Archives de catégorie : droit des étrangers

Le président confirme les quotas d’étrangers

 A.-C.J. et P.É., 09/01/2008

LE MINISTRE de l’Immigration et de l’Identité nationale a beau marteler que sa mission ne se réduit « ni à des chiffres ni à des lettres » (allusions à ses objectifs de reconduites à la frontière et aux tests ADN), hier le message de Nicolas Sarkozy à son adresse tendait plutôt à prouver le contraire.

Il a réaffirmé sa politique de contrôle de l’immigration et d’expulsion des sans-papiers, demandant à Brice Hortefeux d’aller « jusqu’au bout d’une politique fondée sur les quotas ».

« Cela fait trop longtemps qu’on en parle. Tout le monde sait que c’est la seule solution. Eh bien, il faut franchir le pas et arrêter de vouloir protéger les uns, ne pas choquer les autres », a poursuivi le président de la République, invoquant l’exemple de l’Espagne et de l’Italie en termes de reconduites massives aux frontières.
Rome a expressément démenti les propos de Nicolas Sarkozy  concernant des expulsions groupées entre les trois pays.

Des « concepts réactionnaires »

L’idée des quotas est toujours jugée inacceptable par les organisations de défense des droits de l’homme. Pierre Henry, le président de France Terre d’Asile, fait valoir que le respect des engagements de la France au niveau international et le texte même de la Constitution française empêchent légalement de pouvoir recourir aux quotas dans 85 % des cas. La députée PS Delphine Batho dénonce de son côté les « concepts réactionnaires » du président, qui viseraient uniquement à « enrayer sa chute dans les sondages ». Mais pour l’Elysée, l’« immigration choisie » passe par ces objectifs quantitatifs, qui désormais devront être débattus au Parlement. En 2007, ce ne sont non pas 25 000 personnes qui ont été reconduites à la frontière, comme le prévoyaient les objectifs annuels, mais plutôt
23 000.

Par ailleurs, Nicolas Sarkozy souhaite la création d’une juridiction particulière, entièrement dédiée au droit des étrangers. Jusqu’ici, ce sont les juges administratifs et judiciaires qui statuent sur le sujet. Selon le ministère de l’Immigration, sollicité à la suite de la conférence
de presse du président, il s’agirait seulement de choisir l’une ou  l’autre de ces juridictions, avec pour objectif de « simplifier les procédures ». Les syndicats de magistrats, SM (gauche) et USM (majoritaire), ont immédiatement réagi, avançant qu’une juridiction de ce type remettrait en question la Constitution même, puisque c’est le Conseil constitutionnel qui exige cette dualité.

« On ne peut pas s’affranchir de la sorte des grands principes du droit français, notamment en matière de libertés individuelles, selon Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti, le Groupe d’information et de soutien des immigrés. C’est une manière de dire
Laissez-nous expulser tranquillement, sans contrôle judiciaire.»

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« Une atteinte aux libertés individuelles »

08/01/2008

Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers

Nicolas Sarkozy vient de l’annoncer dans sa conférence de presse: une juridiction spécialisée dans le droit des étrangers va être créée. Une mesure qui inquiète au plus haut point Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers.

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Régularisation par le travail : un « piège » pour le Gisti

rue89-logo Chloé Leprince, 05/01/2008

L’association alerte contre l’illusion d’une vague de régularisations qui cacherait une stratégie de fichage des clandestins.

Une série de documents émanant des directions départementales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle promet des papiers aux ressortissants étrangers démunis de titre de séjour, pourvu qu’ils aient un travail, voire une simple promesse d’embauche. En Seine-Saint-Denis, un document que s’est procuré Rue89 les invite ainsi à « se présenter à la préfecture de Bobigny ou à la sous-préfecture du Raincy avec une promesse d’embauche », en échange de quoi l’administration leur cèderait des papiers.

Une promesse des préfectures basée sur l’article 40 de la loi Hortefeux. Pour le Gisti, il ne s’agit guère plus que d’un effet déformant de la loi. L’avocat Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti, n’hésite pas à parler de « piège » :

« C’est au cours de la discussion parlementaire qu’on a ouvert l’idée d’une régularisation par le travail. Mais attention : certains députés, comme Thierry Mariani, le rapporteur du texte, l’ont présentée comme un gage de générosité. Or, si c’est un signe d’ouverture, c’est aussi dangereux.

“Peu à peu, une rumeur gonfle, chez les sans-papiers, mais aussi dans les associations et chez certains travailleurs sociaux. Cette rumeur laisse entendre qu’il suffirait d’une promesse d’embauche pour avoir des papiers. Or pas du tout : c’est loin d’être systématique ! ‘

Fichage contre promesse

Pour le vice-président du Gisti, qui y voit un effet d’annonce’, il s’agit en fait avant tout de ‘ficher les célibataires comme on a fiché les parents d’enfants scolarisés, qui n’ont été que 6000 à 10000 régularisés après la circulaire Sarkozy pour 60000 sans-papiers sortis au grand jour’ :

‘On voit des gens se précipiter à la préfecture avec une promesse d’embauche alors que le texte n’est même pas applicable et que c’est la meilleure façon de se faire embarquer. Non seulement ils divulguent alors leur adresse personnelle, mais aussi le nom de leur employeur, or on sait bien que c’est souvent quelqu’un qui emploie dores et déjà des clandestins.’

Dans les faits, les poursuites sont encore rares à l’encontre des employeurs. Le parquet de Chalons-sur-Saône a, par exemple, renoncé à poursuivre Michel Millet, le notable vigneron médiatisé mi-décembre pour être monté au créneau lorsque Benali Sahnoune, son ouvrier agricole algérien, a été expulsé. Mais le Gisti avance que, depuis ‘une petite année, de plus en plus d’entreprises prennent contact pour savoir comment obtenir des papiers pour leurs salariés’. Sachant que certains, comme la CGT, avancent le chiffre -énorme- de ‘90% de sans-papiers salariés’.

Du côté des inspecteurs du travail, les syndicats montent au créneau depuis déjà plusieurs semaines pour dénoncer la prise en main des tâches des directions du travail par le ministère de l’Immigration et de l’identité nationale ‘sous couvert de lutte contre le travail clandestin’.

Le mois dernier, le ministère de l’Immigration avait rendu publiques les listes des métiers ouverts, région par région, aux non ressortissants de l’Union européenne : en tout, trente métiers -contre 129 pour les travailleurs des nouveaux pays de l‘UE- dont la plupart sont des métiers très qualifiés qui ne correspondent pas aux emplois réellement exercés’, critique Yves Veyrier, qui suit les questions liées à l’immigration pour Force Ouvrière.

Contactés à plusieurs reprises, les services de Brice Hortefeux n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

La création d’un nouveau fichier provoque la polémique

  Pascale Égré, 31/15/2007

«ELOI », le retour. Ainsi baptisé, un fichier des étrangers « faisant l’objet d’une mesure d’éloignement » vient d’être créé par un décret gouvernemental du 26 décembre, publié hier au « Journal officiel ». Souhaitée par l’ex-ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy comme outil de lutte contre l’immigration irrégulière, la création du fichier avait été annulée il y a six mois par le Conseil d’Etat.

Saisis par des associations, les Sages avaient jugé « illégal » l’arrêté ministériel du 30 juillet 2006. L’annulation ne valait pas « interdiction » : le texte devait être soumis à un avis dela Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et préciser la durée de conservation des données et les modalités d’habilitation des personnes pouvant y accéder.

« Ce texte entérine un délit de solidarité »

Le ministère de l’Immigration, auteur d’un texte désormais « approuvé » par la Cnil et le Conseil d’Etat, défend la nouvelle mouture comme « inattaquable au plan juridique ». Le décret n°2007-1890 rappelle d’abord que le fichier doit « permettre le suivi et la mise en oeuvre des mesures d’éloignement » et « d’établir des statistiques » les concernant. Il dresse une longue liste des « données à caractère personnel » qu’un étranger expulsable doit fournir : son état civil, mais aussi celui de ses parents et de ses enfants, ou encore les langues parlées. Conservées pendant trois ans, ces informations pourront être consultées par des agents des services centraux du ministère de l’Intérieur, des préfectures, de la police et de la gendarmerie « spécialement habilités ». Toutes les situations sont prévues (prison, centre de rétention…), avec une particularité en cas d’assignation à résidence : le fichier enregistrera aussi, durant trois mois, les informations concernant les personnes hébergeant les étrangers concernés.

Les associations qui avaient à l’époque saisi le Conseil d’Etat ont réagi de façon mitigée à la nouvelle version. La Cimade a pris acte de la suppression du fichage des visiteurs des étrangers en centres de rétention administrative, prévu par le premier texte. « Mais le chemin n’a été fait qu’à moitié, a souligné son secrétaire général, Laurent Giovannoni, qui voit dans le recensement des personnes qui hébergent des étrangers assignés à résidence « une porte ouverte à des poursuites pour délit d’aide au séjour irrégulier ». Même inquiétude pour Dominique Sopo, de SOS Racisme : « Ce texte entérine un délit de solidarité », critique-t-il.

La conservation des données de filiation interpelle le président de la Ligue des droits de l’homme : « Pourquoi vouloir les garder trois ans, si ce n’est pour faciliter la traque des enfants de sans-papiers dans les écoles », interroge Jean-Paul Dubois.

Pour Pierre Henry, directeur de France Terre d’asile, le fichier s’inscrit « dans une philosophie de « Big Brother » qui tend à faire de l’immigration une question d’affrontement permanent. » Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti, le Groupe d’information et de soutien des immigrés, déplore quant à lui ce qu’il estime être le « signe malsain » d’une « folle et cynique logique du chiffre ».

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«En porte-à-faux avec le discours officiel»

Propos recueillis par A.G., 29/12/2007

LP/Frédéric Dugit
LP/Frédéric Dugit

STEPHANE MAUGENDRE, Avocat et vice-président du Groupe d’Information et de Soutien aux Immigrés (GISTI)

Que pensez-vous de cette circulaire ?

Stéphane Maugendre. Elle est pleine de contradictions. Une fois de plus, on fait la distinction entre pays du Sud et pays du Nord. Cela me choque, cela ne correspond pas à la réalité de l’immigration en France. En plus, ce texte est complètement en porte-à-faux avec le discours officiel. Le gouvernement jure qu’il ne veut pas voler des « cerveaux » aux pays pauvres. Sauf qu’il ne propose à leurs ressortissants que des métiers qualifiés. En outre, ce texte ne règle toujours pas la situation des Algériens et des Tunisiens, qui représentent pourtant 30 % des entrées permanentes dans notre pays. Pour eux, c’est le parcours du combattant pour travailler en France.

Désormais 150 métiers sont ouverts aux ressortissants de l’Union européenne. Est-ce un signe d’assouplissement ?

C’est une fausse ouverture… En tout cas, ce serait un leurre pour les personnes en situation irrégulière de croire que ce texte peut les aider à régulariser leur situation, même si elles exercent un emploi ou si elles ont un contrat de travail correspondant à l’un de ces métiers…
En réalité, très peu de gens des ex-pays de l’Est pourront obtenir une autorisation de travail.
Tout simplement parce que la procédure à suivre est très lourde et coûteuse pour l’employeur. Il doit faire d’abord une demande à sa direction départementale, puis contacter l’Anam (l’Agence nationale de l’accueil et des migrations) qui s’adresse ensuite à l’ambassade ou au consulat français du pays où vit la personne étrangère. Cela peut durer des mois, avant que la personne obtienne une autorisation de travail. Sans compter les taxes à payer : 1 200 €. Seules les grandes entreprises du BTP ou de l’hôtellerie peuvent se lancer dans ce genre d’aventures. Pas les PME.

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La préfecture retire sa note aux travailleurs sans-papiers

  Carole Sterlé, 26/12/2007

UNE PROMESSE d’embauche ou un CDI contre une régularisation. Pour les nombreux sans-papiers qui travaillent, parfois avec de vraies feuilles de paye, la proposition est tentante. La loi Hortefeux du 20 novembre autorise en effet cette régularisation, à titre exceptionnel, pour les sans-papiers qui travaillent dans des secteurs en manque de main-d’oeuvre.
Des dossiers se constituent en préfecture, alors que la loi n’est pas encore opérationnelle.

En Seine-Saint-Denis, une note de la Direction départementale du travail du 5 décembre informe les ressortissants étrangers qu’ils « doivent se présenter à la préfecture de Bobigny ou sous-préfecture du Raincy avec une promesse d’embauche pour examen de la situation et recevabilité de la demande ». Depuis, les téléphones des associations et avocats spécialisés ne cessent de sonner.

« Des étrangers en situation irrégulière nous demandent s’ils doivent aller faire les démarches », rapporte un avocat. Les réponses divergent. « Moi, je leur dis de ne surtout pas y aller, estime Stéphane Maugendre, avocat et vice-président du Gisti*. On surfe sur une rumeur. Et comme la loi n’est pas encore applicable, en se signalant auprès de la préfecture, ils s’exposent à une interpellation. »

La liste des « métiers sous tension » n’est toujours pas publiée

Interrogée, la préfecture de Bobigny a fait savoir que cette note avait été retirée après quelques jours. « Son affichage était prématuré puisque nous attendons les directives gouvernementales, explique-t-on au cabinet du préfet. Cette note est donc caduque, nulle et non avenue », ajoute-t-on sans préciser si des dossiers ont été constitués entre-temps. A Paris, une note similaire, datée du 22 novembre, stipule que, « dans l’attente des instructions ministérielles », la Direction départementale du travail de Paris « recevra les dossiers de demande d’autorisation de travail qui lui seront présentés ». Selon nos informations, des dossiers ont déjà été constitués.

Au ministère de l’Emploi, on indique qu’aucune directive n’a été donnée par rapport à la réalisation de ces notes, et on renvoie sur le ministère de l’Intégration et de l’Identité nationale. « Pour que la régularisation par le travail soit effective, il faut que le décret d’application soit publié. Cela ne devrait pas être très long, Brice Hortefeux souhaiterait que ce soit le plus vite possible », précisent les services du ministre de l’Intégration.

Et d’assurer qu’un « cuisinier sénégalais a été régularisé dans la région de Strasbourg, où les cuisiniers faisaient défaut ». Pour l’heure, aucune liste des métiers « en tension » pour les ressortissants d’Etats tiers (hors Europe élargie) n’est officielle.

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Sans-papiers : les soutiens sur « écoute informatique » ?

rue89-logo Chloé Leprince 22/12/2007

Un projet de loi prévoit d’autoriser la police à placer des logiciels espions notamment contre l’aide aux sans-papiers.

Et si la police était désormais habilitée à placer des logiciels espions dans les ordinateurs dans le but de surveiller en temps réel le flux informatique des particuliers et des entreprises, y compris les e-mails et les conversations téléphoniques via des logiciels comme Skype ? C’est en tout cas ce que prévoit une disposition, dévoilée la semaine dernière par la presse, de la prochaine Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Lopsi), qui doit être présentée en janvier par Michèle Alliot-Marie en Conseil des ministres.

Contactés ce samedi, les services du ministère de l’Intérieur évitent encore de communiquer plus amplement sur le sujet. « Un peu tôt » y explique-t-on. Plusieurs dispositions ont pourtant filtré et notamment ce nouveau feu vert à l’installation de « mouchards ».

Les policiers seraient autorisés à avoir recours à ces « clés de connexion » non seulement pour de la grande délinquance « dès lors que les faits sont commis en bande », précise le texte tel qu’il a filtré à ce jour -et n’a pas été démenti par le ministère. Mais aussi pour « l’aide à l’entrée et au séjour d’un étranger en situation irrégulière ».

Sur le papier, la justification s’articule bien sûr autour de la lutte contre les réseaux de l’immigration clandestine et notamment contre les passeurs. Mais, dans les faits, des associations comme RESF, par le biais de laquelle des particuliers s’organisent notamment pour assister, et parfois cacher, des parents d’enfants scolarisés qui sont en situation irrégulière, pourraient être menacées.

« Une volonté symbolique et politique plus qu’une vraie utilité »

C’est sous le contrôle du juge d’instruction et du juge des libertés et de la détention (JLD) que la police sera habilitée à contrôler en temps réel le contenu des ordinateurs des gens placés sur « écoute informatique ». Un JLD interrogé par Rue89 se montre « plutôt sceptique » :

« Cette disposition traduit bien sûr la pression accrue sur la lutte contre l’immigration clandestine. Partout, dans les services de police, les préfectures, les gendarmeries, on forme des équipes spécifiquement destinées à cela. Mais, du point de vue de l’enquête, je suis dubitatif sur le lien entre ce qui peut circuler sur ces ordinateurs et les étrangers en situation irrégulière. J’ai du mal à saisir l’utilité de la chose. »

Pour ce magistrat, cette disposition nouvelle relève en fait davantage d’une volonté « symbolique ou politique » que d’une utilité réelle, alors qu’à ses yeux, on déploie déjà bien davantage d’énergie à poursuivre les sans-papiers eux-mêmes qu’à lutter contre les réseaux de passeurs.

Inquiétude des associations

La plupart des associations n’avaient pas encore relevé ce détail de la Lopsi, qui ne sera rendue publique que début 2008. Mais cette nouvelle génération de mouchards inquiète, alors que Rue89 racontait début décembre que deux salariées de France terre d’asile avaient été placées sur écoute pendant plusieurs mois avant d’être carrément placées en garde à vue pour avoir eu des conversations téléphoniques avec de jeunes clandestins qu’elles suivaient dans le cadre de leurs maraudes.

Vice-président du Gisti, l’avocat Stéphane Maugendre rappelle qu’il y a une tendance à la criminalisation générale de l’aide aux sans-papiers :

« Cette disposition serait un pas de plus mais, dès à présent, la loi sur l’aide au séjour irrégulier est tellement vaste qu’elle concerne aussi bien l’oncle qui accueille son neveu quelques jours, le petit passeur, les associations qui aident les sans-papiers, que les gros réseaux de trafic. »

Si aucun parent d’élève associé par exemple à RESF n’a encore été poursuivi, Stéphane Maugendre souligne que la pression va bien crescendo sur le terrain.

Du côté de la Cimade, Sarah Bellaïche juge « très inquiétante » la nouvelle mouture de la loi de sécurité intérieure mais constate également que l’arsenal législatif permettait déjà de donner un tour de vis supplémentaire, en poursuivant par exemple les passagers d’un avion qui s’étaient opposés à l’expulsion d’un clandestin pour « atteinte au bon fonctionnement d’un aéronef ».

Immigration : Hortefeux en mission périlleuse

logo_jdd_fr1 Elsa Guiol (avec Stéphane Joahny), 16/12/2007

Autant dire que Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, est attendu au tournant. Avant même son intervention, mardi à l’Assemblée, les critiques fusent et la riposte s’organise. Le gouvernement doit présenter une nouvelle loi sur « la maîtrise de l’immigration, l’intégration et l’asile ». Ce texte déjà très controversé vise principalement à restreindre l’immigration familiale, et plus particulièrement le regroupement familial. Nicolas Sarkozy en avait fait une promesse de campagne et compte sur son ministre pour venir à bout de son projet, moins d’un an après le vote de la dernière loi sur l’immigration.

« L’immigration familiale, principal vecteur de l’immigration en France »

Pour le ministère, le constat est simple : « Avec 94.500 titres de séjour délivrés en 2005, l’immigration familiale reste le principal vecteur de l’immigration en France, loin devant les flux d’étudiants (48.900 titres) ou de travailleurs (13.650 titres). » Le regroupement familial strictement a concerné près de 23.000 étrangers, ce qui correspond à 11 % de la totalité des titres de séjour accordés en 2005. Plusieurs nouvelles dis¬positions visent à enrayer le phénomène : contrôle préalable de la connaissance de la langue française et des va¬leurs de la République, obligation de retourner dans le pays d’origine pour dé¬poser une demande de carte de séjour, augmentation du niveau de ressources nécessaires (jusqu’à 1,2 fois le smic, selon la taille de la famille), obligation de signer un « contrat d’accueil et d’intégration », suspension ou mise sous tu¬telle des allocations familiales en cas de rupture de ce contrat…

Depuis 2003, c’est le quatrième texte de loi sur ce thème présenté à l’Assemblée nationale. La procédure liée au regroupement familial, elle, a déjà été modifiée par deux lois, deux décrets, trois circulaires et un arrêté. « Notre objectif est d’aboutir à un équilibre entre l’immigration économique et familiale », insiste-t-on au ministère, où on n’oublie pas non plus l’objectif d’expulsions : 25.000 avant la fin de l’année. Le ministre ne s’est pas gêné pour le rappeler mercredi aux préfets, en convoquant vingt d’entre eux dans son bureau.

Dans ce climat tendu, les associations de défense des immigrés haussent le ton. Pour le collectif Uni(e) contre une immigration jetable (Ucij, qui regroupe une centaine d’associations) : « Cette diarrhée législative, alors que les précédentes lois n’ont pas été mises complète¬ment en œuvre, conduit à se poser la question des motivations réelles du gouvernement, la répétition des réformes ne vise-t-elle pas davantage à flatter les réflexes racistes et xénophobes dans la population? » Pour la Cimade: « L’impossibilité de suivre une formation dans le pays d’origine en raison du coût et/ou des distances entraînera des refus de délivrance de visa. Mais il est illusoire de penser que les personnes accepteront une séparation familiale. » Plusieurs as-sociations rappellent un précédent : « En 2003, puis en 2006, l’augmentation du ni-veau de ressources exigible avait déjà été proposée à l’Assemblée nationale mais deux fois rejetée par le Sénat », qui avait jugé la proposition discriminatoire. Un rassemblement est prévu à 18 heures mardi devant l’Assemblée nationale.

Dans la classe politique comme chez les experts, le débat fait rage. Pour Faouzi Lamdaoui, secrétaire national du Parti socialiste en charge notamment des questions d’immigration, le projet constitue un choix « politiquement condamnable et juridiquement contestable » qui va à l’encontre de l’objectif affiché : l’intégration des populations immigrées. « On durcit les conditions du regroupement familial alors que c’est justement un vecteur d’intégration. » A l’inverse, la démographe Michèle Tribalat estime que le texte va dans le sens de l’Histoire: « La plupart des pays européens cherchent à réduire la part familiale de l’immigration en provenance des pays tiers. »

« Onze pays européens ont déjà adopté cette pratique »

L’adoption par la commission des lois de plusieurs amendements suscite encore davantage la polémique. L’un lèverait l’interdiction de recueillir des données relatives à l’origine raciale ou ethnique dans le cadre d’études sur « la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration ». Une proposition d’emblée condamnée par SOS-Racisme. Un autre, déposé par Thierry Mariani (UMP), autorise un demandeur du regroupement familial à avoir recours aux tests ADN pour prouver son lien de filiation. Pour justifier sa proposition, le député du Vaucluse répète que « onze pays européens ont déjà adopté cette pratique. Et il n’est de toute façon pas question de conserver les échantillons ».

Cette proposition a provoqué un tollé. L’opposition et les associations émettent des doutes sur la possibilité de réaliser ce type de tests dans les pays d’origine, et s’inquiètent du sort réservé aux enfants adoptés ou recueillis. « Cet loi ne doit pas être votée, martèle Me Stéphane Maugendre, avocat spécialiste du droit des immigrés. C’est le dernier coup de vis avant l’interdiction totale du regroupement familial. » Il n’est pas le seul à le penser. La séance de mardi à l’Assemblée nationale risque d’être agitée.

Des dizaines de sans-papiers libérés par le tribunal

  Carole Sterlé, 13/12/2007

RAREMENT on aura vu autant de sourires dans la salle d’audience des étrangers au tribunal de grande instance de Bobigny. C’est dans cette petite salle surchauffée, à l’entrée du palais de justice, que sont convoqués les étrangers en situation irrégulière, interpellés en France, ou à leur descente d’avion à Roissy.

« Vous n’êtes pas maintenue en zone d’attente, explique le juge des libertés et de la détention à une jeune femme qui réclamait l’asile politique. Sous réserve de l’appel du parquet, dans quatre heures, vous serez remise en liberté. »

Les dossiers étaient si nombreux hier – quarante-quatre au total – qu’une seconde salle a été réservée aux jugements. Là encore, le scénario se répète. « Vous êtes en situation parfaitement irrégulière, précise le juge à une jeune Syrienne, qui s’est vue déboutée de sa demande d’asile. Ce n’est pas parce que je porte une robe noire que je régularise la situation. » La jeune femme, et les quarante-trois autres étrangers convoqués hier, sont ressortis libres, et heureux.

Les avocats ont trouvé une faille dans la procédure

Depuis qu’un avocat a ouvert la brèche, il y a au moins un peu plus d’une semaine, les avocats ont compris qu’en faisant valoir l’article 552-5 du Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), ils pouvaient obtenir la libération de leur client, au motif qu’il n’existe aucune trace tangible que les étrangers convoqués ont été régulièrement avisés de la date et de l’heure de l’audience afin de préparer leur défense. La plupart des juges des libertés et de la détention leur donnent raison.

« Si on ne restreignait pas autant le droit des étrangers dans la pratique, on n’en serait pas là. Ce sont des batailles comme celles-ci qui font avancer la jurisprudence », estime Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis et vice-président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés).

Quelques appels ont été formés, mais selon nos informations, tous les arrêts rendus confirment les décisions de libération. De son côté, le parquet de Bobigny n’a encore jamais fait appel de telles libérations, appel suspensif s’il est formé dans un délai de quatre heures. « Le parquet n’exclut pas de faire des appels suspensifs et le parquet général (NDLR : de la cour d’appel) n’exclut pas l’éventualité d’un pourvoi en cassation », indiquait-on hier soir à la cour d’appel de Paris, dont relève le tribunal de Bobigny. En attendant cet éventuel pourvoi, les étrangers sans papiers ressortent libres et souriants du tribunal de Bobigny.

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« On est en plein délire ! »

obs Interview de S.Maugendre par F.Miguet 24/11/2007

Pourquoi l’enfant, Angolais tout comme son père, ne fait-il pas, lui aussi, l’objet d’un éloignement du territoire ?

– La justice relative à l’enfance est gérée par l’ordonnance de février 1945 relative à la protection de l’enfance. Celle-ci dispose clairement l’interdiction de tout éloignement d’un enfant du territoire français jusqu’à sa majorité.
Deux droits s’opposent ici : d’un côté celui des étrangers, de l’autre le droit qui s’applique aux mineurs. C’est ce dernier qui prime. Un mineur ne peut en aucun cas être éloigné du territoire français. C’est le principe.
Peut-on légalement éloigner du territoire français un parent sans son enfant ?
– C’est une question compliquée. Si l’on prend la décision d’éloigner une femme ou un homme du territoire français, on ne peut pas, en principe, faire éclater une famille. Il faudrait donc que l’enfant soit éloigné aussi. Comme ce dernier ne peut l’être, du fait de l’ordonnance de 1945, son droit devrait primer, et interdire la reconduite de ses parents. Actuellement, en pratique, il y a très peu de reconduites à la frontière qui concernent des sans-papiers parents d’enfants résidant sur le territoire français.
D’ailleurs, les juridictions judiciaires et administratives ont pour habitude de sanctionner de telles pratiques. Quand il y en a cependant, il s’agit de cas à la marge, et cela ne concerne qu’un seul des deux parents. En l’espèce, la mère de l’enfant est décédée.
Il s’agit là de choix politiques. Dans la mesure où l’on veut faire primer la chasse à l’étranger sur la vie des enfants, on peut se permettre d’éloigner le majeur, avec ou sans son enfant.
Mais, si l’on considère, au contraire, que l’on doit faire primer la vie du mineur, on interdit, dans ce cas, de faire exploser les familles.
C’est une situation scandaleuse !
On se focalise sur un cas particulier, comme si cela représentait l’ensemble des étrangers sur le territoire français. Là, l’enfant est scolarisé, il a des amis, qui peuvent très bien être nos enfants. C’est toute une cohérence sociale qui est touchée, pas seulement l’enfant, mais aussi ceux qui l’entourent. Au nom de quoi ? D’une politique de fermeté ?
La Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France, dit qu’un enfant doit être protégé. Il y a ici une ingérence du politique contre l’enfant. L’argumentation juridique existe, mais, ici, l’on fait face à un choix politique.
Si l’on choisit que les parents d’enfants domiciliés sur le territoire français peuvent être reconduits à la frontière, alors on se désengage des obligations internationales.
Cela existe depuis la circulaire Sarkozy de 2006, qui annonçait qu’elle allait régulariser des parents d’enfants présents sur le territoire français. 60.000 personnes sont allées se dénoncer aux préfectures sur la base de critères qui paraissaient souples. Mais, une circulaire n’a aucun effet en droit. Entre 6.000 et 10.000 personnes ont été régularisées. Mais les autres ?
Elles ont été fichées. La situation à laquelle nous faisons face à présent a été préparée depuis longtemps. En ce moment on parle de régularisation par le travail avec la loi Hortefeux. Mais rien n’est clair. De nombreux employés et employeurs en situation irrégulières vont se livrer en pâture sans garantie précises. On les fiche, eux aussi. Le cas de cet Angolais est symptomatique. Qu’est-ce que cela change si on le laisse avec son enfant ? Rien du tout. On est en plein délire !
Que risque-t-il d’advenir de l’enfant ? L’Etat n’a-t-il pas une obligation d’aide ou de protection le concernant ?
– L’Etat a une obligation de protection sous réserve qu’il n’y ait pas d’autre membre de la famille. Un juge pour enfant doit être saisit, afin que le mineur soit placé auprès d’un tiers digne de confiance. Ce peut être une tante, un oncle, mais aussi l’ASE (Aide sociale à l’enfance). Savez-vous combien coûte une reconduite à la frontière, grosso modo ?
On parle de 50.000 euros. C’est énorme ! Là, on va devoir ajouter la saisine du juge pour enfant, qui a sûrement beaucoup mieux à faire. Imaginez l’argent que cela coûte. On tombe sur la tête !
Appuyer sur cet accélérateur là pour obtenir 25.000 reconduites à la frontière, c’est du chiffre, pour faire de l’annonce. Et cela au détriment du travail de la police et de la gendarmerie. Lorsque l’on en discute avec eux, on constate que policiers et gendarmes en ont pardessus la tête. Pendant ce temps, ils ne peuvent pas lutter contre la vraie délinquance. Aujourd’hui, être sans-papiers, c’est un délit puni d’un an d’emprisonnement et de trois ans d’interdiction du territoire. Et on préfère s’arcbouter là-dessus.
Mais ces gens ne sont pas des voyous. Ils viennent en France pour travailler, parce qu’il ya du boulot en France. Il y a, aujourd’hui, 500.000 postes non pourvus dans le monde du travail, dont 70.000 dans le bâtiment. On nous dit: « Régulariser des gens, ça fait des appels d’air ». Mais l’appel d’air c’est qu’il y a du travail non pourvu en France, et que ces gens veulent le faire. J’ai des clients sans-papiers qui travaillent entre 35 et 70 heures par semaines. Et lorsqu’il faut présenter un titre de séjour pour obtenir un CDI, il se barre. C’est ça la vérité. Ces gens ne sont pas responsables des émeutes dans les banlieues, ils ne viennent pas pour faire du trafic, mais pour travailler.