Bertrand Bissuel, 15/09/2015
Les nouvelles propositions de Christiane Taubira sont critiquées par les avocats
Christiane Taubira parviendra-t-elle à réformer l’aide juridictionnelle ? La garde des sceaux vient de mettre sur la table de nouvelles propositions pour améliorer le fonctionnement de ce dispositif, dont le but est de permettre aux plus démunis d’accéder à la justice. Elles ne sont pas « acceptables » en l’état, a indiqué, samedi 12 septembre, le Conseil national des barreaux (CNB), l’une des instances qui représentent les avocats. Pas question, pour autant, de lancer un appel à la grève, comme en 2014 : le dialogue entre la profession et la chancellerie se poursuit et pourrait déboucher sur des mesures inscrites dans le projet de loi de finances pour 2016.
L’aide juridictionnelle fait l’objet, depuis des années, de nombreuses critiques. Du point de vue du justiciable, elle « ne remplit plus sa mission », écrivent les sénateurs Sophie Joissains (UDI-UC, Bouches-du-Rhône) et Jacques Mézard (RDSE, Cantal), dans un rapport d’information remis en 2014 : le niveau de ressources pour en bénéficier est « trop bas », les démarches sont complexes, etc.
Les avocats, de leur côté, jugent la rétribution insuffisante. Et l’Etat, quant à lui, déplore que le système soit porté à bout de bras par un petit nombre de professionnels : 7 % des avocats réalisent 57 % des missions de ce type, ce qui met en évidence de profondes disparités dans la prise en charge des procédures entre cabinets.
Missions supplémentaires
Pour redresser ce dispositif à bout de souffle, Mme Taubira a, un temps, envisagé d’instaurer une « contribution de solidarité » sur le chiffre d’affaires des avocats. Refus unanime des intéressés. Depuis, la ministre a fait de nouvelles propositions. La réforme qu’elle porte se veut ambitieuse en revisitant toutes les dimensions de l’aide juridictionnelle (simplification des formulaires, développement de la médiation, rénovation du barème et des modalités d’indemnisation fondées sur des unités de valeur…). Le niveau de revenus pour être éligible à cette assistance devrait être relevé et se situer au-dessus du seuil de pauvreté, ce qui augmenterait le nombre de bénéficiaires potentiels.
Enfin, les moyens alloués par l’État devraient être revus à la hausse, pour passer de 318 millions d’euros en 2013 à 401 en 2016. Mais la garde des sceaux souhaite que les avocats apportent, eux aussi, leur écot. « Si les pouvoirs publics demandent à notre profession de payer pour des prestations dans lesquelles les avocats travaillent à perte, nous leur disons non », réagit Me Pierre-Olivier Sur, bâtonnier de l’ordre de Paris. « Chacun doit prendre ses responsabilités, renchérit Me Marc Bollet, président de la Conférence des bâtonniers. L’État doit tenir ses engagements et financer l’aide juridictionnelle. »
L’une des pistes étudiées par la ministre consisterait à demander à la profession de financer de nouvelles technologies susceptibles de faciliter la mise en œuvre de la réforme. Est notamment visé le développement de Portalis, un portail Internet qui permettra, à terme, aux avocats comme aux justiciables de suivre leurs procédures. « Nous ne sommes pas opposés au principe d’une contribution de la profession au financement de la modernisation de ses outils numériques mais qu’attend-on de nous précisément ? », s’interroge Me Pascal Eydoux, président du CNB.
Le fait de relever le plafond de ressources qui conditionne le droit à l’aide juridictionnelle constitue « une chose positive », ajoute Me Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Bobigny. Mais l’indemnisation de la profession, elle, risque de décroître, d’après lui, car les moyens budgétaires accrus ne compenseront pas les missions supplémentaires. Mme Taubira va devoir encore parlementer si elle souhaite lever les inquiétudes que sa réforme inspire.