Elise Delève, 18/06/2013
Abu Kurke, un Erythréen de 25 ans, a fui la Libye à bord d’un zodiac au début de l’intervention militaire française en 2011. Il témoigne ce mardi et raconte que les armées françaises et espagnoles avaient repéré leur bateau mais ne lui sont pas venus en aide. 63 personnes sont mortes.
Le rescapé du naufrage d’un boat people porte plainte contre l’armée française et l’armée espagnole pour « non assistance à personne en danger ». La traversée de la Méditerranée depuis la Libye devait durer deux jours. Le bateau a dérivé deux semaines, alors que les deux armées savaient qu’il était au milieu de la mer.
Le 25 mars 2011, la France intervient militairement en Libye. Abu Kurke, un jeune immigré de 25 ans, originaire d’Erythrée décide de fuir à bord d’un zodiac. Il embarque aux côtés de 71 autres migrants africains.
« Le premier jour, ça allait. Mais le temps a changé et on était trop nombreux sur le bateau », se rappelle Abu Kurke. « Dès le deuxième jour, on a appelé (par téléphone satellitaire NDLR) le père Mussie Zerai », un prêtre érythréen qui transmet leur localisation à des gardes-côtes italiens.
63 morts
« Rapidement, les gens sont morts de faim ou de soif, d’autres ont été emportés par des vagues », raconte Abu Kurke. « Au début, on a essayé de garder les corps, mais à cause des odeurs, nous avons dû les jeter à la mer ». Pour survivre, il mange du dentifrice et boit son urine.
Abu Kurke a passé plusieurs jours allongé dans le bateau, sans pouvoir bouger. Il affirme avoir vu à plusieurs reprises des « hélicoptères, des navires militaires et des bateaux de pêche ». Mais personne ne les aide. Sauf le 27 mars, où le jeune homme raconte qu’un hélicoptère militaire leur a « donné de l’eau et des biscuits. On a montré qu’il y avait des bébés à bord. Ils ont fait le signe qu’ils allaient revenir mais ils ne l’ont pas fait ».
« Selon nos calculs, en une heure, une heure et demie, le Charles De Gaulle pouvait venir secourir les migrants » (association de migrants)
Selon Stéphane Maugendre, président du groupe d’information et de soutien des immigrés, l’armée française nie toute responsabilité dans ce drame. Il a déjà tenté de lancer une procédure l’année dernière, mais s’est vu recevoir cette réponse : « Nous n’étions pas sur place et si nous étions sur place, nous étions sous le commandement de l’Otan donc nous rendons l’avis qu’il n’y a pas lieu à poursuite ».
Pourtant, affirme Stéphane Maugendre, le porte-avion Charles De Gaulle naviguait bien au large de la Libye à ce moment là. « C’est un bateau extrêmement puissant, qui va très vite et selon nos calculs, en une heure, une heure et demie, le Charles De Gaulle pouvait venir secourir les migrants ».
Après 10 jours de dérive, le zodiac échoue sur les côtes libyennes, « à bord, en plus de moi, il restait dix personnes vivantes,mais une est morte une heure plus tard et une autre en détention ». Car le groupe est en effet placé en détention. C’est l’Eglise catholique qui les fait libérer. Les autorités libyennes les contraignent ensuite à prendre un bateau pour l’Italie. Arrivé en Europe, Abu Kurke réussit à obtenir des papiers et vit désormais aux Pays-Bas.