Céline Rastelo, 16/10/2013
Sa famille faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire, la collégienne kosovare a été remise à la police lors d’une sortie scolaire. Ce qui a déclenché la polémique.
La polémique née de l’expulsion de Leonarda, collégienne rom kosovare de 15 ans remise à la police lors d’une sortie scolaire, est montée très vite, très haut. Si, selon le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, elle s’est déroulée « dans le respect du droit et des personnes », une enquête administrative a été ouverte pour faire la lumière sur les conditions de l’expulsion et, selon les services de Matignon, afin de « vérifier si l’ensemble des règles ont été respectées ». En cas de « faute », a affirmé Jean-Marc Ayrault mercredi 16 octobre, l’arrêté d’expulsion sera purement annulé. Alors que le Défenseur des droits a lui aussi ouvert une enquête, le Premier ministre a également rappelé que les arrêtés de reconduite à la frontière « n’autorisent pas que les enfants soient interpellés dans l’enceinte scolaire » ou lors de déplacements organisés par l’école.
C’est pourtant dans le cadre d’une sortie scolaire que Leonarda a été remise à la police mercredi dernier. Quand les forces de l’ordre se présentent au centre d’hébergement où elle est logée avec sa mère et ses frères et soeurs, la collégienne de 3e DP3 (option découverte professionnelle) du collège André Malraux de Pontarlier n’est pas là. Elle a dormi chez une copine pour pouvoir prendre le bus qui doit emmener sa classe visiter l’usine Peugeot de Sochaux. Selon les explications d’Anne Giacoma, professeure d’histoire-géographie-éducation civique au collège Malraux dans un billet publié par RESF (Réseau éducation sans frontières) sur « Mediapart« , le maire de Levier, en contact avec les policiers, les informe de la sortie. Puis appelle l’adolescente sur son portable, avant de demander à parler à un de ses professeurs. « Il me demandait expressément de faire arrêter le bus », relate Anne Giacoma. Elle refuse. Mais le maire lui passe un agent de la Police aux frontières (PAF) qui lui dit qu’ils n’ont « pas le choix » et doivent « impérativement faire stopper le bus (…) car il voulait récupérer une de nos élèves en situation irrégulière ».
« J’avais honte, parce que la police est venue devant mes camarades »
La PAF (Police de l’air et des frontières) dispose de billets d’avion pour un départ le jour-même à 13h au départ de Lyon. Leonarda est donc débarquée du bus scolaire et récupérée par la police. « L’éloignement s’est réalisé sans coercition, dans le plus grand calme », insiste la préfecture, précisant que l’adolescente a « attendu les forces de l’ordre à l’écart du bus avec son professeur, le plus discrètement possible ». « J’avais honte, parce que la police est venue devant mes camarades. Ils me disaient ‘Pourquoi la police ? Qu’est-ce que tu as fait ? Tu as volé ?' », témoigne l’adolescente à « France Inter » et « BFM TV ». La professeure, particulièrement choquée, indique alors à la police que « la façon de procéder à l’interpellation d’une jeune fille dans le cadre des activités scolaires est totalement inhumaine et qu’ils auraient pu procéder différemment ». Dans le même billet, les professeurs du collège dénoncent la façon dont « les efforts d’intégration fournis par ces enfants à l’école sont réduits à néant par des politiques aveugles et inhumaines ».
« Plus aucune interpellation ne devrait être effectuée dans les écoles et préfectures », préconisait le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe Thomas Hammarberg en novembre 2008. « Les expulsions d’enfants scolarisés sont tout simplement intolérables, que ce soit celle de Leonarda qui fait la une aujourd’hui ou les dizaines d’autres non médiatisées » dénonce auprès du « Plus » Richard Moyon, membre de RESF. L’avocat spécialisé en droit des étrangers et président du Gisti (Groupe d’information et soutien des immigrés) Stéphane Maugendre, est quant à lui « scandalisé » : « On renoue avec des pratiques sarkozystes absolument scandaleuses. L’école n’est plus du tout sanctuarisée. »
Une première obligation de quitter le territoire en septembre 2011
La famille de l’adolescente « avait été déboutée de tous ses recours et avait donc épuisé les voies pour pouvoir bénéficier d’un droit de séjour sur le territoire national », assure aussi préfecture. Selon les informations qu’elle a diffusées dans un communiqué, peu après son entrée irrégulière en France le 26 janvier 2009, la famille Dibrani dépose une demande d’asile. Sept mois plus tard, le 20 août, cette première demande est rejetée par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Et l’est à nouveau en appel, un an et demi plus tard, le 31 janvier 2011, par la CNDA (Cour nationale du droit d’asile). En mars 2011, la famille dépose un réexamen de son dossier d’asile. A nouveau rejeté. Avant que la préfecture ne prononce, le 29 septembre 2011, un refus de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Ce que le tribunal administratif a confirmé le 26 janvier 2012, avant que la cour administrative d’appel de Nancy ne fasse de même le 21 février 2013.
Ces recours n’ayant pas abouti, les parents de Leonarda sollicitent ensuite une régularisation au titre de la circulaire Valls du 28 novembre 2012 relative à « l’admission exceptionnelle au séjour des étrangers en situation irrégulière ». Nouvel échec. La famille, assure la préfecture, « ne remplissait pas les critères de résidence prévus par cette circulaire ». Si elle remplit le critère de trois ans de scolarisation des enfants (la famille est en France depuis quatre ans), elle ne remplit pas celui prévoyant cinq ans de présence sur le territoire. La préfecture argue aussi du fait qu’elle présentait « d’insuffisantes perspectives d’intégration sociale et économique. » Un nouveau refus de séjour avec obligation de quitter le territoire leur est notifié en juin. Début septembre, le père de famille fait l’objet d’un contrôle d’identité en gare de Mulhouse. En situation irrégulière, il est conduit en CRA (centre de rétention administrative). Les enfants ne pouvant plus être conduits en rétention avec leurs parents depuis la circulaire Valls du 6 juillet 2012, les enfants Dibrani et leur mère sont assignés à résidence à Levier, dans le Doubs, dans un centre d’hébergement. Le père de famille est expulsé mardi 8 octobre. Sa femme et ses enfants le lendemain. Selon le Premier ministre, les premiers résultats de l’enquête administrative devraient être connus « dans les 48 heures ».