Mercredi 8 avril, un mouvement national a eu lieu contre le « délit de solidarité » (les guillemets s’imposent car il ne s’agit pas de son nom juridique, mais de son nom de com’, assez bien trouvé d’ailleurs), plus connu chez les juristes sous son petit nom de L. 622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers.
Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 Euros.
La loi prévoit depuis 1996 une série d’immunités dites familiales : ne peuvent être poursuivies pour ce délit les ascendants ou descendants de l’étranger, leur conjoint, leurs frères et sœurs ou leur conjoint ; les époux ne doivent pas être séparés de corps, avoir un domicile distinct ou avoir été autorisés à résider séparément ; sont également immunes le conjoint de l’étranger sauf s’ils sont séparés de corps, ont été autorisés à résider séparément ou si la communauté de vie a cessé, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ; et enfin toute personne physique ou morale (dont les associations), lorsque l’acte reproché — c’est-à-dire l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers — était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s’il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte, ces dernières dispositions n’étant qu’une reprise du texte général sur l’état de nécessité et n’apportant rien au droit (article L.622-4 du CESEDA).
Ces faits sont punis de 5 ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende, portés à 10 ans et 750.000 euros d’amende quand ils sont commis en bande organisée (et un réseau comme RESF pourrait furieusement ressembler à une bande organisée…).
Le jour de ces manifestations, 5 500 personnes se sont symboliquement livrées à la justice en confessant avoir commis ce délit, et demandaient à être condamnées de ce fait. Rassurez-vous, leur revendication n’a pas été suivie d’effet. Le même jour, mon M.P.A.R.[1], Éric “30 deniers et un maroquin” Besson, est passé sur France Inter, chez Nicolas Demorand, pour désamorcer la bombe médiatique. D’entrée, il déclare :
Il n’y a pas de délit de solidarité en France, et (…) toutes celles et ceux qui de bonne foi aident un étranger en situation irrégulière ne risquent rien. Ce ne sont pas des mots, ce sont des faits. En 65 ans, depuis qu’existe ce fameux article L.622-1 désormais célèbre, personne en France, personne en 65 ans, n’a jamais été condamné pour avoir simplement comme je le lis hébergé, donné à manger, transporté en auto-stop, un étranger en situation irrégulière. Deux bénévoles humanitaires ont été condamnés à des dispenses de peine en 65 ans pour être entrés dans ce qu’on appelle la chaîne des passeurs (…). En clair, ils avaient transporté des fonds, ils avaient pris de l’argent de ces étranger en situation irrégulière qu’ils avaient apporté à des passeurs. Donc le délit de solidarité n’existe pas. C’est un mythe.
Voici l’intégralité de l’intervention.
L’Académie Busiris s’est penchée sur ces déclarations, mais après en avoir délibéré conformément à ses statuts, a rejeté la candidature de M. Besson, estimant qu’il s’agissait d’un mensonge intentionnel et d’un travestissement de la réalité, plus connu sous le nom de “communication politique”, et non des propos Busiribles.
Car Monsieur Besson ment, ou du moins colporte un mensonge (il est possible qu’il ait été fort mal informé par ses conseillers ; vous savez ce que c’est, les hauts fonctionnaires, ils comprennent rien à rien…). Une très sommaire recherche de jurisprudence m’a rapidement fait trouver deux décisions récentes condamnant pour le délit d’aide au séjour irrégulier des personnes qui ne sont pas des bénévoles humanitaires pour des faits autres que porter de l’argent à des passeurs.
Ainsi, la chambre criminelle de la cour de cassation, le 7 janvier dernier, a cassé un arrêt de la cour d’appel de Fort de France qui avait estimé qu’une reconnaissance de paternité de complaisance (un Français avait reconnu les enfants d’une étrangère en situation irrégulière afin de lui permettre d’obtenir des papiers sachant qu’il n’était pas le père) ne constituait pas le délit : si, répond la cour de cassation, les reconnaissances de paternité de complaisance effectuées par le prévenu au profit de mineurs haïtiens visaient à apporter à ces derniers une aide directe destinée à faciliter leur entrée ou leur séjour irréguliers en France, au sens de l’article L. 622-1 du code de l’ entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ce qui est aller très loin car un mineur ne peut être au sens strict en situation irrégulière puisque la loi n’exige un titre de séjour qu’aux majeurs.
La cour d’appel de Douai (4e chambre) a rendu un arrêt n°06/01132 (publié au Dictionnaire permanent du droit des étrangers, Éd. Législatives) le 14 novembre 2006 condamnant un français vivant en concubinage (établi) avec un étranger en situation irrégulière qui avait eu le malheur de déclarer devant le juge d’instruction qu’il ne s’était installé chez son ami qu’une fois que les « choses s’étaient stabilisées », ce qui excluait que le concubinage avant cette date pût être notoire (ce qui apporte une immunité, comme nous allons le voir), et donc l’aide apportée avant cette date tombait sous le coup de la loi (il a été condamné à une dispense de peine).
Voilà ce que j’ai trouvé en 5 minutes de recherches. Deux décisions qui ont toutes les deux moins de trois ans. Pour un délit qui n’existe pas et relève de la mythologie, vous admettrez que ça fait beaucoup.
À ceux qui me demanderont pourquoi devrait-on protester contre la condamnation de celui qui reconnaît sciemment les enfants d’autrui pour tromper l’administration, je répondrai que je ne leur demande pas d’exprimer leur solidarité, mais seulement de m’expliquer en quoi aller mentir à un officier d’état civil en disant “ ces enfants sont les miens ” mériterait 5 ans de prison tandis qu’un ministre qui va mentir à des millions de français à la radio mériterait ne serait-ce que de garder son maroquin. Sans aller jusqu’à exiger une parfaite probité des politiques (quelle idée…), je trouverais normal qu’on leur appliquât la même sévérité que celle qu’ils votent à tours de lois… quand ils sont dans l’hémicycle s’entend.
Et sans aller jusqu’à fouiller 65 années d’archives du recueil Dalloz, Monsieur Besson a reçu récemment, le 31 mars c’est-à-dire une semaine avant son passage chez Nicolas Demorand un document très intéressant, qui ne pouvait que lui révéler que cette infraction était tout sauf un mythe.
Ce document, qui lui est adressé personnellement, dit ceci :
En 2008, 4300 personnes ont été interpellées pour des faits d’aide illicite à l’entrée et au séjour d’immigrés en situation irrégulière. Nous vous demandons de viser un objectif de 5000 pour l’année 2009.
Soit 14% d’augmentation tout de même.
Ces propos sont signés par Nicolas Sarkozy, président de la République et François Fillon, Premier ministre, dans la lettre de mission adressée à Éric Besson, que vous pourrez trouver sur le site de l’Élysée (pdf).
Ce qui permet de prendre les déclarations de M. Besson avec, comment dire… Un peu de recul.
L’hypocrisie va plus loin, je le crains. La lettre de missions parle d’interpellations, et non de poursuites ou de condamnations. Je suis convaincu que les poursuites pour aide au séjour irréguliers restent rares et aboutissent souvent à des dispenses de peine. Je n’en ai jamais vu pour ma part.
Mais l’existence de ce délit donne à la police le pouvoir d’interpeller et de placer en garde à vue toute personne apportant un quelconque soutien aux étrangers. Oh, l’affaire sera classé sans suite. Mais au bout de plusieurs heures, pouvant aller jusqu’à 48 heures, ou mieux encore en cas de suspicion de bande organisée : 96 heures, pas d’avocat avant 48 heures. La police a autre chose à faire que placer e ngarde à vue des gens qui ne font de mal à personne, me direz-vous ?
Mais le président vient d’ordonner le contraire. Les 5000, il va falloir les trouver. Et il reste 9 mois.
Les cellules des commissariats vont devenir mythiques, cette année…