C’est la question qui agite, depuis le 24 avril, la scène médiatique autour du cas personnel de Lies Hebbadj, dans la région de Nantes. Selon deux avocats spécialistes du droit de la nationalité, cette affaire traduit un contexte plus profond. Ils évoquent une tendance à la hausse, depuis quelques années, des procédures visant le retrait du décret de naturalisation.
« Cette affaire n’est pas tout à fait un pavé dans la mare », estime Maître Hakima Slimane. L’avocate parisienne, spécialiste en droit de la nationalité, commente l’évocation, le 24 avril, par le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux, de déchoir de sa nationalité française Lies Hebbadj, un Franco-algérien soupçonné de polygamie et de fraude aux aides sociales.
Selon elle, si les cas de déchéance de la nationalité française restent très rares, notamment du fait de leur encadrement strict par l’article 25-1 du code civil, l’utilisation de la procédure de retrait du décret de naturalisation, qui aboutit également à une perte de la nationalité française, l’est beaucoup moins.
« Je n’ai jamais eu autant d’affaires de ce type que depuis deux ans , affirme la juriste, qui exerce depuis 10 ans. Mais on en parle moins. Sans doute parceque ce sont des gens qui font un peu moins de bruit, qui sont un peu moins barbus et un peu moins voilés. »
Cette procédure est utilisée lorsque la personne naturalisée est soupçonnée d’avoir menti ou fraudé sur les conditions d’obtention de la nationalité française. Notamment dans le cadre d’un mariage. « Pour que le conjoint étranger puisse acquérir la nationalité française, il faut que les époux justifient, durant les quatre ans suivant le mariage, d’une communauté de vie tant matérielle qu’affective, explique Maître Slimane. Aujourd’hui, un divorce ou la naissance d’un enfant adultérin dans les quelques mois ou années suivant l’acquisition de la nationalité française sont autant d’éléments de soupçon sur le bien-fondé du mariage et donc sur les conditions d’obtention de la nationalité. »
L’avocate évoque une affaire en cours: « J’ai un client dont la nationalité française est remise en cause par le procureur de la République, représentant du ministère de la Justice. Il a eu une aventure hors mariage avec une jeune femme en France. Un enfant est né de cette relation, peu de temps après sa naturalisation. Mon client est franco-algérien, donc, au vu du ministère, susceptible d’être musulman, donc soupçonné d’être bigame.»
« On voit de plus en plus d’enquêtes de suspicion autour des mariages mixtes, confirme Maître Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis et président du GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés). Des enquêtes parfois ouvertes, selon l’avocat, sur dénonciation du conjoint qui, « suite à un divorce, va écrire une lettre à la préfecture pour se venger. C’est difficile à chiffrer, mais c’est une tendance que l’on ressent effectivement depuis quelques années.»
» La plupart du temps, on gagne, affirme Maître Hakima Slimane. Car il y a souvent prescription ». Dans de nombreuses affaires, selon l’avocate, le délai de deux ans pour agir suivant la découverte de l’élément suspicieux, comme par exemple l’enregistrement du jugement de divorce, est dépassé. » Il n’y a donc aucune chance que ces dossiers aboutissent, mais le ministère tente quand même.»
Une tendance à ressortir les vieux dossiers qui traduit bien, selon elle, le climat de suspicion actuel. » Il y a sans doute aussi la volonté d’un effet dissuasif. Ils savent qu’au sein des communautés étrangères la rumeur va très vite. C’est un moyen de faire pression. »