Propos recueillis par L.Emet et S. Rak, 12/12/1990
Me Stéphane Maugendre*: «Comme partout en Europe»
LE QUOTIDIEN. — Pourquoi êtes-vous favorable au projet gouvernemental ?
Stéphane MAUGENDRE. — La fusion des deux professions, avocats et conseillers juridiques était nécessaire : il n’existe pas d’autre pays en Europe où deux catégories de personnes fassent le même métier. Ceci dit, je suis opposé à ce qu’un certain nombre de dispositions soient adoptées.
Q. Vous pensez aux sociétés de capitaux?
Stéphane MAUGENDRE. — Je pense surtout à la possibilité d’y inclure des capitaux venus de l’extérieur. Cette pénétration d’éléments extérieurs dans le capital des sociétés peut mettre en danger notre indépendance. Nous exerçons une profession libérale et nous entendons bien conserver ce caractère libéral . Sinon, nous ne serons plus des avocats. Pour cela, fl faut que la loi prévoit des verrous, des proportions de capitaux extérieurs à ne pas dépasser, par exemple.
Q. , r- Que pensez-vous du Conseil national du barreau prévu par le texte en discussion à l’Assemblée nationale ?
Stéphane MAUGENDRE. — Ce Conseil supérieur, qui est une idée des sénateurs, nous pose un gros problème. Cette structure n’est pas acceptable, car elle amènerait en fait à instituer un Ordre national. Ce n’est pas cela que veut la profession, il faut tenir compte des spécificités des différents barreaux. Surtout, nous ne voulons pas que le Conseil ait des pouvoirs disciplinaires.
Q. — Ne craignez-vous pas que l’institution d’avocats salariés ne risque d’entamer l’indépendance de la profession ?
Stéphane MAUGENDRE. — Certes, mais ils resteront avant tout avocats, avec tout ce que cela implique, en particulier l’existence d’un Ordre capable de les défendre face à leur employeur. Et à partir du moment où nous acceptons la fusion avec une autre profession, il faut en accepter également. les règles de fonctionnement
Q. — Cette loi est-elle un atout face au défi européen ?
Stéphane MAUGENDRE. — C’est le but même du texte. La concurrence avec les avocats européens qui viendront s’installer chez nous se fera d’ailleurs sentir surtout pour le droit des affaires. Mais pour que la loi soit efficace, fl faut que le gouvernement fasse avancer le dossier de l’aide légale, qui est restée dans les limbes.
Me Laurent Lévy**: «Une atteinte au libéralisme»
LE QUOTIDIEN. — Pourquoi êtes-vous contre ce projet de loi ?
Laurent LÉVY. — Ce projet n’a rien à apporter aux avocats ni au fonctionnement de la justice. Les avocats peuvent déjà exercer leur métier dans les domaines judiciaires et juridiques. Fusionner avec les conseils juridiques ne nous donnera pas plus d’activités que nous n’en avions déjà. Quant au fonctionne¬ment de la justice, il y a une nécessité, pour son indépendance d’avoir des avocats indépendants. L’introduction du salariat semble incompatible avec ce caractère libéral.
Q. — Qu’est-ce que cette réforme va changer concrètement pour vous ?
LL — Pour moi, pas grand-chose. De toute manière, je ne deviendrai pas un avocat salarié. Le simple principe de rapports d’employeur à employé est dommageable pour la justiciables. L’avocat ne doit avoir de compte à rendre qu’au justiciable, pas à un patron.
Q. — N’y a-t-il pas rien de positif dans ce projet?
LL — Si, la profession d’avocat avait besoin d’être dépoussiérée. Le principe de la fusion n’est pas profondément négatif, mais présentée de la sorte, cette réforme est inutile et nuisible, par ce qu’elle a de spectaculaire en allant à l’encontre du caractère libéral de la profession d’avocat.
Q. —- Mais les conseils juridiques n’ont il pas quelque avantage à en tirer ?
LL — Peut-être,effectivement Ils vont pouvoir étudier le judiciaire, pas que le juridique. C’était un domaine d’activité dont ils étaient exclus. Mais n’oublions pas que les conseils juridiques pouvaient parfaitement exercer la profession d’avocat s’ils le souhaitaient.
Q. — Cette réforme n’était-elle pourtant pas utile pour 1992 ?
LL — C’est l’argument donné par les promoteurs de la réforme, mais à part répéter cet argument, on ne nous a jamais démontré pourquoi c’est aussi indispensable. Q subsiste deux professions distinctes en Grande-Bretagne. Si l’on veut appliquer les règles qui existent dans les autres pays, pourquoi alors ne pas fusionner aussi avec les notaires. Il n’y en a pas en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Le seul point positif à vouloir s’aligner sur les autres, c’est la réglementation de l’exercice du droit, en interdisant de donner des conseils en droit sans une qualification suffisante.
(*) Avocat au barreau de Bobigny
(**) Avocat au barreau de Paris