Archives de catégorie : droit des étrangers

« C’est l’arbitraire le plus total »

, Propos recueillis par Anne-Cécile Juillet, 07/05/2006

LP/P. DE POULPIQUET
LP/P. DE POULPIQUET

Stéphane Maugendre, avocat et président du Gisti décrypte les conditions de la régularisation.

LES DÉPUTÉS achèveront mardi l’examen du projet de loi de Nicolas Sarkozy sur l’immigration. Vendredi soir, l’Assemblée nationale a adopté l’une des mesures phares du texte : la suppression de la régularisation automatique des immigrés clandestins au bout de dix ans de présence en France.

Stéphane Maugendre, président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), redoute que les régularisations soient soumises à « plus d’arbitraire ». Comment percevez-vous cette mesure ?

Stéphane Maugendre. Nous étions déjà critiques au moment où cette durée de dix ans a été décidée par Jean-Pierre Chevènement, parce qu’il n’y a pas de durée pertinente, a priori, qui puisse justifier de l’intégration d’une personne. D’autant que cela ne concerne que très peu de monde : seulement 3 000 immigrés sont régularisés chaque année par cette voie. C’était donc beaucoup de bruit pour rien. En revanche, l’idée des régularisations au cas par cas est inquiétante : car celles-ci vont dépendre de la bonne volonté des préfets ou des élus locaux. C’est la certitude de l’arbitraire le plus total.

Concrètement, qu’est-ce que cela va changer dans la vie des immigrés clandestins ?

L’immense majorité des clandestins en France travaillent. Certains ont des fiches de paie, et d’ailleurs, c’est ce qui leur permettait d’être régularisés de plein droit au bout de dix ans. Cette nouvelle mesure va précariser encore davantage leur situation, les mettre encore plus sous la coupe d’employeurs indélicats ou de ces marchands de sommeil qui profitent de leur situation. On a appris que des Dash 8, habituellement utilisés comme avions bombardiers d’eau par la sécurité civile, ont été utilisés pour ramener des clandestins dans leur pays d’origine… Ce sont des façons d’agir absolument scandaleuses ! C’est pire qu’un charter, cela fait vraiment penser que l’on prend ces gens pour du bétail. Mais le plus inquiétant, c’est que cela s’est fait dans le plus grand secret. Sarkozy avait promis de la transparence : c’est exactement le contraire qui se produit. Qu’est-ce qui nous assure que tous les protocoles, notamment en termes de droits ou d’hygiène, ont été respectés ?

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« Les clandestins prêts à payer des fortunes »

Propos recueillis par Nelly Terrier, 13/04/2006

LP/Olivier Corsan
LP/Olivier Corsan

VICE-PRESIDENT du Gisti, Groupement d’information et de soutien aux immigrés, et avocat, Stéphane Maugendre pense que ce genre d’affaire va s’accroître « car la demande de papiers va devenir de plus en plus forte ».

Un haut fonctionnaire de la préfecture de police de Paris incarcéré pour corruption et aide au séjour irrégulier, cela vous étonne-t-il ?

Stéphane Maugendre. C’est toujours anormal qu’un fonctionnaire, quels que soient son grade et ses responsabilités, soit incarcéré pour des faits de ce genre, qui sont graves. En même temps, je dois à la vérité de dire qu’il y a régulièrement des personnes – notamment dans les services des préfectures qui délivrent des titres de séjour aux étrangers – qui sont mises en examen dans des affaires de ce genre. Pour autant, n’en concluons tout de même pas que tous les fonctionnaires sont corrompus, ce qui est loin d’être le cas.

Comment expliquez-vous la récurrence de ce genre de faits ?

Par l’appât du gain, tout simplement. Je n’ai jamais entendu parler de fonctionnaires qui délivraient de faux papiers pour des raisons humanitaires ou idéologiques. Les étrangers en situation irrégulière
vivent une telle peur au quotidien qu’ils sont prêts à payer des fortunes pour obtenir des papiers. Tous ceux que je vois dans mon cabinet d’avocat ont un travail. Ils sont payés au noir, souvent au lance-pierres. Ils vivent la trouille au ventre d’être arrêtés dans le métro, sur le chantier où ils bossent, etc. Ils ont besoin de papiers pour pouvoir vivre normalement.

Combien coûtent des faux papiers ?

Il y en a de deux sortes. Les vrais-faux sont délivrés frauduleusement par l’administration dans le cadre de filières de corruption. Ce sont de vrais papiers. Les faux sont fabriqués de toutes pièces et vendus au marché noir. Ils sont peu fiables car repérables facilement en cas de contrôle d’identité. Ils coûtent bien moins cher que des vrais-faux. Il est difficile de connaître le coût, je me suis laissé dire qu’un vrai-faux pouvait aller jusqu’à 4 000 €, voire plus. Il faut aussi savoir qu’un simple récépissé de préfecture, papier qui témoigne du fait que vous avez un dossier en cours, peut aussi faire l’objet de trafics.

Comment les filières fonctionnent-elles ?

Essentiellement via des rabatteurs qui sont introduits par le bouche-à-oreille auprès des communautés de clandestins. Ces gens montent et préparent les dossiers. Ce qu’il est urgent de comprendre, c’est que ce problème de corruption de fonctionnaires ne va pas disparaître. Au contraire, il risque de s’accroître car la demande de papiers va devenir
de plus en plus forte. La loi qui vient en lecture à l’Assemblée nationale en mai, pour réformer le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), aura pour conséquence d’augmenter le nombre de clandestins et devrait donc faire les beaux jours de la corruption et des filières d’immigration clandestine.

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Expulsions d’étrangers

Pascale Egré, 16/11/2005

IL Y A UNE SEMAINE, Nicolas Sarkozy annonçait aux députés avoir demandé aux préfets l’expulsion « sans délai » de « 120 étrangers, pas tous en situation irrégulière » impliqués dans les violences urbaines. Samedi soir, lors d’une visite au commissariat du VIII ème, le ministre promettait qu’elles auraient lieu « peut-être dès lundi ».

« Il ne s’agit pas de faire du chiffre, c’est une question de principe », précisait-il. Et hier, il a indiqué à l’Assemblée nationale que dix procédures d’expulsion d’étrangers ayant participé aux émeutes des banlieues avaient été engagées.

Une « cellule de vigilance » pour préparer d’éventuels recours.

Mais du discours à l’application, le pas se révèle toutefois plus difficile que prévu. Vilipendé par l’opposition (PS, Verts), accueilli favorablement par les députés de la majorité – dont l’un, Jean-Paul Garraud (UMP Gironde), a même proposé de déchoir de leur nationalité des fauteurs de troubles naturalisés – cette mesure se heurte avant tout, comme l’ont souligné nombre d’associations de défense des droits de l’homme, aux termes de la loi elle-même. L’affaire de l’imam de Vénissieux, visé par trois arrêtés successifs, avait démontré à quel point le cadre de ce type d’expulsion  administrative est strict. « Il ne peut être justifié que dans des situations très rares de menace grave à l’ordre public », décrypte Marie Dufflo, du Gisti (Groupement de soutien et d’information aux immigrés). En énumérant les comportements en question (portant atteinte aux intérêts de l’Etat, ou liés à des activités terroristes, ou de provocation à la discrimination, la haine, la violence), la juriste interroge : « Une voiture brûlée entre-t-elle dans ces catégories ? »

Au-delà du flou sur leur nombre (une centaine sur les 1 500 gardés à vue selon la DGPN le 10 novembre), le profil même des émeutiers étrangers placés en garde à vue constitue en soi un obstacle, en raison des protections interdisant l’expulsion de certaines catégories d’étrangers. Dès vendredi, le Conseil national des barreaux estimait que « la plupart des jeunes » condamnés pour violences urbaines étaient « inexpulsables ». « On ne voit pas bien où ils vont les trouver, poursuit Marie Dufflo. Au minimum, ces étrangers doivent être majeurs, ne pas avoir résidé habituellement en France avant l’âge de 13 ans et ne pas y avoir de famille. » Pilier d’une « cellule de vigilance
» mise en place hier par le barreau de Seine-Saint-Denis afin de préparer d’éventuels recours contre des arrêtés pris « en urgence absolue », Me Hacene Taleb s’indigne : « M.Sarkozy est pourtant avocat ! A-t-il oublié l’esprit de la loi ? »

Saisi en référé par SOS Racisme samedi, le Conseil d’Etat avait débouté l’association de sa requête, confirmant la légalité du télégramme adressé par le ministre de l’Intérieur aux préfets, tout en estimant ses déclarations à l’assemblée « sujettes à caution au plan de la légalité ». Nombre d’associations estiment ainsi au final que « le but était avant tout d’ordre politique ». « Il a joué le symbole, le clin d’oeil aux électeurs du Front national, l’amalgame », estime Mouloud Aounit, du Mrap. « Faire des étrangers les responsables des émeutes lui permet de préparer un contexte favorable à son futur projet de loi sur l’immigration, attendu comme encore plus restrictif que le précédent », analyse Stéphane Maugendre, du Gisti. « Ni les jugements catégoriques, ni l’état d’urgence, ni les mesures expéditives d’éloignement ne favoriseront le vivre ensemble », a réagi à son tour la Cimade, en déplorant « une stigmatisation intolérable ».

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Nicolas Sarkozy veut expulser les étrangers impliqués dans les violences urbaines

index,  Laetitia Van Eeckhout,  11/11/2005

Selon le ministère de l’intérieur, cette mesure ne signifie pas le retour de la double peine puisque des étrangers pourront être renvoyés même sans condamnation.

Le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, a adressé, mercredi 9 novembre, dans la soirée, un télégramme aux préfets pour leur demander d’expulser tous les étrangers interpellés dans le cadre des violences urbaines des treize derniers jours, même ceux titulaires d’un titre de séjour. « Quand on a l’honneur d’avoir un titre de séjour, le moins que l’on puisse dire c’est que l’on n’a pas à se faire arrêter en train de provoquer des violences urbaines ! », a-t-il lancé aux députés lors des questions d’actualité à l’Assemblée nationale en leur annonçant vouloir expulser les étrangers fauteurs de troubles.

Sur les 1 800 personnes  interpellées depuis le 27 octobre, 120 jeunes étrangers, dont la majorité sont en situation régulière sont directement concernés. Si l’administration peut reconduire à la frontière les personnes en situation irrégulière, elle peut aussi « engager une procédure d’expulsion sur la base d ‘arrêtés préfectoraux ou ministériels en fonction de la gravité de la menace représentée par le comportement des ressortissants étrangers », comme le rappelle le télégramme adressé par le ministre de l’intérieur aux préfets, mercredi soir.

Les associations des droits de l’hom­me ont aussitôt réagi et dénoncé unani­mement un retour de la double peine. Au-delà de l’illégalité manifeste de cette démarche, M. Sarkozy continue à s’en prendre aux étrangers et à en faire des boucs émissaires. Il avoue que, loin d’être abolie, la double peine est toujours d’actualité , dénoncent dans un communiqué commun une vingtaine d’organisations associatives et syndicales, auxquelles se sont joints le Parti communiste français, les Verts et la ligue communiste révolu­tionnaire (LCR).

Mais Place Beauvau, on ne cesse depuis hier soir de marteler le message : « On ne revient pas sur la double peine. »

Ce qu’on appelle communément « double peine », c’est l’expulsion d’un étranger condamné par les tribunaux. Or là, dans l’entourage du ministre, on assure qu’il s’agit d’une expulsion sim­ple ». Le ministère ne s’interdit ainsi pas d’expulser des personnes sans qu’elles aient été condamnées.

En fait, après avoir parlé devant les députés de personnes « condamnées », c’est-à-dire jugées par la justice, le ministre de l’intérieur semble avoir ajus­té son discours et dans la soirée on ne parlait plus que d’« interpellés », place Beauvau.

Reste que si dans le cas d’une « mena­ce grave à l’ordre public », la loi autorise le préfet ou le ministre de l’intérieur lui-même à prononcer un arrêté d’expul­sion. l’application de cette mesure est juridiquement et politiquement délica­te.

En 1994, Charles Pasqua qui était ministre de l’intérieur à l’époque, s’est heurté à la difficulté. Au lendemain des grandes manifestations contre le contrat d’insertion professionnelle (CIP), il avait renvoyé « en urgence absolue » deux manifestants algériens soupçonnés d’avoir jeté des pier­res sur des policiers à Lyon.

Mais le tribunal adminis­tratif, puis le Conseil d’État l’avaient désavoué. Et les deux Algériens renvoyés dans leur pays étaient reve­nus en France.

Depuis 1994, l’exercice est encore plus délicat. Dans sa loi du 26 novembre 2003 sur l’immigration, Nicolas Sarkozy a prévu des protec­tions particulières, contre ce type d’expulsion, pour certai­nes catégories de personnes. Ainsi notamment, les jeunes arrivés en France avant l’âge de treize ans ou ceux ayant des attaches familiales fortes bénéfi­cient d’une protection très élevée qui tend désormais quasiment impossible leur expulsion.

« Elle n’est cependant pas absolue », souligne-t-on dans l’entourage du minis­tre où l’on rappelle que la loi prévoit que cette protection peut être remise en cause par un comportement «consti­tuant des actes de provocation explicite et ‘délibérée (…) à la violence contre une per­sonne déterminée ou un groupe de personnes ». « Il s’agira d’apprécier, au cas pas cas, la gravité de l’atteinte à l’ordre publique. C’est une question d’appréciation juridique des faits », explique-t-on au cabinet du ministre.

« Le ministre de l’inté­rieur joue sur l’effet d’annonce. Nicolas Sarkozy va prendre des arrêtés d’expulsion pour montrer sa fermeté, et puis il verra si dans quelques mois les tribunaux administratifs jugent injustifiés ces mesu­res », dénonce Stéphane Maugendre, vice président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).

Mercredi 9 novembre, le député UMP Jean-Paul Garaud a annoncé qu’il allait déposer une proposition de loi don­nant aux tribunaux la possibilité de « déchoir de la nationalité française » les étrangers naturalisés « qui participent à la guérilla urbaine ». Selon l’élu, les fau­teurs de troubles cherchent à « détruire la nation française » et expriment « leur rejet de la France ».

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C’est la future carte d’identité électronique

François Vignolle et Julien Dumond, 13/04/2005

ELLE PORTE le doux nom d’Ines (identité nationale électronique et sécurisée). Elle devrait ressembler à une carte bancaire avec une puce intégrée. Le ministère de l’Intérieur la juge d’ores et déjà « infalsifiable ». Selon ses promoteurs, ce petit sésame donnera un coup de frein aux trafiquants de faux papiers : terroristes, délinquants, immigrés clandestins.

Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a approuvé lundi le programme de sécurisation électronique des cartes d’identité et des passeports qui fera l’objet d’un projet de loi à l’automne prochain. La mise sur le marché de ces nouveaux documents administratifs, qui ne devrait intervenir que fin 2006 au moins pour les passeports, suscite déjà des commentaires divergents de la part des policiers, des avocats et des associations des droits de l’homme.

« Une illusion pour attrape-nigauds »

Sur cette nouvelle carte figureront les empreintes numérisées et une photo numérique de son propriétaire .

« C’est un excellent projet, commente Jean-Marie Salanova, secrétaire général adjoint du Syndicat des commissaires de police et hauts fonctionnaires, on utilise les progrès de la science pour sécuriser un document et s’assurer de son authenticité. »

Plus circonspects, plusieurs avocats s’interrogent sur la nécessité d’imposer de nouveaux documents administratifs. « L’ancienne carte d’identité nous avait aussi été présentée comme inviolable, s’étonne Stéphane Maugendre, avocat et vice-président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). On sait aujourd’hui ce qui se passe avec les fausses cartes de crédit. Prétendre que ces pièces d’identité seront infalsifiables est une illusion pour attrape-nigauds. »

Au-delà de la sécurisation de ces documents administratifs, se pose la question de l’exploitation des données qui figureront sur la puce électronique, notamment l’état civil et les empreintes digitales. Dans un avis consultatif, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) devra se prononcer sur le risque de dérives : création de fichiers sauvages, « fliquage », usage détourné d’informations personnelles… « Nous voulons savoir quel usage sera fait des informations inscrites sur ces cartes d’identité. Si la présentation de la carte à puce servira seulement à l’identification de son porteur ou si elle sera utilisée pour rechercher des coupables d’infractions ou des terroristes », se demande Christophe Pallez, secrétaire général de la Cnil.

Payante et obligatoire

Le ministère de l’Intérieur assure que l’accès aux données sera strictement encadré par la loi et que les peines seront aggravées pour ceux qui auront illégalement accès à ces fichiers. « Il ne faudrait pas que ce nouveau dispositif permette de connaître le déplacement de personnes qui n’ont rien à se rapprocher », estime Nicolas Comte, responsable au syndicat de police SGP-FO, favorable sur le fond à ce programme.

Loin des considérations éthiques, la prochaine mise en vigueur de ces documents administratifs a aiguisé les appétits des entreprises candidates à leur fabrication. La nouvelle génération des cartes d’identité sera payante et obligatoire pour tous les citoyens.

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Les associations dressent un bilan « décevant » de la réforme de la double peine adoptée en 2003

index, Sylvia Zappi, 22/01/2005

Les étrangers condamnés à l’expulsion après la prison avaient jusqu’au 31 décembre 2004 pour réclamer le réexamen de leur dossier. Le ministère de l’intérieur a traité 421 des 1 458 demandes.

La réforme de la double peine connaît des hoquets dans son application. Délais de réponse trop longs et refus nombreux : l’inquiétude monte depuis quelques semaines dans les cabinets d’avocat et les associations de défense des étrangers. Le ministère de l’intérieur assure que ses services suivent à la lettre les dispositions prévues par la loi Sarkozy du 26 novembre 2003.

Présentée comme un texte d’abrogation de la double peine – peine complémentaire qui conduit un condamné étranger à être expulsé du territoire une fois purgée sa peine de prison -, la loi Sarkozy a consacré certaines catégories comme « protégées »: les personnes étrangères nées ou entrées en France avant l’âge de 13 ans, les conjoints de Français ou de résidents, les parents d’enfants français et les étrangers résidant en France depuis plus de vingt ans.

Ces « quasi-Français » comme les appellent les associations, avaient la possibilité de demander l’abrogation de leur arrêté ministériel d’expulsion ou de leur interdiction du territoire français (ITF) jusqu’au 31 décembre 2004. Une seule condition était exigée : la preuve d’une résidence « habituelle » sur le territoire français depuis le 30 avril 2003 ; à défaut, il leur était possible de demander une assignation à résidence. Quant aux étrangers déjà expulsés, ils pouvaient prétendre à revenir sur le territoire en demandant un visa d’entrée.

Selon un premier bilan de la place Beauvau, les services – ministériels et préfectoraux – auraient reçu 1 458 demandes de relèvement. 319 abrogations auraient été prononcées et 102 dossiers refusés. Quelque 780 demandes seraient en cours d’instruction et 250 n’ont pas encore été traitées. « Sur le fond, nos services acceptent trois dossiers pour un refus », assure le cabinet de Dominique de Villepin, qui espère « écluser le stock d’ici à juin ».

Le bilan est tout autre chez les associations, avocats ou personnalités qui suivent le dossier. Étienne Pinte, député UMP des Yvelines, estime que « les dispositifs concernant les catégories protégées sont difficilement appliqués ». Sur les 300 dossiers sur lesquels il est intervenu, il n’a reçu que 200 réponses : « Vingt-cinq sont des dossiers résolus, les autres se sont vu opposer un refus ou ne sont pas réglés.  » Le député relève que les tribunaux chargés du relèvement des ITF ne sont pas plus rapides ; sur 70 dossiers, 45 sont en instance. « Le garde des sceaux m’a assuré en décembre qu’une circulaire allait être envoyée aux parquets pour accélérer les audiences d’ITF », ajoute-t-il.

Les associations n’ont pas plus de succès. La Cimade de Paris a déposé :40 dossiers en avril 2004. Seuls 9 ont eu un avis favorable. « Le niveau de réponse est très faible et le bilan, un an après la loi, est plutôt décevant », souligne le responsable de ces dossiers, Luis Rétamal. Le collectif Lorraine contre la double peine, qui soutient une quarantaine de demandes, concernant essentiellement des Turcs, n’a obtenu qu’un tiers de réponses positives, le reste se partageant entre rejets et absences de réponse. Les proportions sont identiques chez les avocats spécialisés – Jacques Debré, au barreau de Lyon, ou Stéphane Maugendre, à Bobigny. Seul le pasteur Jean Costil, de la Cimade de Lyon, peut s’enorgueillir d’avoir obtenu une cinquantaine d’abrogations sur 60 dossiers déposés.

.Certaines dispositions de la loi semblent mal prises en compte. Les services préfectoraux seraient particulièrement tatillons sur la notion de résidence habituelle, en considérant la période durant laquelle les étrangers ont été expulsés comme une rupture de continuité de séjour. « Près de 200 dossiers sont en litige », remarque le pasteur Costil. Le ministère admet « 220 demandes renvoyées pour défaut de preuves ».

Les mêmes réticences existent concernant les demandes de visas pour entrer en France et pouvoir déposer un dossier d’abrogation. M. Pinte souligne que, sur les onze dossiers qu’il a appuyés, seuls trois ont un feu vert. « Ces refus sont désastreux par l’effet psychologique créé dans les banlieues. On est en train de dire aux familles touchées par la double peine qu’elles n’ont pas leur place dans la République”, soutient le cinéaste Jean-Pierre Thorn, un des piliers de la campagne contre la double peine.

Enfin, le faible taux de demandes inquiète les associations. Rappelant que le nombre des « double-peine » depuis dix ans est évalué entre 5 000 à 10 000 personnes, Me Maugendre, vice-président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), s’interroge : « Que vont devenir tous ces étrangers qui n’ont pas été informés des procédures et de la date butoir ? Il faut rouvrir le débat et le solder définitivement. « 

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Des exceptions à l’absolu par Florence Miettaux

1 ère partie : Des exceptions à l’absolu par Florence Miettaux

 

2 ème partie : Des exceptions à l’absolu par Florence Miettaux

3 ème partie : Des exceptions à l’absolu par Florence Miettaux

4 ème partie : Des exceptions à l’absolu par Florence Miettaux

5 ème partie : Des exceptions à l’absolu par Florence Miettaux

6 ème partie : Des exceptions à l’absolu par Florence Miettaux

7 ème partie : Des exceptions à l’absolu par Florence Miettaux

 

Les oubliés de la réforme

P.E.,  29/11/2004

EXPULSIONS de personnes pourtant « protégées », « extrême lenteur » des réponses, interprétation « restrictive voire erronée » de la nouvelle loi… Un an après la réforme de la « double peine » censée limiter le nombre d’expulsions d’étrangers à la suite de leur condamnation en France, rien n’aurait vraiment changé : « La loi est mal appliquée, dans sa lettre comme dans son esprit », martèle le député (UMP) des Yvelines Etienne Pinte.

L’élu, qui a mis en place un comité de suivi et multiplié les interventions auprès des ministres concernés (Intérieur, Justice, Affaires étrangères), défend près de 200 dossiers, dont seuls 18 ont reçu une réponse. « Les délais sont beaucoup trop longs, aussi bien pour les arrêtés préfectoraux ou ministériels d’expulsion que pour les requêtes en relèvement d’interdiction du territoire », constate-t-il, en s’étonnant notamment « de la fermeture d’état d’esprit » du successeur de Sarkozy place Beauvau, Dominique de Villepin, à qui il s’est opposé publiquement sur le sujet le 2 novembre à l’Assemblée nationale.

Récusant les critiques, l’Intérieur et la Justice défendent à l’inverse « une application équilibrée de la loi ». « Les deux tiers des 1 161 demandes d’abrogation d’expulsion reçues ont été traitées, dont la moitié de façon favorable », assure-t-on Place Beauvau. « On est loin des 90 % de régularisations promis il y a un an ! » fustige Me Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti. « La loi a expressément prévu une régularisation rapide, insiste Etienne Pinte. Or des dizaines de personnes qui ne peuvent ni travailler ni faire vivre leurs familles attendent et vivent dans l’angoisse. »

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La réforme de la double peine peine à s’imposer

   Charlotte Rotman

Bouda, c’est ce danseur hip-hop, né en Tunisie, grandi à Dugny en Seine-Saint-Denis. L’une des victimes de la double peine qui a donné un visage à ce phénomène (condamnation pénale plus expulsion du territoire). Il a été l’un de ceux que Nicolas Sarkozy a choisi d’assigner à résidence, suspendant ainsi la menace d’éloignement. Bouda ­ dont le père, aujourd’hui français, est arrivé de Tunisie en 1958 et dont toute la famille, excepté une grand-mère, est en France ­ a maintenant un enfant. Un an après la loi Sarkozy sur l’immigration, malgré l’espoir que la réforme de la double peine votée à l’unanimité avait soulevé, Bouda se trouve dans la même situation. Il n’est hélas pas le seul.

L’adoucissement de la double peine est censé protéger de l’expulsion les étrangers qui ont des attaches en France : soit familiales, soit dues à l’ancienneté de leur présence (lire ci-contre). Ceux que Nicolas Sarkozy appellent les Français de facto. Mercredi, à l’Assemblée nationale, avocats et associations ­ réunis pour la projection d’un documentaire (1) à l’initiative du député UMP Etienne Pinte ­ ont dressé le premier bilan de cette réforme. Faible. Son application, lente et stricte, demeure décevante. Un comité de suivi devrait être mis en place.

Lenteur. Dans les couloirs, les avocats échangent les dernières nouvelles. «Tu sais ce que j’ai eu comme cas ? Un type à qui la préfecture reproche d’être revenu en France irrégulièrement…» «Et alors ?», demande l’autre. «Ben oui, et alors ?» Ou : «Dès qu’il s’agit d’une affaire de stup’, on sent que ça va être non.» «Je n’en suis pas sûr», conteste l’autre, mais le ministère joue la montre.» Flottements, incertitudes. Pourtant, la loi ne demande pas aux étrangers qui ont des attaches en France de faire la preuve de leur bonne conduite pour bénéficier de la protection imaginée par Sarkozy (2). Et contrairement à ce que croient certains juges et préfets, une condamnation dans une affaire de stupéfiants ne retire pas ce droit. Le député-maire de Versailles, Etienne Pinte a dû le rappeler lors d’une récente entrevue avec le directeur de cabinet de Dominique de Villepin. Chantre du combat contre la double peine au sein de la majorité, ce député admet des difficultés: lenteur, traitement trop tatillon, interprétation trop stricte de la loi. Sans parler des cas limites: «Que faire quand un étranger est arrivé à 13 ans et demi (et non avant 13 ans, comme l’exige la loi) ? Il faut alors trouver une solution (…), l’administration doit faire preuve de discernement.»

Et que dire des étrangers entrant dans les catégories protégées mais qui se trouvent hors de France ? Ils devraient bénéficier d’un visa pour retrouver leur famille ici. «J’ai réussi à obtenir un visa de retour, poursuit le député UMP, mais j’ai dû interpeller Villepin à l’Assemblée, pour lui dire qu’il ne respectait pas la loi. Si à chaque litige il faut monter à la tribune et fustiger le ministre…»

Etienne Pinte a dressé des statistiques : sur 125 dossiers qu’il parraine, 11 sont résolus. Sur 70 arrêtés d’expulsion, 21 ont été abrogés, 3 refusés, les cas restant sont en cours de traitement ou sans information. Sur 61 demandes de relèvement d’interdiction du territoire, 10 seulement ont été acceptées.

Minceur. A Lyon, la Cimade compte une moitié de réponses positives sur 50 demandes d’abrogation. En région parisienne, l’association a recensé 5 réponses favorables sur 39. Un «bilan plus que mitigé» selon Luis Rétamal, de la Cimade. Pris de découragement, des militants venus de Moselle demandent de l’aide : «Qu’est-ce qu’on fait avec les dossiers qu’on a ?» «Vous me les envoyez», répond Etienne Pinte, inquiet, car les recours ne pourront se faire au-delà du 31 décembre.

Pourquoi les demandes sont-elles peu nombreuses ? Selon Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti, «la minceur des chiffres est à la hauteur de ce qu’est le texte : peu de gens sont concernés». Pas assez. «On en sauve quelques-uns, dit-il, mais la majorité ne rentre pas dans les catégories protégées.» Bernard Bolze, animateur de la campagne contre la double peine, nuance : «Je connais plein de gens à Lyon dont les situations sont réglées, mais ils ne sont pas passés par nous.» Autrement dit : les heureux, on n’en entend pas parler. Selon le ministère de l’Intérieur, au moins 204 d’entre eux ont obtenu l’abrogation de leur mesure d’expulsion.

(1) Des exceptions à l’absolu, de Florence Miettaux, JFR Productions.

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La réforme de la double peine mal appliquée

16/09/2004

BEAUCOUP de « lenteur », de « non-réponses » et un désarroi palpable. Près d’un an après l’adoption de la réforme de la double peine, inscrite dans la loi Sarkozy sur l’immigration de novembre 2003, militants associatifs et avocats réunis hier à l’Assemblée nationale à l’invitation du député UMP Etienne Pinte et à l’occasion de la projection d’un documentaire* ont fait part de leurs inquiétudes.

L’application de ce texte revendiquée pour des milliers d’étrangers condamnés par la justice et menacés d’une expulsion se heurte à une foule d’obstacles. Pour tous ceux qui entraient dans les quatre « catégories protégées » créées par la nouvelle loi, l’espoir d’échapper à un retour dans leur pays d’origine était réel. En pratique, très peu ont obtenu gain de cause.

Et les exemples affluent. Me Alain Mikovski, qui défend une centaine de dossiers, n’en a vu qu’un seul « réglé en huit jours ». « On a le sentiment que les préfectures et les tribunaux jouent la montre ! » s’indigne-t-il.

Cinéaste militant, engagé auprès de Bouda, un danseur hip-hop de Seine-Saint-Denis dont il avait fait le symbole des double peine, Jean-Pierre Thorn s’étonne : « Sarkozy avait vu le film, il avait promis… Depuis, rien n’a bougé. Bouda est toujours assigné à résidence ! » Me Stéphane Maugendre relève pour sa part que le faible nombre de cas résolus « est à la hauteur de ce que le texte est ». A ses yeux : « un acte manqué ». « On arrive à en sauver quelques-uns, mais la grande majorité ne rentre pas dans les catégories, déplore-t-il. Or ces personnes peuvent être interpellées à n’importe quel moment, et elles le sont. »

« Une interprétation trop tatillonne»

Infatigable défenseur de cette cause, le parlementaire Etienne Pinte, qui « parraine » près de 300 dossiers, dont la moitié « restent à ce jour sans réponse », se fait plus précis. Outre « la lenteur du traitement », en particulier « pour les relèvements d’interdiction du territoire auprès des tribunaux », il regrette « une interprétation trop tatillonne de la loi ». « Ces personnes sont privées du droit au travail, nombre d’entre elles sont en grande précarité… Quelle solution pour celui qui se voit exclu du bénéfice de la réforme parce qu’il est arrivé en France à 13 ans et demi au lieu de 13 ? » interroge-t-il. Après « un point » avec le ministère de l’Intérieur lundi dernier, le député s’apprête à solliciter le ministère de la Justice sur le sujet. « Des décisions prises par les juges vont à l’encontre de la lettre mais aussi de l’esprit de la loi », souligne-t-il.

Du côté des associations, certains s’étonnent aussi du faible nombre de dossiers dont ils ont été saisis jusque-là. Complexité du texte ? Manque d’information ? Toujours est-il que le terme du délai fixé pour ceux qui souhaitent solliciter l’abrogation d’un arrêté d’expulsion ou d’une peine d’interdiction du territoire français (ITF) les concernant approche. « La date fatidique est le 31 décembre prochain », souligne Etienne Pinte.

D’ores et déjà décidé à solliciter « un moratoire » sur ce délai, il a appelé à la création d’un « comité de suivi de la réforme » qui devrait être mis en place très prochainement.

* « Des exceptions à l’absolu », Florence Miettaux, JFR production 2004.

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