Un professeur d’histoire et géographie comparaissait lundi à Nanterre pour « violence volontaire » sur la personne d’un élève de seconde qui a eu un doigt coupé
Traits tirés, mâchoires serrées et teint de cendre. Sylvie Cavaillès se tenait droite comme un i sur un banc de la 20è chambre correctionnelle du tribunal de Nanterre où elle comparaissait, lundi soir, pour « violence volontaire ». En face d’elle : un ancien élève, 17 ans — appelons-le David —, entouré de ses parents, partie civile. Entre les deux bancs pas un regard. Mais une tension. Sourde, palpable.
Derrière eux, le public bourdonne, fébrile. Une vingtaine de professeurs sont là. Par solidarité. Cela fait vingt-six ans que Sylvie Cavaillès, 49 ans, enseigne l’histoire et la géographie. Et dix qu ‘elle fréquente l’établissement Florent-Schmitt, à Saint-Cloud (Hauts-de- Seine).
Un lycée sans histoire, jusqu ‘à ce samedi de février, l’année dernière, où David tente de rentrer dans sa classe de seconde 2, avec quelques minutes de retard, un gobelet de chocolat dans la main. Le professeur s’y oppose, le repousse et referme la porte. L’adolescent n’avait pas retiré sa main. Il voit son médius droit amputé d’une moitié de phalange. « Je ne sentais plus de résistance derrière la porte, explique Sylvie Cavaillès à la barre, d’une voix blanche. Et j’ai poussé. C’était un accident ». Le président l’interroge : « Avez-vous eu le sentiment d’avoir cédé à un certain emportement ? A une inattention ? » Devant le « non » répété de l’enseignante, il poursuit : « Vous aviez vu David le doigt en sang. Voua parlez alors d’« incident regrettable » et vous reprenez l’appel… N’est-ce pas là un comportement décalé ? » « Ma langue a fourché, se défend Sylvie Cavaillès. Si j’ai repris l’appel, c’était pour me reprendre. J’étais bouleversée. »
Une volonté manifeste de minimiser l’accident
C’est cette apparente désinvolture qui a choqué les parents de David. De la part du professeur, tout d’abord, qui laisse partir David à l’infirmerie accompagné seulement d’un élève, puis qui envoie un autre camarade lui apporter son bout de doigt, posé au fond du gobelet de chocolat-—ce qui a permis de le greffer par la suite. De la part de l’administration, ensuite. « La directrice nous a dit que cela aurait pu arriver à n’importe qui, explique le père de David. Dès le début, nous avons été accueillis avec une volonté manifeste de minimiser l’accident. Si le professeur s’était excusé, je n’aurais pas porté plainte. »
Mais la plainte est déposée. Et tout s’envenime. « Quand je suis rentré, plusieurs semaines après l’accident, j’ai senti que tous les profs étaient contre moi », témoigne David qui, de victime, dit s’être vu devenir coupable. Le dossier de Sylvie Cavaillès contient plus de 80 pièces en effet : autant de témoignages d’anciens élèves et de collègues— trois témoigneront à la barre— qui attestent de la qualité et du sérieux du professeur. Certains insistent aussi sur le comportement de David, qui, excellent élève, n’en était pas moins connu pour ses traits d’humour perturbateurs et ses bavardages répétés.
Mais pour les professeurs du lycée Florent-Schmitt, l’affaire dépasse l’enjeu du procès. Pour eux, il y va de l’exercice même de leur métier. « La situation devient intolérable avec les parents d’élèves, assène Michel Le Maître, professeur de maths. Ils sont toujours derrière nous, à l’affût du moindre faux pas. On ne peut pas travailler s’il n’existe pas un climat de confiance entre eux et nous ». Et la méfiance est là, en effet. En atteste la lettre envoyée par les associations de parents d’élèves au recteur de l’académie de Versailles, dénonçant le poids du corporatisme dans cette affaire.
« Ce n’est pas parce qu’il y a un accident qu’il faut trouver un coupable »
D’après l’avocat du professeur qui évoque « la flambée de la pénalisation », ce dossier n’aurait jamais dû arriver devant la justice : « Ce n’est pas parce qu’il y a un accident qu’il faut trouver un coupable. Si on n’avait pas voulu faire une affaire de plus contre un enseignant, on ne serait pas là ce soir ». Le procureur de la République a requis deux mois de prison avec sursis et ne s’oppose pas à la non-inscription de la condamnation au casier judiciaire. Jugement le 10 janvier.
https://www.la-croix.com/Archives/1999-12-01/Une-enseignante-poursuivie-pour-violence-_NP_-1999-12-01-488503