TC : Outre le délit de solidarité, la réforme du code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Cedesa), entrée en vigueur le 2 janvier, abroge la garde à vue des sans papiers et le délit de séjour irrégulier, qu’en pensez-vous ?
Stéphane Maugendre : Concernant le recours à la garde à vue pour vérifier la régularité du séjour des étrangers, cette mesure était dénoncée depuis des années par les associations comme un détournement de procédure. On utilisait une procédure pénale à des fins administratives. En juillet, la Cour de cassation l’a interdit. Les services de police et les préfectures ont alors dit : « Nous n’allons plus avoir le temps de prendre des décisions administratives. Il faut nous instaurer un délai nécessaire pour pouvoir prendre un arrêté de reconduite à la frontière, une obligation à quitter le territoire… » Le pouvoir a donc légiféré.
Et a remplacé, dans cette réforme, la garde à vue par une retenue de 16 heures ?
Oui. Mesure qui se résume finalement à une garde à vue moins 8 heures, et sur laquelle on peut s’interroger.
Quelles questions pose cette retenue ?
Tout d’abord celle de son utilité. Il existe déjà dans le droit commun une procédure, applicable à tout le monde, qui est la vérification d’identité. Elle dure quatre heures et permet aux services de police de retenir une personne pour vérifier son identité. Ils peuvent, via l’accès au fichier des étrangers, vérifier si la personne est connue ou non des services de police, si elle est recherchée ou non, si elle a un titre de séjour ou est visée par un arrêté de reconduite à la frontière. Cette procédure est largement suffisante.
La deuxième question que pose cette mesure est celle de la mise en place d’un régime d’exception. L’histoire du droit est pavée de régimes exceptionnels qui petit à petit sont devenus des régimes de principes. Mais la préoccupation principale des politiques semble être de laisser du temps aux services de police et de la préfecture.
… Et ce, au détriment au détriment de la liberté individuelle.
Exactement. Ce que l’on a tendance à oublier, c’est qu’à chaque fois il est question de privation de liberté de personnes.
Et que pensez-vous de l’abrogation du délit de séjour irrégulier ?
Cette abrogation est dans la logique des arrêts de la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) qui disent que le fait de ne pas avoir de titre de séjour ne peut constituer en soi un délit.
Mais on sent bien que le législateur français s’est crispé sur cette question. Ce n’est sans doute pas anodin s’il a retenu le délit d’entrée irrégulière. Il y a pourtant une procédure administrative et privative de liberté pour ce cas de figure : la retenue en zone d’attente.
Il y a une tendance lourde en Europe à pénaliser l’entrée et le séjour irréguliers pour utiliser les procédures pénales et l’emprisonnement à des fins de politique migratoire.
Pour vous, l’idéal serait finalement de dépénaliser les questions d’entrée et de séjour des étrangers en France ?
Nous pensons qu’il faut sanctionner pénalement les trafiquants, les marchands de sommeil… Mais à partir du moment où on est face à du simple séjour et non pas du trafic, nous ne voyons pas l’intérêt de pénaliser, y compris en terme d’efficacité.
Suite à l’arrêt de la Cour de cassation de juillet, certaines personnes ont dit qu’il ne serait plus possible de reconduire à la frontière les étrangers, de les mettre en centre de rétention, que c’était la fin de la de la politique d’immigration du gouvernement. Pourtant les chiffres démontrent que le nombre de placement en rétention n’a pas baissé sur la totalité de l’année ni le nombre de reconduite à la frontière, au contraire.
Justement, en matière d’immigration, malgré l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche, rien ne semble avoir changé dans les pratiques. Comment l’expliquer ?
Effectivement, nous sommes dans la continuation de la politique menée par le ministre de l’intérieur précédent, Claude Guéant. D’ailleurs, le discours est le même : « Fermeté et humanité ». Ensuite, comment l’expliquer ?
Serait-ce du pragmatisme ?
Non, car le pragmatisme serait de constater que la politique migratoire actuelle, essentiellement répressive, est et sera inefficace tant qu’il y aura des pays riches et des pays pauvres, des pays en conflit. Elle implique, de plus, des coûts importants en termes de vies humaines, de liberté et de milliards investis.
L’autre option serait de penser l’immigration autrement, c’est-à-dire en termes d’ouverture organisée et de liberté de circulation. Nous ne disons pas que la liberté de circulation serait le système parfait, mais le système répressif actuel n’est pas satisfaisant. Essayons au moins de penser autre chose.
(1) Groupe d’information et de soutien des immigrés.