La justice face à une expulsion qui a tourné au drame

la-croix-logo Olivier Tallès avec Maud Pierron, 29/09/2006

IMMIGRATION Trois fonctionnaires de la police étaient jugés hier pour avoir provoqué sans le vouloir la mort d’un Éthiopien

C’est une affaire embarrassante pour la police, à l’heure de la multiplication des reconduites à la frontière. Trois policiers de la police aux frontières (PAF) de l’aéroport de Roissy-Charles-de- Gaulle ont comparu hier devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour «homicide involontaire» à l’encontre d’un ressortissant éthiopien en situation irrégulière. Les policiers, âgés de 26 à 32 ans, sont accusés d’avoir provoqué la mort de Getu Hagos Mariame, un jeune sans papiers de 24 ans, pendant son expulsion, «par le pliage de sa tête sur le cou et le thorax». Autrement dit, une forte pression pour le maintenir plié en deux sur son siège, ” dans l’avion qui devait le ramener en Afrique. C’est à la suite de cette forte pression que l’Éthiopien a fait un malaise. Transporté à l’hôpital Ballanger de Villepinte dans le coma, il est décédé deux jours plus tard.

De la France, Getu Hagos Maria¬me n’aura rien vu ou presque. Débarqué le 11 janvier à bord d’un vol en provenance de Johannesbourg, démuni de tout papier, il avait été aussitôt interpellé et maintenu en zone d’attente. Trois jours plus tard, sa demande de droit d’asile était rejetée par le ministère de l’intérieur. Sa reconduite à la frontière était alors engagée. Le gardien de la paix Axel Dallier était chargé de l’escorter pour le 16 janvier avec ses collègues David Tarbouriech et Merwann Khelladi.

On ne sait pas grand-chose de la victime. Hier, la présidente du tribunal a regretté que personne de la famille n’ait pu se déplacer pour dresser le tableau de sa personnalité ou de son passé. En dehors de son état civil – il est né en Somalie -, on sait juste que l’homme a passé quelque temps en Afrique du Sud, avant de tenter sa chance en France. «Visiblement, c’est quelqu’un qui avait très peur d’être expulsé, témoigne son avocat, Stéphane Maugendre. Il a tout fait pour être débarqué. Je m’étonne que les policiers n’aient pas renoncé. » Il est vrai qu’il a manifesté une grande résistance, avant et pendant sa reconduite à la frontière.

À deux reprises durant son séjour en zone d’attente, il a simulé un malaise, selon le médecin qui l’avait examiné. Puis Getu Hagos Mariame a tout fait pour compliquer la tâche de l’escorte. Son refus des menottes a conduit les policiers à entraver ses jambes «avec des bandes velcro au niveau des genoux et des chevilles», selon les enquêteurs. Ils l’ont porté ainsi de la zone d’attente jusqu’à son siège. À bord, la victime a opposé une très vive résistance. Des témoins rapportent qu’il se débattait sans arrêt, refusant l’attache de la ceinture abdominale du siège. Les policiers ont alors exercé une pression sur le dos et la tête de Mariame, le contraignant à se replier sur lui-même pour le cacher à la vue des passagers.

Pour le maintenir immobile pendant qu’on lui passait les menottes, le chef d’escorte a expliqué avoir utilisé «son poids» en respectant la technique dite «du pliage», dont l’usage n’est plus autorisé depuis ce drame. Hier, lui et ses collègues se sont à nouveau retranchés derrière la procédure. Ils ont démenti les propos de deux témoins de la scène, un chef de cabine et une hôtesse de l’air, lesquels ont présenté une version un peu différente. Ces derniers ont indiqué en effet que «deux policiers s’étaient assis sur la victime allongée en position de fœtus».

Quoi qu’il en soit, c’est cette pression qui a provoqué le malaise fatal. L’autopsie a conclu que le décès était dû à une compression de la carotide provoquant une raréfaction d’oxygène dans le sang. L’expert précisant que les déclarations des trois fonctionnaires, aussi bien que celles des témoins, étaient compatibles avec les causes de la mort. Mis en examen pour «maladresses et manquements à une obligation de sécurité et de prudence ayant entraîné involontairement le décès», les trois policiers ont été mis à pied pendant dix mois. Ils ont, depuis, repris du service dans l’unité qu’ils occupaient avant la mort de Getu Hagos Mariame. Hier, le procureur a requis de la prison avec sursis, sans en préciser la durée.