Pour l’avocat général, le trio jugé aux assises de Paris pour l’assassinat il y a neuf ans d’une policière en «planque» sur le périphérique, est bien le «trio infernal de 1991». Pour cet acte sans mobile, sans pièce à conviction ni témoin direct, Philippe Bilger installe Aziz Oulamara, 39 ans, ex-videur d’un immeuble de passes rue Saint-Denis, comme «passager avant droit de la 205 Peugeot»: «C’est le tireur, une certitude absolue.»
Puis, il place Marc Pétaux, 41 ans, non pas dans la peau de l’innocent, mais au volant de la voiture qui «ralentit et s’arrête» à 1 h 20 du matin le 20 février 1991 sur la bretelle d’accès au périphérique de la porte de Clignancourt, pour permettre «à son coauteur d’ouvrir sa vitre, de s’installer sur le rebord de la portière et de tirer deux décharges de chevrotine» sur la gardienne Catherine Choukroun et sur le brigadier Emile Hubbel. Pétaux en «conducteur du véhicule», «c’est au pire une plausibilité, au mieux une quasi-certitude».
Absence du père. L’avocat général réclame la même peine de vingt ans de prison ferme contre «le tireur» et le «chauffeur», coauteurs d’un assassinat et d’une tentative: «Vous devez tenir compte, mesdames et messieurs les jurés, du fait qu’Aziz Oulamara a commis le pire mais n’a pas été le pire.» Car Aziz a élevé ses cinq frères et sœurs pour pallier l’absence du père emprisonné pour le meurtre de sa mère.
Philippe Bilger taxe l’ex-prostituée Nathalie Delhomme de «Madone de l’audience», et ses aveux tardifs de «pantalonnade» et «manipulation» pour dédouaner Marc Pétaux. «Des histoires profondes se trament en coulisse de la cour d’assises qui nouent ensemble Delhomme et Pétaux, des intérêts liés qu’Oulamara, brave bête judiciaire, n’est pas à même d’appréhender».
Pour juger cette «affaire particulière née sur le terreau singulier et délétère» des maquereaux et des prostituées, les «accusateurs sont parfois guère différents des accusés» mais l’avocat général tient pour «quelque chose de puissant et de vrai, la rumeur qui coure la rue Saint-Denis et nous répercute les vantardises d’Oulamara: « on a fumé une flic », et ce « on » évidemment, c’est Pétaux. Le statut de ces deux inséparables videurs a changé après. Ils tombent pour proxénétisme en 1993. Parce que dans ce milieu, c’est chic de tuer un flic, ces deux deviennent des caïds».
«Non absolu». Philippe Bilger s’appuie surtout sur les aveux d’Oulamara qui «détaillent» les faits: «C’est la vérité, sauf sa position dans la voiture. Oulamara se met à la place de conducteur, pour se dégager de celle de tireur. Il n’a pas compris qu’il était cuit dès lors qu’il se mettait dans le véhicule. Plus intelligent, Pétaux, lui, le conducteur de la voiture, l’a compris. Par conséquent, il s’enferme dans un « non absolu », jusqu’à nier connaître Serge Schoeller.»
Son vieux copain des années 80, ex-receleur, a témoigné à charge sur la vente d’un fusil de chasse à Pétaux et sur la soirée du 19 février. Schoeller, qui fête sa sortie de prison avec Oulamara et Pétaux dans un bistrot de la rue Saint-Denis, les voit «prendre une 205 Peugeot» et «partir ensemble vers minuit pour une affaire» puis «revenir ensemble à 2 ou 4 heures du matin». Entre-temps, «Nathalie et Pétaux, qui sont allés sur un plan de came, reviennent tendus à la voiture. Et Oulamara, dans un état pas possible après de multiples cannettes et un peu de cocaïne, fou du roi éperdu de Pétaux, va commettre cet acte antisocial, terriblement gratuit, un pari grotesque et criminel, pour faire le beau, sous le regard du conducteur, le seul être qui compte».
Nathalie Delhomme bénéficie d’une réquisition plus douce. «Abrutie, camée, endormie à l’arrière. Delhomme a proféré la phrase: « Vas-y, allume les flics! » C’est, sinon un ordre, au moins un encouragement.» Pour «cet acte de complicité, indiscutable mais dérisoire», l’avocat général demande cinq ans d’emprisonnement maximum. Cette rousse de 35 ans a quitté le milieu en 1993, après dix années passées sur le trottoir, elle a changé de vie, décroché de la poudre et pouponné à la campagne, quand son passé l’a rattrapée: «Vous devrez tenir compte de quelque chose de fort dans sa vie, son fils.»
Pour sa défense, Me Jean-Yves Leborgne a parlé de sa «déchéance» à l’époque, de «l’héroïne qu’on prend pour ces hommes et ces hommes encore qui vous passent sur le corps», et a plaidé l’acquittement de Nathalie, «simple témoin»: «Pour qu’une fois dans sa vie, on ne la traite pas comme une moins que rien, comme celle dont la parole ne vaut rien.»