Archives de catégorie : droit des étrangers

Le sourire retrouvé

Dans la salle, il se fond parmi les spectateurs, installe sa sœur à une bonne place, vole d’un ami à un autre. Puis, bonnet vissé sur la tête, il s’enfonce dans son fauteuil, avec un sourire aux lèvres qui semble impossible à effacer. Lundi dernier, on projetait au Forum des images On n’est pas des marques de vélo !, le film de Jean-Pierre Thorn dont Bouda est le héros. Devant l’écran, Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme, lit au public une lettre du ministère de l’Intérieur, datée du 16 janvier. Il annonce que Bouda, danseur hip-hop, victime de la double peine, est finalement assigné à résidence, et ne sera pas expulsé. Des acclamations ferventes saluent la nouvelle. Etienne Pinte, député UMP pourfendeur de la double peine au sein de la majorité, applaudit lui aussi. Bouda se lève, et salue, les bras en l’air. «On ne va pas bouder notre plaisir, continue Michel Tubiana, mais Bouda n’est qu’un arbre dans une forêt : il y a des milliers de personnes dans sa situation qui attendent.»

Né en Tunisie, il y a trente ans sous le nom d’Ahmed M’Hemdi, il s’est fait connaître sous celui de Bouda (Libération du 23 janvier) et a grandi à Dugny (Seine-Saint-Denis). Il est bébé quand il arrive en France, pour rejoindre avec ses frères et sœurs un père installé ici dans les années 50, et aujourd’hui français. Dès l’âge de 12 ans, il danse. Il n’aime pas l’école. N’y va pas. «C’était une perte de temps.» Préfère les contorsions et les assouplissements. Dans les années 80, il est souvent sur les plateaux de l’émission de Sidney H.I.P. H.O.P, qui fait découvrir la breakdance au grand public.

Il fume des joints, deale. Se fait prendre et condamner plusieurs fois. En 1994, il écope de quatre ans d’emprisonnement et de cinq ans d’interdiction du territoire français. «Il a le casier type du toxico», estime son avocat, Me Stéphane Maugendre. Le 13 janvier 1997, à sa sortie de prison, il est expulsé vers sa Tunisie natale où il passe près de neuf mois avant de craquer et de rejoindre clandestinement la France. Il reste isolé quelque temps avant de renouer avec la danse et le milieu hip-hop. Il retrouve la scène, lors de concerts de NTM ou du Secteur Ä, jusqu’à se faire repérer par Jean-Pierre Thorn, en quête de danseurs pour une comédie musicale. Mais, alors que les cinq ans d’interdiction du territoire se sont écoulés, Bouda est toujours sous le coup d’une expulsion, confirmée par un arrêté ministériel. Jean-Pierre Thorn se démène, quelques figures du hip-hop se mobilisent comme Kool Shen, cofondateur de NTM avec Joey Starr, qui en fait «une affaire personnelle», ou Sidney. Le maire vert du IIe arrondissement de Paris l’accueille pour une conférence de presse. Jack Lang écrit à Daniel Vaillant, installé place Beauvau.

Mais en 2001, le ministère de l’Intérieur considère que «son expulsion constitue toujours une nécessité impérieuse pour la sécurité publique». A l’automne dernier, au meeting contre la double peine au Zénith, Bouda, devenu un symbole, vient se montrer. A l’époque, en coulisse, à l’évocation d’une éventuelle assignation à résidence, il répondait : «Je ne crois que ce que je vois.».

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« Ils viennent toujours chercher des filles au tribunal »

 J.C. , 01/02/2003

(LP Archives, P. Le pouliquet)
(LP Archives, P. Le pouliquet)

STÉPHANE MAUGENDRE défend les intérêts du Gisti (Groupe d’information et de soutien aux étrangers), dépositaire de la plainte à la suite de laquelle une enquête avait été ouverte sur ce réseau de prostitution. Aujourd’hui, il défend les intérêts de l’association sur les bancs de la partie civile.

« Nous ne demandons pas de dommages et intérêts contre les prévenus. Notre objectif est plus large», explique Stéphane Maugendre.

Le Gisti plaide en faveur d’un véritable plan d’action pour les mineurs étrangers lorsqu’ils débarquent à l’aéroport de Roissy sans papier. « On leur applique d’abord le droit des étrangers, ils sont placés en zone d’attente avec des menottes et conduits devant un juge. Nous pensons qu’il faut d’abord les traiter comme des mineurs en danger, soutient l’avocat. Chaque année, 60 % des mineurs étrangers fuient les foyers de l’aide sociale à l’enfance dégoûtés par le parcours judiciaire qu’on leur impose. »

L’avocat du Gisti affirme que le trafic de jeunes filles africaines destinées à la prostitution n’a malheureusement pas été stoppé lors de l’arrestation des acteurs de ce réseau. « Les observateurs affirment qu’aujourd’hui d’autres proxénètes viennent toujours chercher des filles au tribunal de Bobigny », confie Stéphane Maugendre.

Selon le Gisti, sur un millier de filles mineures qui débarquent chaque année sans papier à Roissy, des centaines se retrouvent encore sur les trottoirs des boulevards des maréchaux à Paris.

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Neuf proxénètes africains a la barre

logoParisien-292x75 Julien Constant ,01/02/2003

(Le parisien, Julien Constant)
(Le parisien, Julien Constant)

NEUF MEMBRES d’un réseau international de prostitution comparaissent ce matin devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Ce réseau recrutait des jeunes femmes en Afrique de l’Ouest avant de les récupérer au tribunal de Bobigny à la sortie des audiences statuant sur l’entrée en France des étrangers. Ce procès sera marqué par l’absence d’Edith Erhunmwunse, pièce maîtresse du trafic. Cette Nigériane de 25 ans aurait pris la fuite dans le nord de l’Europe. Ses complices, tous originaires de pays anglophones d’Afrique de l’Ouest, installés dans la Seine-Saint-Denis, (ans le Val-d’Oise et à Paris, comparaissent pour proxénétisme et complicité de proxénétisme.
Recrutées au Nigeria

En mai 2001, le groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), dépose plainte auprès du doyen des juges d’instruction de Bobigny : plus de cinquante jeunes filles ont disparu des foyers de l’aide sociale à l’enfance de la Seine-Saint-Denis. A la même période à Paris, les trottoirs des boulevards des maréchaux commencent à être envahis de jeunes prostituées africaines.

L’enquête prend un tour décisif le 25 novembre 2001 lorsqu’une Nigériane, Grâce Williams, et deux Sierra-Léonaises, Rose Sako, dite « Queen », et Victoria Brown, âgées de 20 à 25 ans, toutes trois prostituées, décrivent leur calvaire aux hommes de la brigade de répression du proxénétisme de Paris.

Elles ont suivi le même chemin, qui les a menées de l’Afrique à la porte de Vincennes, à Pa-ris, après un détour par le tribunal de Bobigny. Recrutées à Lagos (Nigeria), les trois jeunes femmes, obligées de se prostituer tous les soirs, battues dès que leur rendement baissait et quotidiennement menacées de mort, devaient rembourser le prix de leur voyage, estimé à 50 000 $ (environ 50 000 €). Rose, arrivée en septembre 2001, avait déjà remboursé 24 000 $ (environ 24 000 €).

Le 26 novembre 2001, Herod Opuku, un Ghanéen de 42 ans, et sa femme, Joye, âgée de 32 ans, qui hébergeaient les filles à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise), sont interpellés. Herod reconnaît que les jeunes filles vivaient chez lui. « Nous avons rencontré Edith et Aaron Kodua, son petit ami ghanéen, dans une église pentecôtiste de Sarcelles. Elle m’a demandé d’héberger ses cousines. Je ne savais pas qu’elles se prostituaient Lorsque je l’ai découvert nous étions en conflit et elles nous ont ensuite accusés de les exploiter se défend Joye, libérée après quatre mois de détention. Aaron Kodua et Benjamin Imarhiagbe, le dernier compagnon d’Edith, agé de 25 ans, seront interpellés un peu plus tard et incarcérés pour leur rôle majeur dans le trafic et l’organisation de la prostitution. L’enquête a pu établir qu’a moins douze jeunes filles étaient passées en les mains de ces proxénètes.

Information judiciaire sur la mort d’un Somalien

images fig Delphine Moreau, 23/01/2003

Les trois policiers chargés de l’escorte de Mariame Getu Hagos, le sans-papiers mort après avoir fait un malaise lors d’une procédure d’expulsion à l’aéroport, de Roissy, ont été suspendus par Nicolas Sarkozy. « Il s’agit d’une mesure conservatoire qui ne préjuge en rein la suite d’une procédure dorénavant confiée à la justice » précise le ministère de l’Intérieur dans un communiqué.

Arrivé le 11 janvier à l’aéroport Charles-de-Gaulle, ce Somalien de 24 ans, dont la demande d’asile avait été refusée, devait être expulsé le 16 sur un vol à destination de Johannesburg. Accompagné à l’arrière de l’avion par trois agents de la police aux frontières (PAF), le jeune homme a tenté de se rebeller, obligeant les fonctionnaires à le maîtriser, disent-ils, avec les « techniques habituelles ».

Victime d’un malaise, Mariame Gëtu Hagos est mort deux jours plus tard. Mardi, le parquet de Bobigny a ouvert une information judiciaire contre X pour homicide involontaire.

Le compte rendu de l’autopsie n’a pas été rendu public. Selon une source proche de l’enquête, la mort du Somalien n’a pas été provoquée par une crise cardiaque spontanée. Il n’est pas exclu qu’elle soit liée à une compression du thorax conduisant à une asphyxie. En clair, les policiers auraient peut-être maintenu la victime trop longtemps dans une position inadaptée.

L’affaire déclenche les foudres des associations de défense des droits de l’homme, comme des syndicats de Roissy, d’autant qu’un Argentin est mort le 30 décembre dernier dans des circonstances similaires.

Les représentants des forces de l’ordre refusent d’être tenus pour responsables. « L’administration met la pression sur le dos des agents d’escorte pour obtenir une rentabilité maximum en terme d’expulsion indique Nicolas Couteau, secrétaire national du Syndicat général de la police FO. Mais les sans-papiers sont souvent difficiles à maîtriser le jour de leur départ. Depuis des années, nous réclamons qu ‘ils portent des ceintures de contention (sortes de camisoles. NDRL.) entre le moment où ils sont accompagnes dans l’avion et le décollage. On nous les refuse ».

Trois policiers de l’aéroport de Roissy suspendus après la mort d’un Somalien

AFP, Delphine Touitou, 22/01/2003

Trois fonctionnaires de la police aux frontières (PAF) de I’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ont été suspendus mardi par le ministre de l’Intérieur, après Le décès d’un Somalien, non admis en France, qui devait être reconduit jeudi dernier en Afrique du Sud.

La direction générale de la police nationale, qui a fait part de cette décision, précise que la suspension de ces policiers, chargés de l’escorte de la victime, est « une mesure conservatoire qui ne préjuge en rien la suite d’une procédure » judiciaire.

Cette suspension intervient après celle, vendredi, de deux fonctionnaires de police de Paris, impliqués dans une altercation avec le témoin d’une interpellation sur la voie publique. La suspension avait alors soulevé une polémique entre les syndicats de police et Nicolas Sarkozy.

Les fonctionnaires de la police nationale sont de plus en plus souvent confrontés à des attitudes violentes de la part de personnes récalcitrantes ; ils ont dû faire face à 3.000 refus d’embarquement en 2002″, a souligné mardi la direction générale de la police nationale (DGPN) dans un communiqué.

Reste que les associations réclament que lumière soit faite sur la mort du ressortissant somalien, la deuxième en moins de trois semaines.

Jeudi, Getu Hagos Mariam, âgé de 24 ans, arrivé à l’aéroport de Roissy le 11 janvier et déclaré non admis, devait être reconduit sous escorte de la PAF sur un vol en direction de Johannesburg (Afrique du Sud).

Au cours de cette opération, le ressortissant somalien a perdu connaissance puis, après les premiers secours, il a été admis à à l’hôpital Robert Ballanger de Villepinte (Seine-Saint-Denis), où il est décédé samedi après une phase de coma, de source judiciaire.

Le 30 décembre, un ressortissant argentin de 52 ans, également sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière, était mort d’une crise cardiaque à l’aéroport de Roissy alors qu’il allait partir à bord d’un avion pour l’Argentine. L’autopsie, pratiquée à l’IML, avait conclu à une mort naturelle, une conclusion qui ne convainc pas les associations à l’instar du GISTI (groupe d’information et de soutien aux immigrés).

Le Groupe d’information et de soutien aux immigrés (GISTI) a indiqué mercredi à l’AFP qu’il allait, dans les prochains jours, déposer une plainte contre X dans l’affaire de l’Argentin et se constituer partie civile dans celle du Somalien.

« Le principe est simple : les policiers ont obligation d’exécuter les ordresqu’ils reçoivent, mais ils ont aussi obligation de préserver la sécurité et la santé des personnes dont ils ont la charge », souligne Me Stéphane Maugendre (avocat),responsable du GISTI.

« Il ne s’agit pas de crier haro sur la police, mais il y a des choses à éclaircir. Si des policiers ont mal fait leur travail, ils ne sont pas dignes d’être fonctionnaires », ajoute-t-il.

Vols avec violences fatales

 Charlotte Rotman et Jacky Durand ,

Trois policiers de la PAF provisoirement suspendus.

Nicolas Sarkozy pourra-t-il encore décemment parler de «filière positive» à propos de reconduite aux frontières après le second décès intervenu en moins d’un mois lors d’une expulsion à l’aéroport de Roissy (1) ? Après l’Argentin Ricardo Barrientos, le 30 décembre (lire ci-contre), c’est un jeune Somalien qui est mort, samedi dernier, deux jours après une tentative d’embarquement mouvementée conduite par la Police aux frontières (PAF). «Il n’est pas impossible que les techniques d’immobilisation employées par l’escorte aient contribué à l’asphyxie et au décès de cet homme», reconnaissait hier une source proche du ministère de l’Intérieur.

Asile.

Mariame Getu Hagos, 24 ans, était arrivé à Roissy en provenance de Johannesburg (Afrique du Sud), le 11 janvier. Seul et sans papiers. Il avait été placé en zone d’attente le temps que sa demande d’asile politique soit examinée, puis rejetée. Hier, le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a ouvert une information judiciaire contre X pour homicide involontaire après le décès du Somalien. Le parquet a saisi l’Inspection générale des services (IGS, police des polices) pour diligenter une enquête administrative.

Le jour de son expulsion, le jeudi 16 janvier, Mariame Getu Hagos «était très excité», selon des policiers. «Ce qui n’a rien d’extraordinaire dans le contexte du retour forcé», explique un fonctionnaire de la PAF. Dans l’après-midi, le garçon est examiné par le service médical d’urgence de l’aéroport, après un malaise. Dans la soirée, vers 19 heures, il est de nouveau ausculté. Les deux fois, le médecin qui l’examine juge ces malaises «factices». Et conclut à une simulation. Selon le service médical, «il essayait clairement d’échapper à l’urgence de l’expulsion». C’est également la version que retient la police. Selon le Samu, l’état de santé de Mariame Getu Hagos est alors compatible avec son maintien en zone d’attente et, donc, avec son expulsion. Les policiers embarquent alors le jeune homme sur le vol AF-990 à destination de Johannesburg.

Vers 23 heures, trois policiers de la PAF le font monter dans l’appareil, au lieu de deux habituellement. «Il était très agité, affirme une source proche de l’aéroport. Le personnel de bord l’a attesté.» Placé à l’arrière de l’avion, menotté et entravé aux pieds, le jeune Somalien semble se calmer. Selon des policiers, «après qu’on lui a desserré ses menottes, il a réussi à libérer l’une de ses mains et a frappé un membre de l’escorte». Les policiers l’auraient alors plié en deux sur son siège, mains sur les omoplates, le torse plaqué contre les genoux. Il s’agit de la même technique d’immobilisation qui avait été employée lors de l’expulsion de Ricardo Barrientos. C’est dans cette phase de «compression non évaluée mais qui aurait duré plusieurs minutes» que le jeune Somalien a été victime d’un troisième malaise.

«Il s’était calmé, il ne se débattait plus.» Selon des membres de l’équipage, une demi-heure après son embarquement, et alors que l’avion est rempli de moitié, il était inanimé, inerte. Il a été alors extrait de son siège. «On l’a allongé sur le dos et tenté de le réanimer, jusqu’à l’arrivée du Samu», se souvient un steward. En vain. Mariame Getu Hagos a été transporté à l’hôpital Robert-Ballanger à Aulnay. Après une phase de coma, il est mort, samedi après-midi, deux jours plus tard.

Information judiciaire.

«A l’issue du compte-rendu d’autopsie réalisé par deux experts médecins légistes, le parquet a requis l’ouverture d’une information judiciaire contre X du chef d’homicide involontaire afin de poursuivre les investigations tant sur les faits que sur le plan médico-légal», indiquait hier le parquet de Bobigny qui retient que «pour l’exécution de la mesure administrative, les fonctionnaires de police ont usé de la contrainte à l’égard de cette personne, qui avait auparavant simulé des malaises et qui se débattait». Hier soir, le ministre de l’Intérieur décidait de suspendre provisoirement les trois fonctionnaires de la PAF chargés de l’escorte. «Une mesure conservatoire, précisait le communiqué de la Direction générale de la police nationale (DGPN), qui ne préjuge en rien la suite d’une procédure dorénavant confiée à la justice et qui permettra à celle-ci de se dérouler dans la sérénité.».

(1) Le ministre espère davantage de reconduites à la frontière. Dans une tribune publiée dans le Monde du 18 janvier, il déplore que le taux de reconduite ait chuté de 23,5 % en 1996 à 16,7 % en 2001. Et souhaite que ses services gagneront en efficacité.

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«Il était sous la couverture, tout était calme»

 Charlotte Rotman

Avant Mariame Getu Hagos, un Argentin de 52 ans a, lui aussi, trouvé la mort au cours de son expulsion. Lui aussi menotté et maintenu plié en deux par deux policiers, selon une méthode devenue habituelle pour les expulsions difficiles. C’était le 30 décembre dernier, lors du vol AF 416 Paris-Buenos Aires, sur la compagnie Air France.

Il s’appelait Ricardo Barrientos. L’Institut médico-légal a indiqué dans son rapport d’autopsie que la cause du décès était un infarctus. La police a conclu à une mort naturelle et juge l’affaire «classée». Le Gisti et l’Anafé (l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) s’apprêtent pourtant à porter plainte contre X, pour «non-assistance à personne en danger» et «coups mortels». Amnesty International, depuis Londres, a adressé une lettre à Nicolas Sarkozy pour obtenir des éclaircissements sur ce décès. L’Anafé a également invité le Premier ministre à saisir sur ce sujet la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Siège central.

Selon le rapport de police, «aucun incident n’a été signalé par le pilote au moment de l’embarquement, ni avant ni après. La procédure a été respectée». Comme c’est le cas lors d’expulsions délicates qui nécessitent une escorte policière, Ricardo Barrientos a été placé au fond de l’avion, sur le siège central de la dernière rangée. Avant l’arrivée des passagers, il s’est démené, a gesticulé et crié en espagnol. Mais quelques minutes seulement. «Il avait les pieds attachés au siège avant, les mains menottées et une couverture sur lui. Les policiers faisaient pression sur lui, pour le maintenir replié, la tête en bas», témoigne un steward. «Il s’est vite calmé, se souvient encore ce navigant. Il s’est bien écoulé une demi-heure sans qu’on l’entende.»

Malaise.

Ainsi quand les époux Billmann, en partance pour une expédition touristique en Amérique latine, s’installent sur la même rangée, ils ne «remarquent pas d’agitation.» «Tout était calme. Il ne réagissait pas, je me suis dit qu’il était peut-être drogué», se souvient Sabine. Après de longues minutes, les policiers se rendent compte que Ricardo est au plus mal. L’Argentin est transporté vers l’avant de l’avion. «Deux autres policiers sont venus, en tenue ceux-là. Ils l’ont sorti, l’un le tenant par les épaules, l’autre par les pieds», se rappelle Sabine Billmann. «Il avait de longs cheveux pas très clean, je me suis dit : soit il est shooté, soit il est mort.» Selon le médecin qui l’a ausculté ­ une passagère, appelée au secours, et dont Libération a retrouvé la trace ­, c’était bel et bien le cas. «Je me suis rendue à l’avant de l’appareil, sur la passerelle, se souvient ce docteur. Il était allongé. J’ai tout de suite vu qu’il avait l’air mort. Il avait le teint gris, n’avait plus de pouls.» Selon l’enquête de police, il n’y a rien à redire. «Nous voulons que soient élucidées les circonstances de cette mort», dit pourtant Me Stéphane Maugendre (avocat), rédacteur de la plainte des associations.

Avant cette expulsion qui lui fut fatale, Ricardo Barrientos vivotait de la vente de ses poèmes. Il s’imaginait bohème dans une époque qui ne s’y prête pas, et vivait sous les ponts de Paris, près de Notre-Dame. Il traînait dans les bistrots du quartier, rue de la Huchette, se mettant tout nu à la moindre contrariété. C’est d’ailleurs ce qui l’a mené en établissement psychiatrique, puis en prison. En 2002, il a été condamné à plusieurs reprises pour exhibition et également défaut de papiers. Il se disait ancien joueur international de football. Il avait rompu les liens avec sa famille à Buenos Aires, mais aussi en Espagne. Il ne voulait surtout pas retourner en Argentine. Il l’avait répété à Jérôme Martinez, un permanent de la Cimade, qui l’avait rencontré à Fresnes, en mai. «Il m’a dit qu’il était en France depuis plus de quatre ans. Qu’il ne voulait pas repartir, qu’en Argentine, on le prenait pour un fou. Il avait l’air paumé, fragile», se rappelle-t-il.

Rapatriement.

A Fleury-Mérogis, on se souvient d’un «détenu qui avait tendance à se déshabiller». Un compatriote qui l’avait croisé et tenté de l’aider se rappelle que personne ne le connaissait dans le milieu des Argentins, à Paris. Pour Ricardo Barrientos, un rapatriement sanitaire avait été demandé. Sans succès. Son corps est toujours en France, à la morgue.

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Encore un mort lors d’une expulsion

Il était somalien, avait 24 ans, et il est mort samedi après-midi, après trois jours de coma. Jeudi à 23 h, il était à Roissy, dans un avion qui devait le renvoyer à Johannesburg (Afrique du Sud) d’où il était arrivé quelques jours auparavant. Il avait demandé l’asile politique qui lui avait été refusé. Selon la police, le jeune homme était «très excité» et avait dû être escorté par trois agents de la police aux frontières au lieu des deux habituels. Avant l’embarquement, il avait fait deux malaises considérés par un médecin comme simulés. Pourtant, dans l’avion, un troisième malaise lui a été fatal. Le parquet de Bobigny a demandé une enquête à l’Inspection générale des services. Déjà, le 30 décembre, un Argentin de 52 ans était mort d’une crise cardiaque à Roissy alors qu’il était expulsé dans son pays. Une autopsie avait conclu à la mort naturelle. Une autopsie du jeune Somalien a également été ordonnée.

Un Argentin meurt à Roissy d’un arrêt cardiaque pendant son expulsion

index Sylvia Zappi,  08/01/2003

Une association met en cause la police aux frontières.

LE RETOUR lui fut fatal. Ricardo Barrientos, un Argentin né en 1950, devait être expulsé vers son pays à la suite de sa sortie de prison le 30 décembre. Il est mort avant que l’avion ne décolle de l’aéroport de Roissy. Il avait été embarqué à bord du Boeing 416 d’Air France à 22 h 30 accompagné par une « unité d’éloignement de la police aux frontières », précise le ministère de l’intérieur. Son expulsion ayant été préparée, il n’est pas passé par un centre de rétention.

« La procédure normale a suivi son cours », précise le service de communication de la police nationale. La procédure « normale » veut en effet que le passager forcé soit embarqué avant les autres voyageurs et installé au fond de l’appareil. Là, il est entra­vé : menottes attachées dans le dos ou au siège, et de plus en plus sou­vent, selon les témoignages des per­sonnels de bord, il est plié en deux, la tête sur les genoux, et maintenu dans cette position par deux poli­ciers.

« M. Barrientos a manifesté son refus d’embarquer quand il s’est instal­lé mais il n’y a pas eu d’incident signa­lé par le pilote », assure la direction de la police nationale. Juste avant le départ, alors que tous les autres pas­sagers ont pris place à bord, l’Argen­tin a été pris d’un malaise.

Là, les versions des faits diver­gent La police aux frontières (PAF) assure que dès que les deux policiers se sont aperçus de l’évanouisse­ment ils ont averti le commandant de bord qui a fait débarquer le passa­ger et a appelé le service médical d’urgence. Le médecin a alors cons­taté le décès et le corps a été trans­porté à l’Institut médico-légal. « Il est décédé à l’extérieur de l’avion », insiste la direction de la police nationale.

A l’inverse, selon les témoignages recueillis par l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), une fois que les policiers se sont aperçus que le corps qu’ils maintenaient était inerte, le commandant de bord a deman­dé si un médecin se trouvait à bord.  « Ils ont amené le corps à l’avant sans ménagement. Le voyageur médecin a constaté l’arrêt cardiaque. Le corps a alors été débarqué », raconte Patrick Delouvin de l’Anafé.

Le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a été immédiatement saisi et a ordonné une autopsie. Elle a conclu à un arrêt cardiaque «classique ». Le commandant de bord a été entendu par la police et a pu regagner deux heures plus tard l’avion et le faire décoller. Quatre autres membres de l’équipage sont restés au sol pour témoigner.

« L’enquête est faite et a conclu à ta régularité des procédures ». assure la PAF. Quant aux conditions de main­tien forcé du passager, elles sont habituelles : « Tout s’est passé dans les conditions réglementaires et léga­les», souligne la police nationale. Du côté des associations de défense des étrangers, rien n’est moins sûr :

« nous craignons que cette “mort naturelle” ne se soit produite dans une position pas si naturelle. Est-ce que cette mesure de plier les gens en deux pour annihiler toute résistance est devenue une règle générale pratiquée par la PAF pour les expulsions ? », s’inquiète M. Delouvin.

C’est en tout cas le premier décès lors de ce type <f opérations depuis dix ans. En 1991, c’est un deman­deur d’asile sri lankais qui avait trou- vé la mort lors de son embarque­ment à bord de l’avion qui devait [e ramener à Colombo. Là aussi, l’en­quête avait conclu à un arrêt cardia­que. Depuis, la PAF avait dû obser­ver un certain nombre de régies, dont l’arrêt de toute procédure, en cas de refus manifeste du passa­ger. Et en cas de refus du comman­dant de bord.

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Mort dans l’avion d’un Argentin expulsé

  Charlotte Rotman

Ricardo Barrientos est décédé dans l’appareil qui devait le ramener à Buenos Aires.

Pascale Aimar
Pascale Aimar

Ricardo Barrientos, un Argentin de 52 ans, est mort à Roissy dans l’avion qui devait le ramener dans son pays. Cet étranger sans papiers, sous le coup d’une interdiction du territoire français notifiée par le préfet de l’Essonne, devait être expulsé vers Buenos Aires par le vol AF 416 de la compagnie Air France, le 30 décembre au soir. Il est ressorti sans vie de l’appareil où il avait été embarqué. La police aux frontières (PAF) assure qu’il s’agit d’une mort naturelle.

Plié en deux. Ricardo Barrientos a été présenté à l’embarquement à 22 h 30, le lundi 30 décembre. «Il n’était pas très content de partir», convient la PAF. Comme souvent dans ce genre d’expulsion, il est amené à l’arrière de l’appareil par une brigade d’escorte, avant l’embarquement normal des passagers. Il est alors assis sur le siège central de la dernière rangée et plié en deux par deux policiers en uniforme qui le maintiennent dans cette position, en appuyant sur chacune de ses omoplates. «Cette méthode de faire plier en deux les étrangers renvoyés, de les oppresser pour les empêcher de crier et d’alerter les passagers est de plus en plus répandue», note l’Anafé, l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers.

«Juste avant le départ, il a été pris d’un malaise», note l’enquête de police. Selon des témoins à bord, l’homme gesticulait et se débattait, comme c’est presque systématiquement le cas. «Puis il a arrêté de se débattre», se rappelle un passager. Les policiers ne réagissent pas immédiatement. «Cela a été un peu nébuleux», se souvient cette même source. Peut-être ont-ils imaginé que l’Argentin, comprenant que son expulsion devenait inévitable, abandonnait toute résistance ?

Puis, alors que l’avion s’est totalement rempli, on demande un médecin à bord. Ricardo Barrientos est transporté, inerte, vers l’avant de l’appareil. Il est porté à l’horizontale, «comme un sac à patates», selon des témoins. Les passagers ne s’inquiètent pas vraiment. Un touriste sud-américain, médecin, vient l’ausculter et le déclare mort depuis une dizaine de minutes. Selon la police aux frontières, un médecin du service médical d’urgence est venu l’examiner sur la passerelle, à la sortie de l’avion maintenu au sol. Lui aussi constate le décès. Une autopsie a été pratiquée par l’Institut médico-légal de Paris qui conclut à une crise cardiaque. Selon la PAF, il n’y a pas eu de violences. «Aucun incident n’a été signalé par le pilote au moment de l’embarquement, ni avant ni après. La procédure a été respectée.»

En l’absence d’autres versions que celle de la police, des interrogations demeurent cependant autour de ce décès ainsi que sur l’état de Ricardo Barrientos avant son embarquement. D’avis médical, une crise cardiaque est précédée de signes avant-coureurs qui auraient pu alerter son entourage. Les infarctus aussi brutaux sont rarissimes et précédés de très violentes douleurs thoraciques.

Drames. Ces dernières années, d’autres expulsions ont viré au drame. En septembre 1998, la jeune Nigériane Sémira Adamu, escortée par la police belge, avait péri lors d’une tentative de rapatriement particulièrement violente. Sa mort avait bouleversé la Belgique. En France, le dernier décès à bord d’un avion survenu lors d’une procédure d’expulsion remonte à 1991. Sur le vol UT 568, à destination de Colombo, un demandeur d’asile sri lankais n’avait pas survécu à l’embarquement. Le rapport de la police aux frontières avait conclu à l’«arrêt cardiaque».

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Avocat