Compte-rendu du forum citoyen du 25 octobre 2009 Par Maud Amaudric
LE « DÉLIT DE SOLIDARITÉ »(1), C’EST LE FAIT DE « FACILITER OU TENTER DE FACILITER L’ENTRÉE, LA CIRCULATION OU LE SÉJOUR IRRÉGULIERS D’UN ÉTRANGER EN FRANCE», SELON L’ARTICLE 622-1 DU CÉSÉDA (2). POUR CETTE ACTION ILLÉGALE, ON RISQUE UNE PEINE « DE CINQ ANS D’EMPRISONNEMENT ET UNE AMENDE DE 30 000 EUROS ». AFRISCOPE A ORGANISÉ DIMANCHE 25 OCTOBRE DERNIER, EN COLLABORATION AVEC LE COLLECTIF DOCOMOTO, SON TROISIÈME FORUM CITOYEN SUR LE THÈME : « LE DÉLIT DE SOLIDARITÉ, UN ENJEU DE MOBILISATION AUTOUR DES SANS-PAPIERS» RETOUR SUR LES PRINCIPAUX POINTS SOULEVÉS
Le débat, introduit par Mohammed Ouaddane, de L’association Trajectoires, s’est ouvert sur cette observation : « On est passé en vingt ans de la criminalisation du sans-papiers à la criminalisation de celui qui laide.» Que signifie cette évolution selon les intervenants?
« Ce qui a changé, c’est le nombre… »
Stéphane Maugendre, président du Gisti (3), a commencé par un bref rappel sur l’histoire du délit de solidarité : « Avant de correspondre à l’article 622-1 du Céséda, le délit de solidarité existait déjà, sous le nom d’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945.» Le premier scandale autour de cet article a éclaté en 1996 autour du cas de Jacqueline Deltombe, Lilloise, poursuivie pour avoir hébergé un sans-papiers. Un groupe de réalisateurs a alors lancé une pétition de grande ampleur : « Le Monde et Libération publiaient des pages et des pages de noms demandant l’abrogation de l’ordonnance de 1945 », raconte Stéphane Maugendre. En 1998, au moment du vote de la loi Chevènement relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France, des militants réclament de nouveau cette abrogation.
Le délit de solidarité existe donc depuis longtemps. Ce qui change aujourd’hui ? « C’est le nombre de militants qui se voient convoqués parla police, qui cherche à les intimider. Un certain nombre sont pour¬suivis, dont certains sont condamnés » explique Stéphane Maugendre. Le Gisti a fait un gros travail de recherche autour des décisions juridiques concernant l’article 622-1 (4). Pour la simple année 2008, six condamnations sur la base de cet article ont été recensées. Mais surtout, 4300 personnes ont été interpellées (5) et ont pu passer jusqu a 48 heures en garde à vue. Sans compter, comme l’a souligné Stéphane Maugendre, que ces chiffres ne prennent en compte que les personnes arrêtées sur la base de l’article 622-1. Alors que beaucoup d’aidants sont poursuivis sur d’autres fondements : diffamation, injures, rébellion, outrage et même « entrave à la circulation d’un aéronef » pour ceux qui se révoltent dans les charters contre les mauvais traitements les sans-papiers expulsés !
Pourquoi cette pression?
Ce sont en réalité les aidés – les sans- papiers – sur lesquels on cherche à faire pression à travers leurs soutiens. Dans quel but? D’après Emmanuel Terray, pas dans celui d’atteindre l’objectif officiel d’éradication de l’immigration illégale – objectif qu’il taxe de « pure hypocrisie ». Car « si le gouvernement parvenait à ses fins, toute une série de secteurs importants de l’économie française serait du même coup paralysée ». Des secteurs comme celui du bâtiment, de l’hôtellerie, de la confection, du nettoyage, du gardiennage, des services à la personne…
qui ont La caractéristique commune de ne pouvoir être délocalisés : « on ne peut pas construire un bâtiment ailleurs qu’à l’emplacement où il doit être construit, restaurer les gens de loin ni nettoyer une rue ailleurs que là où elle se trouve! » note Emmanuel Terray.
Sa conclusion est la suivante : « L’immigration illégale permet aux entreprises qui ne peuvent pas délocaliser de trouver quand même à leur porte une main d’œuvre qui se trouve dans les mêmes conditions que celle des pays du tiers-monde, où se font les délocalisations ordinaires : salaire dérisoire et aléatoire, pas de droits sociaux, pas de syndicat… une main d’œuvre docile. » Il parle de « délocalisation surplace ». Pour Emmanuel Terray, les chiffres officiels de l’immigration illégale ces 25 dernières années sont significatifs : ils stagnent autour de 400 000 personnes, alors que deux vagues de régularisations massives ont eu lieu – 150 000 personnes en 1981 et 90 000 personnes en 1997 – et qu’il y a de plus en plus d’expulsions. « Les « pertes » sont donc rééquilibrées par des entrées nouvelles, de manière à ce que le seuil de main d’œuvre exploitable reste identique. »
Pour que cette main d’œuvre exploitée continue d’être soumise, il faut maintenir une pression sur elle… ce qui fonctionne de moins en moins.
Des sans-papiers de plus en plus rebelles
Il devient de plus en plus difficile de contenir les revendications des sans- papiers, qui depuis l’occupation de l’église Saint-Bernard en 1996, se sont organisés. En témoigne l’action de la CSP75 (Coordination des sans-papiers de Paris), qui multiplie les occupations de lieux, les manifestations, les actions
de sensibilisation auprès du grand public. Anzoumane Sissoko, l’un de ses porte-parole, a insisté : « Les sans- papiers n’ont plus rien à perdre ! On peut même vous mettre en prison, cela vous fait des vacances ! » « C’est ce qui m’est arrivé en 2001, après sept ans de travail sans congés, à travailler 70 heures payées 39… Dans des conditions comme celles-ci, la prison est un soulagement ! » a-t-il lâché, provocateur.
C’est également depuis 1996 que la cause des sans-papiers a commencé à alerter l’opinion publique et à rallier des soutiens français. Depuis 2008, les syndicats acceptent de défendre les sans- papiers en tant que travailleurs, comme les autres, au lieu de les traiter comme une question à part : « les travailleurs sans-papiers – soit la quasi totalité des sans-papiers – ne sont pas du tout un phénomène marginal dans notre société ; c’est la pointe extrême de la précarité », a martelé Emmanuel Terray. C’est donc bien autour de la question de l’exploitation des travailleurs, et pas uniquement de celle de l’immigration, qu’ils luttent et obtiennent des soutiens.
Au final, c’est probablement parce que les soutiens sont de plus en plus nombreux qu’ils posent de plus en plus problème et sont de plus en plus poursuivis : intimider les soutiens, les faire renoncer à leurs actions, c’est avant tout isoler les sans-papiers et les affaiblir. À Lyon, cela a fonctionné, a raconté Stéphane Maugendre : les manifestations hebdomadaires devant le centre de rétention se sont arrêtées suite aux menaces subies par les militants…
Mohammed Ouaddane : fondateur et coordinateur de projet de l’association Trajectoires, membre du collectif Docomoto.
Stéphane Maugendre : président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) depuis 2008.
Emmanuel Terray :anthropologue et militant de la LDH (Ligue des droits de l’homme) et grand connaisseur de la lutte des immigrés en France ces 25 dernières années.
Anzoumane Sissoko : porte-parole de la CSP75 (Coordination des sans-papiers de Paris), Anzoumane Sissoko est lui-même resté sans-papiers pendant 13 ans. Afriscope lui a consacré sa Une du numéro de septembre-octobre 2009.
(1) L’expression a été inventée par le Gisti pour sensibiliser l'opinion publique à cette question.
(2) Céséda : Code d'entrée et de séjour des étrangers et des demandeurs d'asile.
(3) Gisti : Groupe d'information et de soutien des immigrés, né en 1972.
(4) À deux reprises, dans une lettre ouverte adressée aux associations le 23 mars 2009, puis sur France Inter le 8 avril, M. Eric Besson, ministre de l’Immigration, a affirmé : « En 65 années d'application de cette loi, personne en France n’a jamais été condamné pour avoir seulement accueilli, accompagné ou hébergé un étranger en situation irrégulière ». Le Gisti a entamé ce travail de recherche, en remontant jusqu'à 1986, pour contrecarrer cette affirmation. Pourvoir cette liste :http://www.gisti.org/spip.php7article1399
(5) Extrait de la Lettre de mission adressée le 31 mars 2009 à M. Besson, par MM. Fillon et Sarkozy : « En 2008, 4300 personnes ont été interpellées pour des faits d'aide illicite à l'entrée et au séjour d'immigrés en situation irrégulière. Nous vous demandons de viser un objectif de 5000 pour l'année 2009. »Lettre disponible sur le site de l'Élysée : http://www.elysee.fr.