Demande de carte de séjour, d’une autorisation spéciale du préfet, demande d’une enquête auprès du procureur de la République, retardent les noces et ont un effet dissuasif.
C’est une véritable bataille juridique qu’un couple de Nigérians a livrée au maire de Paris en l’assignant en référé hier matin au Palais de justice de Paris. La raison? Le maire du 16e arrondissement n’a pas voulu les marier, le 23 octobre dernier. Après une année de vie commune, Salomon, 33 ans, qui vit légalement en France depuis plusieurs années et sa compagne, Loveline, enceinte de sept mois et en situation irrégulière, décident de se marier. Le couple dépose te 10 octobre dernier un dossier à la mairie d’arrondissement du domicile de Salomon et les bans sont publiés. Date prévue pour le mariage, le 23 octobre. Ce jour-là, témoins sous te bras, le couple se présente pour convoler en justes noces. Refus catégorique de l’officier d’état civil, qui ne nie pas leur droit au mariage mais explique qu’il n’a pas reçu les résultats d’une enquête demandée au procureur de la République. L’officier d’état civil se demande si 1e maire de Paris peut procéder au mariage du couple « sans exiger le visa sur le passeport ».
Cette interrogation est pour le moins surprenante car une circulaire du ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation d’août 1982 abroge l’autorisation de mariage à laquelle étaient astreints les étrangers résidents temporaires et affirme que l’officier d’état civil peut « célébrer leur mariage sans formalité administrative particulière et sans avoir à vérifier la régularité du séjour». En juillet dernier à l’Assemblée nationale, le Garde des Sceaux lui aussi rappelé que «les règles relatives au mariage sont indépendantes de celles concernant le séjour des étrangers en France. L’instauration d’un contrôle de la régularité de ce séjour serait contraire aux dispositions des conventions internationales ratifiées par la France, notamment aux articles 12 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacrent le caractère fondamental de la liberté du mariage et l’interdiction d’y porter atteinte en se fondant sur l’origine nationale des intéressés».
Le « blocage provisoire » du mariage de Salomon et Loveline par la mairie du 16e est surprenant mais s’appuie sur l’article 343 de « l’instruction générale relative à l’état civil du 21 septembre 1955 ». Cette disposition permet en effet à l’officier d’état civil qui « éprouve certains doutes» sur un mariage, d’en aviser te procureur de la République, argument soutenu par maître Socquet, défenseur de la mairie de Paris. Des «doutes», qui, selon Me Stéphane Maugendre (avocat) le défenseur du couple nigérian, sont clairement définis: âge, consentement, législation nationale, etc.
A l’heure où plusieurs filières de mariages blancs ont été démantelées et où plusieurs maires tentent de contenir te nombre d’étrangers dans leurs communes, cet article permet selon maître Maugendre, « d’empêcher de nombreux mariages car beau¬coup d’étrangers ne se sentent pas d’engager des procédures pour obtenir un droit des plus légitimes, se marier ». Mais il y a plus grave, dans un DEA (diplôme de troisième cycle) de politique criminelle et droits de l’homme datant de 1989-90, intitulé «Le mariage des étrangers», deux étudiants de Nanterre, qui ont mené une enquête dans toutes les mairies d’arrondissement de Paris, observent que 85 % d’entre elles « violent non seulement la loi française mais aussi la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des menés fondamentales en exigeant une carte de séjour, de surcroît, près de la moitié de ces mairies exigent la production d’un titre qui n’existe plus depuis 1981» (l’autorisation spéciale délivrée par le préfet).
Selon le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti), ces cas se reproduiront régulièrement et « sans fin, tant que la Court européenne de justice ne jugera pas le fond et ne montrera pas que la France est dans une situation difficile, parce! que les maires continueront à faire de l’obstruction au mariage des étrangers».
Fort de leur bon droit, et après examen de l’enquête, Salomon et Loveline se marieront dans quelques jours à la mairie du 16e.