Mehdi Fikri, 19/10/2012
Le soir du 9 juin 2009, Arezki Kerfali, 61 ans, et Ali Ziri, 69 ans, fêtaient le mariage du fils d’Ali, à Argenteuil. « On était joyeux, on avait mangé, on avait bu », raconte Arezki Kerfali. Boulevard Jeanne-d’Arc, ils tombent sur une patrouille de police. Contrôle, interpellation tendue : Ali Ziri est amené au poste. Dans la voiture, les agents immobilisent le vieil homme. Et deux heures plus tard, il décède d’une insuffisance respiratoire.
Mercredi, le juge d’instruction chargé de l’affaire a blanchi les forces de l’ordre, tandis qu’Arezki Kerfali reste poursuivi pour outrage à agents. Selon l’ordonnance de non-lieu, « l’information n’a établi aucun acte de violence volontaire qui aurait été la cause directe ou indirecte du décès ». « C’est une mascarade ! » dénonce Arezki Semache, porte-parole du collectif Vérité et justice pour Ali Ziri. « C’est une affaire qui montre à quel point c’est difficile de poursuivre des policiers », déplore Stéphane Maugendre, l’avocat d’Ali Ziri et d’Arezki Kerfali.
« Le juge n’a entendu absolument personne »
L’avocat dénonce une instruction menée en fait par la police elle-même : « Le juge n’a entendu absolument personne. C’est l’inspection générale de la police nationale (IGPN) qui a procédé à toutes les auditions, sur commission rogatoire.» Et toutes les requêtes de l’avocat (reconstitution de la scène, confrontations des personnes présentes) sont refusées.
Ali Ziri est mort après l’utilisation par les agents de la technique dite du pliage, qui consiste à immobiliser une personne en lui maintenant la tête entre les genoux. Cette technique a été interdite en juin 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Mais reste en vigueur. L’un des agents reconnaît cependant dans l’une de ses auditions l’avoir utilisée. Une prise qui aurait été maintenue pendant plus de trois minutes, le temps que la voiture arrive au commissariat.
Dans son avis du 17 mai 2010, la Commission nationale de déontologie et de la sécurité (CNDS) évoque les images des caméras de surveillance du commissariat. Sur ces images, la CNDS a observé que « monsieur Ali Ziri a été littéralement expulsé du véhicule » et « jeté au sol ». Une « violence disproportionnée » qui constitue « un traitement inhumain et dégradant », selon la CNDS. « Le problème, c’est que ces images n’ont pas été visionnées par le juge d’instruction, ou alors en mon absence, ce qui est illégal », pointe Stéphane Maugendre, l’avocat d’Ali Ziri.
Autre problème : « Certains éléments d’expertise n’ont pas été utilisés par le juge d’instruction », déplore l’avocat. Le premier rapport médico-légal, réalisé par le professeur Dominique Comte, ancienne directrice de l’Institut médico-légal de Paris (IML), fait état d’une « vingtaine d’hématomes et d’ecchymoses sur tout le corps de monsieur Ali Ziri », dont certains font dix-sept centimètres de long. Le rapport conclut que « Ali Ziri est décédé d’un arrêt cardio-circulatoire d’origine hypoxique », autrement dit un étouffement, dû aux appuis effectués par les policiers. Ensuite, le juge d’instruction demande un nouvel examen à un expert, qui aboutit aux mêmes conclusions. « Quel que soit le degré d’agressivité de monsieur Ziri, il s’agissait d’un homme âgé de 69 ans », conclut le nouveau rapport, qui souligne « le manque de discernement » des agents. « Aucun de ces éléments n’a été utilisé par le juge », dénonce Stéphane Maugendre.
L’avocat, qui dénonce « l’esprit de corps des magistrats», a fait appel hier de l’ordonnance de non-lieu. « J’irai jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme s’il le faut », a-t-il affirmé.
Des réunions police- citoyens L’association Graines de France reprend la route pour organiser de nouvelles réunions entre les citoyens et la police. Une vingtaine de villes ont été sélectionnées pour accueillir ces rencontres. Graines de France entend souligner « l’importance d’aborder ce sujet au travers de plusieurs prismes et de sortir de la dialectique qui se résume pour beaucoup à une politique d’action-répression ». L’association cherche à comprendre ce qui a fonctionné et fonctionne encore dans d’autres villes françaises ou étrangères, où la violence a reculé et où le vivre ensemble a été rétabli, à s’inspirer et à importer les mesures et les bonnes pratiques qui ont fait leurs preuves. La première rencontre aura lieu à Nantes, le 23 octobre.