre depuis longtemps déjà.
Au lieu de s’y atteler, les pouvoirs publics ont préféré procéder à des « démantèlements » successifs. En 2015, ils ont contraint les migrants ainsi délogés à s’installer dans une zone « aménagée » pour eux. Bref, ils ont déjà défait ce qui se faisait, forçant ceux qu’ils chassaient à vivre dans une précarité plus grande encore.
Aujourd’hui, la partie principale du bidonville d’État de Calais est constituée de tentes et d’abris sommaires, bâtis par les réfugiés avec des bénévoles de différentes associations. Dans ces quelques kilomètres carrés sont nés peu à peu des cafés ou des restaurants de fortune, de minuscules épiceries, des lieux de culte de différentes religions, de toutes petites écoles, un théâtre sous chapiteau, une cabane d’aide juridique, plusieurs endroits dévolus à des soins, etc. Autant d’espaces de vie sociale, partagés par les réfugiés des différentes nationalités présentes dans le bidonville.
Qu’est-ce qui justifie de raser tout cela ? Le ministre veut convaincre que c’est pour le bien des occupants. En réalité, c’est une politique de dissuasion : rendre la vie invivable aux réfugiés. À ceux qu’ils ont hier installés dans cette zone, les pouvoirs publics enjoignent depuis des semaines d’occuper des conteneurs – sortes d’Algecos – ou sinon d’être dispersés loin de Calais, dans des CAO (centres d’accueil et d’orientation), baptisés « lieux de répit ».
Or c’est une alternative impossible.
Le ministre vante les mérites des conteneurs, qui sous sa plume semblent des bungalows pour vacanciers. Le fait est qu’il s’agit de cabanes de chantier, avec dans chacune des lits superposés pour douze personnes, où l’on ne peut qu’être debout ou couché ; toute installation de mobilier y est interdite, toute intimité impossible…
Concernant les CAO, le ministre se félicite de ce qu’ils permettraient aux migrants, grâce à « un accompagnement associatif de qualité » et à « un suivi particulier » des personnes, de déposer des demandes d’asile dans de bonnes conditions, ce qui n’était pas le cas dans le bidonville. « Au dernier recensement », écrit-il, « 80 % des migrants encore présents en CAO étaient engagés dans une démarche d’asile »… Il oublie de parler de ceux qui, mis en hôtel, sont privés de tout accompagnement et risquent une prochaine expulsion du territoire. Il oublie aussi de préciser que les CAO ont été conçus comme des solutions à très court terme ; après leur fermeture, qu’adviendra-t-il des personnes qui y auront été envoyées ?
Conteneurs, CAO ; expulsion, dispersion ; ces réponses ne feront qu’aggraver le sort des migrants sans régler pour autant le problème auquel est confrontée la région du Calaisis, pas plus qu’en son temps la fermeture du camp de Sangatte. Et dans un an, on nous rejouera la même scène. Car c’est avant tout l’inaction des pouvoirs publics, mais aussi leur action, qui, en créant des conditions de vie impossibles, rend la situation ingérable. L’État veut nous faire croire qu’il prend le parti des habitants contre les réfugiés ; en réalité, il monte les premiers contre les seconds en abandonnant les uns et les autres.
Il faut cesser de chasser de jungle en bidonville toute la misère du monde, persécution qui ne fait qu’exaspérer le ressentiment des « riverains ». Non, le malheur des migrants ne fera pas le bonheur des Français, pas plus à Calais qu’ailleurs. En réalité, laisser se dégrader la situation est plus pénible pour les populations du Calaisis, et plus coûteux aussi pour les pouvoirs publics, que s’employer à l’améliorer. L’humanité la plus élémentaire nous interdit ces destructions à répétition ; mais notre intérêt bien compris aussi.
Ce pays peut-il se satisfaire de devenir le champion du non-accueil, alors que les réfugiés y sont moins nombreux qu’ailleurs ? Ce que d’autres pays font déjà, la France doit pouvoir le faire. La Grande-Bretagne, qui porte une lourde responsabilité dans cette situation, doit elle aussi revoir sa position à cette frontière. Il faut en finir avec l’improvisation perpétuelle ; il est temps de penser dans la durée. Et si l’État ne fait pas son travail, nous allons y travailler nous-mêmes – avec les associations sur le terrain, avec les habitants du Calaisis et avec les réfugiés.
Les jours prochains, nous irons à Calais pour le clamer haut et fort : nous ne sommes pas condamnés à choisir entre la « jungle » et sa destruction. Nous refusons de réduire la France à des barbelés et des bulldozers. Nous tiendrons une conférence de presse. Nous voulons faire entendre un autre discours que celui des pouvoirs publics qui occupent les médias. Détruire, dit la Préfète ? Avec, sans ou contre l’État si nécessaire, il faudra pourtant bien construire un avenir.
Une fois de plus, nous, organisations signataires et personnes solidaires, demandons :
– que soit annulé l’arrêté d’expulsion pris le 19 février ;
– en urgence : une prise en charge individuelle respectueuse des droits fondamentaux des personnes actuellement présentes à Calais ;
– une discussion du règlement Dublin III et des Accords du Touquet ;
– plus largement, que la France s’engage enfin, en particulier en faisant la promotion de cet axe au sein de l’Union européenne, pour une véritable politique d’accueil des personnes migrantes.
La Cour de cassation a refermé définitivement, mardi 16 février, l’enquête sur Ali Ziri, un retraité algérien de 69 ans, mort le 9 juin 2009 après un contrôle policier à Argenteuil (Val-d’Oise). La haute juridiction a rejeté le pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Rennes qui avait confirmé, en 2014, le non-lieu prononcé par les juges d’instruction, a révélé Mediapart, mercredi 17 février.
Ali Ziri, un « chibani » arrivé en France dans les années 1950, avait été interpellé avec un ami, Arezki Kerfali, 60 ans, à bord d’un véhicule que ce dernier conduisait. Fortement alcoolisés, les deux hommes avaient été transportés au commissariat d’Argenteuil et placés en garde à vue. Tombé dans le coma, le retraité était mort deux jours plus tard à l’hôpital d’Argenteuil.
Une première autopsie avait conclu que des problèmes cardiaques et l’alcoolémie étaient les causes du décès. Mais une contre-expertise avait révélé la présence d’une vingtaine d’hématomes, dont certains larges de 17 centimètres. L’institut médico-légal concluait qu’Ali Ziri était « décédé d’un arrêt cardio-circulatoire […] par suffocation multifactorielle (appui postérieur dorsal, de la face et notion de vomissements) ».
En cause, l’usage de la technique interdite du « pliage » pour maîtriser le retraité. Mais la Cour de cassation a estimé que « les manœuvres de contention pratiquée sur Ali Ziri avaient été rendues nécessaires par l’agitation et la rébellion des personnes interpellées », selon l’arrêt cité par Mediapart.
« Aucune faute, volontaire ou involontaire, ne peut être relevée »
La haute juridiction met fin à un long marathon judiciaire. Après trois ans d’une instruction sans aucun acte d’enquête produit, le juge avait décidé de ne pas poursuivre les policiers impliqués dans l’interpellation, expliquant n’avoir établi « aucun acte de violence volontaire qui aurait été la cause directe ou indirecte du décès ». La Cour de cassation avait relancé en février 2014 les espoirs des proches du vieil homme en annulant le non-lieu.
L’affaire avait été renvoyée devant la cour d’appel de Rennes, où le parquet général s’était prononcé pour une relance de l’enquête. Mais la chambre de l’instruction avait finalement confirmé le non-lieu, le 12 décembre 2014, estimant que « les policiers n’ont fait usage que de la force strictement nécessaire » : « Aucune faute, volontaire ou involontaire, ne peut être relevée à leur encontre. »
La Cour de cassation vient de confirmer le non-lieu rendu dans l’enquête sur la mort d’Ali Ziri, 69 ans, après une interpellation musclée par la police à Argenteuil, en 2009. La famille va engager la responsabilité de l’État et saisir la Cour européenne des droits de l’homme.
C’est une immense déception pour la famille d’Ali Ziri et ses défenseurs, qui se battent depuis plus de six ans pour faire reconnaître la responsabilité de la police dans la mort de ce retraité algérien de 69 ans. Mardi 16 février, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté leur pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, rendu le 12 décembre 2014, qui confirmait le non-lieu des juges d’instruction après de nombreuses péripéties procédurales…
L’homme de 46 ans jugé pour avoir violé sa belle-fille pendant deux ans restera en prison. Après trois jours de procès, les jurés de la Cour d’assises de Seine-Saint-Denis, l’ont condamné mercredi soir à dix années de réclusion criminelle, peine conforme aux réquisitions de l’avocate générale.
Ils ont assorti la peine d’un suivi socio-judiciaire de quatre ans, sous peine de prison.
Cet ancien gardien d’immeuble de Montreuil a été reconnu coupable de viols entre 2010 et 2012. Au début des faits, la jeune fille avait à peine 13 ans et se voyait imposer des rapports sexuels en l’absence de sa mère, le samedi. C’est la mère qui a finalement dénoncé les faits à la police en juin 2012. Après s’être séparée de son concubin, elle aurait découvert son double visage. Elle aussi était partie civile.
« Il a déjà annoncé son intention de faire appel », indique son avocat Me Stéphane Maugendre. Son client, détenu depuis trois ans, a nié les faits et tenté de faire porter la responsabilité des faits à la victime.
Sans convaincre. « Ma cliente est soulagée d’avoir été entendue et rassurée par la décision », explique à son tour Me Manuela Lalot, conseil de la jeune fille, en écho à l’interdiction formelle pour l’accusé d’entrer en contact avec les parties civiles. Depuis trois ans, l’adolescente a un suivi psychologique très soutenu, à raison d’une fois par semaine. Elle vient d’avoir 18 ans et ce verdict signe pour elle, selon son avocate, un nouveau départ.
Le titre de cette journée d’étude (de cet ouvrage) « Immigration un régime pénal d’exception » va comme un gant à l’interdiction du territoire français (ITF).
L’interdiction du territoire français, pendant pénal de l’expulsion administrative (AME) – le tout formant ce que l’on appelle la double peine – est une peine complémentaire, prononcée par une juridiction répressive (Tribunaux Correctionnels, Cours d’Appels Correctionnelles ou Cours d’Assises), qui consiste en la défense faite à une personne, de nationalité étrangère, reconnue coupable d’un délit ou d’un crime, d’entrer et séjourner, pour une durée déterminée ou à titre définitif (IDTF), sur le territoire français, une fois la peine d’emprisonnement effectuée [2].
Jusqu’en 1970
Rappelons rapidement[3] que sous l’ancien régime, il n’existe pas de peine d’éloignement du territoire spécifique aux étrangers, la peine de bannissement s’appliquant indistinctement aux français et aux étrangers.
La révolution française consacre le principe d’égalité devant la loi pénale (article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789).
C’est au 19ème siècle qu’apparaient dans le code pénal[4] les premières peines d’éloignement spécifique aux étrangers et le terme d’Interdiction du Territoire Français semble être introduit par la loi du 8 août 1893[5].
Au 20ème siècle, les peines, soit d’ITF, soit de reconduite à la frontière apparaissent dans des lois réprimant l’atteinte au crédit de l’Etat ou de la Nation (12 février 1924, 10 janvier 1936 et 18 août 1936).
Par son article 2, la Constitution du 4 octobre 1958 vient, encore, consacrer le principe d’égalité devant la loi pénale.
C’est dans le contexte particulier de la guerre d’Algérie que l’Ordonnance du 4 juin 1960[6] modifie l’article 106 du code pénal qui prévoit désormais une ITF pour tout étranger reconnu coupable de port d’arme lors d’un attroupement ou d’une manifestation.
Jusque-là les peines pénales d’éloignement sanctionnent soit les infractions au non respect d’une mesure d’expulsion ou d’une réglementation au séjour, soit des atteintes à l’intérêt national. Concernant ces dernières. Il s’agit de rétablir l’inégalité entre français et étrangers devant la loi pénale. En effet les français peuvent être condamnés à une interdiction de leurs droits civiques civils et familiaux ou politiques alors que les étrangers en sont, à l’époque, dépourvus.
De 1970 à Mitterrand
Les années 70 sont un tournant dans la répression de l’immigration.
Répression d’abord politique à l’égard des immigrés qui ne respectent pas « la stricte neutralité politique qui s’impose aux étrangers en France » ou troublent « l’ordre public par leur comportement ». Les cas de Fawzia et Said BOUZIRI[7] en octobre 72 et Mogniss H. ABDALLAH[8] en 79, menacés d’expulsion, en sont les exemples les plus emblématiques.
Répression juridique ensuite puisque la loi du 31 décembre 1970[9], dite « loi Chalandon », rompt avec le principe d’égalité devant la loi pénale et met en place une machine pénale répressive contre les étrangers sans précédent. Elle crée l’article L 630-1 du Code de la Santé Publique (CSP) et annonce un développement considérable de l’ITF puisque celle-ci peut être prononcée, même à titre définitif, contre tout étranger condamné pour des faits liés aux stupéfiants, même pour un simple usage. C’est d’ailleurs à cette date que l’on considère que l’ITF est introduite dans le système répressif français[10].
A cela s’ajoute que cette répression ne touche plus « simplement » ou « seulement » des immigrés de la première génération mais aussi ceux de la deuxième.
Il n’a pas fallu attendre bien longtemps, pour que les victimes de ces répressions réagissent.
L’action la plus connue est la grève de la faim aux Minguettes, débutée le 2 avril 1981, d’Hamid BOUKHROUMA (double peine), Jean COSTIL (Pasteur et responsable de la Cimade de Lyon) et Christian DELORME (Prêtre).
Paradoxalement cette action a permis de faire connaître la double peine en ce qu’elle est « inhumaine » parce qu’elle touche celui qui à des attaches fortes avec la France (parent ou conjoint de français ….) mais elle a, sans doute, figé le débat de la double peine autour des futures catégories protégées.
Par ailleurs, et parce que les AME sont de plus en plus fondés sur des condamnations pénales, la « bicéphalité » de la Double Peine (peine pénale/expulsion administrative) disparaît peu à peu. Il devient alors, intellectuellement impossible de revendiquer politiquement et juridiquement une différence de régime entre AME et ITF et donc ne pas demander la création de catégories protégées contre l’ITF, comme pour les AME. Le Gisti n’échappera pas à ce travers[11]
Face au soutien populaire et la résonnance médiatique de cette action, le candidat MITTERAND leur adresse, le 17 avril 1981, le télégramme suivant :
« J’ai déjà eu l’occasion dès le 6 avril de manifester par l’intermédiaire de Pierre Mauroy, mon porte-parole, ma solidarité avec l’action que mènent les grévistes de la faim. Ma position est connue. Avec mes amis du Parti socialiste, je suis à l’origine d’une proposition de loi déposée en décembre 1978 qui tend à inscrire la reconnaissance des droits des immigrés. Ce texte aurait pour effet de protéger les jeunes immigrés contre les expulsions que vous dénoncez et que je condamne formellement. C’est une atteinte aux droits de l’homme que de séparer de leurs familles et d’expulser vers un pays dont bien souvent ils ne parlent même pas la langue des jeunes gens nés en France ou qui y ont passé une partie de leur jeunesse. Ces pratiques sont inacceptables. Si je suis élu président de la République, je demanderai au gouvernement d’y mettre immédiatement fin et de présenter les dispositions législatives nécessaires pour que nul désormais ne puisse avoir recours à ces pratiques.
Cordialement. François Mitterrand. »
De Mitterrand à Chirac
Promesse non tenue, mais à son arrivée au pouvoir l’exécution des arrêtés d’expulsions est suspendue et il fait voter la loi du 29 octobre 1981[12]
Cette loi, premier d’une longue série de rendez-vous manqué pour l’abolition de la double peine et surtout de l’abrogation de l’ITF, institut – comme d’autres après elle – des catégories protégées contre l’expulsion (Mineur, conjoint ou père et mère de français donner exemple, résident en France de façon habituelle depuis l’âge de dix ou depuis plus de quinze années…) mais ne touche absolument pas à l’article L 630-1 du CSP, pourtant usine à ITF.
La grève de la faim, à Lyon, de Djida TAZDAIT et Nacer ZAIR, pourtant très soutenue, ne peut rien faire contre le vote de la première « Loi PASQUA » du 9 septembre 1986[13], qui balaye les quelques acquis de la Loi d’octobre 1981, (renforcée un an plus tard par la Loi du 31 décembre 1987[14] qui rend impossible le relèvement des IDTF).
Même si le monde politique et associatif de gauche s’était mobilisé autour des grévistes de la faim de 1981 et 1986, les « double peine » ne font pas partie des préoccupations de la campagne présidentielle de 1988[15].
D’ailleurs, la Loi Joxe du 2 août 1989[16], qui ne tient toujours pas la promesse du candidat Mitterrand de 1981, ne revient pas sur la pluie torrentielle des expulsions Pasqua de l’alternance et les victimes des ITF, prononcées sur le fondement de l’article 630-1 du CSP, ne cessent d’augmenter.
C’est donc dans l’indifférence quasi-générale que se créent en juin 1990, le Comité National Contre la Double Peine (CNCDP) et le collectif contre la double peine constitué par Im’Media, Mémoire fertile, les JALB (Jeunes Arabes de Lyon et Banlieue), la Fasti, le Mrap, la Cimade, le CNCDP et le Gisti [17].
Indifférence car le retour de la gauche au pouvoir bride les esprits mais aussi parce que les « double peine » ont un casier judiciaire, ils ont commis des actes délinquants[18].
Grace à l’acharnement des militants du CNCDP (On peut citer parmi d’autres Fatiha DAMICHE, Mohamed HOCINE, Tarek KAWTARI, Lahlou SISSI et Norredine IZNASSNI), il a été permis de :
fédérer plus de 120 associations ou syndicats autour de la double peine,
rencontrer les Ministres concernés,
être auditionné par le Haut Conseil à l’Intégration (HCI) auprès du 1er Ministre,
Finalement de forcer la gauche au pouvoir à reprendre le débat sur la double peine.
Mais déjà un autre rendez-vous manqué s’annonce puisque sous la plume de Jean-Paul COSTA du HCI dans une note sur les aspects juridiques de la double peine en date du 1er juillet 1991 peut-on lire :
« on ne voit guère comment on pourrait sans choquer supprimer toute ITF judiciaire« et « Associer, politiquement, les trois mots de drogue, d’étrangers et d’indulgence (ou laxisme), dans le contexte actuel, comporte des risques, notamment médiatiques, qu’il faut peser avec une balance d’apothicaire. Le problème est donc très difficile »[19]
Même si la loi du 31 décembre 1991, dite « loi Sapin » [20] , s’attaque enfin aux ITF et constitue en cela un sérieux coup d’arrêt à la montée en puissance de celles-ci, on tombe dans le piège des catégories d’étrangers protégés (Mineur, conjoint ou père et mère de français, résident en France de façon habituelle depuis l’âge de dix ou depuis plus de quinze années…), réservées jusqu’à présent au AME.
De plus, le dispositif législatif et réglementaire ne prévoit rien pour les dizaines de milliers de « double peine » des années passées. [21]
Le 2 janvier 1992, au lendemain de la publication de la loi Sapin au journal officiel, dix-neuf « double peine » démarrent une grève de la faim dans les locaux de la Cimade aux batignoles à Paris rejoint, le 14 janvier, par sept autres à Lyon dans les locaux des JALB et d’autres partout en France.
Ces grèves permettent d’obtenir quelques abrogations d’AME ou assignations à résidence et une circulaire de la Chancellerie en date du 22 janvier 1992 pour inciter les parquets à faire appliquer la loi Sapin dans le cadre des relèvements d’ITF.
Pour la gauche au pouvoir , après une Loi et une Circulaire, la double peine est « une affaire réglée ». [22]
La mobilisation tombe, les « double peine » aussi, mais eux, encore une fois, dans l’oubli.
Or, l’adoption du nouveau code pénal, adoptée par une législature de gauche, constitue un énorme piège puisque, si son article 131-30 reprend les dispositions « protectrices » de la loi Sapin, il augmente démesurément le nombre d’infractions pour lesquelles un étranger peut se voir condamner à une ITF. En effet, plus de 270 crimes et délits peuvent être sanctionnés par cette peine[23].
Remarquons que les crimes et délits sanctionnés à titre complémentaire par de l’ITF ne touchent jamais la délinquance en col blanc. Est-ce à dire qu’il y a de mauvais / mauvais délinquants étrangers auxquels on réserve une peine supplémentaire et les mauvais / bons délinquants étrangers qui en sont dispensés? Considère-t-on ainsi que ces derniers, compte tenu de leur délit sont mieux intégrés et donc non éloignables du territoire français ou plutôt que les étrangers ne peuvent commettre que terrorisme ou atteintes aux personnes? Exemple que cette peine est bien fondée sur un présupposé fantasmagorique.
Il faut noter que cet article devient la référence concernant l’iTF et fait donc passé la notion de délinquant avant celle d’étranger et renforce encore la stigmatisation étranger=délinquant.
De plus, la loi du 24 août 1993, dite « loi Pasqua II » [24], qui modifie l’article 131-30 [25] du futur nouveau code pénal avant même qu’il n’entre en vigueur, supprime la protection des catégories protégées et édicte des normes draconiennes pour l’effacement de cette peine (Quatre années plus tard, la loi du 24 avril 1997, dite » loi Debré »,[26] renforce le régime d’exécution de l’ITF).
Dans le contexte de quatre années d’application du nouveau code pénal et des lois Pasqua[27], qui créent des situations explosives et parce qu’ils espèrent peser sur le débat parlementaire concernant le projet de Loi de Chevènement, sept doubles peines entament une grève de la faim au mois de décembre 1997 dans les locaux des JALB à Lyon.
Pour ne pas aborder le fond de la question lors du débat parlementaire et parce que les médias commencent à se faire rapidement l’écho de ce mouvement, le Ministre de l’intérieur leur promet d’étudier leurs cas et ils cessent leur grève au bout de seize jours.
Mais la loi du 11 mai 1998[28], dite aussi « loi RESEDA », non seulement ne revient pas sur les « lois Pasqua I et II » mais ne modifie que très peu l’article 131-30 du Code Pénal.
C’est parce que la gauche au pouvoir a escamoté le débat et que trois des sept grévistes n’ont pas été régularisés, que deux d’entre eux, rejoints par huit autres « double peine », débuteront une nouvelle grève de la faim le 10 avril 1998.
Bertrand TAVERNIER, soutien fidèle par la suite, commence, à cette occasion, le tournage de son documentaire « Histoires de vies brisées » [29]
Ce mouvement, fondé sur une trahison de la gauche, est particulièrement radical et ne va s’achever qu’au bout de 50 jours, par l’obtention d’assignation à résidence avec autorisation de travail pour six mois (ce délai leur permettant de demander le relèvement de leurs ITF ou l’examen de leur situation par le Ministère de l’intérieur).
La conséquence de cette grève est aussi la mise en place de la commission présidée par Christine CHANET[30] par Elisabeth GIGOU.[31]
Mais le rendez-vous manqué de l’abolition de l’ITF s’annonce déjà puisque l’on peut lire dans la lettre de mission de la Garde des Sceaux :
« C’est la raison pour laquelle, à la suite de la mission confiée par M. Le Premier ministre à M. GALABERT, Conseiller d’Etat, relative aux « grévistes de la faim » de Lyon, j’ai décidé de mettre en place une commission interministérielle qui devra mener un travail de réflexion et d’étude sur le prononcé des peines d’interdiction du territoire à l’égard de ces étrangers ayant des liens familiaux et privés forts avec la France. »
Et si ce rapport « se montre, de façon générale, assez critique à l’égard du système actuel. Il ne va cependant pas jusqu’à proposer la suppression de ces interdictions du territoire prononcées par les tribunaux répressifs. Du reste, ses onze propositions paraissent bien timides, voire en décalage, par rapport à ses observations et critiques souvent pertinentes »[32].
En effet, il ne propose que de :
« Limiter l’interdiction du territoire français (ITF) aux cas de récidive pour les infractions à la seule législation sur les étrangers.
Limiter l’interdiction définitive du territoire français aux seules infractions pour lesquelles la réclusion ou la détention perpétuelle est encourue.
Clarifier l’état du droit à l’attention des juridictions.
Sensibiliser les barreaux.
Améliorer les modalités de la collecte des éléments de personnalité.
Favoriser le débat contradictoire dès le début de la procédure.
Interdire l’ITF pour les étrangers ayant suivi leur scolarité en France et y résidant habituellement depuis lors.
Renforcer l’efficacité de la protection pour les autres catégories d’étrangers protégés par l’article 131-30 du code pénal.
Elargir les possibilités de relèvement.
Définir une politique en matière de requêtes en relèvement.
Motiver les jugements rendus en matière de relèvement. »
Alors que le rapport est remis depuis de nombreux mois au Garde des Sceaux et que rien ne bouge du coté du gouvernement, Lila BOUGUESSA, l’épouse de Moncef KHALFAOUI gréviste de la faim d’avril 1998, débute seule, Ie 4 mai 1999, une grève de la faim pour obtenir la grâce présidentielle de l’ITF qui touche son mari.[33]
Bertrand TAVERNIER filme le combat de cette femme qui vient compléter son premier tournage.
L’autre échec est la seule publication de la Circulaire dite « GUIGOU » du 17 novembre 1999 relative à la « Politique pénale relative au prononcé et au relèvement des peines d’interdiction du territoire français »[35] à l’intention des parquets. En effet, la montagne des constats du rapport CHANET ayant accouché de souricettes propositions, ces dernières n’accoucheront que d’un texte souriceau.
Or, il ne faut pas oublier que le nouveau code pénal est entré en vigueur depuis 1994 avec sa cohorte d’infractions sanctionnées par des ITF sur le fondement de son article 131-30 [36] et que certaines juridictions pénales, qui ne sont pas liées par la Circulaire GUIGOU, se montrent particulièrement « généreuses » en la matière. Ainsi, même si le nombre d’ITF prononcées chaque année est moins important que durant les années précédentes, le nombre cumulé des personnes condamnées à une ITF ne cesse d’augmenter[37].
De la campagne « une peine./ » au premier tour des élections présidentielles 2002
« Les grèves de la faim successivement menées à Lyon ont, par leur médiatisation, fait ressurgir une réalité et une expression éclipsées depuis l’action du CNCDP, et la question a retrouvé une place de premier plan au sein des préoccupations militantes[38]Des tribunes dans la presse nationale[39] , des articles dans des journaux ou revues de gauche[40], la diffusion sur Canal +, en clair et à une heure de grande écoute, d’un reportage dénonçant la double peine[41]ou encore la publication d’un petit livre de sensibilisation militante[42]entretiennent cette visibilité, tout comme les mobilisations locales autours de cas singuliers dont la presse nationale se fait régulièrement l’écho. Le contexte semble donc favorable au lancement de la campagne projetée par le collectif lyonnais »[43]
En effet, c’est de Lyon (encore) et autour de la Cimade de Lyon que se lance l’idée et démarre la campagne nationale « une peine ./ » (une peine point barre).
La Cimade salarie Bernard BOLZE (Fondateur de l’OIP) pour coordonner cette campagne et rassembler les associations préoccupées par la double peine, mais concernant l’ITF, elle ne propose que « la modification de l’article 131-10 du Code pénal par un retour aux catégories protégées ». (Celle de la Loi SAPIN du 31 décembre 1991).
Le jeudi 19 juillet 2001, le Gisti répond que :
«il ne peut en l’état de ces revendications s’associer à la campagne…Il a en effet clairement montré son opposition radicale à la double peine. »
et que :
« concernant l’interdiction du territoire français (ITF), le Gisti estime que le juge pénal ne doit pas avoir la possibilité de prononcer à l’égard de l’étranger qui a commis une infraction – de droit commun ou non – une ITF. Etrangers et Français doivent strictement encourir les mêmes peines complémentaires, sous peine de rompre le principe d’égalité devant gouverner le traitement pénal de la délinquance. Il y aurait par ailleurs beaucoup à dire sur cette ITF, peine faussement qualifiée de complémentaire. Elle doit tout simplement disparaître du Code pénal car elle conduit le juge répressif à des facilités, des excès, des incohérences et des traitements inhumains, et à intervenir indûment dans le jeu de la politique migratoire. »
Le MRAP et la LDH étant sur cette position, impossible donc pour la Cimade de se lancer dans cette campagne nationale sans ces trois organisations.
Le consensus se trouve et concernant l’ITF la plate-forme de la campagne [44] demande
« Un débat parlementaire, sur la base des constatations de la commission Chanet, qui devrait déboucher sur la suppression de la peine d’interdiction du territoire français. Étrangers et Français doivent encourir strictement les mêmes peines, pour respecter le principe d’égalité dans le traitement pénal de la délinquance ».
La campagne est lancée à LYON, le 19 novembre 2001, et à PARIS, le lendemain, avec la projection du film de Bertrand TAVERNIER « Histoires de vies brisées, les double peine de Lyon ».
Les buts de cette campagne consistent d’une part, à faire connaître et à expliquer la double peine le plus largement possible, et, d’autre part, à convaincre la gauche, et notamment le P.S, avant les élections du 21 avril, de la nécessité d’une réforme, persuader qu’elle serait victorieuse.[45]
Tout se passe comme prévu, sauf les élections.
Au lendemain de celles-ci la campagne choisit, malgré tout, de reprendre le lobbying, mais cette fois-ci plus en direction de la droite parlementaire, d’organiser un meeting au mois d’octobre 2002 et de publier un ouvrage collectif[46].
De la mise en place du groupe de travail sur la double peine à la remise du rapport MIGNON [47]
Alors que se tient le lendemain (26 Octobre 2002) le meeting à la Villette[48] et que la campagne est, après une année, à son apogée, Sarkozy annonce, la mise en place d’une commission de réflexion sur la double peine, qui, après auditions, rendra un rapport afin de préparer un projet de réforme.
De toute évidence le Ministre de l’Intérieur, déjà en campagne, surfe sur une vague que la gauche n’a pas prise.
Cette commission a fait choix, sans explication du Ministère de l’intérieur, des organisations et des personnalités à auditionner et écarte la LDH. La campagne ne réagit pas à cette éviction, mais surtout les représentants des organisations de la campagne (dont le Gisti) répondent présents à chaque convocation de dernière minute de cette commission sans recul politique.
D’une certaine manière elles vont « à la soupe », car très clairement Sarkozy annonce son courage à réformer la double peine face à sa majorité hostile (et à une gauche qui n’avait rien fait) et affirme que nous ne devrions pas être « extrémiste » au risque de voir cette réforme échouer.
La commission remet son rapport au Ministre de l’Intérieur qui convoque la campagne, comme toujours dans l’urgence, pour en prendre connaissance le 2 avril 2003.
Nicolas Sarkozy annonce que
« ce rapport expose en termes administratifs ce qui est ma conviction profonde : pour des étrangers nés en France ou ayant fondé des familles en France, la « double peine » est inhumaine. Elle est contraire à l’intérêt général car elle provoque l’éclatement des familles….
….Nous empêchons la réinsertion….
….Tout cela est contraire à l’intérêt général et même contraire à l’ordre public, alors que c’est soi-disant au nom de l’ordre public que l’on justifie ces mesures….
… Vous avez raison de poser la question : pourquoi faudrait-il traiter différemment un étranger et un Français qui ont commis la même faute et qui ont payé de manière égale leur dette à la société ? …
Mais pour l’ITF la messe est dite
…les membres du groupe de travail ne proposent pas la suppression générale de l’interdiction du territoire français de notre législation pénale…Cette position est logique : le groupe était chargé de réfléchir à la « double peine », c’est-à-dire à la situation de ceux qui ont de fortes attaches avec le territoire français. …
Le Rapport MIGNON
Arrêtons-nous sur ce rapport, bel exemple de populisme juridique, qui affirme que l’ITF n’est ni discriminatoire ni une double peine.
Selon le rapport :
» on ne peut soutenir que la peine complémentaire d’interdiction du territoire français est la seule peine discriminatoire du droit français en ce qu’elle touche uniquement les étrangers et ne vise pas les Français. En effet, il existe au moins deux peines complémentaires qui ne concernent que les Français et épargnent les étrangers : tel est le cas de certaines composantes de la peine d’interdiction des droits civiques, civils et de famille (article 131-26 du code pénal) qui ne peuvent s’appliquer qu’à des ressortissants français (droit de vote et d’éligibilité aux élections nationales). De même, l’interdiction d’exercer une fonction publique (article 131-27) ne concerne que les Français en tant qu’elle porte sur des fonctions de souveraineté. Si l’on devait supprimer totalement la peine complémentaire d’interdiction du territoire français en raison de son caractère discriminatoire, il faudrait alors, logiquement, supprimer aussi ces peines complémentaires. » (Page 1)
On note, non seulement l’aveu de la discrimination mais aussi l’inexactitude du raisonnement.
Car on sait que le droit de vote et d’éligibilité aux élections nationales constitue une sous catégorie du droit de vote et d’éligibilité [qu’ont, par ailleurs, les communautaires sur nombres de scrutins et les non-communautaires pour de très rares scrutins (élections prud’homales par exemple)] et que cette sous catégorie est elle-même une composante des droits civiques, civils et de famille dont l’exercice peut être interdit à tout condamné quelle que soit sa nationalité. En réalité, il ne s’agit pas d’une peine mais d’une conséquence par ricochet d’une peine.
Car on sait que l’exercice d’une fonction publique en tant qu’elle porte sur des fonctions de souveraineté n’est qu’une composante de l’exercice d’une fonction publique ou d’une activité sociale et professionnelle. Son interdiction, n’est pas prescrite dans le Code Pénal, mais est une conséquence par ricochet de ce que l’exercice d’une fonction publique est interdite.
Le rapport surenchérie puisqu’il affirme que :
» la peine d’ITF n’est pas contraire au principe d’égalité : même lorsqu’ils ont des attaches importantes avec le territoire français, les étrangers ne sont pas juridiquement dans la même situation que les Français. La nationalité les en sépare irrésistiblement etcette distinction est de nature à fonder en droit l’existence d’une peine spécifique qui ne s’applique qu’aux étrangers. D’ailleurs, à l’aune de cet argument non fondé, presque toutes les peines complémentaires pourraient encourir le reproche d’être discriminatoires. Tel serait le cas par exemple de la peine de suspension du permis de conduire ou de l’interdiction d’exercer une fonction publique. Pour faire l’objet de ces peines, encore faut-il être titulaire du permis de conduire ou susceptible d’exercer une telle fonction. Personne ne soutient que de telles peines sont discriminatoires car elles ne touchent pas ceux qui n’entrent pas dans ces catégories ». (Pages 36 et 37)
Inutile de s’appesantir sur le raisonnement « étranger juridiquement différent du français donc peine différente » puisque c’est la même que ce trouve la discrimination.
Les exemples donnés sont tout aussi consternants.
On sait qu’il n’est pas utile d’avoir un permis de conduire pour qu’un Tribunal suspende celui-ci, interdisant ainsi le condamné de le passer. Par ailleurs, ne commet pas, en droit, une discrimination un employeur qui exigerait un permis de conduire pour remplir telle ou telle fonction dans le cadre d’un emploi.
Concernant le deuxième exemple, il faut remarquer que toute personne est susceptible d’exercer une fonction publique. Par ailleurs, une administration publique qui proposerait un concours interne à ses seuls fonctionnaires ne commettrait pas non plus de discrimination.
La possession d’un permis de conduire ou la susceptibilité d’exercer une fonction publique ne sont pas des critères de discrimination, la nationalité si.
Le rapport affirme que :
« La peine d’interdiction du territoire français ne constitue pas une seconde peine après une première peine de prison ou d’amende. Elle constitue une peine complémentaire comme il en existe beaucoup d’autres dans le code pénal (confiscation d’objet, interdiction d’utiliser des chèques, interdiction d’exercer telle ou telle activité professionnelle, interdiction de séjour, exclusion des marchés publics, suspension du permis de conduire….). A l’instar de la peine complémentaire d’interdiction du territoire français, certaines de ces peines ont parfois, pour les personnes qui en font l’objet, des conséquences aussi graves que la peine d’interdiction du territoire. » (Page 1)
A part prendre les représentant de la campagne pour de parfaits idiots, le raisonnement est particulièrement crapuleux puisqu’il annonce une vérité juridique (selon laquelle l’ITF est une pleine complémentaire) pour lancer une contrevérité puisque la somme de l’ensemble des peines complémentaires prévues au Code Pénal ne dépasse pas ni dans la durée ni dans les domaines visés les conséquences de l’ITF. La seule lecture des articles 131-10 et 131-19 à 131-36 du code pénal suffit à s’en convaincre.
Le summum est atteint lorsque le rapport relève que :
« Pour des raisons d’humanité et de proportionnalité des sanctions pénales, elle (la France) a renoncé à cette peine (le bannissement) sans pour autant porter atteinte à sa souveraineté » (page 5)
Comme si le bannissement, que constitue l’ITF, serait plus humain et plus proportionnel pour l’étranger que pour le français et que l’abrogation de l’ITF porterait plus atteinte à la souveraineté de la France que celle du bannissement et ce d’autant plus que l’Etat reste détenteur du pouvoir d’éloigner, par le biais de l’expulsion ou de la reconduite à la frontière, l’étranger qu’il considère être une menace pour la France.
La course à l’échalote
Le 9 avril 2003, le Ministère de l’Intérieur convoque, comme à son habitude en urgence pour le lendemain à 8 h 15, la Campagne à afin de recueillir ses observations sur le rapport Mignon. L’idée, prendre de vitesse les plus radicaux de la campagne et instrumentaliser les autres pour accompagner le projet de loi, tout en organisant l’annonce de l’abolition de la double peine.
Cette annonce, déjà relayée par les médias sans recul politique et ne se donnant pas la peine de vérifier, devient déjà réalité pour tous avant même que la Loi ne soit adoptée.
Dans la foulée Nicolas SARKOZY annonce une réforme de la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers.
Dés lors certaines organisations de la campagne, notamment la LDH et le Gisti, dénoncent la fausseté de l’annonce sarkozienne, constatent que ce projet laisse entier le problème de la double peine en ne s’y attaquant que très superficiellement, (afin de se débarrasser de certains dossiers qui encombraient les bureaux de la rue des saussaies et pour lesquels l’éloignement était pratiquement et réellement impossible) et refusent de soutenir une réforme cosmétique de la double peine dans le cadre générale de la reforme de l’immigration, l’une des plus répressive en matière de droit des étrangers depuis 1945.
D’autres, sous prétexte que cette réforme vient du coté de la droite, affirment qu’il fallait en accepter l’augure, clamer haut et fort qu’une brèche est percée et participer au travail législatif par la rédaction d’amendements pour certains députés sur la base du projet de loi du Ministère de l’intérieur. Dernier argument de ces derniers, non négligeable, et si cette réforme pouvait sauver quelques centaines d’étrangers touchés par la double peine? [49]
Malgré ces divergences s’organisent une conférence de presse, le vendredi 4 avril 2003 [50] et un grand raout d’honneur place de la République pour le samedi 10 mai 2003.
Les interventions de la LDH et du Gisti [51], relayées par Sylvia ZAPPI dans les colonnes du Monde du 13 mai 2003, vont déclencher lyre de la Cimade et du coordinateur de la campagne – ces derniers reprochant la trahison des premiers. Dès lors le Gisti décide de ne plus participer à la Campagne contre la double peine
Cet abandon se devait discret par respect, au fantastique travail accompli lors de la campagne mais cette discrétion consacrait aussi la victoire du Ministère de l’Intérieur.
Par ailleurs, l’instrumentalisation de ceux qui restaient ne s’arrêta pas là puisque cités à de nombreuses fois durant les débats parlementaires, ils faisaient fonction de caution humanitaire à la réforme générale de la politique d’immigration particulièrement répressive du gouvernement.
La réussite politique du ministre de l’intérieur va jusqu’à obtenir à l’assemblée nationale un vote à l’unanimité sur les dispositions concernant la double peine.
En désespoir de cause et parce qu’il est impossible de laisser croire au mensonge de l’abolition de la double peine, s’organise, à l’initiative de Jean Pierre THORN, un débat, autour de la diffusion de son film « On n’est pas des marques de vélo » [52] entre ceux qui ont quitté la campagne et les Sénateurs de gauche afin que ces derniers déposent des amendements reprenant les revendications de la plate-forme dont l’abrogation de l’ITF.
Ces amendements rejetés, l’abolition de la double peine était consacrée et le débat sur celle-ci enterré.
Que l’on ait la satisfaction d’avoir ouvert une brèche et sauvé quelques dizaines voire centaines de « double peine » ou celle de ne pas avoir voulu cautionner une telle loi, il n’en reste pas moins que le monde associatif, partie prenante dans la campagne contre la double peine devait prendre conscience de la responsabilité qu’il avait en sollicitant une réforme de cette ampleur. Il avait donc la charge morale de dizaines de milliers de doubles peines laissés sur le carreau de l’oubli et de la clandestinité, et ceux qui y sont enfoncés par les effets pervers ou couperets de la Loi. Un devoir et un droit de suite s’imposait indéfectiblement à eux. C’est pour cette raison qu’en 2005 une tentative de relance a été organisée[53]. Echec total, le relais média est quasi nul.
Comme attendu, la loi du 26 novembre 2003 ne touche pas à l’ITF et met en place un système complexe en distinguant des catégories partiellement protégées et des catégories protégées. Or, l’examen du dispositif révèle que les premières sont très partiellement protégées et que les secondes sont loin de l’être totalement et renferment les conditions de son inapplicabilité[54].
Concernant les catégories protégées l’article 131-30-2 énonce que « la peine d’interdiction du territoire français ne peut être prononcée lorsqu’est en cause :
1° Un étranger qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ;
S’il est souvent facile de prouver une résidence habituelle jusqu’à l’âge de 16 ans par des certificats de scolarité, pour les années suivante un jeune tombé dans la délinquance ou dans la toxicomanie ne préservera, en pratique de telle preuves, notamment lorsque’il faudra, pour respecter certaines jurisprudence réunir, pour des années de dérives (sociale, scolaire, familiales…) 2 à 3 preuves officielles par années. On n’évoquera pas la rupture dans ce séjour habituelle (puisque le texte exige « depuis ») pour un «double peine » qui aura fait l’objet d’un éloignement (suite à un APRF ou AME ou ITF), ou un retour dans le pays de nationalité pour obtenir une reforme du service militaire avec difficulté pour revenir en France.
« 2° Un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans » ;
La seule preuve sera le titre de séjour. Or, combien de double peine se sont retrouvés sans titre de séjour, soit par négligence, soit par toxicomanie, soit par application d’une double peine, soit enfin par refus par la préfecture au motif d’un trouble à l’ordre public.
« 3° Un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis trois ans avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, à condition que ce mariage soit antérieur aux faits ayant entraîné sa condamnation, que la communauté de vie n’ait pas cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française, ou, sous les mêmes conditions, avec un ressortissant étranger relevant du 1° ci-dessus ;
Le cumul de six conditions, preuves à l’appui, pour un même homme (ou femme) rend pratiquement inapplicable cette disposition.
« 4° Un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d’un enfant français résidant en France, à condition que la naissance de cet enfant soit antérieure aux faits ayant entraîné sa condamnation, qu’il exerce, même partiellement, l’autorité parentale à l’égard de cet enfant et qu’il subvienne effectivement à ses besoins.
Le cumul de six conditions, preuves à l’appui, pour un même homme (ou femme) rend pratiquement inapplicable cette disposition.
« 5ºUn étranger qui réside en France sous couvert du titre de séjour prévu par le 11º de l’article L 313-11 du CESEDA. »
Il s’agit des étrangers malades et la preuve se rapportera par la production du titre de séjour, dont l’obtention est de plus en plus difficile à obtenir[55].
Je laisse de coté les exceptions à ces protections[56].
Concernant les catégories partiellement protégées
L’article 131-30-1 énonce :
« En matière correctionnelle, le tribunal ne peut prononcer l’interdiction du territoire français que par une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l’infraction et de la situation personnelle et familiale de l’étranger lorsqu’est en cause :
Suivent 6 catégories qui renferment toutes les mêmes conditions d’inapplicabilité que les précédentes.
Mais en réalité, ces catégories ne sont protégées de rien. En effet, Ces limites ne s’appliquent qu’aux délits et donc pas aux affaires criminelles jugées par les Cours d’Assises et La motivation des Tribunaux est généralement quasi inexistante et se résume généralement en une phrase très sommaire voire stéréotypée[57].
Archaïque puisqu’elle réunit les effets de la mort civile (peine abolie en 1854 qui consistait à réputer les condamnés morts au regard du droit, bien qu’ils fussent physiquement en vie. Il en résultait pour eux la perte de la personnalité juridique) et celle du bannissement (peine criminelle, infamante, politique, consistant dans la simple expulsion du condamné, quelle que soit sa nationalité – française ou étrangère – du territoire de la République et ayant disparu depuis plus d’un demi-siècle de notre droit positif, mais définitivement par la loi du 16 décembre 1992 [59]).
Discriminatoire et « injustifiable »[60], en ce qu’elle constitue l’unique cas dans l’appareil répressif français de peine ayant pour fondement l’extranéité du délinquant et qu’elle « ne trouve ancrage dans aucune des théories de la peine … sur lesquelles se fonde le système pénal français »[61] écartant toute référence à l’acte répréhensible ou au principe de la personnalisation des peines.
Toute peine n’existe qu’à raison de l’infraction à sanctionner et de la personnalité du délinquant. A aucun moment ne doit être pris en considération, le sexe, la religion l’appartenance politique ou syndicale, l’origine régionale, ethnique au risque de discrimination, de rupture d’égalité devant la Loi.
Il convient de s’arrêter quelques instants sur cette affirmation, car les tenants du maintien de cette peine la contredisent (nous en avons vu quelques exemples concernant le rapport Mignon).
D’abord, ils soutiennent qu’il est inexact d’affirmer qu’il y a égalité devant la Loi pénale, puisque le mineur délinquant pourra voir sa peine divisée par deux en application de l’excuse de minorité ou le fou pourra être partiellement ou complètement considéré comme pénalement irresponsable.
L’argument ne tient pas car, d’une part, dans ces exemples, la minoration de la peine ou de la responsabilité existe au regard d’un élément de la personnalité du délinquant – l’âge ou l’état psychiatrique – et, d’autre part, c’est dans le sens de l’atténuation de la peine et non vers son accroissement que le législateur guide le Juge.
Je passe, parce que déjà vu, sur l’affirmation de la normalité de la discrimination au motif que les étrangers échappent à l’application de certaines peines, tel que l’interdiction de voter.
Enfin, ils clament l’indispensable nécessité de faire application du principe de réalité, celui de la lutte contre la délinquance des étrangers.
Là encore, l’argument ne tient pas car on ne peut :
Ni ériger le principe de réalité en un principe de droit pénal. D’abord, parce que cette réalité est toujours celle du discours politicien fluctuant au gré des élections ou des faits divers. Ensuite, parce que cela se fait toujours au détriment de la sécurité juridique.
Ni affirmer qu’il y a une réalité d’une délinquance des étrangers, les chiffres le démontrent,
Poser le principe selon lequel la délinquance des français serait différente de celle des étrangers. On poserait alors, pour les besoins de la cause les principes selon lesquels la délinquance des bretons serait différente de celle des alsaciens, celle des wallons différentes de celle des flamands, à raison d’un lieu de naissance.
Ni ériger en un type la délinquance commise par les étrangers comme il existe une délinquance » routière » ou « économique », et donc que l’extranéité fait partie intégrante de l’acte délinquant.
Rupture d’égalité, encore, face au prononcé de la peine.
Toujours parce que l’homme n’est pas, par essence, récidivant, le législateur s’efforce d’inventer des peines qui empêcheront le délinquant de se retrouver en prison afin d’éviter une désocialisation totale, comme par exemple :
le travail d’intérêt général (TIG), qui consiste à travailler pour la communauté,
l’ajournement de peine, qui permet, notamment, au condamné d’indemniser une victime dans un délai maximum d’une année et d’obtenir une dispense de peine,
le jour-amende, qui oblige le condamné à payer une amende et à défaut de paiement, à exécuter une peine ferme.
le sursis mis à l’épreuve avec obligation de travailler, de se soigner ou d’indemniser la victime,
la semi-liberté qui permet au condamné de travailler ou de suivre une formation tout en exécutant sa peine d’emprisonnement en allant coucher le soir en prison,
le fractionnement de la peine, qui permet au condamné d’exécuter sa peine de prison aux périodes ne l’empêchant pas de travailler,
Pour l’étranger condamné à une ITF ces peines dites « alternatives à l’emprisonnement » sont exclues. En effet, ces peines sont juridiquement ou pratiquement incompatibles avec le principe même de l’exclusion du territoire et par voie de conséquence, le juge pénal, qui envisage de prononcer une ITF, est dans l’impossibilité ou s’empêche de prononcer une telle peine alternative.
On arrive parfois, à des aberrations. Par exemple, une victime n’aura aucune chance d’obtenir une indemnisation de la part de son agresseur si celui-ci est condamné à une ITF. Ainsi, par effet pervers, le système se retourne contre lui-même puisque d’une part l’étranger échappera à l’obligation d’indemniser une victime mais celle-ci se trouvera face à une rupture d’égalité au regard de son droit à la réparation de son préjudice. Il s’agit là d’un double sacrifice fait sur l’autel du principe de réalité.
C’est très certainement ce dernier argument qui a convaincu la commission Mignon de proposer une des innovations les plus importantes de la Loi du 23 novembre 2003 (Articles 132-40 et 132-48 du Code Pénal). En effet, depuis cette loi, lorsque une juridiction pénale prononce une peine d’emprisonnement avec sursis mis à l’épreuve (ou une peine dite mixte c’est-à-dire partie ferme partie sursis mis à l’épreuve) ainsi qu’une ITF, il est sursis à l’exécution de cette dernière durant le temps de la mise à l’épreuve, c’est-à-dire que l’étranger ne pourra pas être éloigné du territoire français en vertu de cette ITF pendant la durée de la mise à l’épreuve. Il convient de relever que cette mesure n’est pas applicable pour l’interdiction définitive du territoire français ni aux condamnations à l’emprisonnement prononcées pour une durée de cinq ans au plus (10 ans en cas de récidive légale).
Rupture d’égalité enfin quant à l’exécution ou à l’application des peines.
Véritables outils de lutte contre la récidive et d’aide à la réinsertion sociale et professionnelle, les stages de formation et le travail carcéral ne peuvent être effectués par les « double peine » puisque réputés en situation irrégulière.
Jusqu’à la Loi de novembre 2003, la peine d’ITF empêchait, tous les aménagements de l’exécution d’une peine de prison qui étaient ouvertes aux autres condamnés comme :
– les permissions de sortie, qui permettent aux condamnés en fin de peine de préparer leurs retours à la vie sociale ou professionnelle,
– les semi-libertés,
Toutefois, le dernier alinéa de l’article 131-30 du code pénal prévoit dorénavant que :
« L’interdiction du territoire français prononcée en même temps qu’une peine d’emprisonnement ne fait pas obstacle à ce que cette peine fasse l’objet, aux fins de préparation d’une demande en relèvement, de mesures de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de placement sous surveillance électronique ou de permissions de sortir. »
On remarquera que la condition posée est celle du relèvement de l’ITF. Or ce dernier est généralement conditionné à l’indemnisation des victimes. Il semble que l’argument de l’égalité du droit à réparation de la victime ait guidé la Commission.
Il en est de même, concernant les libérations conditionnelles, autre véritable innovation de la loi du 23 novembre 2003, qui permet au Juge de l’application des peines ou à la juridiction régionale de la libération conditionnelle d’accorder, à un étranger condamné à une ITF, une mesure de libération conditionnelle et ordonner simultanément la suspension de l’exécution de la peine d’ITF pendant la durée des mesures d’assistance et de contrôle prévues à l’article 732 du Code Procédure Pénale[62].
Criminogène car elle empêche largement les possibilités d’amendement.et la réinsertion sociale du condamné à une ITF.
En effet, un des principes fondamentaux de la peine d’emprisonnement est l’amendement voire la réinsertion sociale du condamné. En clair, pendant que le condamné purge sa peine et donc paye sa dette à la société, il s’amende afin qu’à l’issue de celle-ci, il regagne les rangs de la société. Or la peine d’ITF annule ce but puisque au bout de l’exécution de la peine ferme[63], il y a une exclusion de la famille, du travail, de la société, en bref de tout.
On peut donc se poser la question de savoir si tout cela ne repose pas sur le présupposé selon lequel l’étranger, susceptible d’être frappé par une ITF est réputé ne pas être amendable, tout comme est le présupposé relatif aux infractions pour lesquelles un étranger peut être condamné à une ITF.
On retrouve d’ailleurs ce présupposé quant à la non-application du droit à l’oubli puisque traditionnellement les étrangers condamnés à une ITF ne voient jamais leur peine amnistiée (l’interdiction du territoire français a été exclue de toutes les lois d’amnistie depuis 1945).
Inhumaine, car elle est la seule peine véritablement absolue et perpétuelle dans l’arsenal de notre droit pénal. Alors que toute peine complémentaire empêche, pour un temps donné, mais jamais définitivement, un condamné d’avoir une activité civile sociale ou familiale, elle ne l’empêche jamais de vivre. L’ITF élimine totalement le condamné étranger de toute activité, parfois à vie.
L’ITF est une peine complémentaire, c’est-à-dire qu’elle peut être prononcée en complément d’une peine d’emprisonnement ou à titre de peine principale, c’est-à-dire qu’elle peut être prononcée à la place d’une peine d’emprisonnement [64].
La philosophie des peines complémentaires c’est l’affinement de la personnalisation des peines, ainsi, d’une part, elles sanctionnent le délinquant au regard de ce qui l’a amené à commettre l’infraction et, d’autre part, elles accompagnent le condamné au sortir du Tribunal ou de la prison.[65]
Ainsi, un délinquant routier alcoolique pourra voir son permis de conduire suspendu, ou un acte d’incivilité réprimé par une interdiction des droits civiques, civils et de famille.
Ces peines empêchent le délinquant, dans un domaine très précis, très ciblé d’avoir une activité civile, civique, sociale ou familiale. Tel n’est pas le cas de l’ITF puisque celle-ci, généralité oblige, empêche toute activité privée, sociale et familiale.
Cette généralité s’aggrave par la possibilité de pouvoir prononcer cette peine à titre définitif.
Le droit pénal prévoit, toujours dans l’optique de cette philosophie, que l’aménagement ou le relèvement des peines complémentaires peut être sollicité auprès du Juge ou du Tribunal qui la prononcé. Toutefois, pour l’ITF, cela s’avère le plus souvent impossible par l’application combinée de plusieurs textes[66].
Ainsi, l’ITF devient la seule peine véritablement absolue et perpétuelle dans l’arsenal pénal de notre droit. Intrinsèquement, elle entre en total conflit avec les fondements des peines complémentaires, elle n’en a ni la philosophie ni le régime.
Cette peine n’est pas nécessaire
L’analyse du Droit et de son application fait apparaître que l’ITF constitue un monstre juridique qui engendre des sortes de mort-vivant.
Mais elle permet aussi de se poser la question de savoir comment les proches, c’est-à-dire les amis de lycée, les copains du boulot, les voisins ou collègues du quartier, les parents ou collatéraux, les conjoints, les enfants ou petits-enfants, appréhendent la Loi de leur pays, les décisions judiciaires rendues au nom du peuple français, les prisons de la République.
Un petit-fils de double peine peut-il se considérer comme un citoyen d’un pays qui a fait exploser sa famille et expulser son grand-père?
C’est donc la question de la citoyenneté qui se pose pour des centaines de milliers de personnes aujourd’hui mais aussi pour les générations futures.
[1] Militante au Comité Contre la Double Peine et au MIB, décédée le 23/11/2009
[2] la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère que la peine d’ITF n’est pas une double peine au regard du principe « nul ne peut être puni deux fois pour une même infraction »(30 mai 2001 pourvoi N°99-84867 et 18 décembre 2002 pourvoi N°: 02-80944)
[4]Loi du 28 avril 1832 contenant des modifications au code pénal et au code d’instruction criminelle, Lois des 1er mai 1834, 3 décembre, 30 mai 1854, et 27 mai 1885
[5]Loi du 8 août 1893 relative au séjour des étrangers en France et à la protection du travail national
[10] Voir page 8 du rapport dit CHANET « Les Peines d’interdiction du territoire » La Documentation Française janvier 1998 et Rapport dit Mignon(infra)
[20]Loi no 91-1383 renforçant la lutte contre le travail clandestin et la lutte contre l’organisation de l’entrée et du séjour irréguliers d’étrangers en France
[23] Il est à noter que le premier projet de nouveau Code Pénal tel que présenté par Robert BADINTER, le 19 décembre 1985 ne prévoyait d’ITF que pour les infractions de proxénétisme et infractions assimilées (a 225-25 du projet) et seulement de trafic de stupéfiants (a 222-38 du projet). Projet de nouveau Code Pénal, présentation par Robert BADINTER, DALLOZ 1988)
[24]Loi n° 93-1027 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France)
[26]Loi no 97-396 portant diverses dispositions relatives à l’immigration
[27] Selon le rapport parlementaire SAUVAIGO PHILIBERT du 9 avril 1996 sur l’immigration clandestine et le séjour irrégulier, 5 500 ITF ont été prononcées en 1987, 6700 en 1988, 7 200 en 1989, 8 600 en 1990, 8 700 en 1991, 10 800 en 1992, 10200 en 1993, 10800 en 1994 et 7900 en 1995 et selon le rapport CHANET, 14290 peines d »itf ont été prononcées en 1996 et 1997
[28]Loi no 98-349 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile
[32] « Un rendez-vous manqué » Nathalie Ferré, maître de conférence en droit privé à l’Université Paris XIII et présidente du Gisti Plein Droit n° 45, mai 2000
[38] dossier de Plein Droit N° 45 mai 2000 sur la double peine et Colloque du SAF à « Interdiction du territoire français : l’impasse ? » mars 2001
[39] « Double peine : la France qui bannit » Patrice CHEREAU, Philippe CORCUFF, Jean COSTIL, André GERIN et Bertrand TAVERNIER Le Monde 6 juillet 2000
[40]Michael FAURE, « les bannis de la double peine, le Monde Diplomatique novembre 1999 ; Lilian MATHIEU et Florence MIETTAUX, « Pour en finir avec la double peine » Mouvements N°13, 2001 et aussi « Une punition injuste et inhumaine » Rencontre avec Jean-Pierre Lachaize, animateur de la Cimade et du collectif contre la double-peine à Lyon. Propos recueillis par Florence Miettaux Mouvements 1/2001 (no13), p. 88-92
[41] Les Bannis, Citoyen K, réalisé par C. POVEDA, A.KLARSFELD, C.ARDID,M.CHARRAT, Capa télévision, 2000. Un autre documentaire est au même moment produite sur le même thème : Valérie CASALTA, Double Peine, les exclus de la loi.
[42] Michael FAURE, Voyage au pays de la double peine, L’esprit frappeur, Paris, 2000
[43] « La double peine : Histoire d’une lutte inachevée » Lilian MATHIEU, La dispute, aout 2006
[52] « On n’est pas des marques de vélos » Portrait d’un danseur de hip hop victime de la double peine Réal : Jean Pierre Thorn, co-production ARTE/MAT FILM Chez SONY
[56] Violences familiales ou conjugales, atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation (trahison, espionnage, attentat et complot), atteinte à la défense nationale, terrorisme, infractions en matière de groupes de combat et de mouvements et infractions en matière de fausse monnaie.
[59]Loi n° 92-1336 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur
[60] HOESTLAND M. et SAAS C., L’ITF : une peine injustifiable, Plein Droit n°45, mai 2000
[61] Chloé FIASCHI mémoire Master Droits de l’Homme, Université de Nanterre, 2011
[62] Articles 131-30 du Code Pénal et 729-2 du Code de Procédure
[63] alinéas 2 et 3 de l’article 131-30 du code pénal
[65] Interdiction d’émettre des chèques qui ne peut excéder une durée de cinq ans. Art. 131-19 du Code pénal, interdiction d’utiliser des cartes de paiement qui ne peut excéder une durée de cinq ans Art. 131-20 du Code pénal, confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit Art. 131-21 du Code pénal, travail d’intérêt général Art. -131-22 du Code pénal, jours-amende, Art. 131-25 du Code pénal, interdiction des droits civiques, civils et de famille (Le droit de vote, l’éligibilité; le droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, de représenter ou d’assister une partie devant la justice, le droit de témoigner en justice et le droit d’être tuteur ou curateur) qui ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit. Art. 131-26 du Code pénal, interdiction d’exercer une fonction publique ou d’exercer une activité professionnelle ou sociale à titre soit définitive, soit temporaire; dans ce dernier cas, elle ne peut excéder une durée de cinq ans. Art. 131-27 du Code pénal, interdiction de séjour qui emporte défense de paraître dans certains lieux déterminés par la juridiction. Art.131-31 du Code pénal, elle ne peut excéder une durée de dix ans, fermeture d’un établissement qui emporte l’interdiction d’exercer dans celui-ci l’activité à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise Art. 131-33 du Code pénal, exclusion des marchés publics Art.131-34 du Code pénal, Affichage ou la diffusion de la condamnation prononcée Art.131- 35 du Code pénal, suspension ou l’annulation du permis de conduire ou de chasse….
[66] articles 132-21 du code pénal, 702-1 et 703 du code de procédure pénale et surtout L541-2 du CESEDA (qui interdit de faire droit à une requête en relèvement d’ITF si le condamné étranger ne réside pas hors de France, sauf s’il est détenu ou assigné à résidence)
Rob Lawrie condamné pour avoir voulu aider une enfant Afghane de 4 ans à passer en Angleterre. Condamnation symbolique, mais vraie condamnation. Le gouvernement et les députés PS n’ont pas eu le courage de d’abolir le délit de solidarité et chez les magistrats, la volonté d’être clair est… variable. Certains sont courageux et prononcent des relaxes. D’autres, moins.
Rob Lawrie a été condamné à 1000 € d’amende avec sursis par le tribunal correctionnel de Boulogne sur Mer pour « mise en danger de la vie d’autrui »… Autant dire rien et, en même temps, beaucoup trop !
Cet ancien militaire britannique de 49 ans, père de quatre enfants, patron d’une petite entreprise de nettoyage, avait été ému par la photo du corps du petit Aylan sur une plage turque. Il avait alors décidé de se rendre régulièrement à Calais pour apporter son aide aux réfugiés que les gouvernements français et britanniques empêchent de se rendre en Grande-Bretagne et condamnent à vivre dans des bidonvilles indignes. Rob apportait des vêtements collectés au Royaume Uni et construisait des baraques en bois pour que des réfugiés puissent se mettre au sec.
A l’occasion de ses séjours, il avait sympathisé avec Reza Ahmadi, père afghan de Bahar, 4 ans. Il s’était pris d’affection pour la fillette. Reza lui avait plusieurs fois demandé de la faire passer en Angleterre pour qu’elle rejoigne sa grand-mère, sa tante et ses cousins installés à quelques kilomètres du domicile de Rob Lawrie. Rob refusait… jusqu’à ce que le 24 octobre, il cède. Reza et Rob installent la fillette endormie dans une mini-couchette au-dessus de la cabine de la camionnette de telle façon que l’enfant ne puisse pas tomber.
Lors du contrôle à l’embarquement du ferry vers 23h30, les chiens policiers décèlent la présence de deux hommes montés dans le véhicule sans que Rob s’en aperçoive. Les deux Erythréens et le Britannique sont interpellés et conduits au poste de police. Au bout d’une heure et demie de garde à vue, craignant que Bahar se réveille, seule, dans le froid et le noir, Rob informe les policiers de sa présence. D’abord confiée à l’hôpital, l’enfant est ensuite rendue à son père. Même si les deux Erythréens ont reconnu avoir embarqué à son insu, Rob est considéré comme un passeur pour avoir tenté de mener Bahar en Grande-Bretagne. Il est emprisonné 5 jours puis libéré sous caution. Mis en examen pour aide au séjour irrégulier d’un étranger, il risque cinq années de prison et 30 000 € d’amende.
Dès qu’elle est connue et dénoncée par les associations de soutien aux migrants, l’affaire fait scandale ! La pétition demandant l’abandon des poursuites contre Rob Lawrie recueille en quelques semaines plus de 125 000 signatures en France et 50 000 en Angleterre.
Le 14 janvier au matin, une douzaine de caméras, des dizaines de journalistes dont beaucoup de britanniques, se pressent dans la salle paroissiale où Rob arrive pour une conférence de presse avec la petite Bahar dans les bras.
Le procès a lieu en début d’après-midi. Policiers nombreux et polis, procureur siégeant en personne, autorisation à la horde de caméras de faire quelques images, près de 150 personnes dans la salle d’audience, certaines debout ou assises par terre, la séance du TGI de Boulogne sur Mer du 14 janvier n’est pas tout à fait ordinaire. Parmi les soutiens, de nombreux militants et responsables d’associations d’aide aux réfugiés parqués dans les bidonvilles de toute la région, dont l’Auberge des migrants, la Plateforme de services aux migrants, Terre d’errance mais aussi le directeur d’Habitat et citoyenneté, l’association niçoise dont une militante a été condamnée le mois dernier à 1500 € d’amende pour avoir transporté deux jeunes Erythréens (15 et 22 ans !) de la gare de Nice à celle d’Antibes.
Le président mène son affaire efficacement. Interrogatoire d’identité du prévenu, sa personnalité, les faits. Mais, curieusement, il s’appesantit sur les conditions matérielles du transport de Bahar, pose des questions sur les dimensions de l’habitacle dans lequel elle se trouvait, la façon dont il était fermé, les risques en cas d’accident, avant de lâcher au détour d’une phrase qu’il ne s’interdit pas de requalifier le délit en « mise en danger de la vie d’autrui » moins lourdement sanctionné que l‘aide au séjour d’un étranger en situation irrégulière.
Christian Salomé président de l’Auberge des migrants apporte son témoignage sur les conditions de vie lamentables dans la jungle mais aussi sur la difficulté pour ceux qui y interviennent de « rester insensible à cette misère, de leur donner à manger, de les laisser là et de repartir ». Il comprend le geste de Rob. Le président du GISTI, Stéphane Maugendre, trace un historique du délit de solidarité et signale que la loi du 31 décembre 2012 ne l’a en rien supprimé mais simplement aménagé. Il soutient le geste de Rob.
Dans son réquisitoire, le Procureur Jean-Pierre Valensi caricature l’attitude de la Justice dans ces affaires. Il commence naturellement par se déclarer sensible aux raisons qui poussent à l’exil, les guerres, les violences, l’espoir d’une vie meilleure. Il se dit également sensible à ce qui se passe dans la jungle, il partage l’émotion que cela suscite. Bref, le Procureur est un humaniste généreux. Mais, corrige-t-il aussitôt, il n’appartient pas à l’institution judiciaire de porter une appréciation sur ces affaires. Son rôle est d’appliquer les textes. Fermez le ban. Une attitude qui, en d’autres temps, a permis des actes inadmissibles. Au-delà des exemples qui viennent immédiatement à l’esprit, on peut en citer qui ont été le fait de régimes démocratiques. Par exemple les décisions de magistrats américains emprisonnant Rosa Parks, Américaine noire « coupable » de s’être assise sur un siège légalement réservé aux blancs. Ou, en France, la mise aux arrêts de rigueur du général Paris de la Bollardière « coupable » d’avoir dénoncé la torture en Algérie sous un gouvernement de gauche.
S’appuyant sur la prétendue abolition du délit de solidarité, le procureur justifie les poursuites, en admettant que certes Rob n’a reçu aucune rétribution mais que la loi limite les aides possibles à la dignité des conditions de vie, aux soins médicaux et rien d’autre. Le geste de Rob n’entre pas dans ces catégories, il est poursuivi. Il est de plus coupable car il aurait pu aider Bahar d’autres façons, par exemple en l’encourageant à demander l’asile… Sa présence dans la Jungle est donc volontaire… En réalité, le Procureur joue sur les mots. Les conseils qu’il prodigue auraient pu éventuellement s’appliquer au père de Bahar, certainement pas à une enfant de 4 ans. Or, c’est bien l’enfant que Rob a tenté d’aider. Si son père s’était trouvé dans la camionnette, seul ou avec sa fille, nul doute que la justice se serait dispensée de ces arguties et que Rob aurait été jugé comme l’un des passeurs que le procureur se vante de faire condamner par dizaines chaque année.
Sentant la fragilité de son argumentaire, le Procureur ouvre une autre voie de condamnation : les conditions dans lesquelles Bahar a été transportée ne seraient pas dignes et elles l’ont mise en danger. Il fait une description volontairement dramatisée de la cache dans laquelle l’enfant était, faisant mine de s’inquiéter pour sa santé. Elle n’avait ni ceinture de sécurité, ni rehausseur assure-t-il, insinuant que Rob a mis « la vie d’autrui en danger »… Ce qui provoque des huées dans la salle. Il demande une condamnation à 1000 € d’amende pour mise en danger de la vie d’autrui si l’aide au séjour irrégulier n’était pas acceptée.
L’avocate, Me Lucile Abassade commence par récuser les arguments sur la taille de la cache en disant qu’il arrive que Rob –qui est costaud—y dorme, qu’elle pouvait s’ouvrir de l’intérieur et que le voyage devait être court.
Concernant les poursuites au titre de l’aide au séjour, elle rappelle qu’une enfant de 4 ans, comme tout mineur, n’est ni étranger, ni en situation irrégulière. L’infraction d’aide au séjour d’un enfant n’existe pas. Rappelant que la loi sur le délit de solidarité aurait dû être faite pour protéger Rob et ses pareils, elle conclut en disant que Rob Lawrie a déjà chèrement payé cette affaire dans sa vie privée et dans sa vie professionnelle et elle demande la relaxe.
Après une demi-heure de délibéré, le jugement est rendu : 1 000 € d’amende avec sursis pour « mise en danger de la vie d’autrui ». La salle, debout, applaudit… à l’exception de quelques militants, dont Nan Suel, qui protestent avec véhémence. La co-présidente de Terre d’Errance avait témoigné de façon émouvante lors de la conférence de presse, signalant que les bénévoles de son association mais aussi des habitants de Norrent-Fontes transportent quotidiennement des réfugiés… et sont potentiellement coupables.
Cette double appréciation du verdict se comprend : les uns se réjouissent légitimement de voir le risque d’une condamnation lourde de Rob écarté au profit d’une peine qui n’en est pas vraiment une. Les autres dénoncent l’hypocrisie de cette sanction qui, même si elle est très légère, reste une condamnation et une perpétuation du délit de solidarité.
Cette situation est d’abord le produit de la veulerie du gouvernement qui, loin de proposer une loi supprimant réellement le délit de solidarité, s’est contenté de quelques formulations vagues qui laissent la porte ouverte aux condamnations… la preuve ! Elle est aussi la conséquence d’un manque de courage chez certains magistrats. Soit Rob Lawrie et Claire Marsol condamnée à 1500 € d’amende par le TGI de Grasse pour avoir transporté deux Erythréens, sont des délinquants et il faut assumer d’appliquer les textes et les condamner à de tout autres peines que quelques centaines d’€ d’amende, avec sursis en plus. Soit ils ont eu les gestes de solidarité, ceux que tout le monde devrait avoir, et non seulement ils ne doivent pas être condamnés mais ils doivent être félicités. La décision du TGI de St-Etienne relaxant un prêtre qui avait accueilli des demandeurs d’asile dans son église en dépit d’un arrêté municipal l’interdisant témoigne de ce qu’il existe des magistrats cohérents et courageux.
Quant à la requalification de l’accusation contre Rob Lawrie d’aide au séjour d’un étranger (de 4 ans !) en « mise en danger de la vie d’autrui », elle est aberrante. Voilà une enfant qui vit dans la boue, dort sous la tente, mange et se lave on ne sait comment, etc… et des magistrats font mine de s’inquiéter de ce qu’elle ait parcouru quelques kilomètres sans ceinture de sécurité et sans rehausseur. Que ne poursuivent-ils pas ceux lui imposent de telles conditions de vie, la laissent dans le dénuement extrême alors que l’actuel quinquennat devait être celui de la jeunesse ? Que ne s’en prennent-ils pas aussi aux lois –et à ceux qui les appliquent y compris quand leurs décisions ont des conséquences inhumaines- qui font végéter des milliers et des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants dans les conditions indignes de la Jungle et tout risquer chaque jour pour se rendre là où ils espèrent refaire leur vie ?
Monsieur le Procureur Jean-Pierre Valensi avait conclu son réquisitoire d’un vigoureux « La fin ne justifie pas les moyens ». Peut-être gagnerait-il à se l’appliquer à lui-même ?
Voluntário britânico foi preso quando tentava levar menina afegã para o Reino Unido a pedido do pai. Absolvido, espera que o caso tenha ajudado a dar uma imagem mais humana dos refugiados.
Há duas crianças na história de Robert Lawrie, o britânico que nesta quinta-feira foi absolvido em França do crime de apoio à imigração ilegal. No início está Aylan Kurdi, o menino sírio que em Setembro morreu afogado no Mediterrâneo. Foi a fotografia do seu corpo franzino, arrastado para uma praia da Turquia, que levou o antigo militar a deixar a família e o trabalho, a carregar a carrinha com bens doados e a partir para Calais. No centro do furacão em que se viu envolvido surge Bahar Ahmadi, um metro de gente e sorriso maroto que Lawrie não suportou que continuasse a dormir entre o frio e a imundice da “Selva”, onde milhares de refugiados e imigrantes sobrevivem à espera de uma oportunidade para entrar no Reino Unido.
Foi a 24 de Outubro, com o Inverno à porta, que Lawrie passou a fronteira ténue que muitas vezes separa o activismo da ilegalidade. O pai de Bahar, um agricultor afegão fugido aos taliban, há muito que tentava convencer o britânico a levar a filha para Leeds, no Norte de Inglaterra, onde tinha primos dispostos a acolhê-la. Uma e outra vez vez, Lawrie respondeu que não o podia fazer, mas naquela noite, sentado a uma fogueira acesa no campo viu a pequena afegã, quatro anos feitos, adormecer nos seus joelhos e não foi capaz de dizer que não.
“Não podemos salvar toda a gente, mas toda a gente pode salvar alguém, e ela é esse alguém para mim”, disse ao jornal Guardian, horas antes de se sentar frente aos juízes do tribunal de Boulogne-sur-Mer, cidade a poucos quilómetros de Calais e do amontoado de tendas onde, segundo os últimos dados oficiais, quatro mil estrangeiros vivem em condições descritas como “diabólicas”. Ainda nesta quinta-feira centenas receberam ordem para abandonar uma parte do campo, com a promessa de serem alojados nos primeiros contentores que o Governo mandou erguer para melhorar as condições de vida no local.
“Eu sei que cometi um crime, mas não podia deixá-la mais nenhuma noite naquele lugar horrível. E quando se vê o que eu ali vi, todo o pensamento racional desaparece”, disse ao Independent este antigo instrutor físico do Exército, pai de quatro filhos, que, comovido pela tragédia de Aylan, acabou por fechar a empresa de limpeza de carpetes que detinha em Guiseley, nos arredores de Leeds, para, em sucessivas viagens, levar ajuda aos refugiados e ajudá-los a construir abrigos a partir de paletes de madeira.
A viagem de regresso deveria ter sido rápida. Lawrie colocou Bahar num pequeno compartimento por cima do assento do condutor da sua carrinha e Reza Ahmadi, o pai da criança, garantiu que ela dormiria a noite toda até chegar a casa dos familiares. Mas à entrada do túnel da Mancha, cães-polícia detectaram o rasto de dois eritreus escondidos na bagageira – o britânico assegura que os jovens entraram sem que ele tivesse dado conta e terá sido ele que, já a caminho da esquadra, avisou os polícias franceses de que a menina continuava dentro do carro. “Acusaram-me de a ter violado”, recordou ao jornal francês Le Monde, explicando que a suspeita caiu quando, após uma hora de interrogatório, deixaram Bahar vê-lo. “Ela chorava, completamente desorientada, e quando me viu, saltou para os meus braços.”
A pequena afegã foi devolvida ao pai e à “Selva », mas nesta quinta-feira, pouco antes do julgamento, voltou aos braços de Lawrie, numa conferência de imprensa a abarrotar de gente. Ali, como depois à frente dos juízes, o britânico garantiu estar arrependido – “De forma egoísta tenho medo, não quero ir para a prisão” –, repetindo, porém, que não suportou a ideia de a deixar “num lugar muito, muito perigoso e frio”.
O antigo militar incorria numa pena de cinco anos de prisão e até 30 mil euros de multa por “facilitar, através de ajuda directa ou indirecta, a circulação ilegal de um estrangeiro”. Stéphane Maugendre, jurista e presidente de uma associação de apoio aos imigrantes, lembrou em tribunal que várias pessoas foram acusadas nos últimos meses por aquilo que classifica de “delitos de solidariedade”. “Temos homens e mulheres que, pela sua humanidade ou militância, tentam aliviar uma carência” a que competia ao Estado responder, acusou.
A British ex-soldier who tried to smuggle a 4-year-old Afghan girl into Britain at her father’s request told a court in France that he was sorry but that he could not bear to leave the child to sleep in the cold in a squalid migrant camp.
Rob Lawrie, 49, faces up to five years in jail and a 30,000-euro (£22,513) fine for aiding illegal immigration, a case that goes to the heart of Europe’s dilemma over how to deal with its worst refugee crisis since World War Two.
« It was very cold … the little girl, she fell asleep on my knees, and I couldn’t leave her. I’m sorry, » the former carpet cleaner told the court.
Lawrie was a volunteer in a makeshift migrants’ camp known as « the jungle » in Calais, northern France, when he met Bahar Ahmadi, known as Bru, and her father.
« It’s a very dangerous place, it’s dangerous and cold, » Lawrie told the court.
There are around 4,000 migrants at the unofficial camp. Many want to make it to Britain, trying night after night to jump onto trucks or trains or even walk the 31-mile (50-km) undersea tunnel to Britain. At least 16 have died.
Britain and France have jointly tightened security around the harbour and train-tracks over the past months, but the camp remains.
When Bru’s father asked to Lawrie to take her to relatives in Britain, he refused several times before relenting on Oct.24 as nights grew very cold in the camp.
He set off in his van with Bru but French police caught him, also finding two Eritrean men in the back of the vehicle, and returned Bahar to her father in the camp.
At the hearing, the public prosecutor recommended Lawrie either be condemned for breaching migration rules or, if the judges decided to acquit him for that, that he be sentenced to a 1,000-euro fine for putting the child’s life in danger since she was in the cache of the van, with no seatbelt.
« PRESSURE ON THOSE TRYING TO HELP »
Earlier on Thursday, Lawrie told reporters he had acted on the spur of the moment. Alternately defiant and emotional, he said: « I don’t understand why other people around the world are not getting as emotional as me. »
He had arrived at the news conference carrying the little girl, who was smiling and eating candies.
Lawrie said he was unaware of the Eritreans being at the back of his van, and the authorities are not pressing charges.
Lawrie’s lawyer said she would try to get him cleared of all charges, basing her case on a part of French law that protects from punishment those who help migrants in danger without being paid in return.
« We feel pressure growing on those who help refugees, pressure from the police, from the state, » Stephane Maugendre, a human rights activist who is also a witness during the trial, told Reuters.
« But as the migrants’ situation gets worse we also see more and more solidarity, » he said.