La prostituée voulait faire justice…elle se retrouve dans le box

300px-JournalDetective Georges Martin, 22/06/1989

_DSC0016Ils sont quatre dans le box des assises de Bobigny, en ce lundi 12 juin 1989. Ils sont assis côte à côte, bien sagement.

Patricia Israël, 32 ans, la seule femme du lot, est une blonde frisée, avec un visage rond et inquiet qui émerge d’un corsage blanc; c’est une prostituée. Elle est aussi la tendre amie d’un des inculpés, Jean Lafontaine, 43 ans. un grand gaillard brun. Les deux autres accusés s’appellent Laurent Debeauvais et Jean Marie. Ils sont respectivement âgés de 26 et 49 ans.

Que viennent-ils faire là, ces personnages en quête de leur destin ?
Quel crime ont-ils perpétré en commun pour être ainsi réunis devant les assises de la Seine-Saint-Denis ? Tous quatre doivent répondre de la même inculpation de vols avec violences, extorsion de signatures et destructions volontaires d’objets mobiliers ou immobiliers; Jean Lafontaine est en outre poursuivi pour proxénétisme. Une bien curieuse histoire que la leur, en vérité.

Mais avant d’aborder le détail des faits, le président Le Gall procède, selon l’usage, à l’interrogatoire de personnalité des accusés .

De Jean Marie, l’ainé du quatuor, on apprend d’abord qu’il n’a jamais connu ses parents. L’orphelinat, puis, de 13 à 17 ans, les enfants de troupe, puis l’armée… Quand il en sort, il a le grade de sergent-chef. il va alors exercer, pendant vingt ans le métier de serveur dans divers bars et restaurants. C’est un employé modèle, probe et sérieux, et sur le compte duquel on n’a obtenu que d’excellents renseignements. Coté cœur : la solitude. Oh, Jean Marie a bien vécu avec une jeune personne pendant quelques années, mais est décédée d’un cancer, a 26 ans.

Lors de son arrestation, il avait sur lui la carte d’identité de cette pauvre fille, son grand amour perdu, et il en pleure à l’audience lorsque le président signale la chose.

Un incident dans le « salon spécial» d’une boîte de Pigalle

Quant à Laurent Debeauvais. il a beaucoup souffert d’avoir perdu son père, en 1972, alors qu’il n’avait que 9 ans. A Amiens, sa ville natale, il poursuit sa scolarité jusqu ‘à l’âge de 16 ans. Ensuite, il mène une vie de déraciné : des petits boulots et, surtout, la drogue. En 1963,  Debeauvais a été condamné à deux années d’emprisonnement, dont une avec sursis, pour usage et trafic de stupéfiants.

Jean Lafontaine, lui, est né au Vietnam en janvier 46. Élevè près de Clamart par une mère restauratrice, marié, divorcé, ancien gérant de discothèque, il est aujourd’hui propriétaire d’un pavillon fort cossu à Noisiel, en Seine-et-Marne. Joueur forcené, il est même allé jusqu’à perdre en une seule soirée l’équivalent du prix d’un très bel appartement ! Puis, il est passé de l’autre côté de la barrière, pour devenir croupier dans plusieurs cercles de jeux parisiens.

C’est en juin 1962 que Lafontaine a fait la connaissance de Patricia Israël et qu’ils se sont mis tous les deux en ménage. Encore un drôle de cas social que cette Patricia, elle aussi mariée et divorcée. Ballottée dès son plus jeune âge de nourrice en nourrice, de foyer en foyer, elle est allée d’un homme à l’autre, au gré des rencontres. Elle a également fait, assez souvent, des séjours en hôpital psychiatrique. Les médecins qui font examinée ont diagnostiqué chez elle «une carence affective majeure» et une nette «tendance à la dépression». Notons au passage que les mêmes experts ont estimé que Jean Marie serait «faible et incapable de se prendre en charge» et que Laurent Debeauvais présenterait «une personnalité déséquilibrée et un caractère impulsif». Seul Jean Lafontaine a été jugé «exempt de toute anomalie mentale»…

Revenons d’ailleurs un peu à cet intéressant personnage. C’est le 29 juillet 1983 qu’il devient l’heureux papa d’une petite Priscilla, première et seule enfant de Patricia. Trois ans plus tard, la jeune femme fait ses débuts d’«hôtesse dans un établissement de Pigalle, Le Calcutta.

— En quoi consistait votre travail ? s’enquiert le président.
— Mon rôle était de faire boire les clients, répond l’intéressée d’une petite voix timide, presque enfantine. Sur une bouteille de champagne à 800 francs, j’en touchais 20…

— Vous ne faisiez pas que pousser ces messieurs à boire, n’est-ce pas ?
— Non. Il y avait des enragés qui voulaient nous emmener dans un salon spécial. Pour passer un moment ensemble, c’était 700 francs…

— En d’autres termes, vous acceptiez de vous prostituer. Pourquoi ?
— On voulait s’acheter une maison au bord de la mer, Monsieur…

La réponse, faite sur un ton tellement ingénu, suscite quelques rires dans la salle.

Le président en vient aux faits. Le 30 septembre 1986, deux «enragés», comme dit l’accusée, se présentent au Calcutta. Ce sont deux copains, deux célibataires en goguette, qui partagent provisoirement le môme pavillon, à La Courneuve, au 38 de la rue Jean-Verrat, et qui pour l’heure ont décidé de s’amuser. L’un se nomme XX, l’autre Roger Sylvain-Leprince. Et c’est ce dernier qui entraîne bientôt Patricia dans le salon spécial de la boîte, pour une brève étreinte.

Mais, une fois l’acte consommé, Patricia est absolument furieuse quand elle s’aperçoit que son partenaire a subrepticement retiré son préservatif avant de la pénétrer…

Expédition nocturne et punitive vers une maison de banlieue

— Je le lui ai reproché, explique-t-elle à la cour, mais il s’est contenté de sourire. Moi, j’avais très peur d’avoir attrapé le sida. Le lendemain, je suis allée faire les examens, mais il fallait attendre quinze jours pour avoir les résultats ! Alors, le soir, quand Jean m’a emmenée en discothèque, à La Scala, je n’avais pas le moral. C’est vrai, d’habitude, je me déchaîne, mais là, ça n’allait pas…

Le suite, on la devine. Lafontaine et Patricia rencontrent Marie et Debeauvais dans le night-club, et ils racontent l’affaire. Tout ce petit monde se monte la tête en buvant du whisky, et l’on décide à l’unanimité de monter une expédition punitive. L’adresse des coupables ? On l’a : elle est inscrite sur le chèque avec lequel les deux joyeux fêtards ont réglé leur addition. Et voilà comment, le 2 octobre 1986, vers 3 heures du matin, le quatuor débarque à La Courneuve, devant le domicile d’XX. et de Sylvain-Leprince…

C’est Patricia qui réussit à se faire ouvrir la porte, en appelant de la rue les deux hommes et en se montrant seule. Mais à peine le battant est-il entrouvert que tout le groupe s’engouffre en force dans la maison. XX. est copieusement frappé, insulté, et même blessé d’un coup de couteau au visage par Debeauvais. Mais c’est surtout à Sylvain-Leprince qu’on en veut. Lafontaine gronde qu’on va lui crever les yeux à l’aide de bâtons brisés… La jeune femme, elle, le gifle, lui tire les cheveux, puis elle lui arrache son slip – c’est dans cette tenue légère que le malheureux était en train de dormir. Ensuite, elle menace de lui couper le sexe avec un gros couteau trouvé dans la cuisine. Elle finira d’ailleurs hauteur des omoplates, et par lui en¬tailler sérieusement la peau…

Ces préliminaires accomplis, la bande se met à saccager les lieux, à briser tout le mobilier qui lui tombe sous la main. Sous la contrainte, les quatre sinistres personnages obligent XX. à leur signer un chèque de 5 000 francs, et Sylvain-Leprince deux chèques de 10 000 francs chacun. Enfin, la fine équipe s’esquive dans la Mercedes de Lafontaine, en emportant les montres des deux victimes et des papiers d’identité, une carte bleue, une alliance en or, une somme de 400 francs, un trousseau de clés du pavillon, et même le magnétoscope !

Bien qu’en piteux état et sévèrement choqués – chacun d’eux se verra reconnaître une incapacité de travail de huit jours -, les deux malheureux copains agressés vont porter plainte. Et comme on sait où trouver Patricia, les «justiciers» au grand complet ne tardent pas à être arrêtés. Ils font des aveux complets…

A l’audience, XX. et Roger Sylvain-Leprince sont appelés à la barre. Ce sont deux garçons blonds, frisant la quarantaine. Ils n’ont pas l’air très à l’aise et ils n’ont pas non plus grand-chose à raconter.

— Nous avons eu très peur, dit l’un. On a frôlé la catastrophe.
— Notre petite fête, ajoute l’autre, on l’a payée très cher…

Sur ces passionnantes dépositions, la séance est levée.

« Unis dans la nuit de terreur, unis dans la punition… »

Le lendemain matin, mardi 13 juin, c ‘est le ministère public qui intervient le premier, en la personne de M. l’avocat général Madranges.
— Équipée sauvage, lance-t-il, actes de torture, brutalités odieuses infligées à deux innocents par quatre malfrats qui voulaient faire leur justice eux- mêmes Voilà en résumé l’affaire qui noua est soumise aujourd’hui. Alors, bien sûr. on dira qu’il n’y a pas eu mort d’homme. C’est vrai. Mais gardons- nous pourtant d’une sanction trop faible, qui ne pourrait qu’inciter les accusés à la récidive, Il faut tes punir, oui. mais U faut surtout les dissuader de recommencer. Et comme ils étaient unis dans cette nuit de teneur qu’ils ont toit vivre à leurs victimes, je croîs qu’ils doivent rester unis dans la sanction. Je réclama pour eux quatre le même peine de cinq années d’emprisonnement. assortie du sursis, mais aussi d’une mise à l’épreuve de cinq autres années…

C’est maintenant aux quatre avocats de la défense de prendre tour à tour la parole, en premier lieu à Me Jean-Yves Leborgne, du barreau de Paris, qui plaide de sa voix puissante pour Laurent Debeauvais.

— Nos deux fêtards n’ont-ils pas leur part de responsabilité dans ce qui s’est passé ? demande-t-il. Parce qu’on est en goguette, parce qu’on bai du champagne, on se croit tout permis et l’on ne respecte plus rien, et surtout pas les filles, naturellement. Quant à mon client, on vous l’a dit il est déséquilibre, impulsif, il a suivi ses copains comme ça, simplement pour leur faire plaisir…

— Qui est Jean Marie ? s’interroge ensuite Me Maugendre, avocat au barreau Bobigny. En quelques mots, je dirais que c’est une personne sans origines sans descendance, sans biens. N’oubliez pas : quand on l’a arrête, il avait sur lui. dans sa poche, la carte d’identité de la femme aimée, cette femme morte depuis si longtemps. Alors, je me dis, et vous vous direz aussi, que quand on est capable de nourrir une telle passion, on ne peut pas être en fièrement mauvais…

Me Humbert se lève maintenant pour défendre Patricia Israël
— Par ma voix, dit-il ma cliente demande pardon aux victimes pour le mal qui a été commis. Il faut avant de la juger, se souvenir de l’enfance sans amour qu’elle a vécue et de ses troubles nerveux. Elle a une peur phobique de la maladie. alors, le sida. n’est pas, c était trop d’angoisse, trop de colère…

— Jean Lafontaine a toujours travaillé, affirme enfin Me Madec. Il êtes joueur ? Ce n’est pas un délit et d’ailleurs, il ne l’est plus. Alors, au nom la petite qu’il a eue avec Patricia souvenez-vous qu’il est déjà reste vingt et un mois sous les verrous et que l ’ordre public, bien souvent passe par la clémence.

Trois longues heures de délibérations, et les jurés reviennent avec leur verdict ; trois ans de prison pour Laurent Debeauvais, trente mois pour Jean Lalontaine. pour qui on a pas retenu l’inculpation de proxénétisme; trente mois dont douze avec sursis pour Patricia Isreal; Enfin, deux ans dont un avec sures pour Jean Marie.