13/01/2012
La délinquance étrangère plus élevée que celle des Français selon les statistiques de la Chancellerie, et cible d’une proposition de loi UMP, est le fruit de la précarité et non de l’origine, jugent des experts interrogés par l’AFP.
Directeur de recherche au CNRS, le sociologue Sébastian Roché met en garde contre des « chiffres jamais simples à interpréter », avec « deux populations qui ne sont pas comparables », les étrangers étant « plus pauvres », « plus urbains » et dotés d' »un niveau scolaire plus faible ».
« Les étrangers sont plus ciblés par la police et plus renvoyés en justice », selon le sociologue qui note « des biais qui interviennent dans les décisions judiciaires faisant que les juges peuvent condamner plus sévèrement les étrangers ».
Pour M. Roché, pour connaître le lien entre la délinquance et le seul fait d’être étranger, « il faut croiser tous ces facteurs » mais « il n’y pas d’étude à ce jour ». Le ministre de l’Intérieur Claude Guéant « cherche à justifier sa législation » sans être « dans une approche scientifique », analyse M. Roché.
La proposition de loi du député Jean-Paul Garraud répond à une demande du ministre qui, fin 2011, avait souhaité que soient prises « des mesures spécifiques » contre la « délinquance étrangère ».
M. Guéant insiste sur la part des étrangers dans les cambriolages mais aussi le proxénétisme et les trafics de stupéfiants.
Le texte prévoit donc un examen systématique par les juges d’une expulsion pour les étrangers condamnés qui ne disposent pas d’attaches en France.
« On sent bien la manipulation électorale », s’offusque Stéphane Maugendre (avocat) du Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti), invité par la Commission des lois à assister le 24 janvier à une table ronde sur la proposition de Jean-Paul Garraud.
« Guéant dégaine les chiffes, Garraud répond par une proposition de loi et l’Observatoire national de la délinquance (ONDRP) qui dépend du pouvoir va sûrement publier des chiffres qui vont conforter le ministre », analyse-t-il. Et si l’on trouve plus de délinquance parmi les étrangers c’est parce qu’il s’agit d’une « population socialement défavorisée ».
Selon M. Maugendre, la proposition de loi « prouve que la double peine n’a pas été abolie par le président Nicolas Sarkozy ». L’interdiction du territoire français (ITF) est, ajoute-il, une peine « archaïque, criminogène et pas strictement nécessaire comme le demande la Constitution ».
Aujourd’hui, une ITF peut être décidée en complément d’une peine pénale sauf pour les étrangers installés de longue date ou ayant des attaches fortes en France.
En cas d’adoption de la proposition de loi, les tribunaux seraient tenus d’envisager l’expulsion pour tout étranger « ne disposant pas d’un séjour régulier en France depuis au moins trois ans » s’il a été condamné pour une infraction punissable « de trois ans d’emprisonnement ».
Mettant en avant la précarité sociale de la population étrangère, le sociologue Laurent Mucchielli observe que « les étrangers mis en cause ne sont pas nécessairement des personnes résidant sur le territoire national », notamment dans le cas de délinquances transfrontalières (trafic de drogue et proxénétisme).
Devant les tribunaux, « les magistrats peuvent craindre que les étrangers ne se présentent pas à des convocations ultérieures, voire même qu’ils ne puissent pas les convoquer faute d’adresse », suppute le sociologue.
« Ils ont donc plus fréquemment recours à la procédure de comparution immédiate au cours de laquelle les magistrats décident plus souvent de les placer en détention provisoire, ce dont les condamnations finales tiendront généralement compte afin de « couvrir » les mois effectués en détention provisoire ».