Philippe du Tanney, 14/09/2000
La sixième journée du procès des assassins présumés du gardien de la paix Catherine Choukroun, dont le collègue Émile Hubbel avait été blessé, a connu hier un rebondissement inattendu. Des témoignages troublants avaient fait monter d’abord la tension dans le prétoire : « Je n’aurais jamais fait une telle saloperie », a lancé avec rage Marc Petaux, sentant l’étau se refermer sur lui. Contrairement aux deux autres accusés, il n’a jamais avoué quoi que ce soit.
Six ans après la nuit sanglante du 20 février 1991, porte de Clignancourt, « Marco le légionnaire » avait été mis en cause comme coauteur de l’assassinat par son ami, Aziz Oulamara, alias « Jacky », qui venait lui- même d’être dénoncé par Nathalie Delhomme, accusée de complicité. Et Aziz Oulamara a fini par reconnaître hier qu’il avait bien tenté de faire pression sur Nathalie pour qu’elle désigne au juge d’instruction le fameux Marco comme le tireur, le cantonnant lui, Aziz, du même coup, dans un simple rôle de chauffeur.
« Ceci peut laisser penser que vous étiez bien, Nathalie Delhomme et vous, dans le véhicule », relève l’avocat général Philippe Bilger. Désarçonné par la remarque, Aziz esquive la réponse : « Je n’ai jamais été dans cette voiture. Je suis innocent, je suis là à cause de mon casier. »
Plusieurs témoins, anciens videurs de la rue Saint-Denis comme lui, indiquent que Aziz portait sou¬vent en hiver, « quand il faisait froid ». un fouloir palestinien. Un keffieh comme celui qu’un chauffeur de taxi, aujourd’hui décédé, avait aperçu au cou du passager de la petite voiture noire s’enfuyait tous feux éteints sur le boulevard périphérique après la fusillade. « Je n’ai jamais porté de foulard palestinien, d’autant que je suis d’origine kabyle ». dit Aziz Oulamara.
À l’autre bout du box, Nathalie Delhomme semble de moins en moins bien supporter la tournure des débats. À tel point qu’après l’avoir consultée, son avocat Me Jean-Yves Le Borgne, lui demande solennelle¬ment : « Avant de vous rétracter chez le juge d’instruction, vous aviez dit que vous étiez dans le véhicule.Qu ’en est-il aujourd’hui ? »
« C’est vrai j’étais assise à l’arrière, mais j’étais complètement « défoncée ». lâche-t-elle en fondant en larmes. À l’époque, elle était constamment droguée à l’héroïne. Après un silence impressionnant, Me Le Borgne reprend : « On a dm que vous aviez donné un ordre comme : « Vas-y, allumez-les ! »
– « C’estf aux, et je n’ai même pas entendu les coups de feu. Je me suis à moitié réveillée quand les deux hommes à l’avant s’engueulaient. Le conducteur disait à l’autre : « T’en n’as pas marre ? ! T’as encore fait une connerie… »
La présidente, Mme Martine Varin, la pousse dans ses derniers retranchements : « Qui était à l’avant ? »
-«Il n’y avait pas Marc Petaux. Je ne connaissais pas le conducteur. »
– « Donc le passager était Aziz Oulamara?»
L’accusée hoche la tête puis ex-plique :« Je n ‘aime pas Petaux mais je ne peux pas laisser accuser un innocent».
L’avocat général ne se laisse pas démonter par cet apparent coup de théâtre. Il évoque les premières déclarations de l’accusée et celles d’Oulamara lui-même, qui avait d’abord été présenté comme le passager avant que ce soit Petaux dans les nouvelles versions.
« Dites-vous toute la vérité et n’essayez-vous pas encore de nous manipuler ? » s’interroge le magistrat Toujours en larmes, Nathalie Delhomme affirme : « Non, je n’ai plus rien à perdre. Mais je risque gros pour ma famille, pour mon fils. Il y a des gens du milieu dans la salle. Moi. j’ai tourné la page sur tout ça. » Et elle ajoute : « Je ne suis pas indifférente aussi à ce qui est arrivé à Mme Choukroun : elle aussi, elle avait un enfant ».
En exonérant Marc Petaux dans ce revirement spectaculaire, l’accusée renforce la responsabilité d’Aziz Oulamara puisque, de conducteur, il passe passager, donc au rôle de tireur, celui qui était sorti de la petite Austin pour tirer froidement deux décharges de chevrotine avec un fusil à canon scié sur les deux policiers assis dans la voiture pie stationnée pour effectuer un contrôle radar.