Réseau Education sans Frontières, 23/12/ 2015
La suppression du délit de solidarité était l’une des très rares promesses que Hollande avait fait mine de tenir. La condamnation de Claire Marsol à Nice «coupable» d’avoir aidé deux tout jeunes Erythréens montre que, finalement, les engagements de Hollande dans ce domaine ne valent pas plus que dans les autres.
Claire Marsol, maître de conférences en retraite et militante de l’association Habitat et Citoyenneté, a été condamnée le 13 décembre 2015 par le tribunal correctionnel de Grasse à 1500 € d’amende pour « aide directe ou indirecte à l’entrée, la circulation, le séjour irrégulier de deux étrangers en France ».
Le 13 juillet dernier, alors que la police de M. Cazeneuve accomplissait sa noble mission de refoulement des réfugiés débarqués en Italie et se présentant à la frontière pour poursuivre leur exode vers l’Europe du nord, des militants d’associations de défense des droits de l’Homme étaient en gare de Nice pour observer les policiers contrôlant les voyageurs au faciès, leur demandant leurs papiers, leur interdisant l’accès aux trains et, parfois, déchirant leurs billets SNCF.
Vers 10 heures, un garçon de 15 ans, Erythréen, contrôlé et refoulé s’adressait à Claire, lui disant « Paris !» « Paris !». Une jeune femme de 22 ans se joignait à lui. Claire les prenait dans sa voiture et les conduisait à la gare d’Antibes, moins surveillée espérait-elle.
Mais, alors qu’elle montrait aux deux jeunes gens comment composter leurs billets, elle était repérée et dénoncée –oui, dénoncée—par un employé de la SNCF. Les trois « délinquants » étaient embarqués, menottes aux poignets. Claire allait subir 24 heures de garde à vue, une perquisition de son domicile puis une mise en examen.
Remise en liberté, la jeune Erythréenne reprenait immédiatement sa route vers le nord. Confié à l’ASE, le garçon de 15 ans fuguait rapidement pour, lui aussi, tenter de retrouver les siens. Des faits qui témoignent du gâchis matériel et moral que constitue la politique du gouvernement français…
Six mois plus tard, le 18 décembre, Claire Marsol comparaissait devant le tribunal correctionnel de Grasse qui n’a probablement rien de mieux à faire. Plus d’une centaine de personnes solidaires et de militants associatifs remplissaient la grande salle d’audience, surveillés par des dizaines de policiers le casque au côté. Hautain, cassant, sarcastique avec des prévenus sans beaucoup de défense, le président Alexandre Julien se montrait dès les premières affaires tel qu’en lui-même, hélas.
Face à Claire Marsol, son parti est pris dès le début : « Vous savez que la police contrôle les migrants et c’est sciemment que vous vous opposez à ces contrôles ». « Au moindre bruit, je n’hésiterai pas à faire évacuer la salle ! » clame-t-il quand une rumeur accueille son affirmation mensongère selon laquelle les mineurs isolés étrangers sont tous pris en charge par l’ASE. Un avertissement qu’il renouvellera au moment de rendre sa décision. Ni la revendication des faits par l’accusée, ni le témoignage de Stéphane Maugendre, président du GISTI qui rappelle les épisodes de la lutte contre le délit de solidarité jusqu’à la loi du 31 décembre 2012 censée le supprimer, ni celui d’Hubert Jourdan, le président d’Habitat et Citoyenneté, plusieurs fois grossièrement interrompu, n’ébranlent la conviction affichée du président : « La politique migratoire n’est pas dans le débat » et « Vous empêchez la police de faire son travail ».
Un boulevard ouvert pour le procureur qui reprend et développe les arguments suggérés par le président et, pour finir, demande une condamnation à 2000 € d’amende… avec sursis.
Décision du tribunal en forme de minable diminution des tarifs : 1500 € d’amende ferme avec un rabais de 20% si elle est réglée dans le mois.
Avec ou sans sursis, cette condamnation est évidemment inacceptable dans son principe… comme le reconnaissent sans s’en rendre compte et le procureur et le président Julien. Elle est aussi le témoignage d’une certaine pleutrerie. En effet, s’ils considèrent, comme tous leurs discours au long de l’audience tendaient à le démontrer, que Claire Marsol joue le même rôle que les passeurs… il fallait trouver le courage de lui infliger une vraie condamnation et pas une peine ridicule avec sursis ou une amende ferme et minable qu’une simple collecte à la sortie du tribunal aurait permis de payer avec intérêts. Ou alors, avoir la volonté de rendre vraiment la justice et la relaxer en affirmant publiquement, comme le demandait son avocate Sarah Benkemoun, que par ses actes, Claire Marsol a veillé à préserver la dignité de ceux qu’elle a aidés mais aussi de tous. Le tribunal s’est dérobé et a préféré se réfugier dans une peu glorieuse condamnation au rabais.
Bien entendu, l’affaire n’est pas close. Sur le plan juridique, il y aura appel. Mais elle va bien au-delà. La suppression du délit de solidarité était l’une de ses très rares promesses que Hollande ait tenue… avec les limites que l’on voit !
La condamnation des délinquants de la solidarité était intolérable sous Sarkozy. Elle l’est tout autant sous Hollande. Avec, en prime, le goût amer d’avoir été floué.
Richard Moyon, Militant RESF