Archives de catégorie : Avocat

Mort d’Ali Ziri après un contrôle de police: le parquet veut relancer l’enquête

logoParisien-292x75 20/11/2014

Le parquet général de Rennes a demandé jeudi un supplément d’enquête sur la mort d’Ali Ziri, un retraité décédé après un contrôle de police à Argenteuil (Val-d’Oise), relançant cette affaire neuf mois après un arrêt de la Cour de cassation.

La chambre d’instruction de la cour d’appel de Rennes, où le dossier a été dépaysé après l’annulation d’un non-lieu par la Cour, doit dire le 12 décembre si elle suit ces réquisitions ou si elle prononce un troisième non-lieu dans cette affaire.

M. Ziri avait été contrôlé, ivre à bord d’un véhicule conduit par un ami, à Argenteuil (Val-d’Oise) en juin 2009. Les deux hommes avaient été transportés au commissariat et placés en garde à vue. Ali Ziri était tombé dans le coma et décédé deux jours plus tard.

Les policiers avaient maîtrisé ce retraité de 69 ans en lui appuyant la tête contre les genoux pendant plus de quatre minutes dans leur véhicule, selon la technique dite du « pliage ».

Cette demande de supplément d’information s’inscrit « dans la ligne définie par la chambre criminelle de la Cour de cassation », a précisé une source judiciaire.

Début 2014, la Cour de cassation avait estimé que les juges auraient dû « rechercher si les contraintes exercées » sur M. Ziri « n’avaient pas été excessives au regard du comportement de l’intéressé » et « si l’assistance fournie (par les policiers, ndlr) avait été appropriée ».
« Il faut qu’il y ait une reconstitution, c’est fondamental pour savoir si le pliage a été à l’origine de la mort », a déclaré à l’AFP Me Stéphane Maugendre, avocat de la famille de M. Ziri.

Ali Ziri a été transporté à l’hôpital une heure et demie après son arrivée au commissariat. Les proches veulent pouvoir visionner la vidéosurveillance montrant cette arrivée au commissariat.

Par ailleurs, les rapports médicaux sur les causes de la mort de M. Ziri sont contradictoires.

Une première autopsie avait conclu que des problèmes cardiaques et l’alcoolémie étaient les causes du décès. Mais une contre-expertise avait révélé la présence d’une vingtaine d’hématomes, dont certains larges de 17 cm.

La Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) avait mis en cause la sincérité des déclarations des policiers impliqués dans le décès, estimant qu’ils avaient fait un usage disproportionné de la force.

Jeudi, le parquet général s’est opposé à une demande de mise en examen de trois policiers, formulée par Me Maugendre, « aucune faute » n’ayant, en l’état, été « caractérisée à leur encontre », a ajouté la source judiciaire.

Argenteuil : la justice relance l’affaire Ali Ziri, mort après un contrôle policier

20/11/2014

Argenteuil. Ali Ziri avait fait un malaise au cours de sa garde à vue.

La chambre de l’instruction d’Ille-et-Vilaine est saisie du dossier sur ce retraité algérien de 69 ans, décédé le surlendemain de son interpellation, en 2009.

L’histoire a débuté il y a plus de cinq ans. Aujourd’hui, elle est relancée devant la chambre de l’instruction de Rennes (Ille-et-Vilaine). Il s’agit du dossier Ali Ziri. « Nous espérons une véritable instruction », lançait hier Me Stéphane Maugendre, l’avocat de la famille Ziri.

Une audience est prévue aujourd’hui à 11 h 30, à huis clos. La chambre criminelle de la Cour de cassation a annulé l’arrêt de la cour d’appel de Versailles (Yvelines) qui confirmait le non-lieu prononcé le 15 octobre 2012 par un juge d’instruction de Pontoise. Elle a également décidé de dépayser l’affaire en Bretagne. « C’est la procédure normale, explique l’avocat. Cela aurait pu être à Paris ou ailleurs, mais pas à Pontoise, où il y a eu la première instruction. »

Ali Ziri était un retraité algérien de 69 ans. Il est décédé le 11 juin 2009, deux jours après une interpellation par la police à la suite d’un contrôle routier. Il se trouve alors en voiture avec un ami, à l’angle du boulevard Jeanne-d’Arc et de la rue Antonin-Georges-Belin, à Argenteuil. Les deux hommes, visiblement éméchés, auraient tenté de résister, contraignant les policiers à les maîtriser. Au commissariat, le chibani (NDLR : vieux travailleur immigré maghrébin) est emmené et placé en garde à vue ; il fait un malaise. Conduit à l’hôpital d’Argenteuil, il décède le 11 juin vers 22 heures.

De nombreux hématomes sur le corps de la victime

Alors qu’une première expertise concluait à une « fragilité cardiaque » et confirmait la « forte alcoolémie » du sexagénaire, une contre-expertise avait révélé la présence de « 27 hématomes allant de 12 à 17 cm » sur son corps. « Les rapports des experts sont clairs, le pliage (NDLR : technique de pression sur le corps pour immobiliser quelqu’un) a été utilisé et a contribué à sa mort, insiste l’avocat. Une des policières présentes a dit dans sa déposition : Je l’ai plié et maintenu. » Cela aurait duré « entre trois minutes et demie et cinq minutes », précise-t-il.

Aujourd’hui, M e Stéphane Maugendre souhaite que l’instruction soit menée concrètement, « ce qui n’a pas été le cas jusqu’à maintenant ». « Je demande que les policiers qui ont interpellé M. Ziri soient entendus par le juge d’instruction lui-même. Je demande une reconstitution en présence des experts et de l’ensemble des témoins. Je demande le visionnage des caméras du commissariat d’Argenteuil, qui ont filmé l’arrivée de M. Ziri », énumère-t-il. Le collectif Vérité et Justice pour Ali Ziri, mobilisé depuis cinq ans, attend beaucoup de la chambre de l’instruction de Rennes. « On veut savoir ce qu’il s’est réellement passé ce soir-là. Actuellement, c’est le flou total, réagissait hier un adhérent. On veut que les policiers soient auditionnés au même titre que l’ami d’Ali Ziri. Il y a quand même mort d’homme. »

Hier soir, Ludovic Collignon, secrétaire départemental du syndicat de police Alliance, se disait « surpris ». « Même les collègues impliqués dans cette affaire n’ont pas été contactés pour l’audience de demain (NLDR : aujourd’hui), insiste-t-il. Pour notre part, nous assurons notre soutien inconditionnel aux policiers qui étaient sur cette affaire. Nous savons qu’ils n’ont rien à voir avec la mort de M. Ziri. »

La chambre de l’instruction de Rennes va-t-elle confirmer le non-lieu ou ordonner une nouvelle instruction ? Affaire à suivre. De son côté, Me Stéphane Maugendre se dit prêt « à saisir la Cour européenne des droits de l’homme pour que toute la lumière soit faite ».

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Tentatives de rapt : le suspect aurait juste voulu « soupeser » les jeunes filles

logoParisien-292x75 Carole Sterlé, 17/11/2014

IL N’Y A PAS, EN L’ÉTAT, suffisamment de preuves pour penser que le père de famille de 32 ans, arrêté mercredi à Drancy, a voulu enlever des écolières et collégiennes à Rosny-sous-Bois et à Bondy cet automne. C’est ce qu’ont estimé plusieurs magistrats de Bobigny — juge d’instruction et substitut du procureur — au vu de l’enquête menée par la sûreté territoriale. Aucun n’a demandé l’incarcération provisoire du suspect, qui, après deux jours de garde à vue, a été mis en examen pour « violences et atteinte sexuelle » et remis en liberté, avec un strict contrôle judiciaire.

Plusieurs témoignages de jeunes filles, parfois très jeunes, avaient mis le quartier de la Boissière de Rosny en émoi. Un homme en camionnette blanche aurait pris l’habitude de s’approcher de très jeunes filles. Il les touchait même, puisqu’ils les soulevaient.

Placé sous contrôle judiciaire, il lui est interdit de s’approcher de tout établissement scolaire

Aucun enlèvement n’a eu lieu mais la crainte s’est répandue. Le maire, Claude Capillon (UMP), avait appelé les parents à surveiller les enfants sur les trajets de l’école. Les policiers de la sûreté enquêtaient déjà. Leurs investigations ont permis de mettre un visage sur le conducteur de la camionnette blanche en moins de deux mois. De fait, c’est un chauffeur-livreur amené à apporter du matériel dans les établissements scolaires.

« Il n’a jamais voulu enlever ces jeunes filles, soutient Me Stéphane Maugendre, l’avocat du suspect. Par jeu ou par défi, il se mettait en tête de déterminer le poids des gens, en les soulevant, il faisait ça y compris avec des adultes. Il comprend désormais qu’il a pu faire peur. »

Un élément qui semble avoir compté pour remettre en liberté ce suspect, le temps de la poursuite de l’enquête, dans le cadre d’une in-formation judiciaire. Le contrôle judiciaire auquel il est astreint lui interdit de s’approcher de tout établissement scolaire, l’oblige à pointer au commissariat et à entamer un suivi psychologique.

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Tentatives d’enlèvement d’enfants : le suspect déféré

logoParisien-292x75 Nathalie Perrier, 15/11/2014

L’HOMME INTERPELLÉ mercredi dans le cadre de l’enquête portant sur des tentatives de rapts d’enfants à Rosny-sous-Bois mais aussi à Bondy a été déféré hier soir à l’issue de sa garde à vue au parquet de Bobigny pour « tentatives d’enlèvement » et « agressions sexuelles sur mineur ».

A cinq reprises, entre le 24 septembre et le 10 novembre, cet homme de 32 ans, chauffeur-livreur de profession, aurait abordé des fillettes ou des adolescentes et essayé de procéder à des attouchements. « A chaque fois, il leur disait qu’il avait besoin d’acheter des vêtements pour une soi-disant petite sœur, explique une source proche de l’enquête. Il leur proposait de les peser pour ne pas se tromper de taille. Il les prenait par les aisselles et en a profité pour leur toucher les fesses, la poitrine… » Heureusement, toutes les victimes ont réussi à s’enfuir à temps.

Le suspect, qui vit en couple, n’hésitait pas à commettre son forfait en plein jour. « La plupart des faits se sont produits l’après-midi quand ces jeunes filles allaient ou revenaient de l’école. Il les abordait au hasard, au gré de ses livraisons dans le secteur », indique un policier. Le témoignage de l’une d’entre elles a permis aux enquêteurs de la sûreté territoriale en charge de l’affaire de remonter jusqu’au suspect. L’homme, qui n’était connu de la police que pour des affaires de vol, a finalement été interpellé mercredi à son domicile, à Drancy.

Ces tentatives d’enlèvements avaient provoqué un vif émoi à Rosny-sous-Bois. Mi octobre, « après mûre réflexion », selon son expression, le maire (UMP) Claude Capillon, avait décidé d’adresser un courrier à l’ensemble des parents d’élèves du quartier de la Boissière, où ont eu lieu les trois premiers faits. L’élu demandait « à toutes et tous d’adopter une certaine vigilance » et invitait les parents à s’organiser « pour amener ou aller chercher [leurs] enfants ». Les patrouilles des polices municipale et nationale avaient également été renforcées.

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Robes noires premier prix

index Laure Mentzel,

Dans les locaux du "P12", la section du Palais de justice de Paris où les avocats commis d'office rencontrent leurs clients.

Tous les ténors du barreau sont passés par là. Comparution immédiate, instruction, garde à vue… Les avocats commis d’office assistent, moyennant une indemnisation de l’État, des clients démunis. Une justice au rabais que dénoncent depuis plusieurs mois ces soutiers des prétoires. Mais aussi une excellente école pour de jeunes avocats désireux de se faire un nom.

Comme les intermittents, ils ont fait grève. Au début de l’été, ils ont accroché une bavette rouge à leur robe noire en signe de colère, ont vidé les salles d’audience et envahi les parvis des tribunaux en décrétant des journées « Palais mort ». Plus d’avocats à la barre pour montrer que, sans eux, les « gratuits », justice ne peut être rendue. Depuis des années, ils martèlent une même revendication : l’augmentation de l’aide juridictionnelle, ce financement de plus de 300 millions d’euros de l’État qui permet de couvrir les frais de justice des plus démunis.

L’IDÉE MÊME DE LA JUSTICE POUR TOUS

C’est quand il a été question de taxer les cabinets d’avocats pour la financer, après des années sans l’augmenter, que la colère des robes noires a éclaté. La grève a été largement suivie. En réponse, le gouvernement a commandé un rapport au député Jean-Yves Le Bouillonnec. Au fil de l’été, la mobilisation est retombée, mais à Bordeaux, deux cents avocats ont décidé d’assigner l’État en référé. L’audience se tiendra le 15 septembre. Pour les plaignants, c’est l’idée même de justice pour tous qui est remise en cause par ces problèmes de financements.

Quels que soient leurs moyens, tous les justiciables doivent pouvoir bénéficier d’un avocat. Si son assistance est nécessaire rapidement, on fait appel à un « commis d’office ». Intermittent de la défense d’urgence, il assure sur la base du volontariat quelques permanences de comparution immédiate, instruction ou garde à vue. Une tous les quatre à six mois à Paris, où résident près de la moitié des 50000 avocats de France. Une par mois en Seine-Saint-Denis, où ils ne sont que 500. Pour toutes ces tâches, le commis d’office est « indemnisé » – c’est le terme employé sur les formulaires qu’il doit remplir pour toucher ses honoraires – et perçoit des sommes forfaitaires très inférieures aux habituels honoraires d’avocat. 1100 euros pour une instruction criminelle avec audition, visites en prison et passage en cour d’assises. 325 euros pour une journée de permanence en comparution immédiate à Paris, 500 euros pour les premières 24 heures de garde à vue et 250 pour les 24 suivantes…

Dans les téléfilms, tomber sur un «commis d’office », c’est l’assurance d’être condamné à perpétuité pour un crime dont on est innocent. Sorte de sous-Colombo des prétoires, il traîne son imper sale et son ennui dans les couloirs du tribunal, prêt à toutes les bassesses pour toucher ses maigres honoraires. Dans la réalité, le commis d’office est souvent jeune. Parfois même débutant. Il ne suinte pas l’échec mais plutôt l’envie de bien faire et une certaine dose d’anxiété. On le reconnaît à ses chaussures. «Des souliers vernis et tout neufs, ses premières pompes d’avocat», sourit Stéphane Sebag, conseil notamment de Ziad Takieddine et d’un des frères Hornec, qui a, comme tout le monde, pratiqué les permanences pénales avant de monter son cabinet. Le jeune commis d’office porte un costume qu’il n’habite pas encore : la robe de l’avocat. Évolue dans un décor qu’il maîtrise mal: le tribunal et ses codes inamovibles. Devant un public qui ne lui est pas acquis: le client, qui pense souvent qu’il serait mieux défendu par un avocat choisi.

A Paris, ils arrivent au Palais de justice par grappes, avant 10 heures, contournent la Sainte-Chapelle et les préfabriqués, sortent leur carte professionnelle et passent la porte de la section de permanence du Palais. « Le P12 », comme l’appellent les professionnels des comparutions immédiates. Un hall de gare tout de boiseries et de peinture écaillée où robes noires et polos bleus, ceux des gendarmes, se pressent et se bousculent. Vite, fondre sur un de ces petits boxes qui servira de bureau, il n’y en aura pas assez pour tout le monde. Arriver en retard, c’est prendre le risque de faire connaissance avec ses clients sur l’un de ces bancs de bois usés comme à la messe où patientent déjà les interprètes. Vite, consulter les dossiers que le coordinateur vous a attribués. Une petite dizaine souvent. Vérifier qu’aucun délai n’a été dépassé, traquer un vice de procédure ou une nullité dans des montagnes de papiers.

Vendeur à la sauvette, un homme accusé de violences sur policiers, un vol en réunion… Julien Courvoisier, 32 ans, feuillette sa moisson du jour. Le tout-venant de la petite délinquance, jugée dans l’urgence. Dans l’une des salles d’audience réservées aux comparutions immédiates, sous les sculptures représentant la Justice, son glaive et sa balance, devant trois juges graves et un procureur sévère, elle se lèvera pour déclamer son texte. En attendant, dans le « bocal », une minuscule pièce vitrée mal insonorisée qui sert de bureau aux avocats, on prépare les dialogues de la pièce à venir. Les entretiens débutent. Ils serviront de canevas à la plaidoirie mais aussi aux déclarations du prévenu. Très à l’aise avec ses clients du jour, Julia Courvoisier brise la glace.  Une blague, un regard appuyé qui montre qu’elle lit pas tout à fait, une remarque bienveillante… Il faut aller vite pour tisser ce lien de confiance qui donnera du crédit à ses conseils. Brief express plus qu’entretien particulier: l’avocate a un quart d’heure pour expliquer au client ce qui l’attend, un procès, peut-être la prison, et le faire accoucher d’une version des faits audible audible par les juges… Lui apprendre comment se tenir – le b.a.-ba de l’audience. «Rappeler qu’il ne faut pas dire « Votre Honneur” ou, pire, “Chef », soupire Me Eolas, le célèbre avocat blogueur qui décrypte le monde de la justice. Julia Courvoisier interroge adroitement ses clients – trois marocains accusés de vol – pour vérifier sans qu’ils s’en doutent que leurs versions sont compatible : ne pas tout croire, pour être soi-même crédible. Ne pas soulever les incohérences, pour conserver ce lien de confiance si fragile.

A Bobigny, c’est au dépôt, dans les sous-sols du tribunal que les avocats reçoivent leurs clients. Fermé par d’épaisses grilles, le lieu a tout de l’antichambre d’une prison. Odeurs de sueur, lumière sale, cris des prévenus qui tentent de communiquer avant leur procès… Accusé d’avoir participé à un trafic de stupéfiants à Epinay-sur-Seine, un jeune homme doit être jugé cet après-midi. « J’ai rien à voir là-dedans, moi, j’ai toutarrêté! » jure-t-il au commis d’office. Dans un flot précipité, où s’entrechoquent des sanglots, il raconte la délinquance, la pauvreté qui l’oblige à « gratter » un peu de cannabis, à acheter ses cigarette à l’unité. La toxicomanie. «J’ai besoin d’aide! » hurle-t-il soudain. Impassible, son avocat prend quelques notes: « Pleurez, ça, c’est bien, mais ne criez pas tout à l’heure devant les juges. » Il lui reste encore deux personnes à voir avant l’audience, dans une demi-heure.

ILS SOUVIENNENT TOUS DE LEUR PREMIÈRE FOIS.

Le jour où, jeunes avocats, ils ont pris leur air le plus professionnel, plié leur robe presque neuve et enfourné un casse-croûte dans leur sacoche en prévision d’une journée interminable. Ils n’ont oublié ni le nom du procureur contre qui ils ont ferraillé, ni le nombre de mois de prison accumulés par l’ensemble de leurs clients du jour.

Tous les ténors du barreau sont passés par là. « Une formation accélérée, indispensable pour qui veut devenir un bon pénaliste», assure Me Pascal Garbarini. Pendant trois ou quatre ans, «Garba» a hanté les prétoires, apprenant sur le tas com¬ment se placer dans la salle, à quel moment donner ses pièces au procureur, quels effets de manche éviter. Grand banditisme, nationalisme corse, assassins dignes de « Faites entrer l’accusé»…, celui qui figure dans le classement des avocats les plus puissants de France a pourtant l’œil qui pétille en repensant à ses années de commis d’office. « Vous plaidez dix fois les mêmes faits devant les mêmes juges. » Il faut savoir se renouveler pour ne pas lasser le tribunal. Plaider une fois la nocivité de la prison, une autre le vice de procédure. Parfois, aussi, sacrifier certains clients pour en sauver d’autres. «Sur huit dossiers, il y en avait deux dont je voulais obtenir la relaxe parce que c’étaient des erreurs de trajectoire. »
Pour le jeune avocat, être commis d’office permet de se frotter à la critique. Une bonne prestation à l’audience, et il se fait un nom, une réputation, une clientèle. Surtout s’il a la « chance » d’aller aux assises. Car les «belles» affaires que lorgnent les avocats débutants, celles qui font « suer de la robe » comme ils disent, et qui attirent la presse, sont précieuses. Le jeune avocat « monte aux assises » comme il monterait à la capitale. Il joue là plus que l’avenir de l’accusé : le sien. Le grand pénaliste Eric Dupond-Moretti a hanté les prétoires à ses débuts. L’indemnisation couvrait à peine les frais d’essence et d’hô¬tel. « Il faut avoir faim pour réussir dans le métier. » Et une fois dans la cour d’assises, commis d’office et avocat choisi, débutants et ténors se partagent la barre, sans distinction.

Certains avocats expérimentés continuent de s’inscrire sur les listes de permanence. Parfois par conviction, parce qu’ils estiment devoir offrir un peu de leur temps à la société. Stéphane Maugendre, avocat en Seine-Saint-Denis et président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), qui propose des permanences juridiques gratuites, a repris par principe et à perte les permanences pénales qu’il avait arrêtées un temps, trop chronophages. «Elles occupent30% de mon temps et ne couvrent que 10% de mes revenus. » Parfois hélas, les vétérans de la permanence pénale sont avant tout des « cachetonneurs ». Aux procès, ils s’en rapportent aux réquisitions du procureur. Pendant les gardes à vue, on en a vu qui dormaient, d’autres qui ne quittaient pas leur téléphone portable des yeux. Ils font de la présence pour toucher leur écot et boucler leurs fins de mois. Pour Pierre-Olivier Sur, le bâtonnier de Paris, ces avocats en perdition sont la plaie de la profession. «J’ai honte!», a-t-il martelé au début de son mandat devant un parterre de commis d’office médusés. Il réclame une défense d’urgence «d’excellence». Pour cela, il a décidé d’augmenter le nombre d’heures de formation dispensées par l’école de la défense pénale, obligatoires pour exercer en tant que commis d’office, et de limiter l’exercice à sept ans. Aucun des grands pénalistes n’est resté longtemps avocat d’urgence. Dans leurs rangs, d’ailleurs, personne ne fait grève pour l’augmentation de l’aide juridictionnelle. «Nous sommes une profession libérale, qui n ’a pas à être sous perfusion de l’État», souligne Pascal Garbarini. Être commis d’office, pour eux, est synonyme d’une jeunesse heureuse, faite de vaches maigres et de nuits blanches. Une époque épuisante mais exaltante.

Pour d’autres, c’est parfois au contraire un souvenir de cauchemar. En 1999, une toute jeune avocate est commise d’office pour la première fois de sa vie. En sortant du taxi qui la conduit dans un commissariat de banlieue pour une garde à vue, elle s’assied face à son client, qui sort, lui, d’une cellule de dégrisement. De son sac siglé posé au milieu de la table débordent tubes de rouge à lèvres, dossiers, et un paquet de cigarettes. L’homme lui en demande une. Elle y ajoute une petite boîte d’allumettes comme elle aurait fait pour un ami… Toute la journée, elle guette l’info qui ne manquera pas de ruiner sa carrière. Imagine les titres : « La pyromane radiée du barreau »… «Je n ’ai pas refait de commission d’office», souffle avec soulagement cette avocate d’affaires, aujourd’hui associée dans un grand cabinet anglo-saxon, qui n’a jamais plus exercé le droit pénal. « Ils envoyaient vraiment n’importe qui à l’époque. »

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«De la circulaire ou de la libre circulation ?»

« De la circulaire ou de la libre circulation » entretien in les mauvais traitements in N° 26 de la revue penser/rêver, Les mauvais traitements, édition de l’Olivier, automne 2014.

ENTRETIEN AVEC STÉPHANE MAUGENDRE[1]

Michel Gribinski : Stéphane, tu es avocat au barreau de Bobigny (Seine-Saint-Denis), et tu es le président du Gisti depuis un peu plus de quatre ans. Le groupe a été créé en 1971. Gisti veut dire « groupe d’information et de soutien des immigré(e)s ». Le « t » est resté, mais pas le « travailleurs », devenu, je suppose, trop restrictif…

Stéphane Maugendre : C’est un choix qui date d’une quinzaine d’années. On a considéré que « travailleurs immigrés » ne regroupait pas,toutes les personnes dont on s’occupait.

Michel Gribinski : À l’époque de la création du Gisti, les intellectuels s’engageaient ; dans un article de l’historien Philippe Arrières [2], il est rappelé que, au début des années 1970, Michel Foucault, Jean-Marie Domenach et Pierre Vidal-Naquet créent le GIP, groupe d’infor­mation sur les prisons, qui accueillait ce que Foucault appelait des « intellectuels spécifiques » des intellectuels qui – au contraire de la définition que Sartre en donne – s’occupaient de ce qui les regardait, de ce sur quoi ils avaient des choses à dire, spécifiques. On se souvient d’Édith Rose, ou peut-être l’a-t-on oubliée, qui était la psychiatre du centre pénitentiaire de Toul, où les mutineries de prisonniers se succédaient, et qui avait raconté ce qui se passait dans les prisons en utilisant son « savoir » et son « pouvoir », comme on disait à l’époque. Non pas au service de l’« ordre établi » mais pour le « mettre en question » (le vocabulaire, lui aussi, spécifique, parle de la période). À la suite du Gip sont venus le Gis, groupe d’information sur la santé (qui militait en faveur de la légalisation de l’avortement) et le Gia, groupe d’information sur les asiles. Le Gisti, ai-je compris, a été créé si ce n’est dans cette filiation, du moins dans une proximité avec le Gip, dans le but non de répondre au cas par cas à des problèmes de personnes mais de tenter de modifier lé droit là où on pensait qu’il fallait le faire. D’où mes premières questions : est-ce toujours le cas ? Le Gisti cherche-t-il toujours à modifier le droit, a-t-il toujours pour but de faire rendre par les tribunaux de « grands arrêts Gisti » ? Dirais-tu qu’il y a encore des « intellectuels spécifiques » au Gisti, et, de toi, que tu en es un ?

Michela Gribinski : La définition du Gisti, qu’on trouve en ligne[3], aide à compléter la question : « Le Gisti, pour mettre son savoir à la disposition de ceux qui en ont besoin, tient des permanences juri­diques gratuites, édite des publications et organise des formations. » Il y a, programmatiquement, une articulation entre le traitement intellectuel des phénomènes et le besoin – moral, social, juridique – que d’aucuns en ont.

Stéphane Maugendre : Je reviens d’abord sur la création du Gisti : une filiation existe avec le gip , puisque, parmi les fondateurs, il y avait un visi­teur de prisons, le père jésuite André Legouy, engagé auprès des nationalistes algériens. C’était aussi une réunion d’Énarques d’après 1968, qui avaient la volonté politique de continuer à faire quelque chose, de curés (en exercices ou défroqués) comme Bernard Retten- bach, dominicain, devenu par la suite avocat, de gauchistes, de gens qui avaient fortement milité contre la guerre d’Algérie. Donc un mélange, dans une création totalement clandestine au début. Encore maintenant, nous nous appelons par nos prénoms… Bien que nous communiquions nos noms, parce que nous travaillons dans la trans­parence et qu’il n’y a plus de craintes à avoir -quoique certains magistrats administratifs demandent encore à ce que leurs noms n’apparaissent pas. Parmi les énarques, Jean-Marc Sauvé- actuel­lement vice-président du Conseil d’État – et le couple Moreau (Yan nick et Gérard[4])- Il y avait aussi Simone Pacot et Jean-Jacques de Félice, avocats, Louis Joinet, l’un des fondateurs du Syndicat de la magistrature, Madeleine Babinet, assistante sociale au SSAE.

L’idée était, d’un côté, d’analyser techniquement et politiquement le droit, puisque le droit est politique, et, dé l’autre, de le mettre à la hauteur des gens qui ont besoin.

Michel Gribinski : C’est un principe de fonctionnement du Gisti ?

Stéphane Maugendre : Ni l’idée ni le fonctionnement n’ont fondamentalement changé, même si nous nous posons régulièrement la question de l’équilibre entre le technique et le politique.

Je disais que le droit est politique. Nous restons attachés à cette idée et donc à la réflexion politique du droit. C’est-à-dire que le droit n’est pas neutre : quand la droite est au gouvernement, elle crée du droit répressif, et quand c’est la gauche – mais pas actuellement -, du droit moins répressif. Et cela joue. Il y a donc des périodes où l’on est plus politique et d’autres où l’on est plus juridique, mais c’est un couple que l’on respecte. Aujourd’hui, parmi tous ceux qui nous ont soutenus pendant les dix dernières années, un certain nombre de gens trouve que l’on est trop critique à l’égard de la gauche.

De même nous tenons beaucoup à notre indépendance, notam­ment vis-à-vis des institutions. Indépendance politique vis-à-vis des partis, mais aussi financière, puisque le Gisti s’autofinance à plus de 50 % grâce à ses formations (auprès des travailleurs sociaux, dans les prisons, auprès d’autres associations, d’avocats, etc.) et ses publications. Tout en respectant l’idée de mettre notre savoir à la disposition de ceux qui en ont besoin.

Ce qui a le plus changé, c’est la transparence. Nous sommes dans la transparence la plus totale, et plus dans la semi-clandestinité – nous publions nos bilans, ils sont téléchargeables sur le site[5], la Cour des comptes est venue nous contrôler et son rapport a été publié.

Michel Gribinski : Vous avez une fonction d’observatoire ?

Stéphane Maugendre. : Le Gisti est devenu l’association incontournable sur l’ana­lyse juridique des textes qui touchent les étrangers.

Michel Gribinski : Une Cour dès comptes des textes ?

Stéphane Maugendre : Je n’irais pas jusque-là. Mais dès qu’il y a un projet de loi, ou un groupe de réflexion sur le droit des étrangers, on est invité, même par la droite (hors FN, évidemment).

Si l’association est extrêmement respectée, elle fait aussi l’objet d’attaques violentes. Je me souviens que Chevènement, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, nous avait traités de « trotskistes anglais » (!), et que Besson, au moment du débat sur le « délit de solidarité » avait affirmé que la crédibilité du Gisti était proche de zéro, et qu’on ferait mieux de prendre des vacances[6].

On nous considère par ailleurs comme de doux rêveurs puisque nous sommes pour la liberté de circulation. C’est une des évolu­tions politiques du Gisti : depuis plusieurs années, nous travaillons avec des économistes, des démographes et des sociologues sur ce sujet[7].

Je reprends tes questions. Y a-t-il encore de « grands arrêts » ? Oui. On vient encore d’en obtenir un, le 19 novembre 2013, sur la question des enseignants étrangers, puisqu’il a été sursis à l’exé­cution de certains articles d’un décret du 23 août 2013, qui empê­chaient les ressortissants extracommunautaires de se présenter aux concours relatifs à l’enseignement privé sous contrat.

Le 15 novembre 2008, lors d’un colloque que nous avions organisé à la Maison du barreau de Paris, « Défendre la cause des étrangers en justice[8] », auquel étaient invités tous les présidents de tribunaux et de cours, judiciaires ou administratifs, le président de la section du contentieux du Conseil d’État a indiqué que, dans ce que l’on appelle les « grands arrêts » du Conseil d’État, il n’y avait qu’un seul requérant dont le nom apparaissait deux fois : le Gisti.

Michel Gribinski : Vous êtes une institution.

Stéphane Maugendre ; Dans le sens où le Gisti est devenu une référence, et que tous les juristes disent que nous sommes devenus indispensables, y compris lorsqu’on nous demande d’aller au contentieux, c’est-à-dire devant les tribunaux.

Ce que je viens d’exposer du Gisti me permet de répondre qu’il y a encore des « intellectuels spécifiques » au Gisti. En ce qui me concerne, je ne sais pas.

Michel Gribinski : Justement : que se passe-t-il dans la tête d’un avocat – et d’un intellectuel – pour qu’il décide de franchir le pas, d’aller au-delà de ce que son travail quotidien implique – être au service du droit, défendre le droit -, pour, ce droit, essayer de le modifier. Comment l’avocat passe-t-il de l’usage des ressorts ordinaires de la loi à sa réforme active ?

Stéphane Maugendre : il y a une histoire personnelle, évidemment. Fils de soixante- huitards, j’ai fait mes premières armes d’élève-avocat avec Henri Leclerc, dans un cabinet militant, le cabinet Ornano. Ma mère et une de ses amies, Madeleine Terrasson, une associée de Leclerc, étaient membres du Gisti. Voilà. Je suis au Gisti parce que je suis avocat, et je suis avocat parce que je suis au Gisti. Et il y a un choix politique, celui d’avoir installé mon cabinet en Seine-Saint-Denis, il y a vingt- cinq ans, quand peu d’avocats faisaient du droit des étrangers. Avant, c’était l’histoire familiale, et là il y a eu un choix politique personnel.

Pourquoi est-ce toujours présent ? Je pense qu’il y a quand même une certaine jouissance à cette activité, il ne faut pas le nier. Quand on arrive à faire plier ou condamner le ministère de l’Intérieur pour le forcer à proposer une loi au Parlement de manière à éviter que des étrangers soient confrontés à des zones de non-droit[9], ou, comme, en ce moment, à propos des tribunaux qui se montent sur les tarmacs, on arrive à modifier ce qui se passe[10], il y a une jouissance, on ne peut pas l’ignorer. Il y a aussi la défense des principes. À chaque fois que le droit recule pour une catégorie de personnes, derrière, c’est pour tout le monde qu’il recule. Un exemple, qui ne concerne pas le droit des étran­gers mais les contrôles routiers. Avant, il fallait que ce soit le procureur de la République qui dise aux services de police : « Vous allez procéder à des contrôles routiers à tel endroit sur telle période. » Maintenant, il n’y a plus besoin de ça. Donc il n’y a plus aucun contrôle du procureur de la République sur les services de police. C’est peut-être nécessaire pour la délinquance routière, mais c’est une régression du droit.

Aujourd’hui, créer des tribunaux, spécifiques pour des étrangers, à la sortie de l’avion, ou – ce qui arrive tous les jours – voir des gens jugés par téléconférence, sans être présents à leur procès, sans être aux côtés de leur avocat, c’est une régression. Cela a peut-être des avantages, mais c’est une régression : des juges vont juger une image. Comment s’empêcher de lutter contre ?

Miguel de Azambuja : L’institutionnalisation du Gisti et le fait que le groupe soit devenu actuellement incontournable étant donné qu’il travaille « sous les projecteurs » soulèvent-il des problèmes que la version clandestine des premiers temps cherchait à éviter ? Autre­ment dit, la sortie de la clandestinité a-t-elle aussi ses handicaps ?

Stéphane Maugendre : Le handicap, c’est que l’on est beaucoup sollicité : comme l’association est toute petite, elle n’a pas assez de bras et de cerveaux pour répondre à toutes les sollicitations. Mais c’est aussi un choix que d’être une petite association – deux cents à trois cents membres selon les années, admis avec précaution, parce qu’on n’a pas envie que les Renseignements généraux y mettent leur nez, ou que des avocats y viennent pour le logo.

Michela Gribinski : C’est votre côté « trotskistes anglais », le club fermé ?

Stéphane Maugendre : C’est surtout le fait d’être une « institution »… Cela nous oblige à plus de rigueur, parce qu’on nous surveille davantage, et que le droit des étrangers se complexifie.

Michela Gribinski : Dans l’argument du numéro, nous avons essayé de mettre en avant les rapports entre le « maltraité » et le « mal traité ». Tu as publié dans Médiapart, le 27 novembre dernier, une [11] tribune cosignée avec Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature, intitulée « Migrants morts en Méditerranée. Le parquet de Paris à la dérive », qui se clôt sur la considération suivante : « Chaque minute compte pour sauver des vies. Chaque jour compte pour comprendre pourquoi certaines ne l’ont pas été et comment elles pourraient l’être à l’avenir. » En différant l’ouverture de l’enquête sur la question particulière de soixante-douze migrants, qui fuient la guerre en Libye dans l’espoir de rejoindre l’Italie à bord d’une embarcation depuis Tripoli, et qui meurent parce que rien n’est fait pour les secourir, en particulier de la part des militaires français qui patrouillent pourtant dans les parages, le parquet de Paris semble s’employer à ne pas comprendre : c’est un déni de savoir ?

Stéphane Maugendre : Je vais être honnête : ce n’est pas moi qui ai écrit le papier mais deux membres du Gisti, l’une est professeur de droit, et l’autre avocat général à la cour d’appel de Paris. Je n’ai rien à redire au texte, je pense seulement qu’il aurait été plus normal que les signa­taires soient effectivement les personnes qui l’ont rédigé – bien que signer fasse partie du rôle de président (il en est allé de même pour une tribune dans Libération sur la xénophobie du: PS [12]).

La question de ce dossier est compliquée. On est en pleine guerre de Libye. On a I’otan, les États-Unis, la France, l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, la Belgique, qui envoient des centaines de bateaux et d’avions, pour bombarder le pays et s’assurer que des armes n’y entrent pas, vérifier qu’il n’y a pas – Kadhafi l’avait pro­mis – de gens qui quittent la Libye pour envahir l’Europe. Jamais sur cette mer il n’y a eu autant de bateaux et de radars. Un gros Zodiac part avec quatre-vingt-dix personnes à son bord, dont des bébés et des femmes enceintes. Il est photographié, à un moment où il file vers Lampedusa, par un avion militaire français. Le Zodiac tombe en panne. Il y a un téléphone portable sur le bateau, on appelle un prêtre à Rome. Le prêtre prévient les garde-côtes italiens. Un premier [13] appel de détresse est lancé sur toute la région, et un hélicoptère vient survoler l’embarcation. Il repart, revient, lui ou un autre, donne des bouteilles d’eau et ne revient pas. Quelques jours plus tard, alors que le Zodiac est à la dérive, que des gens sont morts, ont bu de l’eau salée, sont tombés à l’eau dans la nuit, un navire militaire, dont on ne connaît pas la nationalité, fait le tour de l’embarcation (les sur­vivants racontent que des gens ont même pris des photos). On sait qu’avant que le navire militaire ne fasse ce tour, il y a eu un second appel de détresse – émis toutes les quatre heures sur, grosso modo, toute la Méditerranée. Rien n’a été fait pour sauver les gens à bord.

Nous ne mettons pas en cause tel bateau de l’armée française ni ne disons que le bateau qui est venu aux abords du Zodiac sans intervenir était un bateau français. Nous mettons en cause l’armée française parce qu’elle n’a pas détourné ses navires pour sauver ces migrants. Comment dire ? Si la voisine du premier crie au secours, et que tu l’entends du cinquième, tu ne te dis pas : « Bon, le voisin du second va aller voir. » Tu descends.

C’est ça la question. Donc nous déposons une première plainte – cinq professeurs de droit y ont travaillé, des experts ont travaillé, et fait travailler d’autres experts, notamment celui qui avait calculé la dérive de l’avion du vol Paris-Rio (grâce à qui ont été retrouvées les fameuses boîtes noires) pour qu’il reconstitue la dérive du Zodiac et les positions des bateaux qui étaient autour, etc. Ce n’est pas juste une plainte de dénonciation des « méchants », c’est un très très gros et consistant dossier.

La plainte est déposée[13], le procureur de la République étudie évi­demment le dossier, sollicite le ministère de la Défense – deux fois -, dont la réponse est : la France n’était pas là. Elle était ailleurs, autre part en Méditerranée. Donc le procureur de la République classe sans suite. Là, c’est le deuxième coup, on a la possibilité de déposer plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruc­tion. Sauf que, pour que le juge d’instruction puisse démarrer, il faut qu’il y ait un réquisitoire du procureur de la République. Le même. Il connaît le dossier, il l’a étudié. Et la question est que, depuis tous ces mois, il ne réagit pas. Une plainte vient d’être déposée en Belgique. Une autre en Espagne. Deux en Italie. Dans les pays anglo-saxons, il y a eu des demandes de communication de documents. La question n’est pas d’accuser l’armée française, mais de savoir ce qui s’est passé.

Michela Gribinski : De comprendre. Comment expliques-tu que le procureur attende, étant donné que l’affaire, telle que tu la décris, semble absolument linéaire ?

Stéphane Maugendre : Un argument – non convaincant – serait de dire qu’il n’y a qu’un seul « procureur de la République » pour toutes les affaires militaires. Mais c’est en fait une « affaire sensible » et, comme pour toutes les affaires sensibles, il y a la peur, les peurs, y compris celle de savoir – au détriment de la conservation des preuves et des informations. Dans le dossier en question, des choses publiées sur Internet, des reportages, carnets de bord, blogs, etc., disparaissent. Entre le moment où l’on dépose la plainte auprès du procureur de la République et le moment où le dossier arrive au juge d’instruction[14], il y a déjà deux ou trois liens qui sont « corrompus ».

Michel Gribinski : En t’écoutant parler des soixante-douze personnes qui ont péri en mer dans ces conditions, quelque chose me frappe, à l’inverse de ton propos : il me semble magnifique, du point de vue du droit, que, au début du XXIème siècle, l’on s’occupe ainsi de leur disparition et du déni – du délit – d’humanité dont, au bout du compte, elles sont mortes. J’allais te questionner au moment où tu rappelais les pays, les instances qui ont déposé des plaintes. Je trouve cela étonnant, optimiste, après le naufrage – l’expression est bienvenue – des Lumières, après qu’au siècle dernier le droit a été si souvent et explicitement bafoué.

Stéphane Maugendre : Je ne s’en rend pas bien compte, mais il y a quand même un réseau de gens…

Michel Gribinski : Je t’interromps pour compléter ce que j’essaie de dire. Une autre question va avec ce que nous évoquons, qui est le droit de se déplacer. L’émotion suscitée par cette affaire, et qui a pris des proportions internationales, n’est-elle pas soulevée aussi par l’atteinte portée à la liberté de se déplacer ? Un droit fondamental.

Stéphane Maugendre : Eh bien non, justement ! Il faut lire le livre[15] publié par les « gauchistes extrêmement dangereux » de l’institution appelée Unesco. C’est un travail sur la question de la liberté de circulation. La liberté de circuler, c’est en fait la liberté d’aller et venir. Or on a le droit de quitter son pays – c’est un droit fondamental -, mais on n’a pas le droit d’aller là où l’on veut. Finalement, ce droit-là n’est pas complet – il y a des juristes qui analysent cela. Le Gisti estime que le dossier des soixante-douze est emblématique des politiques de fermeture des frontières mises en place en Europe, On en arrive à négliger la vie des gens, à faire que la Méditerranée soit non plus le cimetière mais le charnier de l’Europe. On parle de quinze mille noyés, et on ne parle pas des familles qui cherchent ces noyés depuis des années. Plus les frontières seront fermées, plus il y aura de morts, en Méditerranée, mais aussi dans le désert. Les « remparts » ne sont plus à nos frontières, mais déjà depuis des années en Libye, en Algérie, en Tunisie, où l’on enferme des gens dans des camps pour les empêcher de venir en Europe, Ce dossier est la démonstration que l’on vit quelque chose de complètement fou autour de la question de la fermeture des frontières, et que Ton est prêt à laisser mourir des femmes, des enfants, des personnes, sans qu’on sache très bien pourquoi. L’argent sans doute. Il faut lire Xénophobie Business[16].

Quand, au Gisti, on apprend cela, ces morts, on fait un commu­niqué de presse, assez violent, où l’on dit qu’on va déposer plainte contre tout le monde [17]. En l’occurrence, le communiqué de presse a eu un effet dans le monde entier, des gens sont venus nous dire qu’en effet il fallait déposer plainte : des professeurs de droit qu’on ne connaissait pas, des étudiants anglais, des experts, etc. C’est comme ça que ça se passe. On déclenche quelque chose.

Michel Gribinski  : Mais quelque chose continue de me manquer dans un tel déclenchement : je ne crois pas que ce soit la sentimentalité qui joue – les bébés et les femmes enceintes, d’autres événements et des représentations où tout, en effet, peut faire appel à l’émotion et donner l’envie de « porter » plainte comme on porte un poids ou une pancarte. Mais ce n’est pas cela, le moteur. Plutôt l’évidence du déni de la liberté de circuler ?

Stéphane Maugendre : Le Gisti, avec Migreurop [18], dénonce l’état de fait de telles morts depuis de nombreuses années, mais ici il y a des survivants, des survivants qui racontent – c’est donc un cas emblématique.

Miguel de Azambuja : C’est le traitement des déchets. Les déchets ne peuvent plus être des déchets parce que des survivants racontent. Sinon, tout le monde contribue au traitement des…

Stéphane Maugendre : Mais on a des témoins. Cela s’ajoute aux circonstances – la guerre, et le fait que c’était la deuxième fois que certains tra­versaient la Méditerranée. Empêcher la liberté de circulation amène des choses comme ça.

Michel Gribinski : Le mot déchet est très fort…

Stéphane Maugendre : On a la Méditerranée pour ça, et des gens crispés sur la fermeture des frontières. La liberté de circulation, on la vit depuis environ soixante ans. La création de l’Europe s’est faite à cinq ou sept, je ne sais plus[19], et on est vingt-huit. Avec des positions de Mitterrand contré l’entrée de la Grèce, ou du Portugal (un écho anticipé de l’invasion par le fameux « plombier polonais »), etc. Une crispation des politiques européennes. Quand on rencontre des députés et qu’on leur dit : « Je ne vous demande pas d’adhérer à la liberté de circulation, mais d’organiser à l’Assemblée nationale une commission pour savoir au moins ce que les gens qui ont réfléchi là-dessus ont dit et pensé, pour connaître ce qui se dit et s’étudie en Europe, en Afrique, aux USA… » – « Impossible » est la réponse…

Michela Gribinski : Je reviens à ma marotte, la question du « désir de ne pas comprendre ». Objurgation d’autant plus intéressante à observer qu’elle s’accompagne, on pourrait dire systématiquement, de l’appel au «jugement » des acteurs. Ici encore un exemple spectaculairement parlant, rapporté, sur le site du Gisti, dans un texte cosigné par Resf et intitulé « La circulaire Valls, un an et tant d’actes odieux après[20] ». Ladite circulaire Valls du 28 novembre 2012 « relative aux condi­tions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile », qui se donne pour objectif de « clarifier » et d’uniformiser les « conditions de régularisation des familles sans papiers, des tra­vailleurs et des jeunes majeurs scolarisés », se contente de renvoyer in fine chacun des individus censés l’appliquer, en l’occurrence policiers et préfets, à son propre « discernement ». Ce qui revient à la meilleure façon de ne pas statuer – ou à l’effort pour rendre l’autre fou.

Stéphane Maugendre : Un rapide cours de droit. Il y a la Constitution, la loi, les décrets, les arrêtés et puis les circulaires. Jusqu’aux arrêtés, c’est du droit qui s’impose à tous. Une circulaire, ça ne s’impose pas. Ce n’est pas du droit, c’est de P infra-droit. Si le préfet ne respecte pas la circulaire Valls, le tribunal administratif ne sanctionnera pas le préfet. Régir le droit des personnes, régulariser la situation des gens, leur permettre de passer de la clandestinité à la vie civile, par une circulaire, ça, c’est de la maltraitance.

Miguel de Azambuja : Cela laisse à qui va juger toutes les marges; de manœuvre. La circulaire : le lieu où la loi en tant que telle n’existe pas, sinon dans le jugement de celui qui l’applique.

Stéphane Maugendre : Exactement. Liberté totale d’appréciation. Dans ce gouvernement comme dans les précédents, on fait des choix : pour certaines choses, on procédera par circulaires. Dans d’autres domaines, on fera voter des lois. Ce n’est pas un défaut de vision, au contraire, c’est en quelque sorte très bien vu, et ce sont des choix politiques. On va soi-disant abolir le délit de solidarité pour faire plaisir par exemple à Emmaüs, c’est un acte politique bien posé et on sait à qui on s’adresse. Mais on va faire une circulaire pour la régularisation. C’est tout à fait calculé.

De la même manière, sur la question des naturalisations. Mais là où il sait très bien ce qu’il fait, c’est que l’acte vraiment fort en réalité serait de modifier, même a minime la loi sur les naturalisations (or, « ce n’est pas le moment », etc. : c’est toujours le même discours).

Je prends l’exemple des Roms, ou. le placement en rétention des familles. Il ne s’agit pas de lois mais de circulaires : la première affirme qu’il faut un traitement humain et social, le relogement, etc,, de ces personnes, la deuxième interdit, en principe, de mettre des familles en rétention administrative. Ces circulaires permettent, en réalité, de maltraiter les gens.

Michel Gribinski : En disant que le droit est politique, est-ce que le gisu ne fabrique pas davantage d’injustice, en légitimant le principe de la modification politique du droit ? Ne faudrait-il pas œuvrer pour séparer le droit du politique ?

Stéphane Maugendre : Impossible : qui vote la loi ? Les députés – donc les poli­tiques. Et quand on étudie l’évolution du droit… Par exemple, la « préférence nationale », La préférence nationale existe en droit des étrangers. C’est inscrit dans la loi, depuis très longtemps, mais évi­demment pas comme ça. Tu veux engager un étudiant étranger, qu’il quitte son statut d’étudiant pour celui de salarié. Avant de t’autoriser à l’engager, ou avant de lui donner sa carte de séjour, on va vérifier si, pour le poste que tu offres, il y a trop de demandeurs d’emploi français ou pas. Si tu veux faire venir un travailleur étranger, avant de lui donner son visa, on va étudier la situation du marché. Danièle Lochak[22] décrit très bien ce glissement du discours.

Miguel de Azambuja : Cela ne s’appelle pas « préférence nationale », mais c’est une discrimination au nom de la nationalité ?

Stéphane Maugendre : C’est plus nuancé que ça, mais ça n’est pas loin : on; va vérifier le nombre de chômeurs inscrits, y compris étrangers, et le nombre d’offres d’emploi. Le droit est fait par les politiques, il est la retranscription d’un discours.

Michel Gribinski : Au Gisti vous luttez donc contre la transformation poli­tique de l’étranger en déchet, dans les faits ou les discours.

Stéphane Maugendre : Nous luttons en discours, en fait et en droit: Nous en sommes même, au sein du Gisti, à nous retrouver « défavorables » au droit de vote des étrangers aux seules élections locales, s’ils n’ont pas le droit d’y être éligibles. Ce serait un « mauvais traitement » que de créer des demi-citoyens. Cela dit, nous avons participé aux campagnes en faveur de ce droit de vote, parce que cela nous sem­blait quand même une avancée.

Michela Gribinski : On serait face à deux procédés : faire du déchet, du « moins, que rien » et de l’allégé, de la « demi-portion ». Une extemaiité radicale et des demi-mesures à l’infini.

Miguel de Azambuja : On va t?amputer pour t’intégrer.

Michela Gribinski : Ou te gommer.

Stéphane Maugendre : Déchets ; ceux qui ne sont pas en France et veulent y venir ou qui y sont mais clandestinement. Demi- : ceux qui sont là. Dans le cas de la politique dite d’« immigration choisie », mise en place sous Sarkozy (Avec d’autres associations, le Gisti a créé, à ce propos, un collectif : l’ucij – Unies contre l’immigration jetable. Logo : une poubelle), parmi ceux qui ne sont pas là (ou sont clandestins), on éjecte qui Ton estime inutile à l’économie : par exemple, les membres de familles consommatrices d’allocations familiales ou de logements (les critères de tri sont politiques) ; pour les autres, ceux qui sont là, on ampute les droits au séjour.

Tant que l’on verra l’immigration comme un danger, on ne pourra que se crisper, et aller vers la généralisation de la maltraitance. Valls satisfait la vox populi quand il tient, sur France Inter, ses propos sur les Roms — au sujet de leur prétendue « non-intégration culturelle ».

À ce sujet, nous avons choisi, pour la couverture du numéro de Plein Droit sur les Roms[23], un renard avec une poule dans la gueule, afin de dénoncer et la fausseté* des images qui stigmatisent et la fausseté du danger. La France a connu un temps où tous les délinquants étaient italiens. Chaque vague d’immigration apporte son lot de peurs.

Je pense à une maltraitance « circulaire » particulière : les queues dans les préfectures. La gauche au pouvoir invente, dans les débuts des années 1980, la carte de séjour de dix ans, avec comme prin­cipe l’idée que la stabilité de la vie facilitera l’intégration. À force de rogner, la carte de dix ans est devenue une carte… d’un an. Aujourd’hui, les conjoints étrangers de Français ne touchent pas de carte de dix ans. Bref, on retourne désormais dans les préfectures tous les ans, et souvent deux ou trois fois. Le manque de gens pour traiter les dossiers, le soupçon que les actes d’état civil présentés sont faux, même s’ils ont déjà été acceptés quinze fois, la queue elle-même qui est naturellement extrêmement longue, etc,, tout cela fait que les gens doivent revenir plusieurs fois. Donc la queue augmente. Et quand la carte est obtenue, elle a déjà deux ou trois mois d’existence.

À Bobigny, la queue commence vers minuit ou une heure du matin. Quand il a fait tellement froid, il y a quelques années, les gens avaient apporté de la paille. Et des jeunes femmes, notamment gha­néennes, se proposaient, aussi, de réchauffer ceux qui attendaient…

Des gens, quand ils sont hospitalisés, viennent sur des brancards faire la queue. Une décision politique qui vise à réduire des droits amène peu à peu à des choses d’un autre monde.

Miguel de Azambuja : Ces queues immenses ont également quelque chose de « circulaire » : soit on ne voit pas les étrangers du tout, soit on-les voit trop. L’étranger trop vu, avec son côté excédentaire, n’est accepté que s’il devient transparent, s’il gomme les signés de l’excès et tout ce qui est dit « inassimilable » : c’est l’intégration à la française.

Stéphane Maugendre : Le pouvoir ne veut pas simplifier la question – par exemple en permettant des démarches par Internet – parce que tous ces étrangers produisent de faux actes d’état civil. Un rapport du Sénat est ici intéressant : il met des pourcentages sur les nationalités, décerne des bons et des mauvais points à l’authenticité moyenne des actes en fonction du pays. Aucun acte d’état civil comorien ne doit être accepté. On ne sait pas d’où ça vient. Oh n’a jamais compris sur quoi reposait cette étude. La note est presque pire pour les Zaïrois. La validité des actes d’état civil est devenue une bataille juridique. On les remet systématiquement en cause.

*

Michel Gribinski : Qui est l’ennemi ?

Stéphane Maugendre : L’autre, l’étranger.

Michel Gribinski : Je veux dire : qui est l’ennemi pour le Gisti. Qui sont vos ennemis ? [24]

Stéphane Maugendre : On n’est pas sur ce terrain. Dans nos communiqués dé presse, nous essayons la plupart du temps de ne pas nommer, de ne pas dénoncer nommément. Une fois, c’est vrai, on a fait un communiqué intitulé « Besson ment »… Et nous ne luttons pas contre des gens. Nous luttons pour. Au Gisti, pour que le droit s’améliore, et moi, dans ma robe, pour que les droits de mon client s’améliorent.

Michela Gribinski : Alors la question n’est peut-être pas « Qui est ton ennemi ? » ou « Qui sont vos ennemis ? » mais « Qui est l’ennemi ? ».

Stéphane Maugendre : La loi. L’ennemi, c’est peut-être la loi. Telle qu’elle est à un moment donné, quand elle n’est pas bonne, ou qu’elle est absente. L’absence de loi, ou de droit aussi.

Miguel de Azambuja : L’ennemi est à l’intérieur. C’est la zone de non-droit dans le droit.

Stéphane Maugendre : Oui, ou du mauvais droit. À l’époque de Pasqua, je me souviens avoir assigné le ministère de l’Intérieur parce que les étrangers qui arrivaient en France à Roissy pouvaient être stoppés ~ « Vous n’avez pas le droit d’entrer » – par la simple volonté de la police de l’air et des frontières. Les gens erraient dans la zone internationale, là où il y avait les boutiques free tax, mais ne pou­vaient pas entrer. À un certain moment, on leur disait : « Il y a un avion, vous pouvez repartir. » Mais il n’y avait pas de droit. Donc on a assigné le ministère de l’Intérieur pendant des mois et des mois, et cela a poussé à ce qu’il y ait une loi qui encadre ça. Nous luttons maintenant pour qu’elle change, mais elle existe. Donc l’ennemi, c’est soit le non-droit (ou le mauvais droit) dans le droit, soit l’absence de droit. Lorsqu’on fait des « mémoires » devant le Conseil constitutionnel, quand la loi est déférée à sa censure, on vient dénoncer ce qui ne va pas, dans le droit.

D’un point de vue politique, l’ennemi, c’est la bêtise. Mais ça…

Stéphane Maugendre

[1]   Ont participé à l’entretien Miguel de Azambuja, Michel Gribinski et Michela Gribinski.

[2]   P. Artiéres, « 1972 : naissance de l’intellectuel spécifique », Plein Droit n° 53-54, la revue du Gisti, Immigration. Trente ans de combats par le droit, juin 2002 .

[3] Le Gisti ?

[4] Sur les débuts du gisti, nous renvoyons à un échange entre Gérard Moreau, Bruno Erhmann et André Legouy, paru en 2002 dans le numéro 53-54 de Plein Droit, la revue du Gisti, ainsi qu’à l’étude de Liora Israël, « Faire émerger le droit des étrangers en le contestant, ou l’histoire paradoxale des premières années du gisti ». On consultera également la page Wikipédia du gisti

[5] Bilan d’activité du Gisti

[6]   Les délits de la solidarité

[7]   « . Liberté de circulation : un droit, quelles politiques ? » janvier 2011, 164 pages, Collection Penser l’immigration autrement, Gisti

[8]   On trouvera les actes de ce colloque dans Défendre la cause des étrangers en justice (Dalloz/Gisti, 2009) et sur Youtube

[9]   Cf. B. Philippe, «L' »amendement Marchand” à nouveau devant les parlemen­taires. Des demandeurs d’asile contestent la “zone Internationale” prévue par le ministère de l’Intérieur », Le Monde du 21 janvier 1992. Voir aussi D. Llger, « De l’affaire du dépôt et de quelques autres »

[10] Voir F. Johannès, « Christiane Taubira gèle l’ouverture du tribunal des étrangers à Roissy», Le Monde du 18 décembre 2013

[11] Migrants morts en Méditerranée : le parquet de Paris à la dérive.

[12] S. Maugendre, « Au Parti socialiste, un zeste de xénophobie ? », Libération du 18 janvier 2013

[13] Pour lire la plainte : http://www.fidh.org/IMG/pdf/plainte.pdf

[14] Depuis que cet entretien a eu lieu, la plainte auprès du Juge d’instruction a fait l’objet d’un non-lieu « ab Initio ». Cf. F. Johannès, « Drame de l’Immigra­tion : colère d’associations après un non-lieu qui blanchit l’armée », Le Monde du 7 décembre 2013,

[15] A. Pécoud, P. de Guchteneire, Migrations sons frontières. Essais sur la libre circu­lation des personnes, Éditions UNESCO, 2007

[16] C. Rodier, Xénophobie business. À quoi servent les contrôles: migratoires ?, La Découverte, 2012.

[17]  Le gisti va déposer plainte contre I’otan, l’Union européenne et les pays de la coalition en opération en Libye

[18] Migreurop réunit quarante-cinq associations dans un réseau européen et africain de militants et chercheurs dont l’objectif est de faire connaître ia généralisation de l’enfermement des étrangers et la multiplication des camps et de lutter contre un tel dispositif au cœur de la politique d’externalisation de l’Union européenne (www.migreurop.org).

[19] À partir du début des années 1950, la Communauté européenne du charbon et de l’acier unit progressivement les pays européens sur le plan économique et politique afin de garantir une paix durable. Les six pays fondateurs de cette Communauté sont Ea Belgique, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas.

[20]  La circulaire Valls un an et tant d’actes odieux après

[22] Professeur émérite de droit public à l’université Paris Ouest-Nanterre La Défense, docteur en droit avec une thèse sur Le Râle politique du juge adminis­tratif français, agrégée des facultés de droit, cofondatrice du credof (Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux), directrice de l’École doctorale de sciences juridiques et politiques de Paris X jusqu’à sa retraite universitaire, présidente du gisti de 1985 à 2000, Danièle Lochak, dont la mère est originaire d’Istanbul et le père de Bessarabie, devient française en 1947 par l’effet collectif de la naturalisation de ses parents (extrait de sa biographie sur Wikipédia, ndr).

[23] Voir le n° 99 de décembre 2013 de la revue du gisti, Plein Droit, « « Rom”, n. et adj. : infra-étranger »

Un avocat du GISTI

index 3 23/08/2014

Afflux croissant des migrants en provenance d’Italie

la-croix-logo Jean-Baptiste François, 05/08/2014

Depuis trois mois, le passage des migrants par l’Italie n’est plus enregistré par l’administration transalpine. Ce pays s’estime trop esseulé au sein de l’UE pour faire face aux arrivées de candidats à l’exil. De ce fait, la France ne peut plus renvoyer en Italie ceux qui font sur son sol une demande d’asile.

GIOVANNI ISOLINO/AFP
GIOVANNI ISOLINO/AFP

En l’absence de gestion coordonnée des flux migratoires européens, et après maints appels à l’aide restés sans réponse de la part des autres pays de l’UE, l’Italie semble s’être résignée à relâcher ses efforts pour endiguer les arrivées plus nombreuses dans l’espace Schengen. Un renoncement dont la France mesure maintenant les effets.

Une note de la police aux frontières (PAF) du 9 juillet, dévoilée mardi 5 août par Le Figaro , évaluait que 61 591 migrants ont débarqué en Italie au premier semestre 2014, essentiellement des Érythréens (30 %) et des Syriens (17 %), soit presque huit fois plus que sur la même période en 2013 (7 913 migrants).

D’après le document, le nombre d’interpellations d’étrangers en situation irrégulière par les autorités françaises n’a eu de cesse d’augmenter depuis avril, avec 1 845 contrôles en mai (+ 165 % en un mois), puis 2 628 (+ 43 %) en juin.

l’Europe peine à prendre des mesures communes

Mais les personnes arrêtées ne peuvent être refoulées vers l’Italie. Si leur itinéraire ne fait guère de doute, « l’absence de document d’identité ou d’éléments objectifs justifiant la provenance d’Italie rend la sollicitation auprès de ce pays d’une admission effective impossible », note le rapport.

En effet, en vertu du règlement de Dublin de 1990, les demandes d’asile doivent être effectuées uniquement dans le pays d’entrée. C’est en principe l’inscription sur le fichier Eurodac qui fait foi. Mais les prises d’empreinte par les autorités Italiennes ne seraient plus systématiques.

« Il y a bien une stratégie cohérente et consciente des Italiens de ne pas enregistrer tous les migrants, ce qui montre hélas combien l’Europe est en panne sur la construction d’une politique commune », commente Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile.
Un précédent lors des révolutions arabes en 2010

Ce relâchement des services des étrangers italiens a déjà eu des précédents, notamment au moment de la révolution en Tunisie de 2010. À l’époque, l’administration italienne avait massivement délivré des titres de séjour de trois mois aux clandestins, leur permettant ainsi de circuler librement en France ou ailleurs dans l’espace Schengen.

Le préfet des Alpes-Maritimes, Adolphe Colrat, explique à La Croix avoir bénéficié d’un renfort policier conséquent. « Nous nous efforçons de contrarier au mieux ce flux » déclare le haut fonctionnaire faisant état de l’interpellation de 36 passeurs qui tirent profit de la détresse des réfugiés.

« Cela dit, on peut considérer que nous nous trouvons face à un phénomène qui se situe à l’échelle de la solidarité européenne, et pas au seul niveau franco-italien », commente-t-il.

La France, « pays de transit »

Le président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), Stéphane Maugendre, se méfie des conclusions qui pourraient être tirées de cette note de la PAF. « J’espère qu’il ne s’agira pas de renforcer de nouveau les moyens Frontex », l’agence européenne de lutte contre l’immigration clandestine. « Cet organisme n’a jamais arrêté personne. Il fait prendre aux migrants toujours plus de risques en mer », poursuit-il.

L’entourage du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve confirme à La Croix qu’il y a effectivement un « afflux récent de migrants » en provenance de l’Italie. « Cela explique notamment l’augmentation du nombre de personnes en transit à Calais », commente-t-on.

Sur cette route migratoire, « la France est un pays de transit. D’ailleurs, la demande d’asile a baissé au premier semestre 2014 », poursuit cette même source. L’Allemagne, la Suède ou l’Angleterre figureraient en revanche parmi les destinations privilégiées.

Deux fois plus d’autorisations provisoires que l’an dernier

Contacté, l’Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) confirme l’absence de hausse manifeste des demandes mais cela est probablement une question de temps. Certains migrants seraient de plus en plus nombreux à tenter leur chance en France.

« En juillet, nous avons doublé le nombre d’autorisations provisoires de séjour délivrées en préfecture, par rapport à la même période l’année dernière », constate Véronique Devise, présidente départementale du Secours catholique. « Certains migrants savent qu’ils ne pourront être immédiatement renvoyés aux frontières italiennes. Ils n’hésitent donc plus à s’inscrire chez nous », poursuit-elle.

À Calais, la situation s’est considérablement tendue. La zone portuaire de la ville est devenue le terrain d’affrontements entre groupes de Soudanais et d’Érythréens ces deux derniers jours. Malgré l’envoi d’une quarantaine de CRS en renfort dès dimanche soir, ces heurts ont fait au total près de 70 blessés, dont l’un a dû être héliporté dans un état grave à l’hôpital de Lille, dans la nuit de lundi à mardi.

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Ça ne change pas. L’étranger est suspect

images Céline Rastello,  23/07/2014

L’Intérieur a présenté deux projets de loi concernant le droit d’asile et l’immigration. L’avis de Stéphane Maugendre, président du Gisti et avocat spécialisé en droit des étrangers.

AFP/ Joël Saget
AFP/ Joël Saget

Deux projets de loi concernant le droit d’asile et l’immigration ont été présentés mercredi 23 juillet en Conseil des ministres. Aux manettes, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. La France « doit demeurer » une « terre d’immigration et une terre d’asile », assure-t-il à « Libération », « les pays refermés sur eux-mêmes sont condamnés au déclin ».

Stéphane Maugendre, avocat spécialisé en droit des étrangers et président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), commente les principaux points des projets de loi.

1. Raccourcissement des délais de traitement

L’idée : Ramener de deux ans ou plus à 9 mois en moyenne, en 2017, le délai de traitement des demandes d’asile. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui statue sur le bien fondé des demandes, pourra placer en « procédure accélérée » les dossiers qui lui paraissent abusifs, et qui devront être jugés par un juge unique dans le délai d’un mois.

Stéphane Maugendre : « L’idée est de réduire de façon globale la durée des demandes, mais en instituant un certain nombre de procédures accélérées pour un certain nombre de cas. Et qui dit procédure accélérée dit une étude du dossier, pas forcément en faveur du demandeur d’asile, comme souvent lors de procédures accélérées. Au risque que son dossier ne soit pas étudié de façon sereine et équitable. La collégialité amène le débat. Le juge unique n’est pas une avancée. Plutôt une régression. »

2. Création d’un titre de séjour pluriannuel

L’idée : L’obligation de renouveler son titre de séjour chaque année crée d’interminables files d’attente en préfecture. 99% des demandes de renouvellement étant acceptées, l’Intérieur veut proposer, sous conditions, une carte de séjour allant de deux à quatre ans après le premier titre d’un an.

Stéphane Maugendre : « Quand on regarde dans le détail, tous les étrangers ne seront pas concernés et le nombre de personnes éligibles à cette carte est considéré de façon extrêmement restrictive. Nous avons lancé la campagne ‘Rendez-nous la carte de résident’ qui avait été adoptée à l’unanimité en 1984 et permet aux gens d’être réellement sécurisés dans leur parcours. Pourquoi n’y revient-on pas ? La mesure annoncée est issue d’une proposition du rapport de Matthias Fekl de mai 2013 qui fait un constat accablant sur la carte d’un an (forte précarisation, difficulté à trouver un emploi stable, préoccupation du renouvellement de la carte plus importante que la participation à la vie de la cité…)
Si on veut effectivement sécuriser le parcours des étrangers et augmenter leurs possibilités d’intégration, il faut proposer une carte de 10 ans, et pas de 4.

C’est en outre à l’appréciation du préfet, donc avec un risque d’arbitraire. Cette carte pluriannuelle semble davantage avoir été créée pour désengorger les préfectures et renforcer le pouvoir de contrôle des préfets. »

3. Création d’un « passeport talents »

L’idée : La France attire peu de professionnels qualifiés parmi les 200.000 étrangers hors Union européenne qu’elle accueille légalement chaque année. Le gouvernement propose donc de créer un nouveau titre de séjour, le « passeport talents », valable quatre ans, qui permettra aux profils qualifiés et à certains étudiants de s’installer plus facilement en France.

Stéphane Maugendre : « C’est à la marge. Tellement peu de cartes comme celles-ci sont accordées… »

4. Création de nouveaux droits

L’idée : Permettre aux demandeurs d’asile d’être assistés par un avocat.

Stéphane Maugendre : « Avant, le demandeur d’asile, même s’il pouvait demander conseil à un avocat, n’était pas assisté devant l’Ofpra ou même lors de sa demande d’asile. C’est une bonne chose, mais cela fait partie des retranscriptions communautaires (trois directives européennes). On ne pouvait donc pas faire autrement. »

5. Mise en place d’un « hébergement directif »

L’idée : Imposer aux demandeurs d’asile qui se concentrent actuellement en Ile-de-France d’être répartis sur l’ensemble du territoire. Et de se voir, en cas de refus, supprimer leurs allocations mensuelles (300 euros). Une personne ne pourrait quitter son lieu d’hébergement plus de 48h sans autorisation du préfet. Au risque de voir sa demande close par l’Ofpra.

Stéphane Maugendre : « Les projets de loi parlent de ‘cantonnement’. J’appelle cela une assignation à résidence. En empêchant une personne de quitter son lieu d’hébergement, on l’empêche de se regrouper auprès d’éventuels membres de sa famille, sa communauté ou son parti politique. C’est tout de même une drôle de manière d’appréhender les demandeurs d’asile ! Pas sûr, d’ailleurs, que cela passe d’un point de vue constitutionnel.
Les demandeurs d’asile se trouvent principalement en Ile-de-France car l’Ofpra et la CNDA (Cour nationale du droit d’asile, qui a le rôle d’instance de recours en cas de rejet par l’Ofpra) s’y trouvent aussi.

Parce ce qu’on ne peut pas ‘faire face’ on veut répartir les forces sur toute la France ? Pourquoi ne pas plutôt les concentrer ? »

D’une manière générale, Stéphane Maugendre estime « qu’on est encore une fois dans la continuité des précédentes législations. L’étranger est toujours suspect de quelque chose : d’une fraude, du fait de s’installer où il ne doit pas, de faire trop de recours… Ça ne change pas ». Il s’insurge également contre une autre volonté du gouvernement : celle consistant à réduire les délais de recours des étrangers se voyant refuser leur titre de séjour et se voyant notifier une OQTF (Obligation de quitter le territoire français). « Particulièrement scandaleux » selon le président du Gisti, qui insiste sur la « complexité » de la procédure et les éventuelles difficultés rencontrées pour rassembler les différents documents, trouver un interprète,… Une mesure destinée, selon lui, à « désengorger les juridictions administratives. »

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Mort de migrants en Méditerranée : la cour d’appel de Paris ordonne une enquête

La cour d’appel de Paris a ordonné une enquête sur la mort en Méditerranée de 63 migrants qui fuyaient la Libye en guerre en 2011, un drame dans lequel l’armée française est mise en cause, a-t-on appris jeudi de source proche du dossier.

Deux survivants de cette embarcation de fortune, où 72 personnes avaient pris place pour rallier l’Europe, avaient déposé en juin 2013 à Paris une plainte avec constitution de partie civile pour « non-assistance à personne en danger ».

Soutenus par quatre ONG (Migreurop, FIDH, LDH et Gisti), ils estimaient que plusieurs armées européennes engagées en Libye, et la marine française en particulier, avaient eu connaissance du péril pesant sur leur canot en panne.

Comme l’avait requis en novembre le parquet de Paris, une juge d’instruction avait rendu en décembre une ordonnance de non-lieu ab initio – c’est-à-dire sans avoir entrepris elle-même d’investigations. Elle avait estimé que la responsabilité de l’armée française ne pouvait être retenue, en se fondant notamment sur les résultats de démarches entreprises auprès du ministère de la Défense par le parquet après une première plainte classée en novembre 2012.

Saisie d’un appel des plaignants, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a infirmé mardi cette ordonnance, contre l’avis du parquet général. Elle a jugé « prématuré » d’affirmer qu’aucune charge ne pouvait être retenue contre un quelconque militaire français et renvoyé l’enquête à la juge d’instruction, selon la source proche du dossier.

« C’est une très grande satisfaction, a réagi Me Stéphane Maugendre, avocat des rescapés et du Gisti. Nous voulons comprendre pourquoi le canot a été notamment survolé par un avion militaire et des hélicoptères, mais pas secouru ».

Le 26 mars 2011, peu après le début de la révolte contre l’ex-dictateur libyen Mouammar Kadhafi, 70 migrants africains et deux bébés avaient embarqué à bord d’un fragile canot pneumatique dans l’espoir d’atteindre les côtes européennes. À court de carburant le 28 au matin, le bateau avait dérivé jusqu’à son échouement sur les côtes libyennes à la suite d’une tempête le 10 avril. Seules neuf personnes ont survécu.

Les plaignants affirmaient que pendant les deux semaines de leur dérive cauchemardesque, l’embarcation avait été photographiée par un avion de patrouille français, survolée à deux reprises par un hélicoptère et qu’ils avaient croisé au moins deux bateaux de pêche et plusieurs autres navires, dans une zone que surveillaient des dizaines de bâtiments de plusieurs marines.

Les naufragés étaient également parvenus à l’aide d’un téléphone satellitaire à avertir le responsable d’une association italienne qui avait à son tour alerté les garde-côtes italiens, lesquels avaient relayé l’appel de détresse à l’ensemble des navires circulant dans la zone, mais également au quartier général de l’Otan à Naples (Italie), selon la plainte.

Dans son arrêt, la cour d’appel demande des vérifications pour déterminer notamment la position du navire d’où opérait l’avion qui aurait photographié les migrants, vérifier s’il a réceptionné l’appel de détresse relayé par le centre de coordination et de sauvetage maritime de Rome, et comprendre, le cas échéant, pourquoi il n’a pas porté secours aux naufragés, selon la source proche du dossier.

« Cette décision sonne comme un avertissement adressé à l’Union européenne et à ses États membres qui s’emploient à dresser toutes sortes d’obstacles (…) au franchissement des frontières par des migrants jugés indésirables aussi longtemps qu’ils n’ont pas été « choisis » », ont estimé dans un communiqué les quatre associations.

« L’accumulation de dispositifs aussi coûteux que sophistiqués ne dissuade pas les candidats au départ mais les contraint seulement à recourir à des voies de plus en plus dangereuses pour gagner l’Europe », ajoutent-elles.