Pierre-Henri Allain,15/01/2010
Trois membres du collectif rennais de soutien aux sans-papiers ont comparu vendredi matin devant la cour d’appel de Rennes pour « diffamation et injures publiques envers un corps constitué », en l’occurrence la police aux frontières (PAF). En première instance, en décembre 2008, les trois prévenus, qui avaient reçu le soutien de nombreux élus et d’associations, avaient été relaxés. Le parquet avait fait appel de ce jugement. Il est reproché aux trois membres du collectif, les expressions utilisés dans des tracts distribués lors d’une manifestation devant les locaux de la PAF à Rennes en avril 2008.
Sur un mode satirique, ces tracts dénonçaient les pratiques utilisées dans l’interpellation et la reconduite aux frontières des étrangers sans papiers. « Tu t’ennuies dans la vie? Tu veux soutenir notre Président dans sa pêche aux voix du front national? Tu veux un métier où plus t’obtiens des résultats, plus tu gagnes du fric? Alors la police de l’immigration est faite pour toi », commençait l’un des tracts incriminés. Michèle Alliot-Marie, alors Ministre de l’intérieur, à l’origine de la procédure, avait pointé les passages jugés plus particulièrement injurieux et diffamatoires évoquant « des comportements brutaux et contraires à la déontologie ». Tels « tu peux organiser des contrôles au faciès », « tu peux menotter les sans-papiers à chaque fois que tu les déplace », « notre métier autorise l’enfermement des enfants » ou encore, « ses agents », désignant les fonctionnaires de la PAF sont « souvent familiers des idées racistes ». Devant la cour d’appel, dont le président s’est demandé si cette dernière phrase n’allait pas bien au delà de la critique d’une politique, les trois prévenus ont réaffirmé que ces tracts ne visaient pas des individus mais « des pratiques racistes qui nous semblent odieuses ». Un des nombreux membres du collectif présents dans la salle a défendu à la barre « la liberté d’expression et d’opinion ». Dans son réquisitoire, l’avocat général a quant à lui rejeté « l’exception de bonne foi » retenue par le tribunal en première instance pour justifier la relaxe. Il a notamment relevé que ce même tribunal avait reconnu que les termes des tracts « portaient atteinte à l’honneur et à la considération de la police aux frontières », ajoutant que « l’intention de provocation était contradictoire avec la bonne foi ».
« La liberté d’expression n’est pas sans limite », a t-il fait valoir, soulignant qu’à travers ces tracts, on prêtait aux agents de la PAF « un comportement qui n’a rien à voir avec la déontologie policière ». Dénonçant enfin « un discours manichéen et simpliste » qui « généralise à partir de certaines situations », l’avocat général a requis 750 euros d’amende pour chacun des prévenus. Les deux avocats de la défense se sont pour leur part attachés à démontrer la réalité des accusations proférés par le collectif. « Le délit de faciès est une réalité et une conséquence induite par la politique du chiffre, l’obligation de résultats qui amène les agents à contrôler les gens sur leur couleur de peau », ont insisté Malanie Le Verger et Stéphane Maugendre. Ce dernier a également cité plusieurs exemples de « brutalités policières » et un rapport établissant que 230 mineurs avaient été enfermés dans des centres de rétention en 2008. L’avocat s’est également étonné de la démarche initiale du ministère de l’intérieur. « Dès que la critique est trop forte, trop entendable, on vient faire feu de tout bois », a t- il lancé. « Les membres du collectif n’ont fait que soutenir les sans-papiers mais ce fait est insupportable pour le gouvernement et la politique qu’il a choisie ». La décision de la cour sera rendue le 2 mars prochain.