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Quatre cassettes accablantes ont été tournées les 14 et 18 mai. Elles montrent les provocations des forces de l’ordre.
Le visionnage de cassettes vidéo risque d’entraîner une volte-face judiciaire. L’une a été tournée le 14 mai, lors de la dispersion des sans-papiers venus manifester devant le Stade de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Trois autres lors de l’évacuation, le 18 mai à Paris, d’un immeuble du Crédit Lyonnais occupé par des militants de Droit au logement. Dans les deux cas, les cassettes récusent sans ambiguïté les dires des policiers, qui ont justifié le caractère musclé de ces interventions par des provocations des manifestants.
Traîné à terre et roué de coups. Dans le premier cas, le sort d’un Africain sans papiers est en jeu. Le 18 mai, quatre jours après la manifestation, El Hadj Momar Diop a été condamné à quatre mois de prison ferme et dix ans d’interdiction du territoire pour violence à agent par le tribunal correctionnel de Bobigny. A son procès, Momar Diop a nié l’accusation, affirmant au contraire avoir été victime de violences policières. Plusieurs témoins ont confirmé ses dires, assurant avoir vu l’Africain poussé vers une voiture de police, traîné à terre et roué de coups. Mais les policiers entendus ont fait bloc pour se poser en victimes. L’un d’entre eux, Mario Fattore, a affirmé avoir reçu un coup de poing au visage «d’un individu de race noire» puis un coup de tête qui lui a blessé le nez et l’arcade sourcilière. Une déclaration en partie infirmée à l’audience par un certificat médical faisant bien état d’une déviation de la cloison nasale, mais précisant que le traumatisme est ancien. Cela n’a pas empêché le tribunal de condamner Momar Diop. Arrivé du Sénégal il y a plus de vingt ans, il a fait des études d’anglais en France et pourrait faire partie des immigrés dont la loi Debré prévoit la régularisation, selon son avocat Stéphane Maugendre. L’Inspection générale des services (la police des polices) a été saisie. Elle devrait disposer d’un élément édifiant avec les images tournées par un homme qui préfère rester anonyme, se souvenant peut-être du sort réservé à un photographe de l’agence Associated Press qui, sur le stade, s’est fait confisquer sa pellicule par la police. Plainte pour faux témoignage. L’homme a filmé l’interpellation de Momar Diop alors qu’il quittait tranquillement le lieu de la manifestation. Sa cassette montre Mario Fattore l’agrippant par le bras. L’Africain ne bronche pas. On le voit seulement tenter de se dégager, sans violence, tandis qu’un policier tente de détourner l’objectif de la caméra. Finalement, on voit le sans-papiers projeté à terre par les forces de l’ordre, en accord avec les déclarations de plusieurs témoins qui ont vu Momar Diop recevoir une pluie de coups. Une plainte pour faux témoignage devrait donc être déposée cette semaine.
Dans le cas des militants de Droit au logement, trois cassettes vidéo, l’une d’un amateur et deux de France 2, contredisent la version policière donnée le 18 mai, après l’occupation par le Dal d’un immeuble du Crédit Lyonnais, dans le XVIe arrondissement. Au soir de l’évacuation, trois personnes ont été mises en examen pour «rébellion en réunion, avec arme». En l’occurrence, une hampe de drapeau avec laquelle les trois manifestants auraient chargé les CRS. Or les films montrent, au contraire et très clairement, la violence de l’intervention des policiers, sans qu’à aucun moment n’apparaisse la hampe. On voit d’abord les familles et les militants se presser vers l’entrée de l’immeuble. Garé devant les grilles, le camion loué par Emmaüs déverse des sacs de couchage et des matelas qu’on se passe de main en main. Quelqu’un crie «du calme, ne vous bousculez pas!». Puis «vite, rentrez, ils arrivent!». Les grilles se referment. Reste à l’extérieur une petite centaine de manifestants. Aux policiers, ils montrent leurs mains nues, avancent les paumes en l’air, tentent de repousser la charge. Boucliers en avant, matraques levées, les policiers cognent. Un homme est traîné, à terre, battu par trois CRS. «Au secours!», crie une femme. L’homme est emmené. Il sera l’un des trois mis en examen. «Honte à eux.» Dans un coin, le long de l’immeuble, un jeune homme est menotté et maintenu contre le mur par deux policiers. Il vacille sur ses jambes, tourne son visage. Il est en sang et hurle. De douleur ou de peur? Il est embarqué, tombe. On voit un policier en civil intervenir, calmer ses collègues et même les engueuler. Une dizaine de CRS l’entourent, masquant la scène à la caméra. «Honte à eux!», crient les manifestants. Le jeune homme, embarqué, sera le deuxième mis en examen.
Hier, Me François Breteau, avocat du Dal, annonçait qu’il allait verser ces trois films au dossier de Marie-Paule Moracchini, la juge d’instruction chargée de l’affaire. «Nous allons d’abord demander un non-lieu et ensuite porter plainte pour dénonciation calomnieuse et faux témoignages», dit l’avocat. Ces films ne font que confirmer ce que tout observateur présent sur les lieux avait pu constater.