Archives de catégorie : droit pénal

Sans-papiers : Chevènement gronde

images fig Christophe Doré et Eric Pelletier, 01/04/1998

Les seize étrangers, soutenus le week-end dernier par des passagers empêchant leur départ, ont été libérés lundi

Toutes les mesures ont été prises « pour identifier les fauteurs de troubles dont je n’ai pas besoin de souligner l’incivisme fondamental », a grondé hier Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, devant l’Assemblée nationale.

Les faits à l’origine de son intervention remontent à ce week-end où des passagers, incités par des tracts d’associations de soutien, ont refusé d’embarquer sur des avions à destination du Mali et du Bénin avec des expulsés à bord. Les avocats des sans-papiers ont mis en avant l’opposition des passagers pour disculper leurs clients de toute opposition personnelle à l’embarquement, ce qui a entraîné leur remise en liberté.

Selon quatre témoignages, les sans-papiers étaient menottés, les jambes et la bouche scotchées, accompagnés de policiers qui les auraient insultés, traités de « sales Noirs » et frappés. Ces étrangers avalent été interpellés pendant l’évacuation des églises Notre- Dame-de-la-Gare et Saint-Jean de Montmartre et avalent été installés à bord avant les passagers.

Plus de 30 000 expulsions

« Ceux qui les soutiennent contribuent à bafouer les lois », a ajouté Jean-Pierre Chevènement, précisant que des délits ont été commis « pas seulement par les distributeurs de tracts, mais aussi par un certain nombre de passagers qui se sont interposés et qui ont empêché le décollage de l’appareil ». Le ministre de l’Intérieur a souhaité leur Inscription au fichier de l’espace Schengen, et leur interdiction de séjour dans les autres pays de l’espace.

Ces menaces ne surprennent pas les militants des collectifs qui s’opposent aux expulsions dans l’aérogare 2-A de Roissy depuis deux semaines.  » Nous avons ouvert une brèche, les centres de rétention sont pleins et le gouvernement ne peut pas organiser des charters sans se discréditer. Alors Chévènement cherche à briser le mouvement avant que notre action n’ait un trop large écho », confie l’un d’entre eux.

Le député Vert, Noël Mamère, est intervenu en leur faveur affirment qu’« on ne peut pas Indéfiniment faire croire que ceux qui sont pour que la gauche soit un peu plus humaine, un peu plus solidaire, un peu plus fraternelle (…) sont des trotskistes ou des serveurs de soupe du Front national ».

Selon nos informations, que le ministère de l’Intérieur a refusé de commenter, près de 400 reconduites à la frontière sont effectuées chaque mois sur des lignes régulières depuis l’aéroport de Roissy. Environ 15 % des sans-papiers s’opposent à l’embarquement. Certains arguent du fait qu’ils ne peuvent pas partir sans bagages. Cette « soustraction à l’exécution d’un arrêté ou d’une mesure de reconduite à la frontière » constitue une infraction dont les auteurs sont systématiquement présentés au parquet de Bobigny (Seine- Saint-Denis) et font l’objet d’une mesure de comparution Immédiate. Ce qui a été le cas pour sept sans-papiers, lundi, exposés à des peines de prison ferme accompagnées d’une nouvelle interdiction du territoire français.

Pour une Journée ordinaire, comme celle de mercredi dernier, treize sans-papiers ont été expulsés depuis Roissy : Maliens mais aussi Roumains ou Égyptiens. « Ces reconduites nécessitent des sauf-conduits, notamment de la part du consulat du Mail. Les obtenir ne va pas sans mal », note un fonctionnaire. Les pilotes, de leur côté, peuvent refuser de décoller s’ils considèrent qu’un mouvement d’humeur à l’Intérieur de l’appareil nuit à la sécurité du vol. Un scénario qui se produit plusieurs fois par semaine.

Dans de telles conditions, les expulsions des 30 053 sans-papiers dont les dossiers ont déjà été rejetés dans le cadre de la circulaire Chevènement – le chiffre ne sera définitif que le 30 avril prochain – risquent d’être particulièrement difficiles. De mai 1995 à février 1997, sous le ministère Debré, seulement 23 000 expulsions ont été réalisées.

Sans-papiers: l’angoisse et l’espoir

 Accueil Emilie Rive, 01/04/1998

Un nouveau départ de trois sans-papiers maliens est annoncé aujourd’hui pour Bamako, mais les douze qui comparaissaient hier après-midi à Bobigny ont été relâchés en attendant leur jugement, en mai et juin prochains. Le ministre de l’Intérieur veut entamer des poursuites contre les militants et les passagers qui ont empêché les « éloignements » du territoire.

CE matin, à 11 heures, Dialla Kanouté, Malle Cimaga et Moukantafé Kanté doivent être réembarqués à Roissy, à la suite du jugement rendu samedi par le tribunal correctionnel de Bobigny, où ils n’avaient pas d’avocat, même commis d’office. Depuis mercredi, ils sont incarcérés au sous-sol aveugle du commissariat de la ville, devenu centre de rétention, en face des détenus de droit commun, sans linge de rechange ni produits de toilette… Ce jour-là, les passagers avaient empêché l’expulsion de ces Maliens arrêtés lors de l’évacuation par les forces de police de l’église Saint-Jean-de-Montmartre. Parmi eux, un jeune homme de vingt-cinq ans, dont les parents sont morts et la seule famille, un cousin, réside à Montreuil (Seine-Saint-Denis).

Ce même tribunal a décidé, hier soir, le report de l’audience de douze autres Maliens, eux aussi arrêtés à Saint-Jean, installés de force dans l’A320 d’Air Afrique pour Bamako et réincarcérés à Bobigny après l’intervention des passagers outrés. Mais, pour la première fois, le report octroyé pour préparer la défense sur la forme et le fond est assorti d’une remise en liberté. Le procès aura lieu les 18 mai et 15 juin, après la date butoir d’application de la circulaire Chevènement sur la régularisation des sans-papiers (30 avril). Selon leur avocat, Me Stéphane Maugendre, des faits troublants ont été évoqués lors de l’audience. De tous les témoignages directs ou indirects, il ressort que ce sont bien les passagers qui ont protesté sur les conditions indignes dans lesquelles allait s’effectuer le voyage: assis à l’arrière de l’avion, cachés derrière un rideau, menottés, ceinturés par une ficelle de la poitrine aux chevilles, encadrés par 23 policiers qui entreprenaient de leur mettre des bâillons, les expulsés criaient de peur d’être étouffés. L’interrogatoire du procureur de la République a établi que tous avaient accepté de partir.

Or un rapport du commissaire de la 12e section des renseignements généraux de Paris insiste au contraire sur des incitations à la révolte, « des coups portés avec le corps », des insultes, des menaces. Tout comme il fait état d’un refus de quitter l’église, le 18 mars, malgré les sommations, quand tous les observateurs avaient noté le calme absolu dans lequel s’étaient déroulés les événements. En outre, ce commissaire stigmatise des actes de « rébellion généralisée » de « groupuscules d’extrême gauche » dans l’aérogare, alors que les quelques personnes présentes distribuaient des tracts aux voyageurs. La version du commissaire fait bonne mesure avec les contrôles d’identité systématiques des militants des associations, et aussi avec un volet du projet de loi Chevènement sur l’immigration, qui prévoit de restreindre les organisations autorisées à s’intéresser au problème…

Le soutien aux sans-papiers

Hier, à l’Assemblée nationale, le ministre s’en est pris à « l’incivisme fondamental » de « fauteurs de troubles », membres selon lui d’une « organisation trotskiste d’origine britannique ». Il a ajouté: « Ceux qui les soutiennent contribuent à bafouer les lois, à la perte de repères dont la République a besoin pour faire front contre l’extrême droite. » Selon lui, des délits ont été commis « pas seulement par les distributeurs de tracts, mais par un certain nombre de passagers… » Devant la contestation de certaines expulsions et des méthodes employées, le ministre est allé jusqu’à souhaiter l’inscription de ces personnes au fichier de l’espace de Schengen et l’interdiction de séjour dans les autres pays de l’espace…

La solidarité en tout cas avec les sans-papiers menacés d’expulsion ne se dément pas. Aujourd’hui, Albert Jacquard, généticien des populations et militant des causes humanitaires, sera, à midi quinze, à la cathédrale d’Evry pour apporter son soutien aux sans-papiers de l’Essonne. A l’église Saint-Paul de Nanterre, c’est Jacqueline Fraysse, député-maire communiste de la ville, qui a annoncé qu’elle procéderait à un nouveau parrainage de sans-papiers, le 8 avril prochain.

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Sans-papiers: l’urgence d’une solution humaine

 Accueil,  Emilie Rive, 31/03/1998

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Le mouvement de solidarité aux sans-papiers est revivifié par les interventions de passagers des vols d’Air Afrique, alors que se rapproche la date limite des régularisations. Le PCF demande une entrevue au ministre de l’Intérieur.

EN fin de journée hier, le tribunal correctionnel de Bobigny devait se prononcer sur le sort de 12 Maliens dont les passagers d’un vol d’Air Afrique pour Bamako avaient empêché l’expulsion samedi. Ils avaient été arrêtés lors de l’évacuation par les forces de police des églises Notre-Dame-de-la-Gare et Saint-Jean-de-Montmartre, à Paris, et conduits au centre de rétention de Vincennes. Me Maugendre, l’un de leurs avocats, demandait pour tous le report du jugement. Il remarquait que les dossiers instruits comportaient des questions « bizarres »: « On a fait dire aux gens qu’ils n’ont pas subi de violences policières. Comme si on se protégeait à l’avance contre toute poursuite. Il n’y a pas eu de procès-verbal d’interpellation sur le refus d’embarquement, alors que onze des sans-papiers avaient clairement exprimé leur opposition à la procédure » (le douzième, drogué, bâillonné et menotté, ne pouvait pas s’exprimer). « Il y a des dossiers qui seraient a priori régularisables selon la loi Chevènement, poursuivait l’avocat, leur titulaires ayant travaillé dix, douze ans en France, sans interdiction de territoire ni casier judiciaire pour d’autres faits. »Samedi, à Roissy, des associations de soutien aux sans-papiers distribuaient des tracts aux passagers des vols africains, les engageant à protester auprès des h »tesses et du commandant de bord. Didier raconte: « Les CRS se sont mis à trois, parfois à cinq, pour faire monter les douze sans-papiers un par un. Le bus des passagers est arrivé un quart d’heure seulement avant l’heure d’envol. Ils sont montés, puis descendus après avoir discuté avec le commandant de bord. Les sans-papiers ont été ensuite redescendus et les passagers sont partis avec plus de trois heures de retard. »Une avancée positiveDepuis hier, les sans-papiers des Hauts-de-Seine occupent l’église de Nanterre, comme leurs collègues du Havre, en Seine-Maritime, l’église Saint-Pierre, et ceux de Créteil, en Val-de-Marne, et d’Evry, dans l’Essonne, les deux cathédrales. Ces derniers ont obtenu, samedi, du directeur de cabinet du préfet de l’Essonne une rencontre, le 5 avril, avec les services de la réglementation afin de trouver une méthode de travail commune aux deux parties pour examiner les dossiers en litige. C’est la première ouverture de ce type depuis le début du conflit. La coordination voit là une avancée positive, mais reste vigilante.

Il faut dire que le temps presse. Le 30 avril est la date butoir de la circulaire Chevènement. Les 150.000 sans-papiers qui se sont fait connaître et dont la situation ne sera pas régularisée à cette date seront alors expulsables. La majeure partie des cas aujourd’hui réglés sont ceux des gens pouvant faire état d’attaches familiales en France. Sont donc plus particulièrement concernés les ressortissants algériens, marocains et chinois. En revanche, les communautés d’Afrique noire, et surtout les Maliens et les Sénégalais, souvent célibataires, ont essuyé le maximum de refus. Les préfectures, dans leur cas, font jouer les accords… franco-algériens! Ce qui prouve bien que l’examen des dossiers a été effectué sans aucun sérieux, comme si un quota de régularisations avait été fixé arbitrairement, quelles que soient les situations réelles. Les recours administratifs déposés ne sont pas suspensifs, alors que les procédures peuvent durer jusqu’à quatre mois. Il semble que, si les choix du ministère de l’Intérieur ne changent pas, ce seront plusieurs milliers de sans-papiers qui seront finalement refusés parce que la circulaire Chevènement, déjà très restrictive, n’est même pas appliquée correctement.

Pour sa part, le Parti communiste français s’est adressé par lettre à Jean-Pierre Chevènement, le 24 mars, à qui il demande une rencontre. Il regrette « l’application très restrictive des critères de la circulaire » et souligne que « la régularisation fait apparaître de très grandes lacunes », en s’indignant de « la recrudescence des controles au faciès, d’arrestations massives, de mises en centre de rétention et d’expulsions musclées du territoire ».

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Des passagers bloquent des charters pour Bamako.

 logo-liberation-311x113 Nidam Abdi

Samedi et hier, des expulsions de sans-papiers ont échoué à Roissy.

A l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, la solidarité des passagers a empêché samedi et dimanche le rapatriement forcé de sans papiers Maliens. Deux vols à destination de l’Afrique de l’Ouest ont été annulés grâce à l’intervention des passagers. Samedi matin, alertés sur l’imminence d’un «charter» à destination de Bamako (Mali), une quinzaine de militants d’associations de défense des sans-papiers se sont présentés à l’aérogare 1. Munis de tracts, ils ont commencé à discuter avec les passagers du vol Air Afrique de 15h30. Ils leur ont donné les noms de douze personnes qui devaient être embarquées dans le même avion qu’eux.

«A 90% d’origine malienne, il y a ceux des voyageurs qui se refusent à s’impliquer, souvent des hommes d’affaires ou des cadres, mais les immigrés maliens, qui rentrent visiter leur famille, restent sensibles à cette situation», explique un militant de l’association Jeunes contre le racisme en Europe (JRE). «Les sans-papiers, souvent âgés de 20 à 30 ans, fréquentent les mêmes centres d’hébergement que leurs défenseurs, et une solidarité de foyer a joué énormément pour cette mobilisation», ajoute ce militant qui précise: «Reste qu’il ne faut pas sous-estimer l’attitude des touristes français qui, souvent, réagissent eux aussi contre les expulsions.»

A l’heure d’embarquer dans l’avion, près de la moitié des passagers ont refusé que l’avion décolle avec les douze expulsés. Ils ont demandé l’intervention du commandant de bord. La compagnie Air Afrique, «après avoir menacé d’annuler le vol», selon un voyageur joint à Bamako samedi soir, a fait débarquer les passagers contestataires, suivis des douze sans-papiers, avant que les premiers ne reprennent leur place. L’avion a décollé avec trois heures de retard.

Dimanche matin, un autre vol pour la même ville a été affecté par un mouvement identique, obligeant l’appareil à s’envoler sans les expulsables. La plupart des personnes concernées avaient été interpellées lors de l’évacuation à Paris, les 16 et 18 mars, des églises Notre-Dame-de-la-Gare (XIIIe arrondissement) et Saint-Jean-de-Montmartre (XIe) qu’ils avaient occupées. Dimanche, une nouvelle église, Saint-Paul de Nanterre, a été investie par des sans-papiers et des militants du collectif des Hauts-de-Seine.

Du Mali à Nouméa, même émotion: lors de leur dernière réunion, certains des membres de la Commission nationale consultative des droits de l’homme ont fait part de leur émotion, voire de leur colère, à propos de la tentative d’embarquement forcée des 110 boat people à Nouméa. Les membres de la commission se sont mis d’accord pour adresser au Premier ministre un courrier qu’il doit recevoir ce matin. Rédigée en termes très diplomatiques, cette lettre avertit que la commission suivra de très près la façon dont le gouvernement gérera ce dossier dans les semaines à venir.

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Ambiance d’espoir dans les prétoires

logo-liberation-311x113  B.Bantman , H.Beaudouin et B.Fromentin , 12/06/1997

Lyon, Paris: la justice examinait hier deux cas de sans-papiers.

La gauche régularise, les procès continuent. Deux audiences qui se sont déroulées hier, l’une à Paris devant la cour d’appel, l’autre au tribunal administratif de Lyon donnent un avant-goût des difficultés de la méthode choisie par le gouvernement: la régularisation «au cas par cas». Au risque de l’arbitraire.

Paris, 14 heures, 10e chambre de la cour d’appel. Chinois, Africains, militants et sympathisants emplissent la minuscule salle d’audience où comparaît El Hadj Momar Diop, un Sénégalais arrêté pendant une manifestation au Stade de France à Saint-Denis le 14 mai. Au lendemain de l’annonce de la régularisation prochaine de milliers de sans-papiers, tous veulent voir si les juges seront sensibles au climat de clémence ambiante. Procès test: Diop, en France depuis vingt-trois ans et père d’une petite fille née en France, entre désormais dans la catégorie des «régularisables». Momar Diop a été condamné en première instance à Bobigny à quatre mois de prison pour séjour irrégulier et violence à agent, alors qu’une cassette vidéo tournée pendant la manifestation montre que c’est au contraire lui qui a été frappé (Libération du 26 mai). Le juge avait demandé son maintien en détention, décision attaquée hier par les avocats, avant que la cour d’appel ne tranche sur le fond du jugement le 7 juillet.

L’Intransigeance de Madjiguène Cissé.

En prison, Momar Diop n’est pas abandonné. Un député européen, des cinéastes ont alimenté son compte en banque, et un universitaire s’est engagé à l’héberger. Ils seront déçus, comme tous ceux qui attendaient de la justice un signe de détente: Momar Diop restera en prison. Dans les couloirs, les petits groupes de sans-papiers parlent régularisation. Les discussions sont pratiques parfois, politiques le plus souvent. Dois-je prendre un avocat? «Comment faire passer mon dossier?» demande une femme. Peut-on croire la gauche? Comment faire confiance aux préfectures? Madjiguène Cissé, porte-parole de Saint-Bernard, est la plus intransigeante. «Vous verrez quand les sans-papiers iront dans les préfectures pour se faire régulariser et se retrouveront avec des menottes aux poignets», prévient-elle. Beaucoup sont d’accord avec elle. Mais nombreux sont aussi ceux qui disent qu’il faut s’engouffrer dans la brèche ouverte par la gauche. D’autres se désolent que les deux porte-parole historiques des sans-papiers, elle et Ababacar Diop, ne soient plus sur la même ligne. Quand on lui dit qu’il faut se féliciter et aller plus loin, elle refuse le compromis. D’autres, enfin, tentent de réconcilier les deux bords. «D’accord sur le fond, dit l’avocate Dominique Noguères. Les imprécisions sont inquiétantes. Mais il faut rester diplomate. »

Résident depuis trente ans.

Quelques heures plus tôt, à 450 kilomètres de là, le tribunal administratif de Lyon examinait la situation de Saadi Aït-Hellal, qu’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière doit renvoyer en Algérie. Fils de mineur, Saadi, 41 ans, a un accent ardéchois prononcé et la nationalité algérienne. Hier, il est arrivé par car de Largentière (Ardèche) avec son épouse et leurs enfants, sans oublier une cinquantaine de jeunes, retraités, profs et militants d’associations des droits de l’homme. Le 26 avril, les mêmes avaient manifesté devant la préfecture de l’Ardèche sous une pancarte: «Saadi n’est pas un clando. » Deux jours plus tard, le 28 avril, Saadi Aït-Hellal obtenait un sursis à exécution, le temps que le tribunal administratif puisse se pencher sur son cas. Saadi vit en France depuis trente ans, mais il retourne régulièrement dans sa Kabylie natale. «J’ai longtemps pensé qu’aller de l’Ardèche à l’Algérie, c’était pas plus compliqué que d’aller de l’Ardèche à Lyon», dit-il. Son père, aujourd’hui âgé de 80 ans, était arrivé dans le Nord en 1947 pour travailler dans les mines. De là, il était parti en 1966 à Largentière, où l’on embauchait des mineurs expérimentés. Il fait alors venir d’Algérie sa femme et ses cinq enfants.

Saadi a alors 8 ans. Il fait ses études secondaires, décroche deux CAP, puis des boulots. Depuis 1982, il est titulaire d’une carte de séjour de dix ans, qu’il affirme avoir perdue au début de l’année 1992. Immobilisé trois mois en Algérie l’été dernier, il rentre en France avec son passeport algérien. Et il est interpellé au guichet de la préfecture de l’Ardèche où il tentait d’obtenir le renouvellement de son titre de 1982. Est-ce le signe que le message lancé mardi de Matignon sur les régularisations «au cas par cas» a mieux été reçu à Lyon qu’à Paris? Hier, le commissaire du gouvernement a souligné les inconséquences de la préfecture de l’Ardèche, «ou la notion de fraude est invoquée trop fréquemment dans ce type de dossier». Le tribunal administratif lyonnais s’est donné trois semaines pour rendre sa décision qui, selon le représentant de l’État, pourrait «faire un pas par rapport à la jurisprudence en vigueur».

«Bienveillance inattendue».

Enfin, pour Agnès Kinge Gin, jeune Camerounaise élève de terminale dans un lycée professionnel de Roubaix, ce pas semble déjà avoir été franchi. Menacée d’expulsion à quelques jours des premières épreuves du baccalauréat (Libération du 28 mai), elle a dès jeudi dernier obtenu l’assurance de pouvoir au moins passer l’examen. «L’arrêté de reconduite à la frontière ne sera pas exécuté», a promis le préfet du Nord. «On peut considérer que le nouveau contexte politique n’y est pour rien, ironise un professeur qui, avec ses collègues, s’est démené pour que la jeune lycéenne ne soit pas expulsée. Mais on a cru percevoir une bienveillance inattendue auprès de la préfecture. » Le matin même, Lionel Jospin présentait ses ministres au président de la République.

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Des images pour sauver Diop

AVT_Telerama_6680 Sophie Cachon, 04/06/1997

« Les policiers ont à respecter la loi républicaine. Ils ne l’ont pas fait, des images vidéo le prouvent », dit maître Maugendre, avocat de El Hadj Momar Diop, sans- papiers d’origine sénégalaise (à ne pas confondre avec Ababacar Diop, porte-parole des sans-papiers), jugé et condamné le 16 mai dernier à quatre mois de prison ferme et dix ans d’interdiction du territoire.

C’est lors d’une manifestation des sans-papiers au Stade de France, le 14 mai, que El Hadj Momar Diop a été interpellé. Deux versions des faits s’opposent : le sans-papiers dit avoir été frappé par les policiers, qui eux, affirment le contraire. Or, ce jour-là, les médias étaient présents. L’altercation entre les manifestants et la police a été enregistrée par au moins quatre caméras.

Jugé deux jours plus tard, Momar Diop a été reconnu coupable (coups et blessures, rébellion, séjour irrégulier) et condamné malgré des zones d’ombre dans les déclarations des policiers et des convergences évidentes dans celles des témoins. Car les preuves vidéo n’étaient pas là : quand on juge quel¬qu’un deux jours après les faits (en comparution im¬médiate), il n’est pas facile de récolter les documents (photos, cassettes), souvent dispersés dans la confusion, ou confisqués par la police. Momar Diop, qui a fait appel, est détenu à Fleury-Mérogis. «J’ai en ma possession une cassette vidéo qui montre que les violences policières sont patentes, et j’en attends une seconde», déclare l’avocat. Les sans-papiers, eux, lancent un appel pour la libération de Momar Diop. Le poids des images pèsera-t-il dans la balance d’une justice peut-être trop expéditive ?

Appel pour la libération de El Hadj Momar Diop.

Image_3_reasonably_small-du_400x400 04/06/1997

Nous soussignés .

Indignés par la violence exercés contre El Hadj Momar Diop et les insultes racistes qu’il a dû subir, alors qu’il manifestait pacifiquement, le mercredi 14 mai 1997, devant le grand Stade de France pour la régularisation des sans-papiers,

Scandalisés par la condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de Bobigny le 16 mai, et qui l’envoie en prison pour 4 mois, avec interdiction du territoire français pour 10 ans,

Nous demandons la libération immédiate de El Hadj Momar Diop et sa régularisation.

Pour que la justice ne devienne pas une annexe du ministère de l’Intérieur.

Quand la justice s’éveillera.

arton7300 Frédéric Pagès, 28/05/1997

Paquebot de béton et de verre, le palais de justice de Bobigny (Seine-Saint-Denis) est surchauffé ce vendredi après-midi. En comparution immédiate, la 17e chambre juge Momar Diop, membre du collectif des sans-papiers.

Extrait : MALGRÉ l’ambiance électrique, un des juges assesseurs roupille, paupières closes et bouche ouverte. Dans le box, Momar Diop, citoyen sénégalais, explique qu’il s’est fait tabasser par l’officier de police Fattore lors d’une manifestation de sans-papiers au Stade de France, à Saint-Denis. Mais les policiers ont une autre version : « L’accusé s’est blessé lui-même en se jetant contre la portière de notre voiture » (1). Pour un peu, on poursuivrait Diop pour dégradation de matériel… Après une délibération d’une demi-heure, le président Lévy revient avec ses deux assesseurs pour annoncer le verdict : « Quatre mois de prison ferme et 10 ans d’interdiction du territoire. » Soudain, le juge dormeur se réveille et tire le président par la manche. Conciliabules embarrassés.., « Six mois de prison » rectifie le président. Les avocats de la défense bondissent : « La sentence prononcée en premier est la seule légale ». Et c’est ainsi que Diop décroche un rabais de deux mois de taule… Mais la peine reste lourde, et dans la salle les amis des sans-papiers sont furieux : « Tribunal raciste! », hurlent-ils.

« Saisissez-vous de ces personnes. Elles seront poursuivies pour insulte à magistrat! », crie le président Lévy aux policiers.

Bousculade…Une voix dans le public apostrophe l’assesseur hibernateur : « Vous avez dormi tout le temps et vous osez condamner un homme ! »

La salle évacuée, le tribunal retrouve son allure de croisière, sans contestataires, avec seulement dix personnes dans les travées du public. ….

(1) Tournées durant cette manifestation, des bandes vidéo mon­trent des manifestants pacifiques et des forces de l’ordre très énervées, en particulier contre les porteurs de caméras. Un photographe de l’AP a été molesté.

Le DAL et les sans-papiers manifestent, la police matraque.

logo-liberation-311x113  B. Bantman et D. Simonnot

Quatre cassettes accablantes ont été tournées les 14 et 18 mai. Elles montrent les provocations des forces de l’ordre.

La police prise en flagrant délit de mensonge par des images vidéo?

Le visionnage de cassettes vidéo risque d’entraîner une volte-face judiciaire. L’une a été tournée le 14 mai, lors de la dispersion des sans-papiers venus manifester devant le Stade de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Trois autres lors de l’évacuation, le 18 mai à Paris, d’un immeuble du Crédit Lyonnais occupé par des militants de Droit au logement. Dans les deux cas, les cassettes récusent sans ambiguïté les dires des policiers, qui ont justifié le caractère musclé de ces interventions par des provocations des manifestants.

Traîné à terre et roué de coups. Dans le premier cas, le sort d’un Africain sans papiers est en jeu. Le 18 mai, quatre jours après la manifestation, El Hadj Momar Diop a été condamné à quatre mois de prison ferme et dix ans d’interdiction du territoire pour violence à agent par le tribunal correctionnel de Bobigny. A son procès, Momar Diop a nié l’accusation, affirmant au contraire avoir été victime de violences policières. Plusieurs témoins ont confirmé ses dires, assurant avoir vu l’Africain poussé vers une voiture de police, traîné à terre et roué de coups. Mais les policiers entendus ont fait bloc pour se poser en victimes. L’un d’entre eux, Mario Fattore, a affirmé avoir reçu un coup de poing au visage «d’un individu de race noire» puis un coup de tête qui lui a blessé le nez et l’arcade sourcilière. Une déclaration en partie infirmée à l’audience par un certificat médical faisant bien état d’une déviation de la cloison nasale, mais précisant que le traumatisme est ancien. Cela n’a pas empêché le tribunal de condamner Momar Diop. Arrivé du Sénégal il y a plus de vingt ans, il a fait des études d’anglais en France et pourrait faire partie des immigrés dont la loi Debré prévoit la régularisation, selon son avocat Stéphane Maugendre. L’Inspection générale des services (la police des polices) a été saisie. Elle devrait disposer d’un élément édifiant avec les images tournées par un homme qui préfère rester anonyme, se souvenant peut-être du sort réservé à un photographe de l’agence Associated Press qui, sur le stade, s’est fait confisquer sa pellicule par la police. Plainte pour faux témoignage. L’homme a filmé l’interpellation de Momar Diop alors qu’il quittait tranquillement le lieu de la manifestation. Sa cassette montre Mario Fattore l’agrippant par le bras. L’Africain ne bronche pas. On le voit seulement tenter de se dégager, sans violence, tandis qu’un policier tente de détourner l’objectif de la caméra. Finalement, on voit le sans-papiers projeté à terre par les forces de l’ordre, en accord avec les déclarations de plusieurs témoins qui ont vu Momar Diop recevoir une pluie de coups. Une plainte pour faux témoignage devrait donc être déposée cette semaine.

Dans le cas des militants de Droit au logement, trois cassettes vidéo, l’une d’un amateur et deux de France 2, contredisent la version policière donnée le 18 mai, après l’occupation par le Dal d’un immeuble du Crédit Lyonnais, dans le XVIe arrondissement. Au soir de l’évacuation, trois personnes ont été mises en examen pour «rébellion en réunion, avec arme». En l’occurrence, une hampe de drapeau avec laquelle les trois manifestants auraient chargé les CRS. Or les films montrent, au contraire et très clairement, la violence de l’intervention des policiers, sans qu’à aucun moment n’apparaisse la hampe. On voit d’abord les familles et les militants se presser vers l’entrée de l’immeuble. Garé devant les grilles, le camion loué par Emmaüs déverse des sacs de couchage et des matelas qu’on se passe de main en main. Quelqu’un crie «du calme, ne vous bousculez pas!». Puis «vite, rentrez, ils arrivent!». Les grilles se referment. Reste à l’extérieur une petite centaine de manifestants. Aux policiers, ils montrent leurs mains nues, avancent les paumes en l’air, tentent de repousser la charge. Boucliers en avant, matraques levées, les policiers cognent. Un homme est traîné, à terre, battu par trois CRS. «Au secours!», crie une femme. L’homme est emmené. Il sera l’un des trois mis en examen. «Honte à eux.» Dans un coin, le long de l’immeuble, un jeune homme est menotté et maintenu contre le mur par deux policiers. Il vacille sur ses jambes, tourne son visage. Il est en sang et hurle. De douleur ou de peur? Il est embarqué, tombe. On voit un policier en civil intervenir, calmer ses collègues et même les engueuler. Une dizaine de CRS l’entourent, masquant la scène à la caméra. «Honte à eux!», crient les manifestants. Le jeune homme, embarqué, sera le deuxième mis en examen.

Hier, Me François Breteau, avocat du Dal, annonçait qu’il allait verser ces trois films au dossier de Marie-Paule Moracchini, la juge d’instruction chargée de l’affaire. «Nous allons d’abord demander un non-lieu et ensuite porter plainte pour dénonciation calomnieuse et faux témoignages», dit l’avocat. Ces films ne font que confirmer ce que tout observateur présent sur les lieux avait pu constater.

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Des images vidéo attestent des violences policières contre les sans-papiers et le DAL

index, N. Herzberg et L. Riberolles, 25/05/1997

Extrait : Les cassettes contredisent les versions données par les forces de l’ordre . Deux cassettes vidéo tournées la semaine dernière, lors de la dispersion des sans-papiers qui manifestaient devant le Stade de France, à Saint-Denis, et lors de l’évacuation d’un immeuble parisien occupé par des militants de Droit au logement, prouvent que des violences ont été commises par les policiers. Ces images contredisent la version des forces de l’ordre, qui accusaient les manifestants de provocations.

LES ACCUSATIONS de violences policières portées la semaine dernière par plusieurs associations viennent de gagner un sérieux crédit (Le Monde du 23 mai). Deux cassettes vidéo confirment en effet que, lors de la dispersion des sans-papiers qui manifestaient devant le Stade de France, à Saint-Denis, mercredi 14 mai, comme au cours de l’évacuation d’un immeuble du Crédit lyonnais occupé par des militants de Droit au logement (DAL) place d’Iéna, dans le 16e arrondissement de Paris, la version des forces de l’ordre n’est pas conforme à la réalité. Ces images, que nous avons pu visionner, remettent en question les plaintes des policiers consignées sur procès-verbaux ou leurs témoignages devant le tribunal.

Tourné par une personne qui souhaite pour l’heure garder l’anonymat, le film, réalisé devant le Stade de France lors de la manifestation des sans-papiers, présente les premiers instants de l’opération policière. On y voit les unités de sécurité publique se munir de leur tenue d’intervention avant de s’approcher des manifestants, sous l’oeil du commissaire qui a ordonné l’évacuation. Plusieurs policiers en civil des brigades anti-criminalité (BAC) de Seine-Saint-Denis les accompagnent. Un groupe de manifestants, au milieu desquels se trouvent des enfants, quitte paisiblement les lieux à la demande des policiers, qui canalisent leur départ.

Alors qu’un Africain de grande taille El Hadj Moumar Diop passe près de lui sans le toucher, un policier le pousse sans ménagement avec un tonfa, un bâton de maintien de l’ordre d’origine japonaise utilisé dans la police française. Ce geste que rien ne semble justifier apparaît comme une provocation. Le policier attrape alors El Hadj Moumar Diop par le bras, puis se tourne de façon menaçante vers la caméra afin d’empêcher la personne qui a saisi la scène de continuer à filmer. L’image revient. Le policier tient à nouveau par le bras Moumar Diop, qui essaie de se dégager en douceur. Il l’attrape à nouveau, aidé par…

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