Devant la Cour d’assises de Bobigny, depuis hier matin, deux femmes se font face. L’une, dans le box des accusés, baisse la tête. L’autre, sur le banc des parties civiles, la fixe avec une obstination douloureuse. Cheveux tirés en arrière et maintenus par un catogan noir, pommettes hautes, yeux noirs, visage à la fois hautain, fier et douloureux, Nadira Bitach, 37 ans, porte chandail marron à col roulé, gilet à boutons dorés et jeans. A moins de quinze mètres, sur le banc de la partie civile, se tient une autre femme aux longs cheveux noirs qui, bras croisés sur la poitrine, ne détache pas son regard de l’accusée. Odile visage jaune taché de blanc, tout couturé et boursouflé des grands brûlés. A voir sa jeune sœur à ses côtés, on se rend compte qu’elle a été autrefois très jolie.
Le 18 mai 1993 à 22 h 30, Odile Mansfield se promenait cité Gagarine, à Romainville (Seine-saint-Denis), avec deux amies. Soudain, telle une furie, Nadira Bitach surgit, portant un récipient en plastique : « Je ne veux plus que tu voies mon petit frère Abdelkrim!»
Et comme la jeune femme poursuit son chemin sans répondre, elle l’injurie puis, la saisissant par les cheveux. l’arrose d’essence. Odile Mansfield cherche en vain à se dégager. Elle affirme avoir entendu . le bruit sec d’un briquet. L’accusée prétend que c’est la cigarette qui a provoqué le drame. En tout cas, en quelques secondes, Odile Mansfield se transforme en torche. Avec un blouson, un passant se jette sur elle et éteint les flammes. Trop tard.
A l’hôpital Foch de Suresnes, les médecins constatent que la jeune femme est brûlée à 59 %, dont 39 % de brûlures du troisième degré. Deux ans après, la victime doit subir de nouvelles interventions chirurgicales. Et à jamais, dans son psychisme et dans son corps, elle restera marquée.
Après avoir mis le feu, Nadira Bitach s’était enfuie et les policiers l’avaient retrouvée cachée sous le lit d’un ami.
Susceptible, agressive, dépressive, excessive, elle n’est pas une accusée facile. Ni pour le président, qui pourtant l’interroge avec précaution, ni même pour son avocat, Me Lev Forster. elle semble hantée par les morts violentes. Avant sa naissance, dit-elle, son père aurait échappé de peu à un empoisonnement. Sa tante, sa petite sœur et son mari auraient été assassinés. « Par le GIA », déclare-t- elle. On lui demande des précisions. Elle bafouille : « C’est, explique-t-elle, parce que tout se mélange dans ma tête. »
Algérie
Un père marocain, une mère algérienne, des parents commerçants aisés, religieux et tolérants, sept frères et sœurs. La vie de Nadira se déroulée dans des conditions favorables. Née le 27 janvier 1958 à Husseindey en Algérie, elle arrive en France en 1965. Elle fait de bonnes études, poursuit même, à l’insu de son père qui croit qu’elle apprend la couture, des cours de comptabilité chez des religieuses.
« Par curiosité », dit- elle, elle se fait baptiser et fait sa première communion. Un peu plus tard, elle épouse un cousin. Un mariage d’amour. Un fils naît. Nadira travaille comme comptable dans une entreprise de restauration. Elle est appréciée, elle a de l’ambition, elle veut monter une société.
Mais ce projet, tout comme le mariage, capote. Chômage et divorce arrivent presque en même temps. Alors, elle perd pied. Elle ne mange plus, se bourre de médicaments et parle de se suicider. A ses proches, elle confie qu’elle n’a plus rien à faire sur terre : « J’ai fait je ne sais plus combien de dépressions, explique-t-elle au président. Je ne peux vous dire combien de fois j’ai essayé de me suicider. »
Violents
Entre les allers-retours dans les hôpitaux et les maisons de repos, Nadira prend à cœur les affaires de sa famille. Le 18 mai 1993, elle se trouvait justement chez elle, avec sa nouvelle obsession : son petit frère Abdelkrim, un grand gaillard de 19 ans.
De sa fenêtre, Nadira voit Odile, une jeune fille qu’elle connaît bien puisque c’est elle qui l’a présentée à son frère. Ni l’origine de la jeune fille, ni sa religion n’auraient dû choquer Nadira. Pourtant, la veille, elle avait téléphoné à la mère d’Odile pour la mettre en garde : «Si Odile n’arrête pas de sortir avec mon frère, il arrivera quelque chose». A des voisins, elle avait tenu des propos encore plus violents, où il était question d’incendie.
Suite de l’audience aujourd’hui.