Deux coups de feu, une morte et trois suspects qui nient

logo-liberation-311x113 Patricia Tourancheau, 08/09/2000

La reconstitution du meurtre de la policière s’avère difficile

IMG_2081Une petite voiture noire, un passager avec un keffieh, une femme blonde, un bout d’immatriculation «… T 92», un tuyau sur une prostituée, «Choupette», et six années de recherches vaines pour le meurtre de la gardienne de la paix Catherine Choukroun à Paris, le 20 février 1991 à lh24 du matin. Les policiers de la brigade criminelle ont retracé hier l’enquête chaotique et exsangue d’éléments matériels qui les a menés à l’ex- prostituée Nathalie Delhomme alias «Johanna» (35 ans), jugée comme complice. Et à deux anciens videurs d’un immeuble de passe rue Saint-Denis: Aziz Oulamara dit «Jacky» (39 ans) et Marc Pétaux (41 ans), tous deux accusés de l’assassinat de la première femme-flic tuée en service en France, et de tentative de meurtre sur son coéquipier Emile Hubbel.

Témoin.

Ce brigadier «planque» ce soir- là aux côtés de Catherine Choukroun dans le véhicule de police stationné sur la bretelle d’accès au périphérique, Porte de Clignancourt. Ils surveillent un radar. Dans son rétroviseur, Emile Hubbel a juste aperçu «une petite voiture ralentir et s’approcher par la droite, comme pour demander un renseignement»: deux coups de feu et sa collègue meurt à ses côtés. Seul, un chauffeur de taxi, Haïm, témoigne qu’après les deux détonations, il est «doublé par une petite voiture noire, nerveuse et puissante, de même catégorie qu’une R5 ou une Austin Métro qui roule à 100- 120 km/h tous feux éteints», avec à bord: «A l’arrière, un homme et une fille de 20-25ans aux cheveux blonds, et à l’avant, un passager brun aux sourcils fournis avec, autour du cou, un foulard de type palestinien à carreaux rouges et blancs.» Le témoin, décédé depuis, avait été «frappé par le rictus de son visage qui exprimait le dédain, la haine, le mépris et la méchanceté. La voiture a emprunté la sortie Porte de Saint-Ouen».

A l’époque, Oulamara héberge, dans son pavillon à Saint-Ouen, Pétaux, qui vit avec sa sœur Zina. Un anonyme incrimine aussi un petit véhicule immatriculé «…T 92». Contrôle des 480 automobilistes flashés la nuit du crime, des voitures «.. .T 92» de couleur foncée, de mille et un tuyaux percés, de voleurs et cambrioleurs gitans. En vain. Me Hervé Témime, qui défend «l’innocence» revendiquée de Pétaux, monte à l’assaut du commissaire Guillet de la brigade criminelle. Pour l’avocat, l’heure du crime, lh24, et celle avancée par Haïm, le taxi, lh45,ne collent pas. Mais pour le commissaire: «A lh45, sur le périph, il y avait plein de voitures de secours et de police, le taxi n’aurait pas manqué de les voir.» A la barre, le commandant Vasquez, chef du groupe qui a enquêté de A à Z sur l’affaire, assure: «On a misé dès le début sur la blonde à l’arrière qui, de par sa position dans la voiture, ne pouvait être que témoin et en plus, femme.» Mais l’informateur qui l’aiguille dès 1991 sur une certaine «Choupette», «pute et toxico», s’est révélé suspect.

Interpellations.

Janvier 1997,une indicatrice remet à nouveau «la Crim» sur la piste d’une prostituée appelée «Johanna-Nathalie», présente dans une «Austin Métro noire immatriculée 9643 PT 92» qui a servi au meurtre du périph. Surtout, le tuyau précise que «Johanna-Nathalie» a été entendue par la PJ de Versailles pour le meurtre de son proxénète. Ainsi, «la Crim» identifie Nathalie Delhomme, interrogée en 1987 sur le meurtre d’Abdel Laidoudi.Le 17 juin 1997,la blonde-rousse qui a «tourné la page depuis quatre ans, mère de famille en province» est interpellée, avec des gens de la rue Saint-Denis, dont Oulamara qui était très «proche du souteneur de Delhomme». Sans plus. C’est Johanna-Nathalie qui, la première sur procès-verbal, place Aziz Oulamara comme passager avant dans la voiture. Elle se situe «avachie sur la banquette arrière, complètement défoncée et sortie de sa torpeur par un courant d’air frais». Elle indique alors aux policiers qu’elle a «vu Aziz remonter sa vitre» et a senti que «quelque chose de grave venait de se passer». Elle parle aussi de l’habituel «keffieh à pompon» d’Aziz et du videur «Momo» qui, le lendemain, peste contre «Aziz qui a encore fait des siennes hier soir».

Plaintes.

Aujourd’hui, l’accusée Nathalie Delhomme maintient juste le keffieh d’Oulamara et la rumeur de la rue sur ses vantardises d’avoir buté un flic. Pour le reste, «les policiers m’ont convaincue de la présence d’Oulamara, de prendre la place de témoin, pour récupérer mon fils, et tout s’est construit au fur et à mesure».

Oulamara, lui, se plaint de coups, de côtes et de nez cassés. Les policiers parlent d’une «interpellation musclée pour le maîtriser». Enfin, le commissaire Guillet endosse une entorse à la procédure: à l’issue de la garde à vue, Delhomme a été placée dans la même cellule qu’Oulamara, au risque d’une concertation ou d’intimidation. «On a peut-être péché par excès de confiance.» Au fil des mois, «Johanna» a nié être dans la voiture. Et Oulamara a rejeté les tirs sur Pétaux. Un témoin à charge les voit rentrer à Saint-Ouen vers 2 heures du matin tous les deux I en «205 GTI». Mais l’intime conviction du commandant Vasquez c’est que «Pétaux est le conducteur de la 205 GTI, Oulamara, le passager au keffieh est le tireur et Delhomme à l’arrière». Mais comment un «un tir à bout portant, à 50 cm de distance maximum», selon la légiste, a-t-il pu partir du siège avant droit d’une voiture qui avance, pour cibler la voiture de police située à gauche et abattre Catherine Choukroun?

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