recueillis par Marie Barbier, 21/10/2013
Michel Billout, sénateur communiste de Seine-et-Marne et auteur d’un rapport sur l’intégration des Roms en Europe (décembre 2012). « Non, il n’y a pas d’invasion migratoire »
« Dans l’affaire Leonarda, la loi actuelle a été appliquée, cela pose donc la nécessité de la changer. Une autre politique migratoire nécessiterait de sortir de la multitude des lois adoptées sous Nicolas Sarkozy et qui n’ont fait que durcir les choses et les rendre absurdes. On est face à deux cas d’expulsions : une famille entière pour laquelle le président de la République propose qu’une lycéenne soit autorisée à revenir en France et un jeune renvoyé tout seul en Arménie sans sa famille. On voit bien l’absurdité de l’application des lois, notamment le Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile – NDLR).
Pour changer la loi, il faut d’abord un changement de position idéologique et parler le langage de vérité. La France ne connaît pas un phénomène d’invasion migratoire. Nos flux d’entrées et de sorties sont de l’ordre de 110 000. Cela n’a rien à voir, par exemple, avec les 600 000 de l’Espagne ou de l’Italie. De même, on fait des quelque 20 000 ressortissants roms ou bulgares présents sur le territoire français une affaire d’État, ce n’est pas sérieux. L’immigration, dans un pays industriel et développé, est un élément de dynamisme économique. C’est une chance. Le patronat se plaint d’ailleurs de ne plus avoir accès à une main-d’œuvre sur laquelle il comptait.
Enfin, on ne peut pas traiter les migrants comme des délinquants, il faut que la justice ordinaire – et pas une justice d’exception dans les aéroports – puisse jouer pleinement son rôle. Il faut aussi réfléchir à une autre politique d’accueil des étudiants, pour à la fois participer à la formation de ressortissants étrangers qui pourront aider au développement de leur pays et accueillir des étudiants qui veulent renforcer la matière grise en France. »
Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’homme.« Il faut un grand débat sur la place des étrangers »
« La situation ubuesque provoquée par cette affaire Leonarda met en lumière la nécessité de changer la législation sur l’accueil des étrangers. Les lois appliquées aujourd’hui sont profondément mauvaises. Des circulaires peuvent servir de point d’appui dans l’état actuel. Celle de régularisation à l’automne 2012, après le mouvement des travailleurs sans papiers, permet de se battre et d’obtenir des choses. Mais ces circulaires n’ont pas force de loi. Leur interprétation et leur application sont laissées au bon vouloir des préfets.
Une politique d’immigration humaine commencerait par un grand débat pédagogique sur l’apport des étrangers au pays, pour en finir une fois pour toutes sur les préjugés et la préférence nationale qui cache son nom. Ce débat public doit éclairer sur la richesse apportée par la présence des étrangers, et également sur les problèmes qui peuvent se poser. Car ces derniers sont bien réels, par exemple le problème du logement, et le débat permettrait de comprendre qu’ils sont posés aussi bien aux étrangers qu’aux Français – en réalité, ils sont posés aux pauvres. Il est essentiel de distinguer ces problématiques pour faire comprendre à tous qu’un pays démocratique se doit d’être une société ouverte, composée à la fois de ressortissants nationaux et étrangers.
Surtout, ce débat doit déboucher sur une loi basée sur l’égalité. Idéalement, elle renouerait avec des titres de séjours longs, sécurisants et pérennes pour tous. Ils permettraient aux étrangers sur le territoire d’intégrer l’idée qu’ils peuvent vivre ici librement et y revenir. Cela mettrait fin à l’absurde fermeture des frontières des deux côtés, qui empêche aussi bien les gens à l’extérieur de venir en France, que les étrangers à l’intérieur d’en sortir de peur de ne pas pouvoir revenir. Il faut le respect des droits des étrangers, surtout le respect des droits fondamentaux : au regroupement familial, à l’éducation, à la santé. L’égalité réelle se fera par l’accès des étrangers aux droits communs. »
Stéphane Maugendre, avocat et président du Gisti.« Arrêter de penser l’immigration en termes répressifs »
« Le gouvernement se targue de mener une politique d’immigration “humaine mais ferme”. Sarkozy disait pratiquement la même chose : “Il faut être ferme, mais humain.” Or, un constat se détache pourtant chez ceux qui ont réfléchi aux politiques d’immigration : la fermeture des frontières, telle que menée en Europe aujourd’hui, est une catastrophe. Économiquement, car elle coûte des millions d’euros. Et, bien sûr, humainement, car on est en train de transformer la Méditerranée en véritable charnier. Il faut donc penser autrement ces problématiques. Et il n’y a pas que les seules associations qui invitent à cela : l’Unesco – pas vraiment un repaire de dangereux gauchistes – a publié il y a quelque temps un livre posant la question : “Et si on ouvrait les frontières ?” C’est un signe.
Plus globalement, il faut que les responsables politiques cessent de penser l’immigration uniquement en termes répressifs. Étudions cette possibilité d’ouvrir les frontières, arrêtons Frontex, arrêtons le projet de drones européens… L’ouverture des frontières n’est pas un gros mot. Regardez – justement – l’Europe : elle a été créée il y a plus de cinquante ans avec six États. Elle en compte 28 désormais. Et en faisant quoi ? En ouvrant simplement les frontières. Y compris avec des pays qui avaient une forte histoire d’immigration avec la France : l’Italie, le Portugal, la Grèce, la Pologne… On nous promettait il y a peu une invasion de plombiers polonais. On l’attend encore…
Ensuite, il y a des choses concrètes à faire avancer : par exemple, revenir à la carte de séjour de dix ans, ainsi que l’avait fait la gauche au début des années 1980. Car c’est la meilleure façon d’amener les étrangers à s’intégrer. Manuel Valls invoque les circulaires qui démontreraient l’humanité du gouvernement sur le sujet. Mais ces circulaires n’ont pas force de loi. Pire, certaines sont totalement inappliquées, comme celle sur les expulsions de campement. »