Elsa Vigoureux, 14-20/04/2011
Parce que Christius, bientôt 18 ans, le soupçonnait de flirter avec sa petite soeur; Haroun a failli mourir, roué de coups à la gare de Noisy-le-Sec
C’était le samedi 2 avril. Haroun, bientôt 20 ans, attend à la gare RER de Noisy-le-Sec, en compagnie de sa petite amie Siré, presque 16 ans, le train qui doit la ramener chez elle. Mais, à 20h25, dix jeunes de Rosny-sous-Bois lui tombent dessus. Le mettent à terre. Le rouent de coups de pied, de poing, au visage, dans le dos, dans les côtes, dans le ventre. Ils lui arrachent son blouson, ses chaussures Nike Requin, son téléphone portable. Filent. Le passage à tabac a duré un peu plus d’une minute, une éternité pour Haroun, qui gît au sol. Siré appelle les pompiers, le cœur de son petit ami lâche, les médecins le rattrapent, plongent Haroun dans un coma artificiel pendant deux jours. Il s’en sortira. Pas de fracture osseuse, vertébrale ou costale. Pas d’éclatement de la rate ou du foie. Mais à l’échocardiographie, « une dysfonction ventriculaire » à gauche. Surtout, le jeune homme est gravement choqué. Les médecins prévoient au moins quatre semaines d’ITT (interruption temporaire de travail). Les syndicats de police et le ministère de l’Intérieur
ont vite classé le fait divers dans la catégorie «affaires de cités», évoquant de classiques rivalités territoriales, avec en filigrane une affaire de cœur. Dix mineurs, âgés de 14 à 17 ans, ont été interpellés. Huit d’entre eux sont mis en examen pour tentative de meurtre, et cinq sont derrière les barreaux.
Les petits copains, c’est pas bien
En réalité, qu’Haroun soit originaire de la cité des Indes à Sartrouville importe peu dans l’affaire. Ce qui compte, ce sont les filles. Haroun a rencontré Siré il y a deux ans, elle avait alors 14 ans. Elle s’en souvient, c’était « à une fête du jour de l’An […] dans une salle à Villepinte, organisée par le comité des fêtes ». Au début, Haroun et Siré sont «juste copains ». Et puis, en novembre dernier, ils se «mettent ensemble », c’est « officiel », toutes les copines de Siré, et même sa mère, le savent. Ils se rejoignent généralement à l’arrêt de bus, près du Quick de Rosny-sous-Bois, et se baladent à côté, au parc de Césarie.
Un jour, il y a un peu plus d’un mois, Siré, deux copines à elle et Haroun vont chez Gernina, une autre amie qui habite au Bois- Perrier. Les filles montent chez elle, Haroun attend dans un hall d’immeuble. En redescendant, elles voient Christius, le grand frère de Gernina, tracer en direction d’Haroun. « Même pas trois secondes après, raconte Siré, Christius m’a appelée et m’a demandé si je [le] connaissais. Je lui ai dit qu’il s’agissait d’un ami. [Il] a alors appelé sa sœur. » S’est tourné vers Haroun : « Gernina, tu la connais, elle aussi?-Non. – C’est sûr?- Oui. » Christius est sûr que le gars «la lui fait à l’envers». Il lui ment, pour lui c’est clair, c’est le petit co¬pain de sa sœur. Il s’énerve, c’est la dernière fois que Siré ramène quelqu’un d’étranger dans la cité, compris ? Plus tard, Gernina et Siré recroisent le grand frère, toujours « vénère» (énervé). Il recommence, s’adresse à Siré : «D’où tu ramènes un mec dans la cité à côté de chez moi?» La traite de «salope» et de «sale pute». Et tiens, il lui colle une gifle. Pareil pour Gernina, qui tente de s’interposer. Elle en a les lèvres qui saignent.
Seul mâle parmi les quatre enfants de la maison, Christius s’improvise en supercontrôleur de ses sœurs. Né en 1993, deux ans avant Gernina, il aura 18 ans en juin. C’est un bon élève, en deuxième année de bac pro, prêt à se lancer dans un BTS à la rentrée prochaine. Les parents, français d’origine zaïroise, travaillent beaucoup. Le père, employé administratif, et la mère, aide-soignante, sont bien loin des embrouilles adolescentes au pied des immeubles. Comme Christius, Stéphie, la grande sœur, étudiante, veille. Elle se dit « à cheval sur certains principes ». Les petits copains, c’est pas bien. Question de bonne tenue. S’agit de ne pas faire honte à la famille. Stéphie en a déjà parlé avec Gernina. « Je lui explique que certaines tombent enceintes, que d’autres ont de sales réputations, a-t-elle dit aux enquêteurs. D’ailleurs, je ne voulais pas qu’elle traîne avec Siré, qui a […] une réputation de pute car elle a déjà fait des choses avec des garçons. » Christius, c’est vrai, il joue au père, sévère et autoritaire, surtout avec Gernina, la petite dernière.
Le samedi 2 avril, l’adolescente part avec ses copines, tant pis pour son tour de tâches ménagères. La veille déjà, elle est rentrée à la maison en retard. Elle va être punie, encore, mais qu’importe, Gernina a envie de s’acheter des ballerines. Après, elle retrouvera Siré à la gare de Rosny, comme convenu par SMS. Mais vers 19h20, une heure avant l’agression d’Haroun, Gernina croise Christius à la gare RER de Rosny. Il l’engueule, qu’elle arrête de traîner. Confisque son portable. Et va « se poser» dans le square avec ses potes du quartier, Axel et Florian. «Par curiosité, j’ai regardé les messages du téléphone, raconte Christius aux policiers. [.. JJ’ai vu des choses qui m’ont choqué » : ce texto où Gernina parle à «[son] homme», elle dit avoir «bien aimé la journée d’hier », mais qu’elle a « saigné pen¬dant dix minutes». La réponse du gars : « Comment ça, t’as saigné ?» Gernina écrit que oui, il l’a « déviergée ». Christius disjoncte. Il pense à Haroun, direct. Voit Gernina à la gare de Rosny, il est dans son film, n’écoute rien, aie sur sa sœur. Elle ne peut pas lui dire que celui qu’elle appelle « mon homme » en SMS, c’est un autre. Que « c’est vrai […], comme elle l’a confié aux policiers, on a flirté ensemble, en fait on se touchait et à m moment… heu… il m’a mis un doigt… après j’ai voulu lui faire croire que j’étais plus vierge et j’ai écrit ça, mais en fait, c’était pas vrai».
Elle va le regretter, il va le retrouver, ce salaud d’Haroun. A la gare de Rosny, où les jeunes ont l’habitude de réunir leur ennui pour passer le temps plus vite, la rage de Christius crée l’attraction. Belva, Axel, Weetson, Diabé, Augustin, Sakouba, Salim et Jonathan s’attroupent comme des mouches autour du grand frère. Il va se passer quelque chose, enfin, faut pas rater ça. Christius envoie un message à Siré, du portable de sa sœur \ «bat ou » (sic). SMS de Siré : « Jariv jsuis àh noisy » OK. Christius monte dans le train. Les autres le suivent comme des moutons. A Noisy-le-Sec, il trouve Haroun avec Siré, dans le souterrain qui mène aux quais. Il lui dit : «Encore toi. » Dégaine le téléphone de sa sœur. Montre le numéro destinataire des textos douteux : « C’est ton numéro ? C’est ton numéro ?» Non. «Tu connais Gernina?» Non. S’acharne : «Tu connais Gernina?» Non. Christius cogne Haroun. Fort. Les autres s’y mettent. Le 5 avril, les policiers ont encore demandé à Haroun sorti du coma : « Connaissiez-vous cette Gernina? » Toujours non : «C’est une amie de Siré. » Tout ça pour ça.