Un Zaïrois, père d’un enfant français, passager du premier charter d’expulsion européen

index Philippe Bernard, 25/03/1995

ÊTRE MARIÉ à une Française et père d’un enfant français d’un an n’a pas empêché un Zaïrois de trente-quatre ans d’être conduit sous escorte policière, mercredi 22 mars à l’aube, dans un avion pour Kinshasa. Wumba-Claude Nzaki est l’un des treize Zaïrois en situation irrégulière en France embarqués à bord du premier charter d’expulsions organisé à l’échelon européen (Le Monde du 24 mars). Affrété par les autorités néerlandaises, l’Airbus de la compagnie Martinair a convoyé au total quarante-quatre Zaïrois interpellés aux Pays-Bas, en Allemagne et en  France. Au-delà de cette «première » contestée par des avocats qui y voient une forme d’expulsion collective, formellement prohibée par la Convention européenne des droits de l’homme, le cas individuel de M. Nzaki illustre la multiplication, en France, de pratiques juridiquement contestables et humainement scandaleuses destinées à nourrir les statistiques de reconduites à la frontière.

En 1991, Wumba-Claude Nzaki s’était vu refuser le statut de réfugié politique et avait fait l’objet, en septembre 1992, d’un arrêté de reconduite à la frontière par le préfet de police de Paris. Six mois plus tard, il épousait Dominique Beaurain, une Française aujourd’hui âgée de trente-six ans qui lui donnait un fils, Joris, français par sa mère. Toutes les démarches entreprises par le couple auprès de la préfecture se sont révélées vaines. En octobre 1993, le préfet leur opposait une fin de non-recevoir écrite basée sur la validité de son arrêté de reconduite de 1992.

VIOLATION DE LA VIE FAMILIALE

Par deux fois, des juges ont contesté cette position. En décembre 1993, M. Nzaki refuse de monter dans l’avion et se trouve déféré devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Le jugement le relaxe en arguant de la violation de sa vie familiale. Un an plus tard, c’est le tribunal administratif de Paris qui a annulé – fait rare – la décision du préfet qui refusait d’abroger l’arrêté de reconduite. Le jugement confirme la « réalité de la vie familiale » et se réfère à la Convention européenne des droits de l’homme pour estimer que l’arrêté préfectoral « a porté au respect de la vie familiale de M. Nzaki une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ce refus lui a été opposé».

Lorsque le couple, fort de ces deux jugements, reçoit une convocation à la préfecture de police, il pense logiquement qu’il va obtenir une régularisation. On lui demande de repasser le lendemain, mardi 21 mars, qui se trouve être la veille du jour où le « charter européen » pour le Zaïre est programmé. M. Zaki se présente avec son bébé. L’après-midi, on appelle son épouse sur son lieu de travail pour qu’elle vienne récupérer l’enfant. Elle se rend à la préfecture où on lui indique que son époux a été placé en rétention.

Dès le lendemain matin, le père de famille redevenu simple Zaïrois sans papier est conduit à Roissy, n a été maintenu en rétention moins de vingt-quatre heures, délai qui aurait obligé la police a saisir le juge, qui aurait probablement ordonné la remise en liberté. « Convoquer les irréguliers la veille d’un vol, c’est une petite malice courante, certes pas  très glorieuse mais qui nous permet d’obtenir l’exécution de nos décisions », commente-t-on à la préfecture de police, où l’on estime que « faire un enfant français n’annule pas un arrêté de reconduite à la frontière », même si la loi protège les parents d’enfants français contre une telle décision puisque « l’arrêté avait été pris lorsque M. Nzaki était célibataire et reste parfaitement valable ».

Les avocats du Zaïrois, Daniel Voguet et Stéphane Maugendre ne l’entendent pas ainsi. Ils ont saisi, jeudi 23 mars, le président de la Commission européenne des droits de l’homme pour tenter de faire reconnaître plusieurs violations de la Convention européenne. Outre l’atteinte au principe du « respect de la vie familiale », les avocats plaident que M. Nzaki a été embarqué sans avoir pu exposer sa défense ni exercer le moindre recours.

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