20/01/2011
Les exemples foisonnent, choquants. Ce sont dix Bordelais placés une nuit en garde à vue (gav), car contrôlés positifs à l’alcool… sur une bicyclette ! Ce sont trois collégiennes appréhendées dans leur établissement ou chez elles, dans le XXe arrondissement de Paris, et retenues pendant 10 heures au commissariat, un temps menottées. C’est une militante de Resf (Réseau éducation sans frontières) enfermée 13 heures au Quai des Orfèvres, à Paris, interrogée sur ses « idées politiques de gauche » et forcée à un prélèvement salivaire.
Fouilles aux corps, mises à nu, insultes ou passages à tabac : les cas de garde à vue abusive, accompagnée de violences, sont légion en France. Parfois même dénoncés par des personnalités qui s’y sont frottées. Comme l’ancien haut-commissaire aux solidarités actives, Martin Hirsch : trois heures en garde à vue, sans lacets ni cravate, quand il a soulevé un cas de dysfonctionnement dans la pharmacie centrale des hôpitaux. Ou comme l’écrivain Frédéric Beigbeder : deux nuits au poste, une mésaventure racontée en 2009 dans son livre Un roman français. Il y a même eu récemment des policiers pour contester une procédure trop systématique et humiliante. Tel Philippe Venère, commissaire divisionnaire à la retraite et auteur de Les flics sont-ils devenus incompétents ? chez Max Milo, qui compte à son actif « 40 000 gardes à vue » : selon lui, un « indicateur de performance » pour le pouvoir !
En France, l’heure de la réforme de la garde à vue a sonné. En dix ans, le nombre de gav, une procédure créée en 1959 et facilitée depuis 1993, a explosé : avec les délits routiers, on en compte 900 000 par an (contre 335 000 en 2001). Depuis le 18 janvier, un nouveau projet de loi est discuté à l’Assemblée nationale. Car, à l’été 2010, le Conseil constitutionnel a invalidé la loi sur la garde à vue, jugeant ses modalités non conformes. De même, la Cour européenne des droits de l’homme (Cedh) et la Cour de cassation ont sanctionné un système trop coercitif et traumatisant. Jusqu’ici, un avocat ne pouvait intervenir qu’une demi-heure au cours des 24 heures de gav (prolongeables jusqu’à 96 heures, dans les dossiers de terrorisme) et n’avait pas accès au dossier.
À présent, sur le conseil des Sages, un avocat devrait intervenir dès le début de la garde à vue et demeurer auprès de son client. De quoi freiner les déclarations sous pression. « Il faut en finir avec la culture des aveux. Les policiers devront chercher des preuves objectives », applaudit Me Stéphane Maugendre. L’ avocat vient d’obtenir une jolie victoire : l’annulation de cinq procédures par le tribunal de Bobigny (93), au motif que les policiers n’avaient pas signifié à ses clients leur droit de garder le silence pendant la garde à vue. Une obligation réaffirmée par la Cedh.
Devant le Parlement, les débats promettent d’être âpres. Mais les droits de la défense devraient en sortir renforcés. La garde à vue devrait se limiter aux infractions les plus graves. Et il ne sera plus question d’« audition libre », procédure moins protectrice des droits (la commission des lois l’a supprimée en décembre). De quoi arc-bouter les policiers, dont les syndicats sont déjà vent debout contre la réforme.